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Coulez mes larmes, dit le policier

Jason Taverner. Un nom célèbre. Très célèbre. Adulé par des millions de fans. Celui d'une star de la télévision. Un homme pour qui « cette vie publique, ce rôle d'animateur universellement connu qui était le sien était l'essence même de l'existence ». Il a tout. La richesse, la gloire, les femmes, et même l'amour.

Plus dure sera la chute.

Car, au début du deuxième chapitre, Jason Taverner se réveille. Seul. Dans un endroit inconnu, la chambre d'un hôtel minable. Plus aucune de ses relations, jointes au téléphone, ne le connaît. L'état-civil n'a aucune trace de sa naissance. Ses papiers d'identité ont disparu, et dans cette société fasciste, Jason le sait : « Sans papiers, Je ne survivrai pas deux heures. » Comment en effet passer les nombreux barrages de police ? On le prendrait pour un de ces étudiants échappés des campus-ghettos bouclés 24h/24 par la police. Au mieux, il finirait dans un des nombreux camps de travail.

Il n'existe pas. Il est une non-personne.

Il a tout perdu.

Le cauchemar. Le cauchemar dickien typique, où le « héros » n'a plus de prise sur la réalité.

 Mais Jason n'est pas un personnage dickien typique. II réagit. Il ne se laisse pas abattre. « Je dispose de trois atouts, songea-t-il. J'ai de l'argent, une bonne gueule et de la personnalité. Quatre, même : je suis aussi un six [un homme génétiquement supérieur] de quarante-deux ans. » Première étape du processus de survie : acheter des faux papiers.

 Et c'est le début d'une série de rencontres : Jason va partager quelques heures ou quelques jours de la vie d'un certain nombre de personnages, prétextes à l'exploration des différentes formes d'amour. Une jeune faussaire psychotique, une nymphomane vieillissante, une superbe chanteuse pop épouvantée par les fans, une artiste en céramique effrayée par les étrangers. Mais surtout Félix Buckman et son imprévisible sœur jumelle et épouse Alys, fétichiste, bisexuelle, droguée….

Dick, malgré sa haine de toute figure d'autorité, n'a sans doute jamais composé personnage aussi subtil, aussi complexe que ce Félix Buckman, général de police et amateur des pièces pour luth de John Dowland (plus particulièrement de Coulez mes larmes…), humaniste et manipulateur. C'est à lui que le titre du roman fait référence. Et ce n'est que justice, car il y éclipse tout le monde, n n'apparaît pourtant qu'au quart du récit, à un endroit où il est traditionnellement un peu tard pour introduire un nouveau personnage. Mais Dick s'en fiche. Comme d'ailleurs de l'explication S-F à donner à ce bizarre changement de réalité vécu par Jason Taverner, bien qu'il remplisse son contrat honnêtement et jusqu'au bout :

 « Ou alors c'est que nous sommes dans un monde parallèle au tien dans le temps et dans l'espace. Et… bref, tu es passé d'une façon ou d'une autre de l'univers où tu étais illustre a celui-ci où tu n'es rien du tout.[…]

— Évidemment, [répond Jason,] cela expliquerait tout, tu as raison. Mais je ne peux accepter ce genre d'explications. C'est comme ces romans de science-fiction à la gomme de Philip K. Dick qui faisaient mes délices quand j'étais gosse. Heureusement, on a fini par l'avoir. »

On remarquera au passage que, pour la première fois, Dick se retrouve — certes plus comme un clin d'œil qu'en véritable personnage — dans un de ses livres. Pour la première fois, la vie de l'auteur s'insinue dans son œuvre. Car, il le reconnaît lui-même, il y a mis tout le chagrin et la solitude qu'il ressentait du départ de sa quatrième épouse, Nancy. En cette fin d'année 1970, fauché, le fisc sur le dos, en panne d'inspiration (après quinze ouvrages écrits lors des cinq années précédentes, il n'entreprendra l'écriture du suivant, Substance mort, qu'en 1973), sans reconnaissance, ni compagne ni amour — situation inverse de celle de Jason Taverner (auquel il a donné son âge) dans les premières pages — il se tient au bord du gouffre dans lequel il va bientôt tomber.

