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L’année du caméléon

Bangkok, 1963. Parce que ses parents ne peuvent pas s'occuper de lui (ils sont en fait en mission d'espionnage au Viêt-nam), Justin, douze ans, est confié à ses tantes Nit-nit, Noi-noi et Ning-nong qu'il surnomme « les trois Parques ». La vie pourrait être magnifique dans leur immense demeure bourgeoise, mais Justin a toujours vécu en Angleterre, si bien qu'il ne parle pas bien thaïlandais et lit/écrit encore moins cette langue ardue. Pour résumer, le voilà piégé dans une famille, mais aussi dans un pays, celui de son sang, qui lui sont totalement étrangers. Alors qu'il se trouve à un banquet de deuil, Justin « Petite Grenouille » perd son caméléon, transpercé par le talon aiguille d'une dame. Se trouvant à quatre pattes sous la grande table afin de récupérer sa pauvre bestiole morte, il aperçoit sa nourrice, Samlee, elle aussi à quatre pattes, occupée à téter « l'aubergine » de son oncle (qui exerce la mystérieuse profession de gynécologue). Ignorant tout du sexe et notamment de cette gâterie fort prisée qu'est la fellation, Justin en déduit que sa nourrice est une sorcière et qu'elle est donc en train d'envoûter son oncle qui, d'ailleurs, ne s'aperçoit de rien, préférant disserter sur la beauté des grottes féminines (sujet de conversation que Justin ne maîtrise aucunement, comme de juste). Samlee, une sorcière ? Bien sûr ! D'ailleurs, comment pourrait-il réagir autrement puisque toute sa famille ne cesse de lui parler de fantômes, d'esprits tutélaires et de mauvais sorts ? Fou amoureux de sa nourrice, et donc jaloux des ensorcellements qu'elle prodigue à son oncle, Justin va commencer à espionner la demoiselle, et un soir l'apercevoir en grande discussion avec un magicien au masque d'or. Voilà, en quarante pages à peine, la grande aventure de la préadolescence a bel et bien commencé. Elle sera épicée et pleine de moiteurs humaines et tropicales, constamment étonnante et envoûtante, d'autant plus que Justin a un don : il fait des rêves prémonitoires, des rêves qui lui permettront de sauver pour un temps la vie de son arrière-grand-mère.

En France et à peu près partout ailleurs, S. P. Somtow (Somtow Papinian Sucharitkul, de son vrai nom) n'a jamais été considéré comme un auteur majeur (alors qu'il est un chef d'orchestre de renommée internationale). Pourtant, cet écrivain prolifique, tant dans le domaine de la littérature adulte que de la littérature jeunesse, ne manque pas de talent, ni d'humour. La trilogie vampirique qui l'a rendu célèbre, Vampire Junction, Valentine, Vanitas est plaisante, sans plus ; mais son roman de loup-garou, La Danse de la lune, est excellent ; son recueil Mallworld est du même niveau et sa tétralogie de space opera Les Chroniques de l'inquisition s'impose comme un must du dépaysement à la Jack Vance, non sans former un ensemble un tantinet répétitif. Dans cette production abondante (on l'a déjà dit), L'Année du caméléon fait figure de socle et répond formidablement au meilleur ouvrage de l'auteur : Dragon's fin soup, un recueil de nouvelles « siamoises » malheureusement inédit en langue française.

Prototype thaïlandais de cette formidable littérature de l'altérité qu'est le réalisme magique, L'Année du caméléon s'impose tout simplement comme un roman magnifique ; la magie de l'enfance y règne dans chaque épisode et jusque dans les titres des chapitres, un onirisme bien souvent teinté de pragmatisme boiteux (ou borgne) dans lequel se diluent admirablement bien les mythologies siamoises et grecques, car Justin est un gros lecteur de classiques, un apprenti poète, un futur écrivain. Fausse autobiographie, roman initiatique hilarant, magnifique ode à la tolérance et aux plaisirs de la chair (Justin se pose décidément beaucoup de questions au sujet de son aubergine…), L'Année du caméléon nous rappelle que la lecture est un plaisir avant tout. Ici, un plaisir magique, jouissif et admirable d'un point de vue politique (Somtow n'a pas peur d'afficher ses valeurs : respect de la différence, raciale ou sexuelle, refus de la logique de classes/castes des sociétés asiatiques traditionnelles…). Peut-être la plus belle surprise de ce début d'année 2005, en tout cas un livre à lire si vous êtes un tantinet attiré par l'Asie et ses mystères.

