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Supernormal

Les super-héros vieillissent aussi. David Brinkley, le plus grand d’entre eux, a pris sa retraite. Marié, deux enfants (sa femme l’appelle Pouchou), il poursuit son existence comme tout individu perdant ses cheveux et prenant du poids. Sa vie sexuelle n’a pas toujours été idyllique, entre des problèmes d’érection en tant que super-héros toujours sur la brèche ou face à des femmes qui ne voient pas l’homme mais fantasment sur ses supposées capacités sexuelles. Sous l’identité du journaliste de Metropolis, il se heurte au refus de sa fiancée qui se réserve pour son héros costumé. Aussi voit-il un psy, qui traduit en symptômes ses aveux de super-pouvoirs.

Brinkley est calqué sur Superman : originaire de la planète Cronk, il redoute la cronktonite qui lui fait perdre ses pouvoirs. Quand les aléas domestiques l’exigent, il recourt toutefois à ces derniers, déclinants, avec des résultats catastrophiques. Il n’est pas le seul super-héros inactif? ; certains ont disparu, d’autres, comme Captain Mantra, sont dans un sanatorium. C’est l’occasion qu’attendent les malfrats de tous bords, mais aussi les présidents de puissances étrangères, pour orchestrer un complot afin de le mettre hors d’état de nuire et mener leurs exactions sans crainte de représailles. Mais quand une série de crimes dévaste New York sans intervention de la police ou de collègues costumés, le super-héros bedonnant est bien obligé de reprendre du service.

Le récit se déroule dans les années 70, dans une Amérique qui doute d’elle : le Watergate et la guerre du Vietnam l’ont ébranlée, sa légitimité de gendarme planétaire est contestée. Un nouveau monde moins lisible se met en place, celui des puissances économiques qui progressent via des sociétés écran, ce qu’illustre dans le roman XYZ Industries, pieuvre industrielle aux multiples entreprises, avec les problèmes écologiques et les tensions sociales qu’elles induisent. On peut d’ailleurs voir dans la prolifération de la cronktonite une métaphore de la pollution. Miroirs de la société, les justiciers à la morale dichotomique ont peu de latitude pour régler les problèmes du monde moderne.

Écrit en 1977, ce roman est le premier à avoir donné un ancrage réaliste au super-héros et à le faire vieillir. Depuis, ces parodies se sont multipliées. Le préfacier rappelle qu’il influença Alan Moore (Watchmen) et Neil Gaiman (American Gods), et inspira probablement le film d’animation des Indestructibles. À destination des fans, le récit très référentiel multiplie les allusions et clins d’œil à son époque, avec un fort penchant pour le base-ball. Il en fait même trop, ce qui affaiblit sa dimension humoristique. Car les références vieillissent aussi, vu qu’il est nécessaire de les expliciter par des notes – excessives (201? !) et pour la plupart superfétatoires, elles agacent par leur inanité et donnent la désagréable impression d’être pris pour un ignare : on ne rit jamais quand on entreprend d’expliquer pourquoi c’est drôle.

Un sentiment de déception suit la préface et l’introduction dithyrambiques ayant survendu le livre avec des effets comiques peu probants. L’intrigue, parfois poussive, peine à intégrer les divers motifs du récit, se disperse parfois en suivant inutilement les agissements des malfrats. L’histoire reste malgré tout intéressante, ménage quelques bons moments et fourmille de détails drolatiques, d’autant qu’on ne peut négliger ici la dimension pionnière de l’ensemble. En définitive, le principal handicap de Supernormal vient sans doute de ce qu’il est traduit quarante ans trop tard.

Le Regard

Une Chinoise demande à Ruth Law, ancienne policière devenue détective privé, d’enquêter sur le meurtre de sa fille, exécutée de deux balles, puis énucléée. La jeune femme avait quitté le domicile parental, prétendait travailler mais se livrait à la prostitution, raison pour laquelle la police se désintéresse de l’affaire. Les finances de Ruth, abonnée aux adultères et aux fraudes à l’assurance, la poussent à accepter, malgré ses réticences, en raison surtout du Régulateur branché en permanence, qui lui permet de considérer les situations avec le recul nécessaire, débarrassée des émotions contre-intuitives.

