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L'Exil des mécréants

Dans un futur indéterminé mais ressemblant à notre présent, croire est devenu obligatoire. Dieu, Allah, Yahvé, nul n’échappe désormais aux diktats de leurs zélotes. Et si l’on montre le moindre signe de mécréance, l’internement dans un centre d’inoculation de la foi apparaît comme le seul viatique. Libre penseur et journaliste, Boris a écrit un article trop critique sur le cardinal présidant la France. Réfugié dans la clandestinité, pourchassé par la police, il prend la route de l’exil, direction l’Espagne et plus loin encore vers des terres moins rigoristes pour les athées, rationalistes et autres sceptiques. Il ne se sait pas encore que la hiérarchie catholique lui a collé un tueur aux basques.

Le péril théocratique appartient aux futurs cauchemardesques échafaudés par une science-fiction plus attirée par la dystopie que par les perspectives d’un avenir ouvert à la multiplicité des possibles. Habitué au polar, Tito Topin vient ajouter sa pierre au mausolée d’une humanité jamais en manque d'imagination pour asservir son prochain. Une imagination ayant fait hélas défaut à l’auteur français avec ce roman. L’Exil des mécréants se contente en effet d’enfoncer les portes ouvertes, déroulant un récit poussif, convenu et au final très mauvais. L’anticipation, superficielle tant elle paraît calquée sur le présent, se révèle un prétexte perclus de poncifs pour illustrer une sorte de road novel relâché n’entretenant même pas l’illusion du suspense. L’intrigue, prévisible au possible, tient toute entière sur un extrait de baptême que l’on aurait envie de faire avaler à son auteur tant elle semble animée par un état d’esprit anti-calotin caricatural. Linéaire et sans véritable souffle, elle génère un ennui pesant, à peine tempéré par des rebondissements bâclés dont le dé roulé ne provoque qu’un agacement croissant au fil des pages. Seule la gouaille, un goût prononcé pour le sarcasme vachard, perceptible dans le traitement des personnages, égaie ce roman et écarte la tentation d’un abandon prématuré tout en nourrissant l’espoir que peut-être… Ce qui semble bien maigre au regard des attentes suscitées par l’argument de départ.

Bref, L’exil des mécréants ressuscite le pire de la collection « Ici et maintenant » des défuntes éditions Kesselring, autrement dit une politique-fiction au propos grossier, à l’intérêt limité, alourdie de surcroît par une intrigue plan-plan. Même un épisode de la série Navarro apparaît plus palpitant. C’est dire…

Boudicca

Après un premier roman convaincant, Jean-Laurent Del Socorro nous revient avec un second titre chez ActuSF, dans la jeune collection « Bad Wolf » dédiée à la fantasy. Il y est question cette fois-ci d’un héros celte, célèbre pour avoir résisté à l’envahisseur romain. Non, non, il ne s’agit pas de Vercingétorix, comme on va le voir.

Selon les historiens Tacite et Dion Cassius, Boudicca (ou Boadicée) est une reine brittonique, souveraine du clan des Icènes. Entrée dans la postérité comme l’instigatrice de la grande révolte bretonne de 60-61, qui a vu les colonies romaines de Camulodunum, Londinium et Verulanium entièrement détruites, elle reste pourtant en grande partie un mystère. Les détails concernant son existence demeurent en effet lacunaires, voire contradictoires. Un fait renforcé par l’absence de tradition écrite chez les peuples celtes. Bref, on ne peut compter que sur des sources ennemies, très partielles et partiales, pour tenter de se faire une idée du personnage. Pas le genre d’argument susceptible d’arrêter la fiction, surtout lorsqu’un auteur se décide à investir le sujet.