Le Voyage d’Hawkwood

Je ne me souviens plus de l'identité exacte de la personne qui m'a dit que Le Voyage d'Hawkmoon d'Hawkwood c'est « super, de la bonne fantasy enfin », mais si j'avais ledit individu en face de moi, je me ferais un plaisir particulier de lui tirer l'oreille et de lui mettre le nez dans le caca la citation suivante : « L'ombre de l'eau, lumineuse, se gondolait dans ses orbites » (page 11), avant de lui faire démettre les quatre membres en place de Grève.

À dire vrai, si on fait abstraction des perles de traduction (seize incarnations du verbe être dans la seule page 125) et d'un début relativement foireux, ce roman est tout à fait lisible à défaut d'être passionnant. Tout commence par une pseudo Saint Barthélemy. Le clergé (méchant, forcément) prend en partie le pouvoir dans le royaume d'Hebrion (Hébrion aurait été plus heureux en français), les magiciens et autres rebouteux sont ainsi condamnés à disparaître (mort violente ou exil) ; à peu près au même moment, le cousin du roi, sorte de Christophe Colomb alcoolique frénétique, réussit à arracher à son souverain et néanmoins parent deux bateaux pour explorer le continent qui se trouve à l'ouest et dont personne n'est (évidemment) jamais revenu. Un de ces bateaux sera commandé par le noble Hawkmoon Hawkwood. L'équipage sera, par la force des choses, composé en grande partie de sorcières et de jeteurs de sort (avec une louve-garou en guise de cerise sur le bateau).

En fait, le plus plaisant avec ce magnifique ouvrage, et je ne m'en lasse pas, se trouve bien en évidence ; il s'agit de l'illustration de couverture (tout de même finaliste des Razzies 2005) et du quatrième de couverture, où l'on peut lire des phrases promotionnelles vraiment touchantes comme : « Une nouvelle voix forte et audacieuse dans le monde de la fantasy », Robert Silverberg ; et « Fresque épique en cinq volumes, écrite d'une plume particulièrement raffinée, Les Monarchies divines raviront tous les amateurs d'une fantasy mature, puissante et ténébreuse », l'éditeur (du moins le supposé-je).

Mégalo, comme d'habitude, j'aurais aimé qu'on me laisse un peu de place, ce qui aurait donné : « Vous adorez les quatre premiers Elric de Michael Moorcock, vous aimez La Compagnie noire de Glen Cook, et bien… vous n'aimerez probablement pas Les Monarchies divines de Paul Kearney. » Bon, il ne me reste plus qu'à demander un devis pour un sticker ou un beau bandeau rouge et faire le tour des trois Fnac parisiennes où survivent quelques exemplaires esseulés de l'ouvrage.

Terres perdues

[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]

Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».

[petite pensée polémique pour les anglophiles :]

Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.

Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.

Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…

Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.

Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…

Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).

Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.

Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…

Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».

Trois Cartes

[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]

Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».

[petite pensée polémique pour les anglophiles :]

Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.

Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.

Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…

Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.

Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…

Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).

Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.

Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…

Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».

Le Pistolero

[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]

Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».

[petite pensée polémique pour les anglophiles :]

Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.

Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.

Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…

Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.

Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…

Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).

Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.

Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…

Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».

