Connexion

Actualités

Le Club des Punks contre l'apocalypse zombie

Est-il besoin de rappeler que Karim Berrouka fut, au siècle dernier et un peu au-delà, le chanteur de Ludwig Von 88, vénérable groupe français au son duquel les plus chenus de la Bifrost Team pogotèrent jadis ? On ne s’étonnera donc guère qu’il ait choisi pour son nouveau roman de mettre en scène une population qu’il connait bien, soit une bande de punks anarchistes et squatteurs, et de les confronter à une apocalypse zombie. D’où le titre, ou à peu près.

Des innombrables fins du monde mortes-vivantes qu’il nous est donné à lire actuellement, celle-ci est certainement l’une des plus distrayantes et des moins effrayantes. En premier lieu parce que l’auteur ne semble guère goûter les excès gores de certains de ses confrères. Les diverses éviscérations et autres scènes de cannibalisme collectif, quand elles ont lieu, ont le bon goût de se dérouler hors-champ. Surtout, on a beau assister en direct à l’effondrement de la civilisation, l’ambiance demeure étonnamment légère. Outre l’écriture goguenarde de Berrouka, on doit également cette impression à la galerie de personnages qu’il met en scène, punks à chiens ou militants anarchistes, tous plus ou moins perchés. De leur point de vue, le monde qui les entoure apparait certes hostile, mais jamais au point de les amener à renoncer à quelques coups d’éclats aussi futiles que magnifiques, qu’il s’agisse d’aller planter un drapeau noir au sommet de la Tour Eiffel ou de visiter les locaux de France Télévisions afin de remplacer l’épisode d’Histoires naturelles diffusé en boucle par un best of de vidéos punks.

Karim Berrouka incorpore en permanence des éléments inattendus dans son récit, y compris dans le comportement de ses zombies, que l’on découvre tour à tour téléphages, mélomanes, voire, pour certains d’entre eux, doués d’un embryon d’intelligence. Et comme souvent dans ce genre d’histoire, les morts-vivants ne sont finalement pas la pire menace à laquelle devront faire face les héros. D’autres individus entendent bien profiter du chaos ambiant pour asseoir leur domination sur ce qu’il reste de l’humanité. À partir de là, en opposant les vestiges de l’ancien monde ultra-libéral à une tentative d’utopie anarchiste autogérée, le roman prend une tonalité plus politique, sans jamais se départir de ses accents de comédie. Plus étonnant, le récit nous offre à l’occasion quelques séquences mystico-délirantes, tout à fait incongrues dans un tel contexte, et qui pourtant vont progressivement entrainer cette histoire dans une direction des plus inattendues.

Par son ton décalé et son ironie permanente, ses personnages de marginaux attachants, sa manière de mettre en scène un avenir pas franchement rose sans se laisser un seul instant aller au désespoir, son sous-texte politique plus engagé qu’il n’y parait et ses hallucinations mystiques nourries à la série Z et aux drogues lysergiques, l’œuvre de Karim Berrouka en rappelle une autre, celle de Roland C. Wagner, en particulier sa série des « Futurs Mystères de Paris ». Une filiation qui finit de nous rendre Le Club des punks contre l’apocalypse zombie excessivement sympathique*.

* Notre collaborateur ayant rédigé sa critique à l’écoute de « Houlala » et « Houlala 2 : la Mission », une Kro dans une main, une Kanterbräu dans l’autre, il s’excuse pour les taches et les fautes de frappe.[NdRC]

Le Bibliomancien

Passé sous le radar de la critique jusqu’à présent, Jim C. Hines n’est pas vraiment un nouveau venu, puisque « Magie Ex Libris » est sa troisième série traduite en France, après « La Trilogie du Gobelin », dont seuls deux tomes ont été publiés par l’Atalante, sous des couvertures à ce point immondes qu’il est inexplicable qu’elles n’aient pas ramassé quelque Razzie en leur temps, et « Princesses mais pas trop », œuvre pour la jeunesse mettant en scène diverses héroïnes de contes de fées, elle aussi abandonnée par Castelmore avant son terme (trois tomes sur quatre traduits). Sa nouvelle série se veut un brin plus ambitieuse et se rapproche par son utilisation de la magie des « Thursday Next » de Jasper Fforde. Mais là où ce dernier plongeait ses héros au cœur des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, ceux de Hines, à l’inverse, y puisent divers artefacts (des armes le plus souvent) pour les introduire dans notre univers. Isaac Vainio était l’un de ces bibliomanciens capables de telles prouesses, membre de l’organisation secrète Die Zwelf Portenaere, jusqu’à ce que l’une de ses missions tourne au désastre et qu’il soit mis sur le banc de touche, ou plus exactement derrière le guichet d’une bibliothèque. L’irruption d’une bande de vampires sur son lieu de travail va néanmoins l’amener à reprendre du service.