Difficile de trouver la moindre créature féerique ou le plus infime sortilège dans Boudicca. Fidèle aux recettes déployées dans son précédent roman, Royaume de vent et de colères, Jean-Laurent Del Socorro investit l’Histoire, ou peut-être devrait-on plutôt dire ici la légende, brossant le portrait d’une femme forte et révoltée, résolue à faire valoir ses droits jusqu’à l’obstination, sincère jusque dans ses emportements et ses passions. La Boudicca de l’auteur français doit sans doute plus à la Lavinia de Ursula Le Guin, du moins dans sa démarche de biographie imaginaire, qu’à la trame succincte fournie par les auteurs romains. De sa naissance, correspondant à la victoire de son père contre les Trinovantes (son prénom voulant dire « triomphe » en langue icène), à sa mort auréolée d’incertitude, en passant par sa jeunesse, son éducation par le druide Prydain, ses premiers pas de reine et d’épouse, Jean-Laurent Del Socorro emprunte beaucoup au légendaire celte. En cela, Boudicca se rattache indéniablement à la fantasy – les amateurs s’amuseront d’ailleurs à dresser des parallèles avec le mythe arthurien.

Si la reconstitution ne manque pas de souffle, la documentation ne bridant à aucun moment l’imagination, Boudicca lorgne toutefois davantage du côté de l’intime, délaissant les aspects épiques et guerriers du roman national britannique. Les combats, les massacres et l’éradication des colonies romaines passent ainsi à l’arrière-plan, laissant la part belle à l’humain incarné ici par la reine icène.

Formidable portrait de femme, Boudicca confirme les promesses esquissées par Royaume de vent et de colères, plaçant Jean-Laurent Del Socorro parmi les auteurs français à suivre. De très près.

La Glace et le Sel

Que s’est-il passé à bord du Demeter, durant la traversée qui le ramena des côtes de Bulgarie à celles d’Angleterre, chargé de mystérieuses caisses de terre qui contenaient le comte Dracula? ? Qu’est-il advenu de l’équipage? ? Quelles angoisses ont pu ronger les hommes à bord? ? Et surtout, quel était ce capitaine que les habitants de Whitby retrouvèrent mort, attaché à son gouvernail, lié par un chapelet et une volonté sans appel d’en découdre avec la mort? ?

Pour répondre à toutes ces questions, José Luis Zárate décide de donner un peu plus de voix à cet homme dont on peut lire des extraits du journal de bord dans le Dracula de Bram Stoker. Il dit donc Je, et le quotidien du navire depuis le chargement de la cargaison par des hommes farouches : les bakchichs pour passer les détroits des Dardanelles et du Bosphore? ; le lent voyage depuis les frimas du Pont-Euxin, à travers les bonaces enfiévrées de la Méditerranée, jusqu’aux brouillards pénétrants de la Mer du Nord? ; le passage du temps et l’inexorable altération de chacun, rongé par ce qui lève en la solitude et la promiscuité, paradoxalement indissociables à bord d’un navire. Le roman dit avec subtilité cette altération, et en premier lieu celle que subit la matière du navire, travaillée par les éléments et en premier lieu le sel, présent partout, ce feu qui se délivre des eaux mais aussi de l’homme pour brûler de sa blancheur corrosive. Le sel devient le symbole de ce qui consume le capitaine qui, seul, demeure à bord, toujours seul, jusqu’au bout. Car il se tient droit, conscient de ce qu’il doit incarner, mais rempli de doutes face à son équipage, qu’il désire en secret d’un feu irrésistible, ce même feu qui a semé la mort pour ses anciennes amours qui le hantent… Troublante intimité qui se dessine avec l’Ombre de la cale et annonce l’ultime combat entre l’homme et le monstre.

José Luis Zárate se livre à l’exercice bien connu qui consiste à se glisser dans les interstices d’un récit fameux pour en exploiter les silences, exercice que peu d’écrivains savent faire avec autant de force et d’originalité que lui, affirmons-le d’emblée, tant il a su percevoir avec bonheur les riches latences d’un récit foncièrement polyphonique – celui de Stoker, donc –, sans jamais rester l’esclave de son modèle écrasant. Ainsi, en trois parties qui mêlent des registres d’écriture assez distincts, il nous présente d’abord l’homme, ses passions et sa lente possession par le comte qui lui apparaît sous forme de rat au fil des rêves. La deuxième est une reprise du livre de bord donné par Stoker mais redéployé, adapté avec souplesse au nouveau héros du texte. La troisième narre la délivrance des victimes et du capitaine lui-même. Le tout servi par un style poétique et précis qui nous berce d’hallucinations comme le fait la houle des mille reflets du soleil.

