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L'Astre de vie

Au début des années 70, la collection « Science-Fiction » d’Albin Michel est celle dont le penchant pour le classicisme – voire un certain archaïsme – s’avère le plus marqué. Rapide résumé : la SF américaine débarque en France au début des années 50, soit vingt-cinq ans après s’être constituée en tant que genre sous la houlette de Hugo Gernsback. Trois collections majeures voient alors le jour. « Anticipation », au Fleuve Noir, sera le fief de la SF d’expression française ; « Le Rayon Fantastique », coédité par Hachette et Gallimard, disparaîtra dès le milieu des années 60 ; « Présence du Futur », chez Denoël, sera la collection aux ambitions littéraires et intellectuelles les plus avouées.

Entre 1930 et 1970, un volume considérable de science-fiction paraît aux USA, une période englobant ce qu’il est coutume d’ap-peler l’âge d’or de la SF américaine. L’âge d’or, oui, mais lequel ? Pour les uns, il s’agit de l’époque où John W. Campbell dirigea Astounding et où se révélèrent Asimov, Robert Heinlein, Ray Bradbury, Van Vogt ou Simak, entre autres. Pour d’autres, ce sont les an-nées 50, quand apparurent Ro-bert Silverberg, Frank Herbert, Philip José Farmer, Poul Anderson et, bien sûr, Philip K. Dick. On n’avait encore rien lu de tel en France, alors qu’en Angleterre commençait déjà à déferler la nouvelle vague – celle de Ballard, Moorcock ou Ellison. Justement : dans l’Hexagone du tournant des années 70, trois nouvelles collections allaient naître. « J’ai Lu » où la SF se mêlait à toutes sortes d’autres littératures (on en rêve encore), ainsi que le « Club du Livre d’Anticipation » (Opta) et « Ailleurs & Demain » chez Robert Laffont. Commençait ainsi en France un âge d’or pour la science-fiction qui allait durer trois lustres. Le même mois, on pouvait voir sortir des livres de Barry N. Malzberg ou de R.A. Lafferty, et d’autres signés Jack Williamson ou Edmond Hamilton, justement. Des bataillons entiers d’éditeurs allaient piocher là-dedans à qui mieux mieux. C’est dans ce contexte que L’Astre de vie, publié originellement aux USA en 1959, se voyait « enfin » traduit en 1973.

Des guillemets nécessaires, car le roman n’a rien d’un chef-d’œuvre… ni rien de rédhibitoire non plus. C’est un très agréable roman d’aventures spatiales avec un petit parfum vieillot – le lecteur s’attendrait presque à trouver une fleur séchée entre ses pages.

Kirk Hammond, un homme de notre époque – c’est-à-dire le futur proche de 1959 –, est un pionnier de la conquête de l’espace. Un accident le laisse pour mort dans les tréfonds du cosmos mais notre héros survit, plonge en hibernation, et se réveille dix mille ans plus tard, dans un avenir où la Galaxie a été conquise. Tout n’est cependant pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’humanité se divise désormais entre Hoomen et Vramen, immortels et dominants : leur secret, jalousement gardé, se dissimule au fin fond d’une lointaine nébuleuse. De base secrète en planète-prison, Hammond découvrira que le prix de l’immortalité est plutôt élevé.

La structure de l’histoire est marquée par l’époque où Hamilton était à son apogée. Nul doute que les amateurs de SF classique et d’aventures spatiales y trouveront leur plaisir.

La Ville sous globe

Vous savez ce que c’est une bombe « supratomique » ? Eh oui, absolument : comme une bombe atomique, mais en pire. Et c’est ce qui tombe sur le coin de la figure de Middletown, Ohio (l’état d’Hamilton), 50 000 habitants en 1950 (et pareil en 2000, si on en croit Wikipédia). Une bombe envoyée par on ne sait qui (même si on a bien une petite idée), mais là n’est pas le propos. « On dirait que l’apocalypse ato-mique a commencé […] Le bouquet final… Comment se fait-il que nous soyons encore là, Kenniston ? Com-ment est-ce possible ? » Car en effet, la bombe en question, plutôt que de rayer Middletown de la carte, fracture le continuum spatio-temporel et envoie la ville quelques millions d’années dans le futur. Si si. Une époque ou la Terre n’est plus qu’une coquille aussi glaciale que stérile… Et tout ce petit monde, passé la sidération bien compréhensible (sentiment qui n’épargne pas le lecteur) de se retrouver con-damné à court terme « dans le silence de la Terre mourante ». À moins que… Car en effet, une étrange cité futuriste, une ville sous globe totalement déserte, est bientôt décou-verte à quelques kilomètres de Middletown. Le déménagement est un crève-cœur, mais les voyageurs temporels n’ont pas le choix : leur ville n’est plus un abri viable ; ils doivent quitter Middletown et espérer que les merveilles technologiques de l’étrange cité leur permettront de survivre. Or, à peine sont-ils installés dans ce nouvel environnement qu’un vaisseau spatial déchire le ciel…