Les loups de la pleine lune

Mouais… Voilà ce que j'ai envie de vous dire après avoir lu Les Loups de la pleine lune d'Edouard Brasey. Attention : je ne veux pas dire que ce n'est pas bon, hein ! Je veux juste signifier par là que la créativité développée dans le bouquin ne risque pas de vous mettre à genoux. Pourtant, l'auteur a à son actif un joli pedigree en matière d'ouvrages consacrés au fantastique et à la fantasy, dont Démons et merveilles et La Cuisine magique des fées et des sorcières, que certains d'entre vous connaissent probablement.

Comme le titre le laisse à penser, le roman traite de lycanthropie. En l'occurrence, celle d'un officier prussien, Hagen, qui a passé un pacte d'immortalité avec le Diable, et se voit chaque pleine lune devenir trois nuits durant un loup. Au fil des années, il perd même son aspect humain pour devenir uniquement loup.

Il est évidemment l'amant d'une belle jeune femme — la Baronne Clarimonde de Mortemare —, elle aussi, semble-t-il, dotée d'une jeunesse éternelle, qui vit recluse dans son manoir avec son mari impotent et le souvenir de son fils Jacques, décédé. Tous les deux sont servis par un majordome aussi fort qu'il est taciturne, Joseph. Le Baron semble n'avoir qu'une seule passion : les centaines de poupées qui ornent sa chambre, et qu'il dorlote comme ses filles. Bref, on est en pleine ambiance gothique. Et ce n'est sans doute pas un hasard si les deux exergues du roman sont respectivement tirés de Nosferatu et de L'Invité de Dracula

C'est dans ce petit monde clos que débarque un jour, par hasard — perdu en pleine nuit dans la forêt —, le jeune Raoul Follerand, dont le roman est en fait le journal intime. Attiré par la Baronne et les mystères qui l'entourent, il va s'efforcer de mettre au jour les secrets de la maison de Mortemare. Il devient l'amant de la belle Clarimonde, et la rejoint fréquemment dans la roulotte qui abrite ses amours secrètes, près du lac de l'Ecrevisse. On s'en tiendra là, parce que l'essentiel de l'intérêt du récit tient dans la révélation finale.

L'auteur utilise abondamment les récits enchâssés : récit de la Baronne dans le journal de Raoul, qui elle-même raconte l'histoire de Hagen ; transcription du journal de Jacques… Bref, récit dans le récit dans le récit, mais sans jamais que l'on s'y perde. Et mise en abyme supplémentaire : le texte est censé être un manuscrit trouvé dans un manoir du Loir-et-Cher — le roman est sous-titré « Carnet retrouvé dans un manoir en ruines ». Le « document » est envoyé au Préfet par une étude notariale — sise, comme par hasard, « rue du Meneur de Loups » — car ce dernier veut réquisitionner le domaine pour en faire un centre d'accueil. Technique narrative éculée, me direz-vous, mais qui n'est pas sans efficacité.

L'œuvre est très occupée d'érotisme, mais sans jamais tomber dans la vulgarité. Il faut reconnaître à Brasey un art d'écrire ces scènes en les rendant comme nécessaires à la psychologie des personnages et au déroulement de l'histoire, alors qu'elles ne sont, pour beaucoup d'autres textes, qu'une obligation d'éditeur ou un argument de vente. Ici, elles sont liées à la bestialité de la lycanthropie et au semi-vampirisme qui émane de la Baronne. Véritablement, c'est à un érotisme artistique qu'accède l'auteur. On reste en revanche dubitatif quant à l'intérêt des illustrations qui émaillent le texte. Je suis navrée, monsieur Alain Freytet, mais elles n'ont rien d'exceptionnel, et je ne vois vraiment pas ce qu'elles apportent ici…

On conclura en précisant qu'il s'agit-là d'un ouvrage réservé aux amateurs du genre, aux fans de Stoker et autre Sheridan Le Fanu. Les Loups de la pleine lune ne révolutionnera rien, surtout pas votre point de vue sur le genre, mais c'est un bon roman, soutenu par une révélation finale qui vaut pour le restant du récit. Pour un des premiers essais de Brasey dans le domaine proprement romanesque — l'auteur s'était jusque-là consacré davantage aux études sur le domaine fantastique —, voilà qui mérite d'être encouragé, même si l'ensemble reste un peu « scolaire »…