À première vue, Le Bibliomancien semble relever d’une urban fantasy des plus banale, mettant avant tout l’accent sur l’action, incessante tout au long de ces 350 pages. Néanmoins, Jim C. Hines parvient à y glisser quelques nuances bienvenues et une pincée d’idées intéressantes. À commencer par Die Zwelff Portenaere, ordre fondé par nul autre que Johannes Gutenberg six siècles plus tôt, et gardant jalousement les secrets de sa magie. Les personnages principaux, eux aussi, finissent par révéler une épaisseur que l’on ne soupçonnait pas à première vue. Jusqu’à la romance entre le héros et Léna, la nymphe tendance cuir et moto qui l’accompagne dans ses pérégrinations, qui va progressivement s’avérer moins convenue que ce à quoi on pouvait s’attendre. Cela ne suffit pas tout à fait à faire de ce roman autre chose qu’un sympathique divertissement, pas suffisamment inventif pour être vraiment mémorable, mais au moins arrive-t-on au terme de ce récit sans l’impression pénible d’avoir perdu son temps. On saura s’en contenter.

Les Ruines de Paris

Le site ArchéoSF, où Philippe Éthuin exhume régulièrement les pièces étranges d’une science-fiction française qui ne portait pas encore ce nom, se met à publier en papier, et c’est tout à fait bienvenu – même si la finition de ce Ruines de Paris n’est sans doute pas optimale encore. Cette très brève anthologie comprend cinq textes tournant autour de la thématique d’un Paris destiné à finir, à l’image de l’antique Palmyre et autres Carthage, à savoir en ruines – sujet qui avait le vent en poupe au XIXe siècle, un vent d’autant plus fort qu’il s’appuyait sur la passion de l’époque pour l’archéologie… dont le caractère scientifique pouvait cependant s’avérer douteux.

Deux textes sont relativement « longs ». « Les Ruines de Paris », de Maurice Saint-Aguet, auteur oublié (ouf ?), décrit une expédition babylonienne dans les ruines de la ville-lumière « en l’an du Christ 4850 », où le sage Amorgias et son frère, le savant Elial, quelque peu romantiques, outre qu’ils semblent échappés des Lettres persanes, tomberont sur un très opportun Parisien les guidant à la surface – décrivant comment un coup de vent a mis fin à Paris, et donc à la France, et donc à l’Europe –, puis leur dévoilant la société troglodyte un brin loufoque qui s’est malgré tout développée pour prendre le relais du Paris d’antan. Il y a de belles idées, et un humour un peu tordu, mais le texte s’avère une relique poussiéreuse – normal ! –, notamment du fait d’un style extrêmement lourd et pompeux, au point d’en perdre toute drôlerie…

Sur un canevas assez proche, « Les Ruines de Paris en 4875 », d’Alfred Franklin (qui y est revenu plusieurs fois : L’Arbre Vengeur avait réédité l’état final du texte, Les Ruines de Paris en 4908), est autrement plus intéressant. Cette nouvelle épistolaire, rapportant les découvertes dans l’ancien Paris d’une expédition partie de Nouméa, est une satire acerbe et rusée d’une archéologie aléatoire et bâtie sur des préjugés. D’un style plus souple et léger que le texte précédent, cette nouvelle parvient à être toujours drôle et pertinente aujourd’hui – sans doute le meilleur texte de ce bref recueil, et de loin.

Restent trois textes autrement courts, et d’un intérêt variable. Sans doute n’y a-t-il pas grand-chose à dire concernant « En l’an 5000 », signé du pseudonyme collectif Santillane. Plus connu, Louis-Sébastien Mercier, à la fin de son « Tableau de Paris », médite sur les ruines à venir, et sur les étrangetés de l’appréciation des œuvres artistiques quand le temps s’en mêle ; mélancolique mais sans doute bien vu. Enfin la star, Victor Hugo… mais un Hugo de quinze ans à peine, qui, dans son « Le Temps et les cités », n’a sans doute pas le brio et la maîtrise du poète à venir – les images comme les formules ont quelque chose d’un peu convenu…