Si Dick a écrit ce roman, c'est surtout pour mettre par écrit ses réflexions sur l'amour, sur les rapports entre les êtres humains. D'où ces longues conversations pleines de sensibilité entre les protagonistes.

Voilà ce qui fait l'envoûtement de Coulez mes larmes, dit le policier. Ceux des lecteurs au fait de la biographie de Dick verront peut-être « l'auteur à travers le tissu des mots », mais pour tous ceux qu'une S-F proche de l'homme attire plus que des exploits héroïques entre les étoiles, l'humanité vibrante des personnages évoluant dans ce livre à l'atmosphère inquiétante et mélancolique sera une rencontre marquante.

Superstition

« Invention d'un fantôme », tel pourrait être le sous-titre de cet impressionnant roman inspiré d'une expérience menée à Toronto dans les années soixante-dix. Joanna Cross, journaliste ayant éventé les supercheries de charlatans, accepte de collaborer à une expérience de Sam Towne, un authentique chercheur du paranormal, en compagnie d'autres volontaires. Plutôt que de chercher à prouver la réalité d'une manifestation paranormale, le groupe tente d'inventer de toutes pièces un personnage qui serait l'esprit avec lequel il entrerait en communication, afin de prouver qu'il n'est que le moyen de focaliser les forces psy de chaque participant et n'a pas de réalité propre.

C'est ainsi que naît Adam Wyatt, aventurier américain, compagnon de La Fayette, ayant échappé de peu à l'exécution lors de la révolution française de 1789. Le groupe a soigneusement vérifié qu'il n'existe aucun Wyatt dans les archives historiques de l'époque.

Le résultat dépasse toutes les espérances. Le fantôme se manifeste lors des réunions spirites. Mais voilà qu'on trouve mention de ce pseudo personnage historique sur Internet ou dans des manuels d'histoire. Les plus timorés, qui quittent le groupe, meurent aussitôt après. Wyatt acquiert une présence toujours plus grange, jusqu'à avoir une tombe et générer l'existence d'un lointain descendant. Supériorité de l'esprit sur la matière, le fantôme qui tourmente Joanna risque bien de Codifier la trame même du réel...

Fort bien documenté et étayé dans ses argumentations avec des anecdotes, la scrupuleuse narration de cette aventure paranormale se développe selon un rythme lent et mesuré qui distille efficacement le suspense. David Ambrose sait faire partager les inquiétudes de ses personnages. Les explications scientifiques que l'auteur, rationaliste, propose à chaque inquiétante manifestation, contribuent à augmenter le malaise au lieu de le dissiper. C'est pourtant vers la science, par le biais du phénomène inexpliqué, plus que vers le fantastique, que penche le livre en dernier ressort. On sort de cette lecture subjugué, impressionné mais ravi par les frissons qu'il a su provoquer.

Petite musique de nuit

Lucius Shepard, c'est avant tout un style, une voix à part dans la S-F par le charme de son écriture soyeuse et bruissante, par la profondeur de ses propos, par la dimension humaine qu'il donne à son œuvre. Sa façon de recentrer le récit sur l'humain, de sonder l'âme de ses personnages, fait presque perdre de vue l'aspect science-fictif du texte.

Ainsi en va-t-il de la novella qui occupe la moitié de ce recueil, « Une Histoire de l'humanité » : on peut y voir les errements d'un homme qui s'illusionne sur ses sentiments pour la femme avec qui il trompe son épouse et qui cherche une vérité ou un avenir à leur relation. On peut aussi y voir un épisode tragique de cette humanité d'après la catastrophe, environnée de singes et de tigres, se protégeant des Mauvais, bandes organisées de pilleurs, qui lève le voile sur les mystérieux Capitaines dialoguant avec qui le désire ; ces survivants de l'ancien monde, loin d'être des alliés, sont surtout les représentants de la cruauté et de la perversion humaines. Dans les deux cas cependant, la vérité n'est pas celle qu'on croit détenir.

Une histoire de cœur est également au centre de « Tous les parfums d'Arabie », où un trafiquant s'entiche d'une américaine dotée d'une main postiche, relation qui le conduit à être investi d'une mission sacrée par le Prophète.