L’Enjomineur – 1792

Ce que j'aime chez l'Atalante, c'est qu'ils ne publient pas de « navets » ! Voilà, j'avais envie de le dire, parce que ça fait toujours plaisir d'ouvrir un bouquin en se disant que c'est forcément intéressant, même si ce n'est pas toujours ce qu'on en attendait, ou que ça n'a même carrément rien à voir avec la choucroute garnie…

Je dis ça — pour la choucroute garnie — parce que c'est un peu le cas pour L'Enjomineur de Pierre Bordage. Il est vrai que la plupart des auteurs de S-F ou de fantasy sont tentés par la « vraie » littérature. On le savait déjà pour Bordage, qui avait fait quelques incursions dans le domaine extra-imaginaire, ou tout au moins dans des contrées plus « respectables », avec des textes comme L'Evangile du serpent. Je ne jugerai pas de la réussite ou non de ces entreprises, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il réitère. Seulement cette fois, c'est publié chez l'Atalante, donc sous le chapeau d'une maison d'édition bien spécialisée tout de même, ce qui peut paraître un peu dérangeant.

L'Enjomineur — comprenez « possédé », ou « issu du monde des fées » — est un roman historique, consacré à la période post-révolutionnaire. Sous-titré « 1792 », il est le premier volet d'une trilogie qui verra se succéder — dans un accès d'originalité qui laisse rêveur — 1793 et 1794. Il se veut également, comme le souligne l'auteur lui-même, un hommage à ses origines vendéennes, à travers un retour au patois régional de l'époque, et une importante part consacrée à la Chouannerie. Je me permets de citer l'auteur : « … une forme d'hommage aux miens, paysans depuis des siècles et semblant ployer sous le poids d'une malédiction. […] Mon propos [est] de les aimer, tout simplement, en saupoudrant le tout d'une pincée de légende. […] À chacun sa façon de rendre ses devoirs de mémoire. »

Le récit suit deux destins en particulier, en dehors des digressions plus historiques et des peintures d'époque, d'une précision sur laquelle on n'insistera pas, pour l'excellente raison qu'il n'y a rien à redire, surtout si vous êtes amoureux de cette période de l'Histoire.

Les deux personnages centraux sont deux « enjominés ». Le premier, Emile, est un jeune homme dont la naissance demeure un mystère, car il a été retrouvé devant l'église du village. Beaucoup de paysans le considèrent donc comme un enfant des fées. Elevé par le prêtre de la paroisse, il sait lire et écrire, ce qui fait de lui un être à part — comme le souligne le fait qu'il est le seul à ne pas parler en patois, mais dans un excellent français. Ayant volontairement choisi de rester ouvrier agricole, il porte sur les événements révolutionnaires un regard assez distant, teinté des Lumières. Son intérêt est plus porté sur Perrette, la jeune femme dont il est tombé amoureux, que sur le changement de Régime.

Le second « enjominé » est d'un tout autre genre. Cornuaud est un garçon de la ville. Engagé sur un négrier, il a violé, comme ses compagnons marins, les esclaves féminines, y compris un jour une enfant de dix ans (le viol en général et celui d'enfant en particulier est décidément un incontournable chez Bordage…), ce qui lui a valu la malédiction d'une des femmes, ancienne prêtresse, qui depuis lui impose régulièrement des pulsions meurtrières envers des hommes blancs, avec une préférence marquée pour les adolescents. De retour en France, il n'a de cesse d'être exorcisé. Il prend une part active à la Révolution, du côté des Sans Culotte, d'abord en Vendée, avec ses anciens compagnons de bande, puis à Paris. D'ailleurs, tout en vous disant qu'il est régulièrement emprisonné et libéré, je ne résiste pas à la tentation d'ajouter qu'il se retrouve une fois en cellule avec messieurs Fourme et d'Ambert. Quel fromage ! Mauvais jeu de mot, mais on ne peut s'empêcher d'y songer, et on se dit que l'auteur aurait pu l'éviter : ça fait désordre, en plein milieu d'un roman au demeurant fort sérieux…