Initialement publié dans Startling Stories en juillet 1950, avant de paraître en volume un an plus tard, La Ville sous globe est l’un des plus célèbres romans d’Hamilton. Et pour cause. De facture classique, voire datée (intrigue linéaire au point de vue unique, per-sonnages un tantinet caricaturaux – dans leur jus, disons), ce petit livre qui se lit d’une traite brasse un nombre de thématiques incroyables et enchaine les péripéties à un rythme effréné du début à la fin. On s’y installe tout naturellement comme dans de vieux chaussons confortables, et on regarde, un brin médusé, cette humanité se débattre face à l’incompréhensible, l’inique et l’incon-trôlable ; toute la condition humaine passée à la moulinette d’une mise en abîme science-fictive ébouriffante. Nul doute que rédigé en 2017, La Ville sous globe nous aurait épargné des saillis du genre de celle-ci : « La tendresse qu’il ressentait à son égard tem-pérait l’irritation que lui causait l’incapacité du cerveau féminin à saisir l’essentiel d’une situation. » (Qu’on se rassure, notre héros rencontrera plus loin un personnage féminin d’une grande force qui bousculera ses certitudes…). Nul doute non plus qu’au lieu de ses deux cents pages, il en aurait fait cinq cents. En aurait-il été meilleur ? Il est permis d’en douter. Bref, voilà un excellent petit bouquin à dévorer sous la couette (il y fait froid, dans ce livre !), dans l’édition Terre de Brume, à la traduction révisée, bien entendu (même s’il reste pas mal de coquilles et que la maquette intérieure en corps 8, interlignage 12, pique salement les yeux).

La Saga des étoiles

Avant de se voir coller l’image kitschissime de Star Wars, la science-fiction a longtemps été réduite à celle du space opera débridé issu des pulps, où tout paraissait bigger than life. En ce temps-là, sur le fond étoilé de la Galaxie, les archétypes un brin naïfs fusaient dans leurs astronefs fuselés, explorant des planètes sauvages, sur le qui-vive, prêts à dégainer l’arme ultime contre toute menace indicible ou plus simplement un pistolet atomique. Les princesses à sauver des griffes maléfiques d’une entité quelconque abondaient et on trouvait toujours un défi à relever, histoire d’occuper le temps ou de repousser plus loin les frontières de la civilisation (forcément américaine). De ce décor teinté d’in-ventions pseudo-scientifiques, rayons subspec-traux plus rapides que la lumière et autres stases protégeant les hardis pilotes des accélérations surhumaines, Edmond Hamilton a fait le quotidien de John Gordon, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale et ex-pilote de bombardier (Buck Rogers, vous avez dit ?), peaufinant au passage sa réputation de faiseur d’aventures spatiales.

Découpé en deux livres, la « Saga des étoiles » convoque le ban et l’arrière-ban du sense of wonder, n’hésitant pas à piller le scénario du Prisonnier de Zenda et un contexte inspiré de la Guerre froide, menace atomique y comprise.

Paru en 1949, Les Rois des étoiles apparaît comme un condensé échevelé et un tantinet roublard des récits édités dans les pulps. En parfait candide dont l’esprit américain devient l’objet d’un échange avec celui du prince Zarth Arn, John Gordon vole de merveilles en merveilles, emporté par une succession d’événements imprévus dont il ne peut que subir les conséquences, s’adaptant avec une chance inouïe aux circonstances. Dans un empire aux proportions cosmiques, sorte de commonwealth foisonnant, qui domine la Galaxie dans le futur, il passe ainsi de l’extase à l’effroi, dans la crainte permanente de voir sa véritable identité démasquée, tombant amoureux de la princesse avec laquelle on le marie pour la forme, afin de renforcer les alliances face à la menace du tyran Shorr Kan. Heureusement, la ravissante créature ne tarde pas à succomber à son charme exotique, ce qui en dit long sur le sex-appeal de l’an 200 000… Bref, Edmond Hamilton aligne les poncifs et les rebondissements avec l’entrain d’un forain à la foire, régalant son lectorat d’un récit léger, jalonné de quelques morceaux de bravoure propres à susciter un enthousiasme juvénile.