Vous l’aurez compris, La Glace et le sel est bien plus qu’une aubaine de narration qui se glisse dans le creux d’un chef-d’œuvre : c’est un splendide livre de mer sur notre humaine condition, sur la difficile acceptation de la faim et du désir, sur la vie de la chair, innocente et réconciliée avec soi.

À ranger non loin d’un Conrad. Et propre à nous faire attendre avec impatience la traduction d’autres œuvres de cet auteur mexicain fameux dans son pays.

La Fille aux cheveux rouges

Âgé de quinze ans, Pythagore Luchon vit dans la petite ville morne de Loiret-en-Retz, seul avec sa mère : son père, scientifique de renom et spécialiste de physique quantique, est plongé dans le coma depuis trois ans après un vol à l’arrachée qui a mal tourné. Pythagore entame sa classe de seconde mais rien ne va : il a loupé sa rentrée à cause d’une gastroentérite et pendant son absence, sa meilleure amie, Louise Markarian, s’est entichée d’une « nouvelle », Foresta Erivan, la fille aux cheveux rouges. Finie leur belle complicité : Louise n’en a que pour l’intrigante Foresta qui semble l’entraîner dans une vie plus trépidante que celle qu’on peut espérer à Loiret-en-Retz… Jusqu’au jour où Foresta vient trouver Pythagore pour lui dire que Louise a disparu dans un univers parallèle dont elle-même est issue, univers qu’il est possible de rejoindre grâce à un subtil breuvage tiré d’oranges bleues tout en croisant les reflets de miroirs ou de fenêtres. Pythagore se retrouve alors mêlé à la vie des jeunes gens « de l’autre côté du miroir », des Géographes, dans un monde violent qui menace de s’écrouler dans la guerre…

Voilà plusieurs semaines que l’éditeur tente de construire autour de ce premier tome d’une trilogie intitulée « Le Projet Starpoint » l’aura de mystère censée entourer toute œuvre qui bousculera un peu le lecteur assoupi, plus précisément le « jeune adulte », comme on dit, puisque c’est lui qui est visé. Las, votre serviteur n’est ni l’un, ni l’autre, et il n’a pas senti passer le vent de la flèche qui aurait pu venir le frapper. Il est plutôt resté mollement fiché dans son fauteuil, se demandant s’il est nécessaire d’imposer à de vieux adolescents les souvenirs mornes des malaises de l’âge ingrat. Heureusement (?) qu’on ne s’en tient pas à cela et qu’en contrepoint, on trouve aussi dans ce roman le premier amour, le premier baiser, le groupe de rock-metal, le gentil punk à chiens, les substances doucement illicites, l’interro d’éco qu’on n’a pas eu le temps de réviser, le grand benêt de fils de bourgeois, arrogant et auréolé de ses succès auprès des filles, un peu mais pas trop superficielles quand elles sont belles – comme il se doit –, les premières soirées sous les étoiles, les grands un peu bêbêtes et portés sur la bouteille, les adultes empêtrés dans leur solitude, et surtout l’ado lambda, en la personne de Pythagore Luchon, coincé, par un nom dont on ne sait quoi penser, entre le mythe et la médiocrité, le héros et le mec moyen, un univers trépidant et un autre qui se refuse plus ou moins à lui, même si l’aventure, et on n’en doute pas dès le début, passera de l’un à l’autre. D’ailleurs, il n’est question que de passage, initiatique, d’un univers à l’autre, d’un âge à un autre, et d’épreuves tout aussi initiatiques, guerrières pour l’essentiel. Alors on pense à Philip Pullman, bien sûr, et il est même cité en quatrième de couverture. Mais le destin de ce livre sera tout autre : « À la croisée des mondes » fait partie de ces œuvres, comme « Le Seigneur des Anneaux » ou bien encore Watership Down de Richard Adams, qui, toutes écrites qu’elles soient pour un jeune public, entraînent derrière elles tous les âges, du plus tendre au plus affirmé, grâce à leur culture et leur capacité à nous émouvoir, à nous faire bouger. Ici, malgré les sauts incessants d’une réalité à une autre, rien ne bouge, tout est à sa place et c’est bien le problème.