Une troisième ligne directrice, plus ténue, est davantage historique : on voit régulièrement intervenir une secte, utilisant des références culturelles perses, appelée « Secte de Mithra », qui adore le « Père des Pères », et s'adonne à des sacrifices rituels sanglants dans une ambiance mystique. Ses prêtresses — telles des Cléopâtre ayant survécu à la mort — sont toujours entourées de deux aspics noirs destinés à punir les traîtres. Des nobles et des révolutionnaires se côtoient lors de ces réunions, dont le rôle exact reste assez flou. Cependant, il n'est évidemment pas innocent que ce soit sur l'une de ces assemblées que s'ouvre le roman…

« Mais pourquoi alors est-ce que l'Atalante a choisi de publier ça ? » Ne niez pas : je sais que vous vous posez la question. Tout simplement parce que quelques farfadets se promènent dans le texte. Ils servent surtout de moyen de transport à Emile, et viennent renforcer son image d' « enjominé ». Pour être honnête, il faut bien avouer qu'ils font figure de cheveu sur la soupe : le roman pourrait parfaitement se passer de leurs deux interventions. Et puis, pour renforcer un peu l'aspect « merveilleux », l'extrême fin du récit fait tout de même surgir des eaux Mélusine, venue confier à Emile une dague et l'investir de la lourde mission de tuer l'esprit du Mal sur la Terre. On suppose que la suite va tendre un peu plus vers la fantasy, puisque notre Mimile se trouve également pourvu d'une monture fabuleuse, qui le guidera vers son destin.

Petit point de détail encore, Bordage a souhaité rendre hommage à son patois. Il restitue donc l'accent et les termes vendéens dans l'écriture. C'est louable, mais très lourd. Il faut pratiquement lire à haute voix, phonétiquement, pour comprendre les dialogues. On s'y fait, mais ce n'est pas toujours facile. Cela dit, un tel procédé confère au roman une « couleur locale » et une authenticité saisissante, en même temps qu'il rend tous les personnages employant cette langue attachants. On doit admettre que l'auteur a parfaitement su rendre l'immense distance qui existait alors entre les parisiens, occupés par les manœuvres politiques et les pillages en tout genre, et ces gens simples, encore profondément enracinés dans leurs traditions et leur langue.

Au final, voilà un excellent roman « provincial », dans un style balzaco-hugolien très abouti. On pense surtout aux Chouans, pour des raisons historiques, mais il est impossible de ne pas voir dans les destins des personnages de Bordage ceux des Misérables : Marius, Javert, Enjolras et Valjean. Ça se lit d'une traite, et on attend impatiemment la suite. Seulement, et tenez-le vous pour dit : ce bouquin n'a rien à faire à côté des Guerriers du silence. Mais quoi : vous allez bien trouver une place ailleurs dans votre bibliothèque ?

Autrefois les ténèbres

On vous l'avait annoncé dans votre Bifrost chéri n°37 : Autrefois les Ténèbres, de R. Scott Bakker, c'est bien. Et à qui est-ce qu'on refile le bébé ? À votre servante, alias moi… Vas dire que c'est nul, toi, après que Son Altesse Sérénissime le grand Pierre-Paul Durastanti en a dit du bien…

Toute façon, m'en fous, c'est bien… Et paf, j'ai fait la critique la plus courte du monde !