Patiemment, Ruth décortique son sujet et découvre, malgré les précautions prises par l’assassin, une affaire qui relève des meurtres en série. Parallèlement, l’intrigue suit les agissements du tueur, surnommé le Surveillant, la narration fouillant son passé pour éclairer sa psychologie. Il en va de même pour la méthodique enquêtrice dont les motivations trouvent leur origine dans un passé douloureux qui la laisse solitaire, et pratiquement dépourvue d’affect à force de laisser branché son anesthésiant d’émotions – le Régulateur dont tous les psys signalent la dangerosité en cas d’utilisation prolongée. Tous deux agissent avec calme et méthode, ce que traduit le style précis, froid, dépourvu de fioritures, et le luxe de détails dans la façon de procéder. La brièveté des chapitres découpe le récit avec le même soin clinique.

Tout, dans cette enquête, est affaire de regards : le motif de l’énucléation, les vidéos que consulte le Surveillant, les minutieuses inspections de Ruth, les recours de la technologie moderne pour reconstituer une scène de meurtre, les jeux de miroirs, les informations sur écrans et sur réseaux délivrant des bribes substantielles de l’intrigue. Et davantage encore, le regard que Ruth porte sur elle, la culpabilité qui, tel l’œil poursuivant Caïn, ne cesse de la hanter.

Au-delà de l’affaire, c’est le Régulateur que questionne le récit, cette béquille offrant une lucidité optimale, salvatrice peut-être, mutilante assurément. La fin offre un dénouement percutant, où tous les jalons posés durant le récit se retrouvent dans la scène, comme un dernier regard évaluateur au-delà duquel l’histoire ne s’attarde pas.

Deuxième apparition du très remarqué Ken Liu dans l’élégante et non moins remarquée collection « Une heure-lumière » des éditions du Bélial’, Le Regard, bien qu’en apparence éloigné de L’Homme qui mit fin à l’histoire, tourne une fois de plus autour des notions de perte, de choix et du souvenir.

Un récit bref, maîtrisé avec brio, voire parfaitement régulé.

Planetfall

Une petite colonie humaine s’est installée sur une planète désolée, Pathfinder, à proximité d’un imposant artefact, une structure considérée comme la Cité de Dieu, selon les dires de Lee Suh-Mi, qui, frappée par une illumination, a réussi à motiver une centaine de colons pour rejoindre ce lieu et y recevoir la Révélation. Vingt ans plus tard, celle-ci n’a toujours pas eu lieu et Lee Suh-Mi a disparu à l’intérieur de la structure, aux parois organiques, où l’on peut se perdre dans des niches et des creux contenant parfois de curieux objets laissant supposer des origines extraterrestres. Mais cela, les colons l’ignorent. Il est d’ailleurs interdit de pénétrer dans la structure en raison du danger. L’attente est le lot de la communauté, qui espère revoir un jour l’Éclaireuse, ayant institué un rite cultuel consistant à l’attendre devant la structure à chaque date anniversaire.

La communauté, solidaire et attentionnée, n’a de secret pour personne, chacun communiquant en permanence avec les autres membres via sa connexion réseau intégrée dans l’organisme. Les conditions de vie sont agréables mais chiches : les imprimantes 3D fabriquent tout ce que peut souhaiter un colon, des meubles aux vêtements en passant par les aliments. Est jeté dans un recycleur ce qui ne convient plus pour une reconversion en matières premières. Afin de ne pas vivre indéfiniment dans des combinaisons, les colons se sont génétiquement modifiés pour se protéger des microbes et allergènes de l’atmosphère, même si la consommation des noix locales reste impossible en raison de la présence d’un ADN étranger.

La surprise est de taille lorsque débarque Sung-Soo – trop jeune pour appartenir aux colons de la première génération –, une arrivée qui va bientôt bouleverser la tranquillité de la colonie. Car Sung-Soo affirme être le petit-fils de l’Éclaireuse. L’accident de nacelle ayant emporté au loin les occupants qui observaient la Cité de Dieu depuis le ciel a permis, contre toute attente, à quelques rescapés de survivre jusqu’à présent. À leur mort, Sung-Soo a entrepris ce périple improbable jusqu’à la colonie. Accueilli par tous, il est l’objet de la méfiance de Mack, le dirigeant de la communauté. La narratrice, Renata Ghali, est une scientifique qui a embarqué pour être tombée amoureuse de Lee Suh-Mi. Réparatrice des imprimantes 3D, elle récupère, dans le projet de les restaurer un jour, les objets abîmés ou mal façonnés que jettent les colons. Un secret la lie à Mack, qui l’étouffe chaque jour davantage, et qui pourrait bien faire voler la fragile communauté en éclats. Elle est en outre victime de ses névroses, qui la poussent à se replier sur elle, à fuir ses semblables, jusqu’à faire preuve d’agressivité devant ses difficultés croissantes à cacher sa maladie à son entourage. L’ambiance, tandis que se multiplient les non-dits et que les soupçons de mensonge se confirment, rendent l’atmosphère irrespirable. Progressivement, l’intrigue se détourne de l’énigme de l’artefact pour se concentrer sur le passé de Renata et la tragédie fondatrice des rites communautaires. Ce qui ressemblait à un récit de science-fiction traditionnel sort des sentiers battus en se transformant en suspense psychologique.