Une curiosité – où Franklin est le seul à briller pour lui-même… Pour autant, l’initiative reste bienvenue, à même d’intriguer les érudits du domaine, et on encouragera Philippe Éthuin à poursuivre dans ce sens – en en attendant un peu plus, peut-être…

Nuage

Mémoires de sable (cf. Bifrost no 80) laissait supposer la réédition des œuvres d’Emmanuel Jouanne à la Volte, et cette reprise de Nuage va dans ce sens. On notera d’ailleurs qu’elle paraît en même temps que la dernière itération du Mondocane de son complice Jacques Barbéri, ce qui souligne la parenté des deux auteurs…

Nuage, parfois considéré comme le chef-d’œuvre de Jouanne, n’est pas son roman le plus représentatif. Unique excursion dans le planet opera, il obéit à une structure relativement linéaire, et le style est plus sage que souvent. Pour autant, Nuage n’a rien d’un livre neutre, et son auteur s’y implique ; sa folie légère, son goût du baroque, sa compulsion surréaliste, s’y expriment à plein – au-delà des références sempiternellement avancées, qui peuvent souligner la dimension SF du texte (Dick, Sheckley…) ou chercher la légitimité au-delà (Vian, Carroll…).

Nous sommes à bord de l’astronef Foyer,doux foyer. Membres de l’équipage ou simples voyageurs, les passagers ont tous des noms de villes : le capitaine Washington, le « boucher » Dresde, le critique d’art Rangoon, la romancière Calcutta, le violoniste Mœdruvellir (ce qui fait pas mal de monde tournant autour de l’art, et ça n’a rien d’innocent)… Des caractères tranchés, pas toujours très sympathiques. Chacun à sa manière a sans doute quelque chose de bouffon… Mais il y a aussi Prune – petite fille de neuf ans, considérée irrémédiablement folle (mais le capitaine Washington a des sentiments inavouables pour cette Alice…), elle fait preuve d’une étonnante sagesse, et d’une faculté d’adaptation inaccessible aux adultes formatés.

Or le Foyer, doux foyer est contraint de se poser sur la planète Nuage, dont le soleil est Chaos – planète dépourvue du moindre intérêt touristique, aussi serait-il absurde de s’y attarder… Nuage qui, fantasque, accueille l’approche du vaisseau avec un lâcher de confiseries dans l’espace, et une grande roue de 27 km de haut qui semble espérer la collision…

Bienvenue sur Nuage ! Le monde du changement permanent, tout à la gloire de l’éphémère. Un piège cosmique pour nos timorés voyageurs… à l’exception de Prune, qui y trouve un terrain de jeu idéal, où son doux délire pourra contribuer, sinon au salut des naufragés, du moins à leur édification.

Nuage est insaisissable – monde en creux d’une infinité d’étages qui résiste à la cartographie. Ce qu’ont bien fini par comprendre ses habitants immortels, asexués et ataraxiques, très attachés à cet état des choses qui est en fait absence d’état : la venue des voyageurs a quelque chose d’une menace…

Le roman est dès lors prétexte à une succession de saynètes folles – et souvent drôles, si le rêve du lecteur est le cauchemar de ses protagonistes. Le changement est au cœur du propos, justifiant de bien jolis délires immanquablement poétiques. « Ici, le petit Poucet se serait égaré ; ses cailloux blancs seraient devenus oiseaux ou arbres, locomotives ou papillons… »

L’art y a sa place. Le critique Rangoon a plutôt le mauvais rôle… car l’art, ici, est d’autant plus beau qu’il est éphémère – conception qui s’accorde mal au bagage académique de l’historien de l’art, dans l’après-coup et la permanence par essence… D’où cette erreur ultime de la quête de cohérence ?

« J’ai découvert le sens de tout ça, dit Rangoon.

— Oh ! fit Prune, ça ne fait rien. Je te pardonne. »

Car la gratuité des séquences n’est pas le moindre atout de Nuage – roman baroque et d’une jubilation destructrice ; sans doute structurellement et formellement sage par rapport à d’autres œuvres de l’auteur, mais imprégné d’une agréable folie qui le distingue du tout-venant.

On peut regretter que Jouanne ait choisi de s’en tenir à un style « utilitaire ». Les deux nouvelles qui concluent cette réédition – même si leur lien avec Nuage est somme toute limité – sont autrement plus séduisantes à cet égard.