Bon, sérieusement, c'est vrai que plus c'est bon, moins on en a à dire, à part LISEZ-LE ! Je me permets juste de vous préciser que, comme tout excellent livre-univers — qui s'annonce en plusieurs volumes —, bouillonnant de créativité et d'imagination, il faut avoir un carnet de notes auprès de soi pour suivre les événements. Et que celui qui ose me dire qu'il a suivi Le Seigneur des Anneaux ou les derniers volets du cycle de Dune sans rien noter lève la main… D'autant que — mais c'est un premier roman, et je n'ai pas lu la version originale, mea culpa —, l'écriture est assez lourde. Elle revient sans cesse sur elle-même, ne nous épargne pas les redites, ou bien les phrases très obscures, qu'il faut relire plusieurs fois, avec parfois l'exaspérante impression de ne pas avoir saisi l'idée. Voilà sans doute le seul reproche à faire à l'œuvre, parce que pour le reste, le souffle épique est tout simplement grandiose.

Tout y est : la sorcellerie, les intrigues politiques, les grandes scènes de combats, les personnages intelligemment construits, ce qu'il faut de dépaysement, la cohérence de l'univers imaginé : la juste dose des bons ingrédients pour que l'on aime la complexité de la chose. Ce n'est pas un plaisir de lecture qui s'empare de nous, c'est un plaisir de comprendre, d'approfondir la connaissance de ce monde nouveau, même si, justement, le texte est tortueux. Un plaisir parfois masochiste, peut-être, mais extatique.

Je vous en donne un tout petit résumé, d'une part parce que ça ne se résume pas, ça se déguste, et puis parce que je ne veux pas déflorer votre plaisir de lecteur qui va se ruer sur le volume…

Le monde a connu une première Apocalypse, il y a 2000 ans. Aujourd'hui, il est divisé entre le Nord, pays barbare qui abrite les semi-hommes que sont les Srancs, et le Sud, espace des Trois Mers, terres des grands gouvernants. Un nouvel homme, Maithanet, vient de se proclamer Shriah des Mil Temples — l'institution religieuse de l'Empire de Nansur —, et déclare une « Guerre Sainte » pour reconquérir Shimeh, la ville sacrée de la religion des Hommes de la Dague, l'inrithisme. Il y a là un fort relent d'Islamisme ; on sent souvent que la culture de l'auteur dans ce domaine doit surpasser la nôtre et que l'on rate de ce fait pas mal de choses. De la même manière, l'onomastique romanesque, très riche, mérite sans le moindre doute une étude approfondie, car ce n'est pas pour rien que Bakker étudie les langues anciennes…

La Maison des Ikurei règne sur ledit Empire de Nansur et tente de retrouver sa gloire passée en réunissant ses terres, dispersées par des siècles de guerres contre les peuples « barbares ». Ikurei Xérius III, Empereur veule, politiquement incompétent et aux ambitions démesurées, tente d'exploiter le « Jihad » en faisant pression sur les peuples qui y participent : l'approvisionnement contre la restitution à sa couronne des terres reconquises. Son arme suprême consiste en la personne de Conphas, son neveu, un guerrier redoutablement doué, dont il suppose assez logiquement que Maithanet le voudra à la tête de ses armées, et cédera donc à ses exigences.

En l'an 4110 de la Dague règne aussi la sorcellerie, sous la forme de « scolasticats », rivaux les uns des autres, et dont le plus puissant est celui des « Flèches Ecarlates ». Drusas Achamian est un sorcier du Mandat, un espion, envoyé en quête de renseignements sur la fameuse Guerre Sainte, qui préoccupe beaucoup son Ordre, lequel est convaincu que leur ennemie éternelle, la Consulte, n'y est pas étrangère. Face à eux, les Cishaurims, autre scolasticat très puissant, sont les sorciers attitrés des Fanims, les ennemis héréditaires des Inrithy, qui occupent la ville sainte de Shimeh. C'est contre eux que la Guerre Sainte marche, et c'est pour venger la mort d'un de leur Grand Prêtre, assassiné en plein cœur de son sanctuaire par ces Sorciers aux pouvoirs mystérieux, que les Flèches Ecarlates mettent leur puissance au service de Maithanet…

Le roman s'articule en différentes parties, toutes liées étroitement, et pourtant étrangement indépendantes, car chacune exploite une facette différente de l'écriture de Bakker. Tantôt nous sommes dans un récit à l'écriture elliptique, très difficile à suivre, tantôt dans l'épique, tantôt dans le récit d'intrigues politiques, tantôt dans le roman d'amour… tout cela mené avec la même maestria.