On ne peut qu’admirer la maestria avec laquelle, dans ce récit dont la densité renforce l’intensité, Emma Newman superpose au mystère initial une aventure intérieure, conjuguant dans un même élan révélation de soi et élucidation de l’énigme initiale. Un roman brillant, tout simplement.

Qui devrait être suivi de After Atlas, situé dans le même univers, et se déroulant sur Terre.

L'Empire électrique

Voici un ensemble de récits steampunk se déroulant dans le même univers, celui d’une France coloniale qui a dominé la quasi-totalité du monde grâce à sa puissance voltaïque. Sous Napoléon II, ce n’est pas Paris mais Lyon la capitale de l’Empire. Chaque récit met en scène et mélange joyeusement des personnages de la littérature populaire du XIXe, toutes nations confondues, en y incluant également leurs auteurs ou des figures historiques incontournables dans ce style d’exercice. Respectueux de la chronologie, l’auteur introduit facétieusement les descendants des héros, dont les ambitions diffèrent parfois. La profusion est telle qu’il est plus simple de recenser les oublis : la seule liste, en fin de volume, des auteurs visités comprend vingt-trois noms, la plupart attendus, d’autres moins évidents comme Gilbert Ralston (Willard, Star Trek), Michael Garrison (Les Mystères de l’Ouest), Clive Barker, ou moins attendus (Victor Hugo, Pierre Loti).

Le fil conducteur des intrigues est l’Empire lui-même et ses prodigieuses réalisations électriques. « Le Gambit du détective » voit Sherlock Holmes libéré des prisons impériales pour traquer un sosie de l’empereur agissant en son nom. L’enquête, effectuée durant l’exposition universelle, l’amène à se faire soigner par un Dr Watson à qui il déplaît profondément. Ce premier récit est un des plus brillants du volume, par la saveur des réparties et l’ironie mordante de Holmes ainsi que par un paradoxal enchaînement de situations typiquement wellsien.

« Les Légataires de Prométhée » voit Marc Frankenstein, héritier de Victor, utiliser l’énergie voltaïque comme thérapie cosmétique, la princesse Sissi ayant même tendance à abuser de ce procédé d’effacement des rides. Jeté dans un cul de basse-fosse pour que Napoléon Bonaparte prenne le pouvoir sur le Vieil Aiglon qui se voit sinon toujours rajeuni, il y croise un monstre qu’il ramène à la vie pour recouvrer sa liberté. La conclusion adresse un discret clin d’œil à Lovecraft.

« Les Masques du bayou », sur fond de révolte d’esclaves, se nourrit des figures fantastiques locales, baron Samedi et Candyman en tête, mais réjouit surtout par un Zorro vieillissant et toujours actif grâce à son exosquelette voltaïque, combattant un sinistre colonel Tom Sawyer.

Situé en Australie, « Comment je me suis évadé du bagne » s’avère le moins convaincant des récits, la faute à de nombreux flash-backs sur l’arrestation des futurs prisonniers, révolutionnaires comme Cosette et Gavroche Thénardier, figures du mal comme Fu-Manchu ou Raspoutine, un Passe-partout sans Phileas Fogg, abattu, des personnages de Zola, Jules Verne et Gaston Leroux, dont celui, récurrent, de Frédéric Larsan, chef de la sûreté devenu ministre, et encore Edgar Page Mitchell avec le Dr Rapperschwyll de L’Homme le plus doué du monde, constructeur de l’intelligence artificielle administrant le bagne. Dans cette profusion, quelques scènes saisissantes, comme les sauterelles, montures à roues et à pattes servant à la répression d’une manifestation.