Retour aux étoiles ne bénéficie pas, hélas, de la même cohérence. Paru vingt ans plus tard, en 1969, si l’on fait abstraction de l’édition française de 1968 qui comportait deux textes alors encore inédits outre-Atlantique, ce roman souffre de sa structure de fix-up composé à partir de plusieurs novelettes parues en magazine entre 1964 et 1969. On en ressort avec le sentiment d’une trame décousue et répétitive, où seule la première (« Les Royaumes des étoiles ») et quatrième partie (« L’Horreur venue de Magellan ») paraissent se dégager de l’ensemble. Hamilton y rejoue le coup de l’invasion par une puissance occulte et donne une vision un tantinet plus bariolée de la Galaxie, convoquant quelques créatures non humaines. Les amateurs de bug-eyed monsters apprécieront. Mais surtout, il fait évoluer un poil le personnage féminin, époque oblige, lui donnant plus de substance et de caractère, même si cela ne l’empêche pas de tomber finalement dans les bras de son homme. Enfin, il écarte John Gordon pour donner le beau rôle à Shorr Kan, ressuscité pour l’occasion, histoire de désamorcer la naïveté du propos tout en y apportant une tou-che bienvenue de modernité et d’humour (quoique chaussé de gros sabots).

Au final, « La Saga des étoiles » n’usurpe pas sa réputation de classique du space opera. Au fil du temps, le récit des aventures cosmiques de John Gordon s’est ainsi couvert d’une patine désuète, mais non dépourvue de charme, et d’une aura teintée de sépia, aptes à susciter la nostalgie de l’âge d’or de la science-fiction américaine, comme en témoigne Souvenirs de l’empire de l’Atome, l’hommage récent en bande dessinée de Smolderen et Clérisse.

Hors de l'Univers / Les Voleurs d'étoiles

Le binôme Hors de l’Univers / Les Voleurs d’étoiles est l’une des rares occasions en France d’avoir un aperçu du Edmond Hamilton des débuts (il avait commencé à publier deux ans plus tôt). Parus dans Weird Tales entre 1928 et 1930, ces récits constituent la quasi-totalité des aventures de la Patrouille Interstellaire, groupe d’intervention chargé d’éliminer tout danger susceptible de menacer la galaxie et évoqué plusieurs fois plus haut dans le présent dossier (cf. l’article de Francis Valéry, notamment).

Hors de l’Univers est un modèle du genre pour l’époque. Débutant par une simple escarmouche spatiale, le récit va très rapidement prendre une ampleur démesurée et opposer la totalité des forces spatiales de trois galaxies. Hamilton ne fait pas dans la demi-mesure : les scènes de combat se succèdent à un rythme frénétique, des milliers de vaisseaux sont anéantis d’une seule phrase, des soleils sont projetés les uns sur les autres comme dans une délirante partie de pétanque cosmique. Il y a quelque chose de jubilatoire à voir le romancier enchaîner les morceaux de bravoure, augmenter sans cesse les enjeux et se lancer dans des descriptions dantesques d’holocaustes cosmiques. En fin de compte, on estimera sans mal à quelques centaines de milliards les victimes de ce jeu de massacre à l’échelle de l’univers, mais on ne pourra pas dire que ses héros n’auront pas mérité leur jolie médaille.