Swastika Night

Les éditions Piranha livrent aujourd’hui un roman publié en 1937 par la Britannique Katharine Burdekin, une œuvre d’anticipation qui essayait d'imaginer ce que serait un monde dans lequel le nazisme aurait vaincu, et donc atteint ses objectifs. Un peu tombé dans l’oubli, il reparaît aujourd’hui dans le contexte de la montée des populismes. Si l’intention est louable, il faut néanmoins au lecteur une bonne dose d’abnégation pour arriver au bout de ce texte.

Sept siècles après la victoire d’Hitler, le Reich nazi et son pendant nippon – composés chacun d’un Heartland et d’immenses territoires soumis – se partagent la Terre. Dans le Reich nazi, le totalitarisme racial a utilisé le temps long pour modeler une société délirante, sorte d’Allemagne médiévale fantasmagorique. Revue de détail. Race : plus de Juifs (tous éliminés, même si Burdekin ne prévoit pas l’Holocauste mais une accumulation de pogroms plus ou moins épidémiques), des peuples étrangers soumis et méprisés, des chrétiens exclus et déclassés. Culture : plus de livres (seulement la Bible d’Hitler et des ouvrages techniques), plus d’Histoire, une population majoritairement analphabète. Politique : un totalitarisme – plus sous-entendu que décrit – d’essence religieuse? ; quatre cercles : les nazis (allemands de base), les chevaliers (noblesse militaire et civile nazie), le Cercle des Dix (une sorte de gouvernement formé des plus éminents chevaliers), Der Führer (successeur d’Hitler comme le pape l’est de Saint-Pierre). Religion : un culte d’Hitler et des Saints, une Bible ad hoc, une germanisation du Führer initial en colosse blond aux yeux bleus qui n’est pas sans rappeler l’occidentalisation de Jésus. Sexe : une domestication des femmes, parquées, soumises, disponibles à merci, destinées à porter des garçons (futurs nazis) que leurs pères récupéreront à dix-huit mois. Le nazi est homme? ; les femmes (et leurs filles qui formeront la génération suivante de reproductrices) ne sont que les matrices qui le fabriquent.

Dans cette Allemagne rieuse arrive Alfred, Anglais en pèlerinage et doux ami d’Hermann, le paysan nazi. À la suite de l’agression par Hermann d’un jeune éphèbe, Alfred rencontre von Hess, le chevalier d’Hermann. Celui-ci lui confie un livre, écrit par l’un de ses ancêtres, qui dit la vérité sur les origines du Reich et déconstruit les mensonges sur l’Histoire, les femmes, Hitler lui-même. Depuis des siècles, les von Hess se transmettent ce livre qui doit préparer une restauration. C’est maintenant à Alfred, anglais autant que rétif à la croyance officielle, de l’emporter car le vieux von Hess n’a plus de fils.

On reconnaîtra à Burdekin des fulgurances. Elle dit la nature totalitaire du régime, la stase mortelle qui suit la dictature réalisée, le culte de la personnalité, la reconstruction de l’Histoire. Elle montre la violence banalisée qu’induit le régime et l’insensibilité qu’il génère, ainsi que le caractère profondément homoérotique de la praxis nazie et le virilisme qui est en l’essence (elle a peut-être même eu connaissance du programme Lebensborn). Elle développe une philosophie anti-holiste de l’accomplissement et enjoint à une pratique raisonnée de la critique. Tout ceci est bel et bon.