Aux visions qui l'assaillent sous l'emprise de la drogue qu'on l'a forcé à ingérer correspondent celles de ce boxeur professionnel sur le déclin, pratiquement aveugle, mais qui voit par moment son adversaire sous sa forme animale dans « La Bête des terres intérieures ». À la vérité délivrée par la vision correspond, par un subtil chassé-croisé, celle qu'il découvre le concernant, alors qu'il recommence sa vie avec une prostituée. Affaire de cœur encore.

La trahison de la femme est présente dans les deux autres nouvelles, celle qui donne son titre au recueil et « L'Amérique du sport », une sombre histoire de gangsters sur fond de discussions de foot américain. La « Petite Musique de nuit » est celle que jouent les ressuscités (selon des moyens scientifiques et non grâce à un virus, comme dans Les Yeux électriques, premier roman de l'auteur), si pénétrante et hypnotique qu'elle semble délivrer des vérités à ceux qui l'écoutent et les place sous son emprise.

Violent, elliptique et riche à la fois, Shepard réussit une envoûtante alchimie en abordant des thèmes de science-fiction sous l'angle intimiste, à travers des personnages que des préoccupations sentimentales distraient, qui permet de donner un éclairage bien particulier à chaque sujet traité. De telles petites musiques ne s'oublient pas facilement.

Cosmic Erotica

La particularité de cette anthologie est de ne réunir que des textes féminins sur le thème de l'amour et de la sexualité. Les traductions sont également le fait de femmes (Sylvie Denis pour l'anglais, Fabiola Mancinelli pour l'italien et Claire Duval pour l'allemand). Ces dix-sept nouvelles de science-fiction, de fantastique et de fantasy, sont remarquables dans leur diversité et leur richesse (et, aussi, dans leur inégalité qualitative...), abordant l'ensemble des thèmes liés aux propos.

Quoi de commun entre l'extrême violence de « La Nuit de la Saint Valentin » de Gloria Barberi, où l'on se déchire dans un bain de sang, et la poésie tragique de Sabine Wedermeyer-Schwiersch (« De La Difficulté de traduire les chants d'amour Vuliworpes »), qui met en scène les amours extraterrestres ? Ce qui pourrait les réunir est la blessure, mentale ou physique, tant il est vrai qu'il n'y a pas d'amour perpétuellement radieux (ni d'histoire, d'ailleurs).

Le machisme, s'il est encore dénoncé, notamment dans le caricatural mais efficace « Prix coûtant » de Carol Ann Davis, où l'homme prend son plaisir dans des salles où les femmes ne présentent qu'une partie de leur anatomie (sexe, fesses, bouche), n'est plus un leitmotiv. Il est certes présent dans le pensionnat carcéral de « À mes filles chéries » de Connie Willis, mais les étudiantes y manifestent cependant des appétits tout à fait en rapport avec leur âge. Mais quand Sylvie Denis aborde dans le très réussi « Carnaval de Lapêtre » le thème grave de l'excision, c'est au travers d'un texte où sensualité et liberté donnent l'image d'une sexualité sans tabou ni contrainte. Outre ses sentiments, la femme affiche aujourd'hui ses désirs. La difficulté d'aimer reste cependant au centre des préoccupations. Dans l'univers déroutant de « Pans en juin » de Pat Cadigan, des êtres qui ne sont pas ce qu'ils semblent être gavent d'informations psychiques les touristes en mal de sensations sans réussir à en saisir la teneur. L'amour est tout aussi difficile à connaître quand on habite la zone, déchet parmi les « Déchets » (Barbara Garlaschelli), ou quand on est différent : Birgit Rabisch imagine la solitude d'une femme cloîtrée, seul enfant naturel dans un monde de clones épris de perfection (« Inversion, jeu de miroir »).

Les textes fantastiques ou de fantasy méritent les mêmes commentaires élogieux. Ils sont signés de grands noms, comme Poppy Z. Brite, Anne Duguël, Jeanne Faivre d'Arcier, Kate Koja, Tanith Lee.