« Les Éventreurs » rend justice au Dr Watson en lui permettant de vivre ses proprés aventures, enquêtant lors d’un séjour à Lyon sur des meurtres identiques à ceux de Jack l’Éventreur, cette fois motivé par une sorte d’eugénisme à la Galton fomentée par le Dr Moreau (on aurait pu lui préférer le Dr Lerne). Fleury force parfois le trait jusqu’à la farce dans ses effets comiques, ridiculisant un Watson faisant équipe avec le sagace Raoul d’Andrésy que les amateurs de Maurice Leblanc connaissent bien.

Enfin, « À La Poursuite du Nautilus », outre l’hommage à Verne, met en scène le Lavarède de Paul d’Ivoi et Jean Viaud, vrai nom de Loti, dans des aventures maritimes échevelées comme autant de passages obligés : piraterie, mutinerie, montre marin…

L’écriture ne s’écarte guère du style feuilletonesque en vigueur à l’époque, avec une lassante profusion d’adjectifs et d’adverbes excessifs, que les rebondissements et les incessants retournements de situation assaisonnés d’une bonne dose d’humour font oublier. Certains textes semblent moins travaillés que d’autres, mais au jeu des références propre à l’uchronie steampunk, Victor Fleury fait preuve de suffisamment de finesse et d’inventivité pour offrir à tous la garantie de passer un agréable moment.

La Désobéissante

Bulle travaille pour un journal : elle code les algorithmes qui écriront les articles politiquement corrects. Elle vit avec Ernest, un ingénieur au chômage, sans espoir d’emploi, génial bricoleur qui répare les objets récupérés dans les décharges, activité de restauration illégale qu’il poursuit avec d’autres rêveurs comme Élise et Ethan, lequel porte des bras bioniques. Son jeune frère, activiste sans cervelle amateur de Chaoss, de la techno ultra-hardcore, se fait régulièrement enfermer dans un camp du Front Populaire, lieu de réclusion où finissent les miséreux poussés vers la délinquance, espace sans foi ni loi d’où l’on ne sort pas indemne – quand on sort. Bulle se ruine en pots-de-vin pour le tirer de là. L’annonce de sa grossesse lui fait prendre conscience du monde dans lequel elle vit. Veut-elle donner la vie dans cette société à bout de souffle? ? Ernest y tient, propose la résistance. Un petit groupe qui s’étoffe de nouveaux récupérateurs est prêt à tenter l’aventure utopique, dans les montagnes, en faisant pousser ses propres légumes, communauté ouverte entamant un retour à la terre où s’inventer un avenir.

Voici une dystopie comme on n’en fait plus depuis les années soixante-dix. Il faut reconnaître que Jennifer Murzeau a chargé la mule : les riches vivent sous des dômes aseptisés tandis que le reste de la population asphyxiée par une pollution acide, avale, sous couvert de protection sanitaire, l’Exilnox, une pilule qui s’assure de la docilité des citoyens. L’État emploie malgré tout des robots contre les mécréants, qui doivent être nombreux au vu de la surpopulation des camps du Front Populaire. Comme le chômage concerne soixante-dix pour cent de la population, et que la restauration de ce que la société de consommation rejette est interdit, on se demande si la publicité obligatoire (la refuser est puni d’une amende, comme dans un épisode de la série Black Mirror) qui s’imprime sur la rétine ou s’invite à tout bout de champ dans le paysage trouve encore des clients. Les pauvres sont gratuitement nourris avec une pâte issue de la chimie industrielle. La malbouffe est si répandue que Bulle ignorait qu’il était possible de faire pousser des légumes soi-même : on le voit, l’excès génère sa propre bouillie dystopique.

Tout ce que dénonce l’auteur est exact, mais l’accumulation et la juxtaposition naïves provoquent des incohérences aussi difficiles à avaler que la pilule de docilité. Comment croire, dans un monde automatisé, qu’il existe dans les montagnes des zones que ne surveillent pas les satellites, parce que désertées par les stations de ski victimes de la sécheresse? ? On peut aussi se demander pourquoi, dans ce Paris de 2050, tout se paie en dollars. Les solutions déroulent elles aussi un catalogue de mesures existantes, de la permaculture à la récupération de l’eau de pluie, de recettes récupérées sur web aux décisions collégiales planifiant la vie en communauté, à grand renfort d’éoliennes et de photovoltaïque. Malgré les moments de découragement et les disputes, on a du mal à croire à la réussite d’une telle colonie. Ce sont justement les difficultés imaginées pour donner un semblant de réalisme qui nuisent à la plausibilité, là où un flou artistique aurait été bienvenu.