Mais quelle purge quand même? ! Plus essai que roman, il ne se passe pas grand-chose dans Swastika Night, et le lecteur lira, avec ennui, des dizaines de pages consécutives de dialogues entre deux ou trois personnages? ; car le texte n’est plus un avertissement (date oblige), et son anticipation est, disons-le, trop excessive pour être vraiment prise au sérieux. Si le thème intéresse, mieux vaut relire Arendt.

La Cité des méduses

Après Fille de l’eau, un premier roman traduit dans vingt-et-une langues et sélectionné aux prix Philip K. Dick et Arthur C. Clarke, Emmi Itäranta nous revient avec La Cité des méduses, paru en Finlande en 2015 et récipiendaire du City of Tampere Literary Award.

La traduction du titre finnois, qui évoque une ville aux ruelles tissées, ne rend pas justice au contenu de ce roman de science-fiction. Les méduses y jouent un rôle anecdotique tandis que des toiles suspendues, tissées, détissées et retissées, reconfigurent en permanence le visage de la ville. Eliana est une de ces tisseuses, vivant et travaillant au palais des Toiles. Son frère, copiste, a rejoint le palais des Mots. Si, de prime abord, le décor paraît enchanteur – tout comme à Venise, des gondoles permettent de se déplacer sur les canaux, les édifices de pierre impressionnent par leur prestance et leur résistance aux assauts du temps, les palais manquent de faste et leurs habitants y vivent d’un dur labeur et dans la frugalité. La cité elle-même a perdu de sa superbe. Enclose dans une île menacée par des inondations de plus en plus fréquentes, ses grèves sont envahies par des algues toxiques et ses méduses aux propriétés thérapeutiques se retrouvent décimées par une étrange maladie. La société est une théocratie où l’on révère la Fileuse, un arachnide géant présent bien avant l’arrivée de l’homme. Dirigée par un Conseil tout aussi puissant qu’invisible, elle s’organise en castes et métiers pour que chacun trouve sa place et y reste. La police, redoutable d’efficacité, chasse sans scrupules les Songeurs, ces hommes et femmes capables de rêver. Dangereux car porteurs de la contagieuse peste onirique, ils sont envoyés au palais des Impurs et condamnés aux travaux forcés. Eliana dissimule sa capacité à rêver tout comme elle cache son éducation passée. Lecture et écriture sont réservées aux sages et aux puissants. Le savoir et sa diffusion font l’objet d’un contrôle strict du Conseil. Cette double transgression pourrait l’envoyer en enfer. L’arrivée de Valeria au palais des Toiles, après l’accident qui a coûté la vie à ses parents et une agression qui l’a définitivement mutilée, bouleverse la vie d’Eliana. Analphabète, Valeria ne dispose d’aucun moyen de communication depuis que ses agresseurs lui ont coupé la langue. Le prénom d’Eliana, tatoué à l’encre invisible sur la paume de la main de Valeria, marque le début d’une amitié qui les conduira à bousculer l’ordre établi de la Cité.

Emmi Itäranta emprunte aux codes de la fantasy pour produire un roman dystopique de bonne facture. Elle distille ses révélations au compte-goutte autour d’un personnage principal réussi. Le rythme, délibérément lent, se prête à l’ambiance onirique et poétique du texte. Il est contrebalancé par une narration au présent qui insuffle énergie et vivacité à un roman qui vaut qu’on s’y arrête.

Une nuit sans étoiles

Commençons l’avertissement de rigueur : si vous n’avez pas encore dévoré le premier tome des « Naufragés du Commonwealth », cessez de lire ces lignes. Par contre, si vous savez comment Slvasta a perdu un de ses bras, continuez l’esprit tranquille…