Quoi qu’il en soit, l’entreprise voltienne est bienvenue. Si l’on n’en fera pas nécessairement un chef-d’œuvre, Nuage demeure une lecture des plus plaisante, et riche de sa singularité. Il n’y a plus qu’à espérer que l’éditeur poursuivra sur cette lancée.

Mondocane

La publication des œuvres de Jacques Barbéri à la Volte autorise l’auteur à revenir sur ses accomplissements antérieurs – Narcose en était déjà un exemple, il y en a eu d’autres, mais sans doute jamais au point de Mondocane.

À l’origine figurait une excellente nouvelle publiée en 1983 ; elle ne tenait guère du récit, plutôt du bref panorama d’un monde ravagé pour des raisons inconnues et par des méthodes inouïes : un tableau surréaliste et fou justifiant la référence à Jérôme Bosch – au-delà des références plus globales, Philip K. Dick, J. G. Ballard, David Lynch… Lewis Carroll peut-être ?

Or l’auteur y est revenu à plusieurs reprises, en tirant un roman du nom de Guerre de rien en 1990, et lui composant une BO en 2007 via son groupe Palo Alto associé à Klimperei. Et enfin aujourd’hui, ce nouveau roman, accompagné de la susdite BO.

Transformer la nouvelle en roman n’était pas sans difficultés – d’autant que l’auteur brille sans doute plus pour les images, les ambiances, que pour le récit… Et s’il ne tombe pas dans le travers de l’explication excessive, il doit composer avec les nécessités de la narration – d’où ce début old school, avant l’apocalypse ; nous y faisons la connaissance de Jack Ebner, « nourrice » de l’IA Guerre et paix, dans un contexte géopolitique troublé – et la mainmise des IA sur la guerre aura des conséquences fatales ; si elles éviteront le chaos nucléaire, leurs assauts, tous plus délirants les uns que les autres, transmuteront à jamais la Terre…

C’est ici que l’on rejoint peu à peu les fascinants tableaux de la nouvelle originelle. Or Jack Ebner sera lui-même en mesure de les voir – il est en effet parvenu à survivre par la cryogénisation ; il perd conscience au tout début de la guerre pour se réveiller sept ans plus tard…

Jack Ebner découvrira, éberlué, un monde qu’il comprend moins que jamais, via des gens qui ne sont peut-être plus tout à fait humains, et qui portent sur eux les stigmates du conflit. La plupart se montrent amicaux, ou du moins serviables – leurs sarcasmes n’y changent rien, pas plus que leur apparence ne doit tromper. C’est tout particulièrement vrai des enfants, qui se sont adaptés au monde – il y a quelque chose de lumineux les concernant qui laisse entendre que non, tout n’est pas fini…

Même si ce qui marque le plus provient de la nouvelle originelle – ces montagnes de chair, colonies souterraines d’homoncules, géantes/ogresses au sexe béant à s’y noyer, villes enfermées dans des boules à neige quand leurs bâtiments peuvent atteindre des dimensions de plusieurs dizaines de kilomètres, Champs Élysées dont le chaos apparent obéit pourtant au nombre d’or, hommes-bouteilles qui sont autant de messages, vaisseaux quantiques, enfin, propulsés à la drogue psychokinésique, et dont on ne peut dire où ils sont…

La « quête » de Jack Ebner, errance à la fois investigation et expiation, ne l’épargnera pas – l’inadapté acquérant enfin les traits d’une figure certes pathologique, mais aussi mythologique.

Mais ce n’est décidément pas le récit qui importe – et ce d’autant plus peut-être qu’on le sent vraiment constituer un prétexte pour balader le lecteur de tel tableau à tel autre. L’artifice est parfois un peu trop visible, tandis que la description « étendue » des conséquences de la guerre n’a pas toujours la force du concentré de mystère s’exprimant dans la nouvelle originelle…

Mondocane est un bon, voire un très bon roman, sa lecture vaut le détour… Mais « Mondocane » était une excellente nouvelle et… « less is more », dit-on parfois.