Bon, allez, je fais quand même un reproche, histoire de dire… Même en prenant des notes, on a du mal à s'y retrouver. Vraiment. C'est un texte qui, exigeant que l'on s'absorbe dans sa compréhension, en demande peut-être un petit peu trop à son lecteur. Disons qu'un peu d'élagage dans le foisonnement créatif nous arrangerait bien. Mais quoi, si on commence à reprocher à un écrivain d'être créatif… Mieux vaut se reprocher à soi-même de devenir des lecteurs fainéants.

Point positif tout de même : l'auteur nous offre à la fin du roman un glossaire complet, et très éclairant, sur les peuples, les personnages et les langues. Il est souhaitable, à mon avis, de le consulter régulièrement tout au long de l'œuvre. Par contre, la reproduction de la Carte d'Achamian n'est pas très claire, et on regrettera que les cartes des pays n'aient pas été placées en tête d'ouvrage : personnellement, je trouve que c'est un élément qui plonge tout de suite le lecteur dans l'univers romanesque, et c'est presque une tradition de la fantasy. C'est un point de détail, et je chipote, certes, mais quitte à faire du très bon, autant faire du très très bon !

Reste donc à vous procurer l'ouvrage sans tarder, et faire un peu de place pour les opus suivants, en espérant qu'ils seront aussi bons que celui-ci est prometteur. D'autant plus prometteur que c'est tout de même, rappelons-le, un premier roman ! Voilà qui laisse rêveur sur la suite de la carrière de R. Scott Bakker…

Europe n° 909-910

Avec le centième anniversaire de la disparition du créateur du capitaine Nemo, on assiste à une véritable déferlante de publications à sa gloire. Elles sont évidemment d’intérêt très variable, et il faut bien avouer que les ouvrages de circonstance joliment illustrés mais vides de contenu critique sont plus nombreux que les études érudites et réellement informatives. Ce numéro double d’Europe (le troisième du genre) fait heureusement partie de la seconde catégorie. On y trouve une collection d’articles pointus et inédits par des spécialistes incontestés — Jean-Pierre Picot, Jacques Goimard, Piero Gondolo Dela Riva, Roger Bozzetto, Volker Dehs, Lauric Gillaud, Olivier Dumas, et la liste n’est pas close —, complétée par deux rééditions fort bien venues de textes dus aux grands verniens Marc Soriano et François Raymond, celui de ce dernier ayant jadis servi de préface à une réédition de Sans dessus dessous dans l’élégante collection « Marginalia » publiée par Glénat, à sa grande époque. Jean-Pierre Picot, maître d’œuvre du numéro, a fourni un travail remarquable, mais je me permettrai de regretter l’absence d’une contribution de Daniel Compère, un de nos plus grands verniens, et la présence d’un texte de Tony Faivre. Non que les compétences de cet immense connaisseur du fantastique et de l’ésotérisme soient en cause, bien au contraire : en voyant son nom au sommaire, je me suis dit que le château des Carpates allait trembler sur ses bases et me faisais une fête de lire sa contribution. Or, il ne s’agit que de quelques souvenirs sans intérêt, de toute évidence un article de circonstance rédigé à la va-vite. Tony Faivre nous doit une sacrée revanche…