Le happy end de la conclusion rend le récit encore plus improbable. L’intrigue minimaliste déroule un discours convenu, parfois moralisateur avec certes, une plume volontiers lyrique, qui cisèle ici et là des aphorismes (quelques fautes subsistent cependant). Il n’est pas certain que, malgré la présence de tropes familiers, le lecteur de science-fiction y trouvera son compte. Moins qu’un roman, une fable idéaliste trop simpliste pour convaincre. On se contentera de saluer la démarche incitant à refuser les choix de société actuels, le message restant plus que jamais d’actualité.

L'Opium du ciel

Un drone qui a acquis la conscience survole le monde, il raconte ses souvenirs, il nous parle de ses « parents » archéologues, du monde d’hier, d’aujourd’hui, d’après-demain, du Necronomicon, de Daech, de ces temps anciens où Dieu était une femme, de ce « campement » dans le désert du Proche Orient où (re)vivent des chercheurs iconoclastes et des libres-penseurs comme Jacques Bergier (1912-1978) et Louis Pauwels (1920-1997). Il nous explique pourquoi il s’appelle Jérusalem (aucun rapport avec Transmetropolitan de Warren Ellis, malheureusement).

Jean-Noël Orengo s’est fait connaître avec son premier roman, La Fleur du capital, Prix Sade et Prix de Flore (entre autres), œuvre colossale où il mettait en scène Pattaya (Thaïlande), la capitale mondiale de la prostitution. L’Opium du ciel est une errance, une suite de divagations (parfois érudites, parfois priapiques), au style trop souvent éreintant. Si on frôle le meilleur de la littérature de genre (sans y plonger), on patauge bien davantage dans le pire de la littérature parisienne (l’apparition surréaliste, gratuite, de Philippe Sollers à Venise, un casque Beats sur les oreilles). Il y a du Houellebecq chez Orengo, mais Houellebecq est définitivement meilleur en terme d’intrigue, de dramaturgie, de progression narrative et de mise en scène (de plus, Houellebecq possède un humour à spectre large, du trivial au génial, qu’on retrouve nettement moins chez Orengo). Bien avant la parution de La Fleur du capital, Houellebecq avait écrit et publié Plate-forme, avec le retentissement que l’on sait. L’Opium du ciel, errances, divagations, ne séduit guère, malgré quelques fulgurances (notamment sur H. P. Lovecraft, ce qui, une fois de plus, nous ramène à Houellebecq).

À l’heure où le thème de l’émergence d’une conscience informatique est plus que jamais à la mode, Orengo rate cette cible. Par conséquent, on peut se passer sans mal de ce petit roman. En Bifrosty, on lui préférera (et de loin) les ouvrages de Greg Egan, Ken Liu et Vernor Vinge.