Eschâton

Alex Nikolavitch livre avec Eschatôn son premier roman, que l’éditeur situe entre space opera et fantastique (faut voir…), avec une louche spécifiée de lovecrafterie dedans – au cas où les tentacules de la couverture ne nous auraient pas déjà convaincus. En fait, il y a bien de tout ça, et sans doute d’autres choses encore – qui font de ce premier roman un truc très référentiel, et probablement trop…

Pour faire un sort à la dimension lovecraftienne, reconnaissons que le roman se montre ici plus malin que sa couverture : plus que les vilaines bébêtes poulpoïdes qui y figurent, ce sont avant tout les implications cosmiques qui s’y rattachent qui fondent la parenté avec Lovecraft. L’idée est assez belle, d’ailleurs, de cette collision entre deux univers radicalement incompatibles : le passage des Puissances, qui n’ont rien demandé, dans notre monde, au-delà de toute considération malvenue d’ordre moral, en bouleverse la structure même – les lois de la physique qui avaient cours jusqu’alors sont désormais nulles et non avenues. En lieu et place, un univers autre où les lois de la foi s’avèrent plus pertinentes que celles de la science, et déploient leur propre paradigme utile.

Paradigme qui a quelque chose d’une réaction… Les gens de la Foi le répètent sans cesse : le drame originel résulte directement de la science impie. La nouvelle société rejette donc la science comme néfaste – et ceux que l’on appelle désormais hérétiques sont des « scientistes »… Même le calcul est banni de la Foi ! Par ailleurs, ses vaisseaux n’empruntent pas l’espace mais voguent par l’esprit à travers le Mental, dimension supplémentaire directement liée à l’irruption des Puissances dans notre univers. On est tout de même tenté de combiner ces divers aspects pour pointer vers une autre référence essentielle : « Dune », de Frank Herbert …

Mais il y a plus, une autre référence peut-être plus inattendue. Car l’univers d’Eschatôn est avant tout guerrier… Le roman nous plonge d’emblée dans l’affrontement, en suivant surtout deux diacres, Wangen et Alania, engagés en pleine lutte contre les hérétiques et/ou les Puissances. Via le Mental encore, on louche tout de même du côté de Warhammer 40 000, disons…

Et tout cela nuit à la personnalité d’Eschatôn. Que ce soit consciemment ou pas, cette tentation référentielle écrase les singularités du roman sous le poids du déjà-vu.

La structure du récit est ainsi contestable – qui maquille une banale alternance entre la Foi et la science sous un jeu de contraintes peut-être trop rigide ; en découlent des développements dispensables qui ne sont là que pour servir la mécanique. Ce petit jeu d’abord amusant perd de sa pertinence au fur et à mesure, et donne vers la fin une impression de précipitation assez fâcheuse…

Quant aux personnages, leur intérêt varie. Beaucoup sont ternes… Wangen en premier lieu, qui accapare le début du livre. Alania, qui trahit, est plus riche, mais sa motivation est douteuse. S’en sortent mieux l’inquisiteur relaps Lothe, et aussi Girthee – qui fut inquisiteur avant d’embrasser l’hérésie scientiste, échangeant un fanatisme pour un autre…

Autre souci, et de taille : les nombreuses scènes d’action sont globalement ennuyeuses… Les passages plus calmes sont plus intéressants, mais au risque de virer à l’exposition théorique d’un monde, le récit à proprement parler en pâtissant…

Quelques boulettes en sus – l’insupportable langage « petit-nègre » de Maurc, ou encore des clins d’œil historico-scientifiques maladroits – achèvent de reléguer le roman dans la médiocrité en dépit de ses promesses, mais c’est sans doute avant tout une question d’inaboutissement. Dommage…

Club Uranium

Une tétralogie comporte toujours ses moments creux, comme un coup de fatigue qui saisit brutalement le marathonien. Dans le meilleur des cas, le coureur gère la douleur, repart et termine la course. C’est exactement la sensation que l’on éprouve à la lecture de ce très bon troisième volume des aventures uchroniques de notre antihéros préféré, le nazi Friedrich Saxhäuser. La transition entre l’action frénétique des deux premiers tomes et la préparation du final que sera le quatrième est sensible, mais également bienvenue : loin de répéter des motifs précédents, la série se met ici en place pour gagner encore en intensité.

Stéphane Przybylski connaît la distance et parvient à s’appuyer sur les indéniables qualités de son écriture pour garder le rythme, voire l’accélérer au moment où on s’y attend le moins. Il conserve son dispositif narratif, utilisant judicieusement des sauts en arrière et des sauts en avant se promenant le long de l’existence de ses personnages, comme pour nous rappeler que leurs actes ont des origines et auront des conséquences.