Les approches développées dans ce numéro sont extrêmement diverses. On notera cependant une attirance des intervenants pour les textes de jeunesses restés longtemps inédits, ainsi que les versions originales des romans de Verne, avant leur modification sous l’influence de son éditeur Hetzel ou, carrément, leur réécriture par son fils Michel Verne. Pour plusieurs de ces chercheurs — Jean-Pierre Picot et Olivier Dumas en tête —, les textes « originaux » sont supérieurs aux versions publiées du temps d’Hetzel (père et fils) et il est indispensable de supprimer ces dernières et de les remplacer, chez les éditeurs modernes, par les textes vierges de toute intervention extérieure. Je serais, pour ma part, beaucoup moins radical. Les romans de Verne peuvent souvent être considérés comme des collaborations entre Verne et Hetzel (l’entreprise des Voyages extraordinaires est une entreprise commune, et les romans de Verne des romans de commande, on semble parfois l’oublier), et les suggestions du célèbre éditeur ne sont pas toujours aussi saugrenues que l’on veut bien le dire. La conclusion des Aventures du capitaine Hatteras telle que nous la connaissons aujourd’hui, montrant l’aventurier devenu fou et interné, marchant obsessionnellement dans la direction du Nord (une idée d’Hetzel), me semble bien supérieure à celle prévue originellement par Verne qui voulait le faire disparaître dans le cratère du volcan imaginaire sensé occuper la position exacte du pôle, et la version modifiée par Michel Verne de La Chasse au météore, avec l’introduction du pittoresque personnage de Zéphyrin Xirdal, est beaucoup plus savoureuse que la version originale, aujourd’hui publiée chez Folio (Philippe Curval a d’ailleurs ironisé sur cette substitution dans une nouvelle déjà fameuse, « Décalage temporel »).

L’article qui m’a le plus amusé ? Celui de William Butcher qui, en consultant le manuscrit original de Vingt mille lieues sous les mers, y a découvert quelques passages supprimés bien quelconques qu’il s’obstine à juger géniaux, et croit prouver que Verne avait, à l’origine, voulu faire du capitaine Nemo un… Écossais ! La démonstration laisse un peu rêveur. Mais quelque chose me dit que l’on n’a pas fini de voir les textes de Verne torturés pour leur faire dire un peu tout et n’importe quoi. N’est-ce pas la rançon de la gloire ?

Rêveurs de pôle

Le vrai connaisseur se méfie d’instinct des « beaux livres », aux illustrations trop clinquantes. Souvent, passé le premier mouvement d’attirance, on s’aperçoit, après y avoir regardé de plus près, que les documents colorés ne sont pas si exceptionnels, et surtout que le texte, pur remplissage, ne s’avère pas à la hauteur de l’ambition.

L’ouvrage d’Emmanuel Housset, consacré aux représentations graphique, cinématographique et littéraire des explorations polaires réelles ou imaginaires, échappe à ce travers commun. Les illustrations sont réellement de qualité et, même si l’amateur (très) éclairé en connaît sans doute déjà une bonne partie, il ne pourra que s’incliner devant la qualité des reproductions (voir par exemple l’œuvre du peintre J.-G. Inca p. 177).

L’ouvrage se découpe en chapitres mettant chacun l’accent sur un motif particulier : le pôle utopique, le pôle vernien (inévitable), le pôle du cinéma, le pôle de l’aventurier (vive Jack London !), le pôle fantastique, le pôle des peintres, le pôle de la poésie, le pôle de l’improbable, etc… L’auteur ne cherche pas à épuiser le sujet, mais à illustrer chaque motif par des exemples aussi pertinents que spectaculaires. Les noms de Jules Verne, H.P. Lovecraft, Saint Brendan, Victor Hugo, Barjavel, Caspar David Friedrich seront donc naturellement au rendez-vous. J’attirerai particulièrement l’attention du lecteur sur le chapitre « Le pôle des enfants », avec un hommage à Pierre Probst (mais si, le papa de Caroline !), le « Lion de glace blanche » imaginé par le grand Mervyn Peake, et surtout une image d’Epinal représentant « Ketty sur un glaçon » avec sa chèvre favorite, l’ensemble valant son pesant de fromage blanc.

Une splendide invitation au voyage polaire… dans les livres.

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