Le hasard de l'alphabet, qui seul présida à l'ordre des textes, permet à Joëlle Wintrebert de conclure sur une très belle nouvelle qui s'impose d'elle-même comme étant celle de la fin. « La Femme est l'avenir de l'homme » est une triste et belle histoire d'amour dans un univers débarrassé des hommes. Parce que Laure, une femme congelée récemment réveillée, ne parvient pas à s'adapter à cette civilisation, on tire pour elle du bain cryogénique un homme qu'elle pourra aimer. Une histoire d'Adam et Ève de la fin des temps, en somme, où le titre du poème d'Aragon prend un sens particulier.

Jean-Marc Ligny a réalisé là une anthologie inégale (n'est-ce pas le lot de toute anthologie ?) mais d'un niveau global fort satisfaisant, qui fait la part belle aux femmes d'une manière bien plus intelligente que les quotas imposés en politique.

Béantes portes du ciel

Suite du Voile de l'espace, ce roman explore plus avant les intrusions, ces portes permettant de se transporter sur d'autres mondes en prenant l'apparence d'un de ses habitants. Revoilà Cornell Novak en compagnie d'une charmante jeune fille prénommée Porsche, une étrangère à notre monde dont le nom sur Jarrtee est Po-lee-een. Tous deux tentent de déjouer les complots qui visent à se rendre maître de Jarrtee pour en récupérer les secrets technologiques.

Ce qui pourrait n'être qu'un thriller bien mené est agrémenté d'intéressants prolongements. La description de Jarrtee, où l'exposition au soleil est des plus dangereuses, et le mode de vie de ses habitants ajoutent à l'exotisme de l'aventure, Plus intéressant encore est le peuple des Infimes, à l'origine oubliée. Il s'établit sur les mondes qui lui plaisent en adoptant les coutumes locales. Ces pacifiques envahisseurs ont été forcés d'émigrer sur le nôtre quand leur présence sur Jarrtee fut connue, suite aux aveux inconsidérés d'une gamine désireuse d'impressionner son prétendant.

Le tout mêle agréablement destins personnels et collectifs. Un récit distrayant, fort bien ficelé, mais auquel il manque tout de même de l'ampleur pour laisser une impression durable.

Fight Club

Difficile de faire abstraction du film — très fidèle — de David Fincher, mais, même pour celui qui a vu et apprécié le film, la lecture de ce livre est un véritable plaisir, un plaisir qui a le goût de la redécouverte. Et un plaisir qui commence fort :

« Pour fabriquer un silencieux, on fore simplement des trous dans le canon de l’arme, des tas de trous. Qui permettent aux gaz de s’échapper et ralentissent la balle à une vitesse inférieure à celle du son. Forez simplement les trous de travers et l’arme vous arrache la main en explosant. » (page 11).

Et c’est là tout l’art de l’auteur qui, avec une phrase forée de travers, aurait pu rater son coup, mais Palahniuk tient la distance et quand arrive la révélation finale, ce premier roman vous arrache la tête.

L’histoire ? Celle d’un expert en assurances qui, d’aéroport en aéroport, mène une vie solitaire, entre un appartement où il entasse des meubles plus à la mode les uns que les autres, et des hôtels où tout est conditionné en « une dose ». Pour pouvoir pleurer, il se mêle, en touriste, à des groupes de cancéreux en stade terminal

et autres condamnés de l’ablation testiculaire. Et voilà qu’un jour, il se trouve au sommet du plus haut immeuble des USA — cent quatre-vingt-onze étages — le cul posé sur une tonne d’explosifs, le canon d’une arme dans la bouche, et au bout de ce canon transformé en silencieux : Tyler Durden, le projectionniste fou qui met des images subliminales de sexe masculin en érection au beau milieu des films de Walt Disney. Ensemble, ils ont inventé les « club la cogne » et mis au point le « projet destruction » qui doit instaurer un nouvel ordre mondial. Rien que ça. Pour tout arranger, ils aiment la même femme : Marla Singer, autre paumée des groupes de soutien. Une touriste au royaume du chaos.