En effet, les deux premiers volumes se concentraient principalement sur les aventures de Saxhäuser, depuis sa découverte d’artefacts extraterrestres dans le désert irakien en juin 1939 et les conséquences de cette terrible rencontre avec une civilisation venue d’ailleurs, suivant en parallèle la progression de la guerre en Europe. Le troisième tome étend sensiblement le champ de la narration, alors que le conflit est en passe de devenir mondial. Des personnages que l’on avait croisés, alors au second plan, prennent de plus en plus d’importance, nous découvrons de nouveaux enjeux, de nouvelles complications et, bien sûr, de nouvelles trahisons. Nous n’y parlons plus seulement de l’avenir de la civilisation, mais de celui de l’humanité.

La question qui reste en suspens est celle de la nature même du texte. Sommes-nous devant une uchronie, c’est-à-dire que l’histoire a dévié par rapport à la nôtre pour devenir quelque chose de différent ? Ou bien est-ce de l’histoire secrète, où l’on nous raconte ce qu’aucun manuel scolaire n’enseigne ? La réponse sera forcément dans le quatrième volume, qui est attendu avec impatience à la lumière du cliffhanger audacieux sur lequel se termine Club Uranium.

Ésotérisme nazi, complot gouvernemental à la X-Files, roman de guerre, roman d’espionnage, Indiana Jones et terre creuse, Stéphane Przybylski a le talent de mêler tout cela pour construire ce qui risque d’être le coup d’éclat qui met en orbite un auteur sur lequel nous devrons compter dans les années à venir.

Pour le moment, il est impossible de le dévorer sans se demander où il nous mènera. La grande force du livre tient dans une évidence, celle de la lecture future de sa suite parce qu’elle sera, si la promesse est tenue, épatante.

Le Village

Le silence.

La seule chose qui réponde à la jeune fille, un matin, à son réveil. Qui est-elle, d’où vient-elle, où est-elle ? Mystère.

À l’intérieur, une maison vide au parquet grinçant et au miroir insondable. À l’extérieur, un chemin menant à travers un paysage bucolique vers le village, désert à la lumière du jour, mais à l’obscurité ondoyante.

C’est là que la jeune fille cherche ses souvenirs et réveille les ombres d’un passé troublé. Là qu’elle rencontre Fumée, Fugue, Pastel, Paille, Carotte, Ficelle… et autres Enfants Perdus, plus tout à fait des enfants, pas encore des adultes, sans identité, sans souvenirs d’« avant », comme elle, mais prêts à tout pour survivre. Prêts à tout pour échapper une fois de plus aux docteurs de peste et à leurs terribles loups de lune qui apparaissent à la nuit tombée pour les traquer.

Interlude.

Le village, autre temps, autres gens… et ses enfants qui succombent les uns après les autres à une maladie incurable sous les yeux horrifiés de parents désespérés. Au point de faire confiance à l’étranger qui prétend avoir la solution à tous leurs maux. Mais quand l’invisible côtoie l’indicible, nul ne sait ce que la fin du monde réserve…

Y compris le lecteur omniscient qui, sans se défaire d’une impression de déjà-vu, se perdra lui aussi dans les lignes et ruelles de ce village protéiforme. Car en jouant habilement avec les multiples références (et parfois hommages), Emmanuel Chastellière nous offre ici un conte macabre réussi. La plume, à fleur de peau, sait rester suffisamment fine, efficace et concise, pour peindre une atmosphère, au minimum inquiétante et presque hammerienne, au pire dantesque, mais toujours fantastiquement troublante. L’histoire, qui cherche d’abord ses repères avec minutie, trouve un rythme de croisère pour exploser en un bouquet final baroque. Les personnages, touchants dans leur quête tragique de liberté – ou de rédemption –, sont les marionnettes d’un récit initiatique cauchemardesque où les jeux d’ombres et de fumées les baladent sans pitié d’un bout à l’autre de ce huis-clos en plein air, pantins dansant avec le chaos, oscillant sur le tissu d’une réalité se déchirant sous leurs pas. Et toujours, au-delà de l’oubli, cette présence ancestrale dans le noir, cette ombre inconnue du coin de l’œil, cet appel à la terreur primaire qui s’agite au plus profond de chacune des terreurs d’enfance…

Malgré quelques hésitations et légères maladresses qui se laissent parfois deviner lors d’un détour romantique, le premier roman de ce faux novice (qui, en plus d’errer depuis les origines dans l’ombre d’Elbakin.net, a un certain nombre de traductions à son actif) est un coup d’essai transformé, qui ne manque pas de nous rappeler qu’il faut parfois accepter d’oublier qui l’on a été pour devenir celui qu’on sera, et toujours reconnaître qu’« il était temps de partir ».

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug