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La Fille qui navigua autour de Féérie dans un navire construit de ses propres mains

« Il était une fois une fille appelée Septembre qui en avait vraiment assez de la maison de ses parents, où chaque jour elle lavait les mêmes tasses à thé rose et jaune et les mêmes saucières assorties, dormait sur les mêmes coussins brodés, jouait avec le même petit chien affable. »

Et voilà Septembre emportée hors de son ennuyeux Nebraska natal par le Vent Vert, sur le dos d’un léopard volant, jusqu’en Féérie. Elle va y vivre des aventures extraordinaires, se lier d’amitié avec un vouivre-bibliothèque au savoir encyclopédique (qui n’englobe que tout ce qui va des lettres A à L) ainsi qu’un djinn à la perception du temps globale, sans oublier d’accomplir une mission pour une Marquise retorse devenue reine de Féérie après avoir évincé la précédente souveraine… et, au cours de ses péripéties, effectivement construire un navire et naviguer autour de ce monde étrange non dénué de périls… De cette quête initiatique, Septembre sortira grandie, à défaut d’indemne.

Les premières lignes du roman ne trompent pas : il s’agit bien d’un conte, à destination d’un jeune public. Si l’ambition de la Marquise est d’aseptiser Féérie, La Fille qui navigua… n’a rien d’une lecture vaine. C’est là une aventure picaresque des plus charmantes, mais pas rose pour autant, où le merveilleux se teinte de dangers, peuplée d’un bestiaire empruntant tant aux mythes traditionnels qu’au monde moderne, et se déroulant dans un univers intelligemment bâti, riche en trouvailles. Inventif, original, très joliment écrit : le roman de Catherynne M. Valente évoque des œuvres fondatrices telles que le « cycle d’Oz » de L. Frank Baum ou « Narnia » de C.S. Lewis, avec un soupçon de Lewis Carroll, mais possède son propre ton.

En dépit d’une œuvre respectable (une quinzaine de romans, aussi bien pour la jeunesse que pour les plus grands, et plus de soixante-dix nouvelles) récompensée par plusieurs prix, Catherynne M. Valente est très peu traduite en France : le présent roman, et Immortel, paru dans la collection « Eclipse » de Panini Books avant que celle-ci se consacre quasi essentiellement aux zombies. La Fille qui navigua…, couronné par le Prix Andre Norton 2010 et le Locus du meilleur roman jeunesse 2012, compte ainsi quatre suites – la dernière en date venant juste de paraître outre-Atlantique au moment de la sortie du présent Bifrost. Qu’elles ne parviennent pas sous nos contrées serait vraiment regrettable…

Extinction

Un Internet qui s’effondre et tout disparaît…

Tout commence à l’approche de fêtes de Noël : des fêtes sous de tristes auspices, avec un climat de tensions grandissantes entre les USA et la Chine. Alors qu’une tempête de neige se dirige vers New York, Internet cesse soudain d’y fonctionner et entraîne dans sa panne bon nombre d’infrastructures : électricité, eau… L’île de Manhattan se retrouve bientôt coupée du monde, mais les rumeurs les plus inquiétantes y parviennent : cet effondrement du réseau serait une attaque terroriste en provenance d’Iran, de Russie ou de Chine, allez savoir. Dans l’immeuble où habite Mike Mitchell, ingénieur et jeune père de famille, la survie s’organise tant bien que mal, alors que les espoirs d’une reprise s’amenuisent.

Page-turner plutôt efficace, Extinction est cependant plombé par quelques défauts : des clichés à la pelle, des personnages monolithiques, un narrateur indécrottablement falot, un début mollasson, et un titre français à côté de la plaque (non, il n’est nullement question d’extinction de la race humaine). Le titre original, Cyberstorm, annonce bien mieux les enjeux, situés tant dans le monde réel que dans la sphère virtuelle. Ce faisant, ce roman-catastrophe interroge notre dépendance à la technologie, la tentation du survivalisme et la foi à apporter (ou non) aux apparences dans un monde où le virtuel supplée le réel.

Les apparences, justement. Elles sont au cœur d’Atopia Chronicles, tout premier roman de Mather : une véritable incursion dans la hard science, sous la forme d’un fix-up centré autour d’une île artificielle et de la thématique de la réalité augmentée. Un roman, bien plus solide que le présent Extinction, qu’on espère vite voir traduit en français.

Ce livre est plein d'araignées

En 2007, Jason Pargin, rédacteur en chef du site humoristique cracked.com, faisait paraître sous le pseudonyme de David Wong un premier roman, John meurt à la fin, évoquant un Ghosbusters sous un prisme lovecraftien passé à la moulinette d’un humour très potache. Alléchant sur le papier, mais moins à la lecture : trop long, mal (ou pas) édité, John meurt à la fin finit par lasser.

Ce livre est plein d’araignées prend place un an après les événements narrés dans John meurt à la fin. De toute évidence, John est toujours vivant et David Wong, l’auteur-narrateur, travaille toujours au vidéoclub de la ville de [Confidentiel]. Il suit une psychothérapie depuis qu’il a tiré à l’arbalète sur un livreur de pizzas, et tente de vivre heureux avec Amy, sa copine manchote. Mais les choses dérapent très vite lorsque David est attaqué par une araignée monstrueuse. Problème : elle est invisible aux yeux de tous – sauf ceux qui, comme David ou John, ont goûté à la Sauce Soja, substance non-identifiée et absolument non-identifiable, procurant des pouvoirs de vision à qui en ingère. Un officier de police arrive, et se retrouve pris sous le contrôle de la bestiole affreuse. C’est déjà passablement le bazar, mais le chaos augmente d’un cran lorsque ce sont des myriades d’araignées (toujours invisibles) qui débarquent depuis une faille dans la maison de David et se hâtent de transformer tout le monde en zombie (grosso modo). Une zone de quarantaine est décrétée, avec [Confidentiel] pour épicentre. Si John et Amy parviennent à en sortir, ce n’est pas le cas de David. Ses amis (enfin, Amy plus que John) vont tout faire pour l’en sortir. Et si possible sauver le monde. Car il se pourrait bien que ces araignées ne soient qu’un épiphénomène au regard d’une menace plus grande encore…

Si vous adoré John meurt à la fin, vous risquez fort d’adorer Ce livre est plein d’araignées pour les mêmes raisons. Si vous avez détesté John meurt à la fin, vous risquez fort de détester Ce livre est plein d’araignées pour les mêmes raisons – encore que ce deuxième tome s’avère supérieur en qualité au premier. Humour crétin, très souvent au ras de la ceinture, punchlines régulières, histoire délirante : le cocktail ne change guère. Toutefois, Wong mène mieux sa barque et le récit tient à peu près la distance, en dépit d’un ventre mou et d’une longueur demeurant excessive (les blagues les plus courtes restent les meilleures), avec des personnages ayant acquis de la substance. Ce que le roman gagne d’un côté en romanesque, il le perd quelque peu en inventivité et délire, et les tentatives de « sonner cool » paraissent parfois un tantinet forcées.

David Wong demeure cependant un auteur loin d’être dépourvu de potentiel. Ne reste plus qu’à espérer que Futuristic Violence & Fancy Suits, son troisième roman, inédit en français, sans lien avec John meurt… et Ce livre…, soit d’un calibre supérieur à celui des deux premiers.

Crux

Ramez Naam reprend l’intrigue là où il l’avait laissée dans le très remarqué Nexus. Dans ce premier tome, seules quelques personnes s’étaient augmentées pour atteindre au posthumanisme ; dans Crux, le phénomène se généralise. Et cela ne va pas sans poser quelques soucis : un attentat contre le président des États-Unis, via une personne soumise par le biais de Nexus, échoue de peu grâce à l’intervention de Kade, l’inventeur de la drogue. Il réussit à contrecarrer le plan des terroristes via la porte dérobée développée dans Nexus, que seuls lui et ses amis développeurs connaissent et maîtrisent. C’est le point de départ d’une évolution importante de la société, dont certains courants de pensée vont prendre de l’ampleur suite aux événements : il y a ceux qui pensent que le Nexus représente un réel danger, car il permet des moyens de coercition inconnus jusque-là ; il y a les terroristes, prêts à promouvoir la nouvelle drogue par la force ; et il y a tous ceux qui voient en Nexus un formidable moyen de faire accéder l’espèce humaine à un autre stade de son évolution, voire de redéfinir la notion même d’espèce humaine. Le roman se conçoit alors comme un déploiement global de ces théories, qui vont s’affronter par le biais des personnages croisés dans le premier opus : Kade, mais aussi Sam, qui veille désormais sur des enfants Nexus, Martin Holtzmann, de l’ERD, l’agence qui combat le Nexus, même si Holtzmann est à titre personnel en train d’évoluer, ou encore Su-Yong Shu, la scientifique chinoise, désormais sans enveloppe corporelle si ce n’est les circuits d’un ordinateur… L’un des reproches qu’on avait pu faire au premier tome était lié au fait que Naam ne donnait guère la parole aux détracteurs du posthumanisme, ce qui aurait permis une confrontation d’idées plus enrichissante. C’est toujours le cas ici : Naam est un ardent défenseur de l’évolution de l’Homme, son roman en est entièrement imprégné, même s’il montre que la plus belle des inventions, placée dans des mains malveillantes (ou inconscientes, comme Shiva Prasad, personnage ambigu d’une grande richesse), peut donner des résultats atroces.