« La première règle du fight club : on ne parle pas du fight club ! »

« La deuxième règle du fight club : on ne parle pas du fight club ! »

Nonobstant une traduction pour le moins surprenante — quelle idée à la con d’appeler en français les fight clubs les « clubs la cogne » —, ce livre est probablement l’un des meilleurs ouvrages publiés en 1999. Jamais roman ne m’avait semblé aussi dickien depuis le Requiem pour Philip K. Dick de Michael Bishop (Denoël, collection « Présences »). Tout y est : réflexion sur la folie, la société de consommation, la paranoïa, la manipulation, le chaos, la maladie, les systèmes politiques extrêmes… Il manque juste la thématique de la drogue, traitée via ce qu’on pourrait appeler la dépendance-IKEA, sorte d’envie incontrôlable d’acheter des meubles suédois. Ce Fight Club, tordu à souhait, qui explore tantôt au scalpel tantôt à l’acide sulfurique la futilité et les chimères de la vie (ultra-)moderne, est une réussite majeure que les bilingues préféreront lire dans la langue d’origine.

Radio Libre Albemuth

Dois-je l'avouer ? Je préfère de beaucoup Radio libre Albemuth, non publié du vivant de Dick car délaissé par son auteur (qui n'avait pas envie de procéder aux modifications que lui réclamait son éditeur chez Bantam), à ce qu'il est convenu d'appeler la Trilogie divine, soit Siva, L'Invasion divine et La Transmigration de Timothy Archer.

D'abord parce que ce livre est déchiffrable, logique (entendons dans la logique passablement tordue de Dick) et comme allant de soi dans l'évolution de Dick. Eût-il paru en son temps, c'est-à-dire comme une sorte de prolongement de Coulez mes larmes, dit le policier, le premier volet de la trilogie, Siva, aurait laissé moins perplexes les lecteurs, notamment français, qui voyaient, ou croyaient voir un auteur devenu pratiquement le symbole même de l'écriture « sous influence », à la fois labyrinthique et formidablement pertinente, virer brusquement au mystique, pour ne pas dire au cureton. Ils auraient pu se rendre compte qu'il prolongeait naturellement Coulez mes larmes... — roman qui représentait lui-même l'aboutissement de En Attendant l'année dernière, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Blade runner), Le Guérisseur de cathédrales et Message de Frolix 8 — sur le double plan du discours biographique, qui a toujours nourri l'inspiration de Dick, et de la réflexion politique, une réflexion entreprise très tôt, dès les premières nouvelles.

Dans Coulez mes larmes..., le biographique est encore transposé (sous la forme d'une exploration sur les différentes formes d'amour), comme y est transposé le politique (sous la forme de l'évocation paranoïaque d'un État où tout le monde surveille tout le monde). Avec Radio libre..., on passe au compte rendu plus ou moins brut : dénonciation d'un Richard Nixon considéré, sous les traits de Ferris F. Fremont (FFF = 666, le chiffre de la Bête), comme la figure même du Mal, pour ce qui est du politique ; interrogation de l'expérience mystique de 1974 et des étranges événements survenus dans la vie de l'écrivain avant comme après ladite expérience, pour ce qui est du biographique — Philip K. Dick se met directement en scène et dit « je ».

Mieux, les deux discours s'interpénètrent complètement et le métaphysique devient la clé du politique. Il y avait longtemps que Dick était obsédé par toutes les formes de Mal ; voici qu'il croit comprendre d'où provient le furoncle Nixon, parmi d'autres furoncles, et comment les presser. Reste à vérifier l'hypothèse, analyser les textes sacrés, triturer les objections, fonder les intuitions en raison... et ce sera, plus ou moins parallèlement, le rôle de L'Exégèse (toujours non publiée en français, et sans doute impubliable) et de la trilogie. En d'autres termes, Radio libre... est le lieu où s'articulent en toute transparence et en toute évidence la conscience politique teintée de paranoïa et la conscience illuminée.

À la fin du roman, Dick dit de Brady que ses « efforts s'étaient inscrits dans un plan qu'aucun d'entre nous n'avait discerné ou compris ». On pourrait en dire autant de la trilogie... s'il n'y avait Radio libre..., où tout devient, sinon complètement clair — rien n'est jamais complètement clair chez Dick —, du moins assez cohérent.