Les nouvelles au sommaire de Les Voleurs d’étoiles nous proposent chacune une version condensée du roman Hors de l’univers. Le problème, comme on s’en rend rapidement compte à la lecture de ce recueil, est que toutes fonctionnent exactement sur le même schéma : le narrateur, Dur Nal / Jan Tor / Ran Rarak / Ker Kal, héros de la Pa-trouille Interstellaire, est convoqué par le Conseil Suprême / Bureau des Connais-sances Cosmiques / Grand Conseil des Soleils / Quartier Général de la Patrouille à Bételgeuse, qui l’informe que la Terre / la galaxie est menacée par une étoile géante / une nébuleuse / une comète / un nuage cosmique qui se dirige vers elle. En compagnie de son équipage / quelques vaisseaux d’exploration / une armada de plusieurs milliers de navires, notre héros se rend sur place et découvre que le phénomène en question n’a rien de naturel mais qu’une intelligence extraterrestre est à l’œuvre : d’horribles créatures sphériques / coniques / informes / reptiliennes / invisibles, originaires d’un monde mourant et décidées à le sauver à n’importe quel prix. Après avoir été capturés, nos héros parviennent à s’échapper et, à quelques minutes de l’issue fatale, à éviter l’apocalypse, éventuellement grâce au sacrifice d’un personnage secondaire dont on saluera la bravoure lors d’un émouvant mais viril hommage posthume. Dans le genre, Hamilton avait trouvé une formule gagnante, mais réunir ces nouvelles dans un même recueil est probablement le pire service que l’on pouvait leur rendre.

Tigane

Bien décidé à poursuivre la réédition des romans de Guy Gavriel Kay en France, L’Atalante propose cette fois Tigane, deuxième œuvre de l’écrivain canadien après sa trilogie « La Tapisserie de Fionavar ».

Gros pavé, Tigane marque un tournant dans la carrière de Kay. En effet, cet opus voit l’auteur prend ses distances avec l’ heroic fantasy pure et dure à la Tolkien pour tracer sa propre voie. L’action de Tigane se situe dans un monde qui rappelle furieusement l’Italie de la Renaissance et ses nombreuses Cités-États. Dans la Palme, une péninsule prise entre les mâchoires de deux empires, Barbadior et Ygrath, le jeune Devin va découvrir qu’il n’est pas celui qu’il pense. Sous la férule d’Alessan et de Baerd, il apprend le triste sort de son pays natal, Tigane, qui a eu le malheur de se dresser entre Brandin d’Ygrath et sa conquête de la Péninsule. Maudite et réduite au silence, le fier pays du prince Valentin disparait petit à petit de la mémoire du monde, condamné par l’anathème jeté par Brandin lui-même bien des années plus tôt. Devin va alors décider de se battre pour libérer la Palme du joug des envahisseurs étrangers mais également pour que le nom de Tigane puisse de nouveau être entendu par tous.

Difficile de résumer ce pavé où de nombreuses qualités narratives de Guy Gavriel Kay affleurent déjà : son envie de mêler l’Histoire avec une époque fantasmée de son cru, son amour évident de la poésie et de la chanson mais aussi, et surtout, son incroyable don pour façonner des personnages éminemment humains et attachants. Tigane rassemble tout cela et bien plus encore. Devin, Alessan, Catriana, Brandin… absolument tous les acteurs de cette vaste fresque de fantasy se révèlent marquants d’une façon ou d’une autre. L’univers créé, si détaillé et vivant soit-il, vaut aussi et avant tout par les magnifiques figures humaines qui l’habitent. Guy Gavriel Kay délaisse déjà les grosses ficelles de l’ heroic fantasy pour quelque chose de plus subtil, de plus délicat.

Le problème, c’est que Tigane représente le premier véritable essai de l’auteur en la matière. Défaut récurrent chez Kay mais souvent gênant ici : la longueur. Ce roman est trop long ; le Canadien tire à la ligne et répète à l’envi des choses que l’on sait déjà trop bien. De même, il s’embarque dans un versant encore purement fantasy avec l’intrigue des Marcheurs de la nuit qui apparait immédiatement comme convenue et rébarbative. Il semble bien que Kay ne soit pas à l’aise lorsqu’il s’agit de jongler avec des concepts de fantasy purs et durs. De même, il n’a pas acquis encore l’habilité qu’il aura par la suite sur le plan de la structure narrative. Tigane montre à plusieurs reprises de grosses ficelles un tantinet déroutantes quand on sort de ses œuvres plus récentes. Mis bout à bout, ces embarrassants défauts permettraient certainement de délester l’ouvrage de cent à cent cinquante pages.