Crux adopte la même forme que Nexus : celle d’un thriller sans réel temps mort, très visuel et dont les révélations sont savamment distillées, et qui aborde en outre des problématiques environnementales. En somme un vrai page-turner – il n’en fallait pas moins, car le roman pèse tout de même ses 630 pages, que Naam aurait sans doute pu condenser sans que cela représente une perte pour le lecteur. Le principal écueil de Crux tient sans doute au fait que, dans ce récit, Naam fait évoluer son intrigue sur une échelle plus globale, privilégiant l’aspect narratif par rapport au développement des avancées technologiques. Nexus avait ceci de fascinant que Naam nous présentait ces évolutions de manière assez précise tout au long du roman sans nuire au rythme de son histoire. Dans Crux, finalement, la technologie n’évolue plus : une fois les principes de la porte dérobée dévoilés, il utilise celle-ci de manière quasi systématique pour déployer son intrigue jusqu’au bout. La littérature de SF est autant une littérature d’images que d’idées, et ces dernières sont clairement reléguées au second plan dans Crux. S’il se révèle diablement efficace, ce deuxième tome reste donc un ton en dessous du premier. Mais quelques indices (à commencer par la prise de conscience de Kade quant aux dangers relatifs à l’utilisation de la drogue qu’il a inventée) laissent à penser que l’on pourrait assister à un retour des idées au premier plan dans Apex, le dernier tome de la trilogie, sorti l’an dernier aux États-Unis.

Les Compagnons du Foudre

Avec Les Compagnons du Foudre, les éditions Ad Astra nous proposent de découvrir un nouvel auteur, Denis Hamon, qu’on imagine sans mal nourri de tout un pan populaire de la SF. Jugez en plutôt : alors que la Terre se remet très lentement d’un conflit planétaire dramatique qui l’a totalement ravagée, la plongeant dans une brume perpétuelle, l’équipage du Foudre, un vaisseau de contrebandiers, voit un jour une jeune femme littéralement tomber des cieux pour atterrir sur le pont et endommager le bâtiment. Muette et apparemment amnésique, cette dernière n’est pas en mesure de donner des indications sur son identité ni sur les raisons de sa chute. L’équipage – un vieux briscard bourru, un pilote parlant un langage démodé depuis plusieurs siècles, deux jumeaux blagueurs et une jeune fille mécanicienne – l’adopte et se met en tête de l’aider dans sa quête d’identité. Il faudra aussi composer avec les Taromanciens, cette dictature qui s’est emparée de la Terre et prône un régime des plus strict basé sur les cartes du Tarot. Des Taromanciens qui ont visiblement grand intérêt à récupérer la jeune amnésique…

Ce roman, publié dans la collection « Ad-Ventures », y a toute sa place. Et ce dès les premières pages, avec la description de cet équipage haut en couleurs où les personnages sont archétypaux au point d’en porter des noms signifiants : le vieux à qui on ne la fait pas s’appelle Sagace, le pilote Le Borgne… Il s’agit bien évidemment pour certains de surnoms, mais jamais on ne connaîtra leur nom réel, car cela n’a aucune espèce d’importance : chacun est défini par une fonction plus que par une identité (d’où un contraste évident avec la quête de la jeune femme échouée sur le vaisseau). On pourra d’ailleurs s’amuser à raccrocher cet aréopage à toute une ribambelle d’équipages mythiques de vaisseaux spatiaux ; pour ma part, j’ai pensé à l’équipage du Serenity, dans la série Firefly créée par Joss Whedon, mais on ne peut naturellement pas faire l’économie non plus de Han Solo – et de tant d’autres… L’utilisation de ces archétypes permet à Hamon de se concentrer sur l’essence même de son roman : l’aventure, dictée par un rythme qui ne faiblit pas, riche en poursuites spatiales ou combats au corps à corps, sans oublier la dose d’humour qui va bien. Peu de surprises ici, l’auteur s’inscrit dans la droite ligne de la SF populaire qu’il représente fièrement ; on se trouve de fait en territoire pour le moins balisé, mais Denis Hamon s’acquitte de sa tâche avec une sincérité et une conviction qui portent et font de ces Compagnons du Foudre un roman éminemment sympathique.

Le Choix

Cela faisait bien longtemps que le nom de Paul J. McAuley n’était apparu sur le titre d’un livre publié par chez nous (la dernière fois, c’était pour La Guerre tranquille, premier tome d’une série que Bragelonne avait arrêtée, faute de ventes suffisantes). C’est donc avec plaisir qu’on retrouve l’auteur britannique, même s’il ne s’agit ici « que » d’une novella, sise dans la toute nouvelle collection « Une heure-lumière » du Bélial’, texte au passage couronné par le prix Sturgeon 2012.