Et puis il y a la forme. Rien ici du côté un peu démonstratif, parfois lourdement didactique de la Trilogie, qui participe d'un effort pour fonder en raison une vision somme toute irrationnelle du monde. Pas de dissertations. Pas de détours par les Horselover Fat et autres transpositions. Mûri de longue date, mais écrit en douze jours, Radio libre... possède un allant, une spontanéité et je dirais presque, malgré les événements fort inquiétants qui y sont narrés, une jubilation qui emportent l'adhésion. La grande trouvaille du livre (entre autres) étant ce dédoublement de Dick en Nicholas Brady, celui qui a été contacté par SIVA, et Philip K. Dick, l'auteur de science-fiction, qui est censé représenter la voix de la raison ( !) et analyser le cas Brady On pense au type qui va voir son médecin pour lui demander conseil sur un prétendu ami souffrant d'une maladie pour laquelle celui-ci n'ose pas consulter. Ou qui achète une cassette pornographique pour un (tout aussi prétendu) ami timide. Situation farcesque. Schizophrénie parfaitement maîtrisée. Jeu de miroir (Phil analysé par Dick) et, ce qui n'est que trop rare dans la trilogie, distance humoristique (Phil ironisant sur Dick).

Bref, dans cette Trilogie en quatre volumes, il faut commencer par le dernier volume publié (mais le premier composé). Tout y est ou presque.

Parfois en mieux que les développements qui devaient suivre.

Les Clans de la lune alphane

Dans ce roman, paru en 1964, P. K. Dick poursuit sa réflexion sur la « normalité » et la vision du monde par des « fous ». Il imagine donc un monde dont la culture serait « folle » : la lune alphane est un ancien hôpital psychiatrique dont les pensionnaires ont été abandonnés à eux-mêmes et ont créé une culture adaptée à leurs visions du monde de « malades mentaux », se regroupant par clans selon leurs « maladies » : pares (paranoïaques), manses (maniaco-dépressifs), hébés (hébéphrènes), schizes (schizophrènes), polys (schizophrènes polymorphes), deps (dépressifs), ob-coms (obsessifs)... Les descendants des « malades » d'origine sont donc amenés à choisir un clan en fonction de leurs tendances et de l'éducation reçue, et la culture ainsi créée est un équilibre instable entre les différents clans.

Cet équilibre va être remis en cause par l'arrivée du premier vaisseau d'exploration terrien. Se souvenant de cette colonie abandonnée, la Terre désire « soigner » la culture déviante qui est apparue. Bien sûr, les « colons » veulent conserver ce qui est devenu leur culture traditionnelle. Un conflit conjugal entre un opérateur de la CIA et son épouse, psychiatre envoyée établir la marche à suivre, aboutira à la sécession de la lune, sous la protection des Alphanes de la planète voisine.

Ce que Dick veut montrer avec ce roman, c'est d'une part la relativité de la notion de normalité et la possibilité d'une culture différente ; d'autre part que la société « normale » de la Terre est entièrement noyautée par les polices, la CIA et les psychiatres, et que la libération exige qu'on se débarrasse de cette enrégimentation.

Contrairement à bien d'autres romans de la même période, Les Clans de la lune alphane ne fait pas appel aux drogues pour justifier la mise en doute de la perception usuelle de la réalité, et la mention des drogues est rare dans le livre. C'est que l'opposition entre la vision dite normale, celle des Terriens, et les visions des « colons » en fonction de leur « maladie » suffit à justifier cette mise en doute. Et le fait que celui qui a provoqué la scission se retrouve à la fin du roman seul membre d'un clan de « Norms » (normaux) tandis que sa femme, qui a défendu les intérêts terriens, se révèle une dépressive latente, confirme cette relativité de la norme.

C'est un roman assez soigné, qui s'inscrit dans la recherche de Dick sans marquer une étape importante, mais aussi sans descendre au niveau des romans « alimentaires » que Dick a parfois écrits pour exploiter ses thèmes sans les creuser.

Billet sans titre

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L'avis de la librairie Critic sur Gravité

« Profond, mature et agréablement glacial, le désormais célèbre Baxter démontre ici que ses premières expériences valent le détour. Voilà une histoire à ne plus regarder vers l'espace de la même façon. Attention : Grand risque de devenir fan ! » Librairie Critic

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