Bienvenido a échappé au Vide grâce à Nigel Sheldon. Grâce? ? Tout le monde n’est pas d’accord. Car depuis cette fuite, Laura a dû se sacrifier pour sauver leur monde en annihilant les Primiens, espèce détestable et primaire (comme son nom l’indique), occupée seulement à détruire les sociétés et les planètes placées sur son chemin. Comme si cela ne suffisait pas, plus de Vide, plus de pouvoir permettant de lutter efficacement contre les Fallers, ces monstres capables de se transformer en ceux qu’ils dévorent. Et les efforts méritoires, mais pitoyables, du gouvernement (plutôt dictatorial, cela dit en passant? ; Slvasta / Staline, même combat? ?) mis en place par l’ancien soldat devenu héros de la révolution, ne pourront pas longtemps empêcher l’annihilation de cette société humaine par l’envahisseur extraterrestre. Heureusement pour les hommes, un vaisseau du Commonwealth atterrit sur Bienvenido. À son bord, un bébé dont va devoir s’occuper Florian, un jeune Élitiste plutôt paumé. C’est le début d’une longue traque qui occupera une bonne partie de l’ouvrage. Car tout le monde recherche cette jeune enfant. La police du gouvernement, sous le commandement de Chaing : il ne faudrait pas briser l’équilibre difficilement mis en place depuis la révolution? ! Mais aussi les Élitistes, dont tous les espoirs reposent sur cette représentante du Commonwealth. Et enfin, les Fallers, persuadés de son importance capitale et prêts à tout pour utiliser ses connaissances… ou la détruire.

Si L’Abîme au-delà des rêves était une bonne surprise, Une nuit sans étoiles, sans être un accident industriel, voit Peter F. Hamilton retomber dans certains de ses travers. En premier lieu, sa tendance à tirer à la ligne. Son style fluide permet de voir les pages défiler sans déplaisir, mais les 740 pages auraient pu faire une petite cure d’amaigrissement sans desservir le sujet. Ensuite, certains personnages-types de l’auteur font à nouveau leur apparition. Logique et rassurant pour les habitués, mais néanmoins décevant, car cela donne parfois l’impression de tourner en boucle.

Des réserves qui ne doivent toutefois pas (trop) inquiéter : Peter F. Hamilton est toujours un excellent conteur. Même s’il cède à certaines facilités (davantage, en tout cas, que dans le premier opus de ce diptyque), il sait sans coup férir accrocher l’intérêt de son lecteur et l’entrainer dans des aventures vertigineuses riches de rebondissements savamment distillés et aux personnages attachants. Espérons que sa nouvelle trilogie, « Salvation », censée abandonner l’univers du Commonwealth et mettre en scène des extraterrestres à la recherche de leurs dieux, lui permette de confirmer la bonne surprise de L’Abîme au-delà des rêves, et de se renouveler réellement.

L'effet domino

Après une incursion remarquée dans le domaine de la SF avec son long, très long, trop long Dominium Mundi, François Baranger, illustrateur et romancier, change de genre et s’attaque au thriller avec L’Effet domino. Un tueur en série assassine de façon horrible à Paris, en 1907 : les cadavres sont atrocement mutilés, les viscères répandus de façon ordonnée, des symboles cabalistiques étranges inscrits tout autour. Or, les victimes sont toutes des proches de célébrités (Camille Saint-Saëns, Claude Monet, Marie Curie). Aussi, le préfet Lépine est-il sur les dents. Et comme l’enquête n’avance pas assez vite, il fait appel, en grand secret, à un inspecteur breton, Philippe Lacinière, connu pour son efficacité, mais, surtout, sa grande droiture. On lui confie aussitôt une équipe réduite et une consigne  : faire vite et discret.

Et c’est parti pour une course poursuite à travers les rues d’un Paris en pleine transformation. L’auteur fait de la capitale du début du siècle un personnage essentiel de son histoire, la décrit avec un plaisir gourmand évident et une certaine finesse – la plus grande réussite de ce récit. À quelques rares exceptions près, on n’est pas devant un catalogue d’exposition ou un guide touristique : cette ville vit, grouille d’habitants, respire, pue, crie, se tait. Elle donne corps à ce duel haletant entre le policier et le meurtrier.

François Baranger, dans L’Effet domino, en dépit de ce que suggère la quatrième de couverture, laisse bien de côté les domaines qui nous sont chers en Bifrosty. En effet, pas une once de fantastique, de weird, dans ce nouveau roman. Mais si l’on n’est pas rebuté par les boyaux et les morceaux de corps, les rebondissements multiples (pas toujours surprenants) et les personnages bien charpentés (mais un brin caricaturaux), alors le tueur aux dominos n’attend plus que vous.