Telluria

C’est une géopolitique « façon puzzle » qu’imagine Vladimir Sorokine avec Telluria… L’auteur de La Glace et de Journée d’un opritchnik (L’Olivier) – des romans témoignant déjà de son goût pour le fantastique et la science-fiction – met en scène dans Telluria un futur proche en lequel l’Eurasie a volé en éclats étatiques. Érodées jusqu’à l’effondrement par le flux et le reflux de vagues extrémistes – les unes djihadistes et wahhabites, les autres néotemplières ou archéosoviétiques –, les nations qui nous sont encore familières ne sont plus dans Telluria que des spectres historiques. La Russie s’est éparpillée en une mosaïque de pays parmi lesquels la Moscovie, la république de la Mer blanche ou bien celle du Baïkal. Ainsi en est-il encore de l’Allemagne et de la France, nations englouties par « le Temps des Troubles » et ayant laissé place à des micro-États tels que la Bavière, la Prusse ou la Normandie… Pour mieux donner à lire cette géographie de l’éclatement, Vladimir Sorokine s’est choisi une forme littéraire elle-même diffractée. Pas d’intrigue linéaire dans les cinquante chapitres que compte l’ouvrage : chacun constitue un récit propre ayant pour protagonistes les dominant.e.s et dominé.e.s de contrées où la démocratie libérale relève, elle aussi, de l’Histoire. Tenant en réalité plus du recueil de nouvelles que du roman, Telluria se distingue encore par sa bigarrure générique et stylistique. Allant du conte traditionnel au dialogue théâtral, de la SF dystopique à la fantasy, de l’introspection psychologique à l’essai philosophique, Telluria explore en tous sens la carte de cette possible et inquiétante Eurasie. D’une audace esthétique certaine, le livre génère toutefois un plaisir narratif d’une intensité variable. L’ellipse – inévitable rançon littéraire d’une construction fragmentaire – atteint parfois un degré tel que le récit en devient alors quasi-abscons. Et ce encore plus lorsque l’écriture de Vladimir Sorokine se fait plus poétique que romanesque. Ou quand l’auteur agrège des références littéraires russe et soviétique peu évocatrices pour qui ne les maîtrise pas. Soit autant de partis-pris risquant, le temps de quelques pages, de laisser de côté amateurs et amatrices de narration enlevée. Avant-gardiste quant à sa forme, Telluria l’est en revanche moins quant à la vision anthropologique qu’il déploie. Au-delà de leurs différences spatiales, sociales ou génétiques – l’auteur imagine des humains zoomorphes, lilliputiens ou géants –, les mille et un personnages de Telluria s’unissent en un même besoin de transcendance. Les un.e.s se projettent dans un au-delà religieux – on évoquait plus haut les djihadistes et autres néo-croisés – ou idéologique : le socialisme de Telluria est d’essence millénariste. Les autres échappent à leur condition terrestre grâce à l’action chimique du tellure. Fiché dans le crâne sous la forme d’un clou – l’opération n’est pas sans risques… –, ce métal génère chez ses adeptes d'addictives altérations de la conscience. Cette affirmation par Telluria que « le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas » l’inscrit donc dans une SF plus conservatrice que progressiste. Pour peu que l’on soit d’accord avec pareil point de vue (ou que l’on s’en accommode) et que l’on passe outre quelques baisses de régime narratives, l’on goûtera sans doute la lecture de Telluria.

Étoiles sans issue

[Critique commune à Ce qui relie et Étoiles sans issue.]

Si l’on considère que la parution d’un nouveau roman de Laurent Genefort est toujours une bonne nouvelle, on peut en conclure que la parution de deux nouveaux romans de Laurent Genefort le même mois – lequel ne compte pourtant que vingt-huit jours – est une invitation aux effusions les plus débridées. Surtout quand l’un comme l’autre relèvent du space opera, genre dans lequel l’auteur excelle.

D’un côté, nous avons Étoiles sans issue, deuxième titre de la nouvelle collection de SF des éditions Scrinéo s’adressant plus volontiers aux young adults, qui met en scène une course-poursuite interplanétaire sur fond de coup d’État. De l’autre, Ce qui relie, premier tome de la trilogie baptisée « Spire », qui narre les mésaventures d’un duo d’aventuriers tentant de monter leur propre compagnie de transports galactique.

Proches sur la forme, en particulier dans leur façon d’enchainer les scènes d’action inventives et rythmées, les deux romans s’avèrent plus différents sur le fond qu’il n’y paraît à première vue, notamment en raison des héros qui les animent. Palestel, le héros d’Étoiles sans issue, se trouve plongé au cœur d’une intrigue qui le dépasse absolument. Dans une société divisée en castes et strictement hiérarchisée, il se trouve au plus bas de l’échelle sociale. Mais lorsque le souverain de l’acumen est victime d’un attentat, il va bien malgré lui focaliser l’attention de toutes les factions qui s’affrontent pour s’emparer du pouvoir et se trouver bringuebalé d’un monde à l’autre sans jamais avoir la moindre prise sur les événements qu’il subit. À l’inverse, Lenoor et Hummel, les héros de « Spire », prennent dès les premières pages du récit leur destin en main lorsqu’ils décident de ne plus se laisser exploiter par leur actuel employeur pour créer leur propre compagnie de transport interplanétaire. Ce qui relie raconte les premières années de leur opération et les nombreuses embûches qui jalonnent leur parcours.

La nature radicalement différente du comportement de ces personnages impacte fortement la dynamique de ces deux œuvres. Étoiles sans issue est un roman très linéaire, dans lequel se succèdent les tentatives de meurtre ou de capture de Palestel? ; Ce qui relie ne cesse de prendre des détours inattendus, passant de l’exploration planétaire aux manigances économiques, du space opera au thriller corporate. Une impression renforcée par sa construction aux allures de fix-up. À la lecture, on pense beaucoup à Robert Heinlein et à ces aventuriers entrepreneurs qui furent les héros de quelques-uns des plus beaux moments de son « Histoire du Futur ». Plus généralement, ce roman se nourrit de nombre de classiques du genre, et leur rend hommage à travers divers clins d’œil plus ou moins appuyés.