Heureusement, Kay s’avère déjà un maître en matière d’émotions et arrivent à susciter l’empathie du lecteur relativement vite. D’autant plus qu’il parle de thèmes universels avec une justesse qu’on ne peut lui retirer. Au fond, derrière sa fin épique et ses complots, Tigane parle du droit des peuples à s’autodéterminer. Plus encore, Kay se penche sur l’identité et sur l’appartenance à une contrée. En passant en revue le mauvais et bon dans cette vengeance aux doux relents nationalistes, Kay fait la part des choses et laisse le lecteur réfléchir sur le sens du mot vengeance. Le sort de Brandin, roi à la fois ignoble et touchant, s’oppose à celui d’Alessan, obligé de commettre bien des forfaits pour arriver à trouver sa justice. Tigane se penche sur le poids de l’Histoire et celui de la mémoire. Comment vivre avec son passé ? Comment vivre l’exil et le retour au pays ? Tigane foisonne de bonnes idées qui permettent tout de même de le hisser bien plus haut que le tout-venant fantasy.

Le roman annonce d’ailleurs les futures splendeurs que seront Les Lions d’Al Rassan ou Le Fleuve Céleste mais n’en a pas encore l’envergure ni la maîtrise. Ceux qui aiment Kay apprécieront grandement Tigane, les autres seraient plus avisés de commencer par un autre bout de son œuvre avant de revenir à celle-ci.

Le Mystère Croatoan

Dans la série « les discussions imaginaires de Bifrost » : l’écrivain espagnol José Carlos Somoza et Pépito, son ami de longue date. La scène se déroule dans le bar-tabac madrilène Mucho Busto. Tout le monde sirote de la manzana verde.

[Pepito:] Tu as fini ton nouveau roman ?

[José Carlos Somoza :] Tout juste. Ça commence avec trois mystères inexpliqués : la disparition des cent trente colons de Roanoke en 1590, la désertion totale du village inuit d’Angikuni en 1930 et l’énigme de la Mary Celeste.

[Pepito, tout excité:] Tout ça va être expliqué ?

[José Carlos Somoza, évasif :] C’est très visuel : à un moment l’héroïne se masturbe, il y a une attaque de zombies vivants couverts d’insectes, un hélicoptère qui survole Madrid en plein chaos, une scène de vestiaires avec une flic à forte poitrine, une scène à suspense, de nuit, dans un hôpital psychiatrique, des dialogues au scalpel, façon Alerte à Malibu. Une alternance de scènes intimes très tendues et de grand spectacle.

[Pepito, nettement moins excité:] Des zombies à Madrid ? On dirait un peu [Rec], non ?

[José Carlos Somoza, d’une profondeur de tombe:] Non, car ils sont couverts d’insectes et ça fait toute la différence. Tu vois le problème de mes précédents romans, c’est qu’il fallait un cerveau pour les lire. Là, les deux yeux suffisent. C’est faussement intellectuel.

[Pepito, qui enjambe allégrement le seuil de l’insolence :] Et évidemment ça n’a aucun rapport avec le fait qu’aucun de tes romans n’a jamais été adapté au cinéma ?

Le portable de Somoza sonne : le leitmotiv métallique de Terminator.

[José Carlos Somoza :] Il faut que je te laisse, Pepito, c’est Besson. Il veut acheter les droits. [L’écrivain écoute le producteur, très attentif, puis s’enflamme :] Yes, you’re a fuckin’ genius !

[Somoza couvre le micro de son portable :] Il verrait bien Paz de la Huerta dans le rôle principal. Et me demande s’il peut remplacer les hélicoptères par des BMW et le peintre bisexuel cultivé par Jason Statham. Ça va être hénaurme !

Le conseil de Gandalf : « Fuyez, pauvres fous ! » ; celui de Bifrost : « Si l’idée centrale du roman est assez fascinante, son traitement (façon mauvaise série télé) reste affligeant de bout en bout. Du même auteur, lisez La Théorie des cordes critiqué dans notre n°46. »

Artémis

Comme le hurle la couverture, Andy Weir est l’auteur de Seul sur Mars, premier roman très remarqué et porté à l’écran en 2015 par Ridley Scott. Après ce survival, l’auteur américain était attendu au tournant avec son deuxième roman. Quittant la planète rouge, Weir nous emmène sur notre satellite, quelques décennies dans l’avenir.