L'Artefact

Mission de sauvetage du VMAL New Haven. Le capitaine Conrad Harris, à la tête de son équipe, pénètre dans l’épave. Rapidement, ils constatent que le vaisseau est devenu un vaste cimetière. Et qu’eux-mêmes risquent d’ajouter leurs cadavres à ceux de l’équipage : les Krells, ces monstres cruels et sans pitié, sont encore dans le navire? ; très vite, ils submergent les humains, les réduisent en pièces. Noir… Et réveil dans la douleur. Pour la 218e fois, celui qu’on surnomme avec respect Lazare sort de son lien avec son « simulant » (ou ce qu’il en reste), double de lui-même plus fort, plus habile, plus performant (un peu comme ces soldats parfaits de la série de John Scalzi, mais en moins verts). Vétéran de l’opération Sim Ops, il n’a pas le temps de profiter de quelques jours de repos bien mérités. Le général Mohammed Cole, officier suprême de l’armée, le convoque et lui confie une mission capitale : pénétrer dans le territoire ennemi pour renouer le contact avec une équipe scientifique envoyée étudier un artefact mystérieux. Car cet objet, issu d’une autre race extraterrestre, disparue celle-ci, semble avoir des effets extraordinaires sur les Krells. Les promesses sont immenses de trouver un moyen de se débarrasser de ces ennemis si envahissants. Mais bien entendu, rien ne va se passer comme prévu. Et les fantômes qui hantent Conrad Harris vont revenir, plus puissants que jamais? !

L’Artefact est le premier tome d’une trilogie annoncée (les dates de publication et les couvertures de la version française sont déjà prévues). Les premières pages claquent avec efficacité et la plongée est immédiate. Le lecteur devient l’un des membres du commando. Il fouille les entrailles du vaisseau avec efficacité au début, fébrilité à la fin. Et cette capacité de l’auteur à faire vivre les affrontements, brutaux, sans pitié, se vérifie à chaque scène de combat. D’ailleurs, comme on peut s’y attendre dans ce type de récit, les rencontres au sommet entre les Krells et les humains se ramassent à la pelle. Amoureux des viscères d’extra-terrestres, des gros guns et des corps bodybuildés, ce roman est fait pour vous.

Mais Jamie Sawyer, pour poser son personnage, n’hésite pas à faire des pauses. Entre autres, au moyen de retours en arrière réguliers. On y voit le jeune capitaine, pas encore accroc aux simulants, tomber amoureux. Découvrir ce programme militaire dont il deviendra le fer de lance. Perdre peu à peu son humanité au profit d’une existence par intérim, faite de massacres et de carnages. Sans céder à des tentations psychologisantes, l’auteur donne ainsi de l'épaisseur à son héros, le rend plus vrai. Comme un drogué, Lazare a de plus en plus de mal à se passer de son simulant. Son véritable corps lui paraît faible, malhabile. Il attend la mission suivante avec impatience et c’est pourquoi il n’hésite pas à se jeter dans les pires des situations. Telle cette poursuite de l’artefact, à la limite du suicidaire.

Si L’Artefact n’évite pas les clichés du genre, il en respecte les codes avec intelligence et se montre agréable à lire. Autre point positif : on n’aura pas à attendre la suite de ce page-turner trop longtemps : elle est prévue pour l’automne. Alors, en rangs par deux, et go? !

Théâtre des dieux

M. Francisco Fabrigas, scientifique, explorateur, a été la première personne à contourner la réalité, à quitter son propre univers et à y revenir vivant. Le problème est qu’il ne fut pas cru, car il déboucha dans un univers si semblable à celui qu’il venait de quitter que tout le monde pensa qu’il n’était pas réellement parti mais s’efforçait de le faire croire. Déclaré traître, condamné à mort, sa seule occasion d’échapper à son sort était de réellement réussir, cette fois, à voyager entre les univers parallèles.