De son côté, Étoiles sans issue propose quelques idées intéressantes qu’il peine à développer de manière satisfaisante. Ainsi, la société qu’il imagine ne constitue jamais autre chose qu’une toile de fond au récit. Belake, la femme lancée aux trousses de Palestel, affiche d’emblée un pedigree prometteur et singulier dans un tel univers, mais se révèle au final on ne peut plus monolithique. Quant à la relation qui unit Palestel au clone de son ex-femme, l’un des éléments centraux de l’intrigue, la distance qui sépare les deux personnages ne permet pas à l’auteur de la développer de manière pleinement satisfaisante.

Qu’on ne s’y trompe pas : Étoiles sans issue est un bon roman, rythmé et efficace. Mais au petit jeu des comparaisons, il ne tient pas la distance face à Ce qui relie, lequel s’affirme in fine comme l’un des plus réussis et des plus attachants de son auteur.

Ce qui relie

[Critique commune à Ce qui relie et Étoiles sans issue.]

Si l’on considère que la parution d’un nouveau roman de Laurent Genefort est toujours une bonne nouvelle, on peut en conclure que la parution de deux nouveaux romans de Laurent Genefort le même mois – lequel ne compte pourtant que vingt-huit jours – est une invitation aux effusions les plus débridées. Surtout quand l’un comme l’autre relèvent du space opera, genre dans lequel l’auteur excelle.

D’un côté, nous avons Étoiles sans issue, deuxième titre de la nouvelle collection de SF des éditions Scrinéo s’adressant plus volontiers aux young adults, qui met en scène une course-poursuite interplanétaire sur fond de coup d’État. De l’autre, Ce qui relie, premier tome de la trilogie baptisée « Spire », qui narre les mésaventures d’un duo d’aventuriers tentant de monter leur propre compagnie de transports galactique.

Proches sur la forme, en particulier dans leur façon d’enchainer les scènes d’action inventives et rythmées, les deux romans s’avèrent plus différents sur le fond qu’il n’y paraît à première vue, notamment en raison des héros qui les animent. Palestel, le héros d’Étoiles sans issue, se trouve plongé au cœur d’une intrigue qui le dépasse absolument. Dans une société divisée en castes et strictement hiérarchisée, il se trouve au plus bas de l’échelle sociale. Mais lorsque le souverain de l’acumen est victime d’un attentat, il va bien malgré lui focaliser l’attention de toutes les factions qui s’affrontent pour s’emparer du pouvoir et se trouver bringuebalé d’un monde à l’autre sans jamais avoir la moindre prise sur les événements qu’il subit. À l’inverse, Lenoor et Hummel, les héros de « Spire », prennent dès les premières pages du récit leur destin en main lorsqu’ils décident de ne plus se laisser exploiter par leur actuel employeur pour créer leur propre compagnie de transport interplanétaire. Ce qui relie raconte les premières années de leur opération et les nombreuses embûches qui jalonnent leur parcours.

La nature radicalement différente du comportement de ces personnages impacte fortement la dynamique de ces deux œuvres. Étoiles sans issue est un roman très linéaire, dans lequel se succèdent les tentatives de meurtre ou de capture de Palestel? ; Ce qui relie ne cesse de prendre des détours inattendus, passant de l’exploration planétaire aux manigances économiques, du space opera au thriller corporate. Une impression renforcée par sa construction aux allures de fix-up. À la lecture, on pense beaucoup à Robert Heinlein et à ces aventuriers entrepreneurs qui furent les héros de quelques-uns des plus beaux moments de son « Histoire du Futur ». Plus généralement, ce roman se nourrit de nombre de classiques du genre, et leur rend hommage à travers divers clins d’œil plus ou moins appuyés.

De son côté, Étoiles sans issue propose quelques idées intéressantes qu’il peine à développer de manière satisfaisante. Ainsi, la société qu’il imagine ne constitue jamais autre chose qu’une toile de fond au récit. Belake, la femme lancée aux trousses de Palestel, affiche d’emblée un pedigree prometteur et singulier dans un tel univers, mais se révèle au final on ne peut plus monolithique. Quant à la relation qui unit Palestel au clone de son ex-femme, l’un des éléments centraux de l’intrigue, la distance qui sépare les deux personnages ne permet pas à l’auteur de la développer de manière pleinement satisfaisante.