Artémis, c’est le nom de la déesse grecque associée à la chasse et la Lune. Mais c’est aussi celui de l’unique ville située sur notre satellite : une charmante petite bourgade de deux mille habitants, faite de cinq dômes nommés d’après les premiers astronautes ayant foulé le régolithe sélénite. La jeune Jasmine – Jazz – Bashara, fille d’un soudeur saoudien, vivote comme elle peut, tirant ses revenus des marchandises illicites qu’elle importe en contrebande ; plutôt habile avec ses mains (pour souder) et sa tête (pour souder sur la Lune), elle n’a rien contre effectuer deux-trois boulots pas très légaux. Justement, l’un de ses clients, le richissime Trond Lanvik, voudrait qu’elle sabote pour lui les quatre moissonneuses de la Sanches Corporation qui arpentent la surface lunaire pour en retirer de l’aluminium. Un petit coup de soudure ici et là, et hop, boum. Lanvik a un plan : problème, d’autres ne sont pas du même avis que lui quand ils ont vent de ses machinations. Bientôt, Jazz va faire beaucoup de soudure, et se retrouver prise dans un dangereux engrenage, qui, d’un bout de soudure à un autre, va aboutir à rien moins que faire peser une menace vitale sur Artémis. Sur un astre sans atmosphère, le moindre faux-pas se révèle souvent fatal. La moindre soudure foirée aussi. La jeune femme devra faire beaucoup de soudure, compter sur son ingéniosité et ses amis pour tirer la ville sélénite d’un très mauvais pas…

On sait gré à Andy Weir de ne pas reproduire Seul sur Mars avec ce deuxième roman. Néanmoins, une fois le livre refermé, Artémis laisse le sentiment d’une mission à moitié accomplie. La galerie de personnages, plus étoffée que dans son premier roman, présente des protagonistes taillés à la serpe. L’héroïne pleine d’entrain s’avère vite agaçante avec son humour constant et souvent pataud. Si Weir a le mérite de tenter d’écrire depuis la perspective d’une jolie jeune femme musulmane non pratiquante, sa tentative réussit surtout à sonner faux.

Avec un rythme allant croissant, l’intrigue se laisse lire, mais les nombreux passages techniques peinent à susciter l’intérêt (et c’est un lecteur fondu de Greg Egan qui vous le dit !) : on devine que l’auteur a potassé son sujet, mais l’énième passage où la Saoudienne soude finit par donner des envies d’autodafé au chalumeau. Dommage. Nulle inquiétude toutefois : ça fera un chouette film.

Acceptation

Après Annihilation et Autorité, Acceptation a la lourde tâche de conclure la trilogie du « Rempart Sud » de Jeff VanderMeer, héraut du weird en littéraire. Rappel des événements : le premier volume (porté à l’écran par Alex Garland en ce printemps 2018) racontait une expédition au sein d’une mystérieuse Zone X – portion du littoral américain coupé du reste du monde depuis une trentaine d’années par une frontière étanche. C’était là un roman bref, joliment porté par son ambiance et son étrangeté. La suite se déroulait du côté de l’organisation chargée d’étudier la Zone X : le Rempart Sud. Las, pastiche bureaucratique de roman d’espionnage, Autorité se fourvoyait dans d’interminables lenteurs et il fallait attendre les dernières dizaines de pages du roman pour qu’arrivent enfin action et révélations.

Acceptation se déploie sur quatre lignes narratives : dans la Zone X, ils sont deux – Control, protagoniste d’Autorité, et Oiseau Fantôme, qui est la biologiste d’Annihilation sans l’être tout à fait. Dans le passé de la Zone X avant que celle-ci devienne ce lieu radicalement étrange, il y a Saul Evans, gardien de phare dont le quotidien est perturbé par les membres de la Brigade Science & Spiritualité et par une fillette, Gloria. Enfin, il y a la directrice du Rempart Sud, alias la psychologue d’Annihilation, dans les moments précédant son départ pour la Zone X, et qui entretient avec cette dernière des liens plus forts qu’attendus.

Loin de l’ennui suscité par Autorité (au point de faire douter de l’utilité de ce tome médian), Acceptation retrouve les qualités d’Annihilation – ambiance unique où le Stalker des Strougatski est transplanté dans le terroir moite et intranquille de la Floride… Porté par une atmosphère à la fois lumineuse et inquiète, ainsi qu’une écriture volontiers impressionniste, cet ultime volume de la trilogie s’avère satisfaisant d’un point de vue narratif en dépit de sa relative lenteur, et entreprend de répondre aux questions soulevées dans les deux premiers volumes, quoique parfois de façon oblique. Qu’est-il arrivé à la biologiste ? Qui est la directrice ? Surtout, quelles sont l’origine et la nature de la Zone X ? Pas de réponses toutes faites pour élucider les mystères de ce terroir étranger, VanderMeer dispense à la place quelques indices, délaissant tout caractère spectaculaire au profit d’une atmosphère unique – la sensation d’altérité n’en rejaillit que davantage, la nécessité de lâcher prise, d’accepter la perte de contrôle aussi.