En fait, le livre ne commence pas ainsi, mais plutôt par divers encadrés et textes d’introduction, et notamment la couverture du livre de Volcannon ayant recueilli les mémoires de M. Francisco Fabrigas (la page intérieure rappelle qu’il est interdit « de revendre, louer ou défigurer ce livre au cours d’une manifestation religieuse ou politique »), d’une note du biographe, des extraits de texte accompagnant les illustrations (manquantes), ce qui constitue une bonne mise en bouche, ainsi que d’une dédicace au sweety, la créature monstrueuse qu’on croisera dans les cieux. On trouvera par la suite des encarts publicitaires très XIXe.

Le procès devant la Reine Gargoylas X de Fabrigas, accusé d’hérésie pour avoir pronostiqué l’existence d’univers multiples, rappelle le procès de Galilée, et peut-être aussi Christophe Colomb, son galion spatial se nommant le Vangelis, dont tout le monde sait qu’il a signé la musique de 1492, le film. Pour sa seconde expédition, il traque un pilote d’exception, le Nécronaute – que le commandant Descharge rêve de pendre pour quelques précédents méfaits. Bien d’autres personnages composent l’équipage, comme le bosco Jacob Quickhatch ou le médecin Shatterhands. On signale que se trouve à bord un espion de la Reine. Il faut ajouter le serviteur et ami invisible de Fabrigas, Carrofax, et Miss Maria Fritzacopple, une botaniste rescapée d’un vaisseau attaqué par les pirates. Il y a en outre des passagers clandestins : Lenore, une petite fille verte aveugle dotée d’un odorat phénoménal, et Roberto, un garçon sourd-muet que nombre de factions convoitent, car il serait un routeur, un ordinateur humain dont le cerveau redistribue de grandes quantités d’informations, bref un fichier sensible qui détiendrait la clé de l’univers. Fabrigas promet d’amener tout ce petit monde au commencement des temps. Mais déjà, des assassins, comme Von Furstenberg, Klaus Bugle ou Penny Dreadful (respectivement une créatrice de mode, un peintre futuriste et une revue d’horreur, voire une série TV, au choix) sont sur la piste des enfants, engagés par l’Homme bien habillé, lequel intrigue avec un moine issu d’un autre univers, représentant le sombre Calligulus, créateur d’empires et destructeur de mondes. Il ira jusqu’à manipuler le pape guerrier pour engager avec sa flotte des Neuf Églises une croisade contre l’équipage réfugié dans la ville de Diemendääs…

On l’aura compris, les rebondissements les plus improbables émaillent ce roman foisonnant, picaresque, débridé, qui enchaîne les situations sans faiblir – enchaîner étant un grand mot tant les apartés, digressions et éparpillements font de ce récit un patchwork psychédélique, l’auteur intervenant parfois pour regretter cet état de fait imputable, selon lui, à la narration décousue que lui a faite le principal protagoniste. Quand l’intrigue devient par trop gracabre (gris et macabre, donc), il est permis de se reporter à la page de calme 669 (avec des chatons), pour se rassurer. L’intrigue, passablement incohérente, se structure progressivement? ; on y relève des allusions à la cosmologie et à la mécanique quantique, un gage de sérieux amenant un final métaphysique.

Le tout est truffé de références et d’allusions qu’il appartient au lecteur de déceler, les notes ayant été reléguées dans un autre univers, hommages à la science-fiction et aux maîtres du non sense, aux comics, aux récits d’aventures, et à tout ce qui peut passer par la tête de l’auteur, de James Bond à la contre-culture rock et même Rabelais. On pense à Douglas Adams, Terry Pratchett ou encore aux Monthy Python – Matt Suddain, journaliste néo-zélandais, habite Londres : il y a là, enfin, une cohérence… L’homoncule qui ne goûte guère cet humour passera son chemin. Les autres feront de cet OVNI littéraire une œuvre culte au même titre que H2G2, le guide du voyageur galactique ou Sacré Graal.

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