Qu’on ne s’y trompe pas : Étoiles sans issue est un bon roman, rythmé et efficace. Mais au petit jeu des comparaisons, il ne tient pas la distance face à Ce qui relie, lequel s’affirme in fine comme l’un des plus réussis et des plus attachants de son auteur.

À la rescousse

[Critique commune à L'Empereur de l'espace et À la rescousse.]

Plus de soixante-quinze ans après sa création, presque quarante ans après son adaptation en anime, il est enfin possible de lire en français dans le texte les aventures du capitaine Flam Futur, du moins pour l’instant les deux premières d’entre elles. Il était temps, on a failli s’impatienter…

Si son adaptation japonaise a marqué toute une génération de téléspectateurs, le capitaine Flam Futur a connu une vie éditoriale somme toute assez brève, de 1940 à 1946, avant de faire une courte réapparition au tout début des années 50, le temps de quelques nouvelles. Néanmoins, durant cette période, ce sont pas moins de vingt romans qui paraîtront, dans son propre magazine puis dans les pages de Startling Stories, la plupart écrits par Edmond Hamilton.

En France, on ne mesure sans doute pas assez l’importance de cet auteur, dont seule une petite partie de l’œuvre a été traduite, et notamment le rôle crucial qu’il a joué dans le développement du space opera aux États-Unis. On pourra s’en faire une petite idée en observant son évolution depuis Hors de l’Univers (1929), roman frénétique frôlant l’hystérie et empilant des scènes d’action de plus en plus spectaculaires, jusqu’aux Rois des Étoiles (1949), qui s’amuse de tous ces stéréotypes qu’il a participé à mettre en place, et enfin et surtout Les Loups des Étoiles (1967-68), œuvre majeure qui participe à la réinvention du genre, quarante ans après sa naissance.

Les premières aventures du capitaine Flam Futur sont plutôt à ranger dans la première catégorie, à la fois dans la manière dont les péripéties s’enchaînent, dans l’absence de second degré dans le traitement des personnages et dans l’écriture. Edmond Hamilton ne recule devant aucun superlatif lorsqu’il s’agit de décrire son héros, « l’aventurier légendaire aux poings véloces, au sourire ravageur et au savoir illimité » (À la Rescousse, p. 205). Le personnage apparaît comme le produit d’une autre époque, ne serait-ce que par ses origines : orphelin dès son plus jeune âge, après le meurtre de ses parents, il est élevé sur la Lune par ceux qui deviendraient plus tard ses assistants : le robot Grag, l’androïde Otho, et le professeur Simon Wright, un scientifique dont seul le cerveau subsiste, maintenu en vie dans un cube translucide. De nos jours, l’idée qu’un environnement à ce point déshumanisé ait pu donner naissance au plus grand défenseur de l’humanité laisse pour le moins perplexe… On retrouve chez Hamilton comme chez nombre de ses contemporains une foi en la science qui, de fait, constitue l’un des enjeux principaux de ces récits. Car les premiers ennemis du capitaine Flam Futur, ce sont les « criminels qui [désirent] utiliser les bienfaits de la science à de tristes fins (…) qui voudraient pervertir la science pour nourrir leurs sinistres ambitions. » (L’Empereur de l’espace, p.33). Dans ces premières aventures, l’un se fait appeler l’Empereur de l’espace et utilise une technologie inconnue pour faire régresser ses adversaires à un stade primitif de l’évolution? ; l’autre se nomme le Docteur Zarro et demande qu’on lui confie les pleins pouvoirs afin d’empêcher qu’une étoile noire ne détruise le système solaire. Découvrir la véritable identité de ces individus constitue un autre enjeu, plus anecdotique, de ces histoires, qui pour l’occasion empruntent au roman de détection certaines de ses techniques.

On sourit beaucoup à la lecture des aventures du capitaine Flam Futur. D’abord parce qu’Edmond Hamilton propose régulièrement quelques séquences humoristiques, notamment lors des sempiternelles bisbilles opposant Grag à Otho, puis dès le second tome lorsqu’il introduit Ik, le chiot de lune, bestiole ayant la fâcheuse habitude de boulotter tout métal qui lui passe à portée de canines. Mais c’est surtout par sa candeur, sa sincérité jusqu’à l’excès, sa succession de dangers plus mortels les uns que les autres dont nos héros échappent systématiquement indemnes, que ces romans distillent au fil des pages une bonne humeur assez irrésistible. On aura dû attendre soixante-quinze ans, mais ça valait le coup.

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