On se gardera de crier au chef-d’œuvre pour la trilogie résolument weird de Jeff VanderMeer, en particulier à cause d’un tome central faiblard. Néanmoins, l’auteur de La Cité des Saints et des fous propose là un ensemble original et intriguant méritant qu’on s’y égare.

10 000 jours pour sauver l'humanité

« Le roman caché de Jules Verne », affirme l’accroche, un brin racoleuse, sur la belle couverture rappelant la collection « Voyages Extraordinaires » des éditions Hetzel, où parut l’essentiel de l’œuvre romanesque de Verne. Jean-Michel Riou, plus connu pour ses romans historiques ou policiers, propose ici un pastiche adoptant la forme d’un roman censément oublié de l’auteur de Cinq semaines en ballon.

Une nuit de juin 1890, l’astronome britannique Charles Pritchard fait une découverte terrifiante : l’orbite de Cérès, altérée par un heurt avec un astéroïde, amènera la planète naine – renommée Wildcat – à entrer en collision avec la Terre dans une trentaine d’années. Que faire ? Pour éviter la panique, les astronomes réunis en congrès envisagent de ne rien révéler, mais ce secret est vite éventé par Pierre Lefranc, journaliste au Petit Journal, qui prend très à cœur sa mission d’informer ses concitoyens. La situation semble désespérée. Certains cherchent des pis-aller, comme en Chine où l’Empereur envisage de se réfugier en plein cœur du plateau tibétain. La rencontre de Lefranc avec Elizabeth Storm, jeune scientifique, va amener un souffle d’espoir, en particulier après un entretien crucial avec Jules Verne : le vieil écrivain est disposé à rédiger un roman-feuilleton, intitulé Le Meilleur de l’homme, afin de donner l’impulsion nécessaire à l’humanité pour s’unir et trouver un moyen de survivre à l’apocalypse prochaine. Et contre toute attente, cela marche : le capital et les masses laborieuses s’unissent au sein de l’Entreprise pacifique afin de créer les gigantesques abris souterrains, véritable arches de Noé qui accueilleront la population humaine et ce qui assurera sa subsistance pour un siècle ou plus. Ce faisant, le progrès technique fait d’énormes bonds ; le progrès social aussi. Pour autant, Lefranc nourrit des doutes sur l’honnêteté de certains : y aurait-il des gens assez inhumains pour vouloir tirer profit de cette situation désespérée ?

De la décennie 1890 à 1924, année supposée de la collision, 10 000 jours pour l’humanité s’intéresse aux investigations des intrépides et intègres Pierre Lefranc et Elizabeth Storm (et plus tard de leur fils Dorian) et aux manigances d’Edward Pearson, lobbyiste antagoniste aux visées rien moins qu’iniques. Au passage, on croise quelques personnalités réelles, tel Clément Ader, Charles Pritchard ou Jules Verne. Le procédé de faire apparaître le vénérable auteur dans le livre qu’il est supposé avoir écrit semble quelque peu artificiel, et sûrement Jean-Michel Riou aurait pu s’en passer sans que cela nuise à l’hommage. Un hommage qui tire en longueur, jusqu’à un happy end un brin hâtif. Néanmoins, les références aux romans majeurs du natif de Nantes sont présentes (Voyage au centre de la Terre, Vingt mille lieues sous les mers, voire le tardif La Chasse au météore) sans être envahissantes ; pas de trahison, on y retrouve la même défiance que Verne envers le capitalisme et les élites. La ressemblance avec la situation actuelle n’a rien d’un hasard, il suffirait de remplacer l’astre tueur par le réchauffement climatique (et les abris souterrains par la Nouvelle-Zélande, terre d’élection des pontes de la Silicon Valley). En fin de compte, Riou se décide pour l’optimisme et la capacité de l’humain à tirer le meilleur de lui-même dans les circonstances les plus désespérées – cela sera-t-il le cas dans la réalité ?

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