La Terre est la proie d’une importante montée des eaux ayant totalement remodelé le paysage, doublée d’une élévation des températures. Lucas, qui vit seul avec sa mère, ancienne écologiste radicale désormais gravement malade, subsiste de petits boulots lui rapportant à peine de quoi éviter que sa microcellule familiale ne sombre totalement. Damien, son meilleur ami, a pour sa part hérité d’un père plus fortuné (il est éleveur de crevettes), mais violent. Les deux adolescents habitent un Norfolk plus ou moins sous les eaux, et guettent toute nouveauté à même d’apporter un peu d’aventure dans leur quotidien. Aussi, quand ils apprennent qu’un dragon – un artefact extraterrestre – s’est échoué à proximité, ils décident de se rendre sur place…

McAuley n’a besoin que de quelques pages en ouverture de son récit pour nous présenter de manière crédible ce futur, où la Terre a été bouleversée tour à tour par la catastrophe écologique et l’arrivée des extraterrestres. Les deux événements ont une grande importance, mais force est de constater qu’au quotidien, les préoccupations de Lucas sont davantage tournées vers ses problèmes de subsistance dans un monde devenu pour partie hostile que vers les rapports que la Terre entretient avec les aliens. Néanmoins, l’irruption de ce dragon va lui rappeler qu’au-delà des contingences matérielles, l’inconnu exercera toujours son pouvoir de fascination, d’autant plus que la présence alien a généré la propagation d’un certain nombre de légendes urbaines. Outre cet émerveillement, qui sait si le dragon n’est pas aussi le présage, dans l’existence des deux amis, d’un changement souhaité de tous les instants ? Lucas et Damian incarnent ainsi un Tom Sawyer et un Huckleberry Finn des temps modernes, heureux de partir à l’aventure pour oublier leur routine morose. Mais leur rencontre avec l’artefact ne se déroulera pas comme prévu, ramenant les adolescents à des considérations moins insouciantes, et fera office de déclencheur du passage à l’âge adulte. Dit passage déterminé à travers un certain nombre de choix, sans savoir si ces derniers nous emmèneront sur le bon chemin ou, au contraire, sur une voie sans issue. McAuley, dont on connaît l’attachement à la nature humaine, brosse ainsi avec une grande finesse, et sans jamais verser dans le pathos, le portrait d’hommes et de femmes piégés entre leur quotidien affligeant et des rêves de changement inaccessibles. Œuvre intelligente et subtile, Le Choix réussit l’exploit de proposer en quatre-vingt pages une très belle et complexe histoire humaine, tout en abordant quelques thématiques de SF classique, comme la catastrophe écologique (après tout, Paul J. McAuley est britannique) et le premier contact extraterrestre. Un très beau texte.

Dans les espaces déjantés

Sous ce titre contestable – on n’est pas chez Lefferty – se trouvent rassemblés trois romans de Louis Thirion mettant en scène son premier héros récurrent : le commodore Jord Maogan, personnages qui fera six apparitions. Il s’agit ici des meilleurs de la série, à savoir Les Stols, Ysée-A et Sterga la Noire.

Quand Louis Thirion entre au Fleuve Noir, en 1968 avec Les Stols, il a déjà quelques publications derrière lui, dont l’inclassable (et laffertyen, pour le coup), Les Résidences de Psycartown, chez Eric Losfeld. Mais il est incontestable que c’est au Fleuve qu’il va trouver voie et voix, le ton reconnaissable entre tous qui sera le sien plus de vingt années durant et l’imposera à la fois comme auteur culte et maître du space opera à la française. Une carrière au Fleuve qui compte deux périodes. De 1968 à 1974, d’abord, durant laquelle il publie huit livres, avec Maogan pour héros des six premiers. S’ensuit une éclipse de six années. La seconde, de 1980 à 1991, compte treize romans – pour beaucoup des time opera davantage teintés par l’humour et l’ironie, et dont Gerd Enez Sanders sera le héros de plusieurs volumes.

C’est donc avec Les Stols que l’on fait connaissance avec le commodore Jord Maogan, personnage qui, à l’instar de nombre de héros du Fleuve Noir, est un militaire. Mais un militaire atypique. Un militaire qui ne cesse de fuir, non qu’il soit lâche, mais parce que c’est la meilleure solution. C’est aussi un militaire qui ne gagne pas à la fin, enfin, pas toujours – mais ça, c’est à vous de le découvrir… En 2009, la troisième guerre nucléaire oppose Américains et Soviétiques dans l’espace tandis que soudain, sur Terre, une étrange épidémie se répand, transformant les humains en boules de mousse verte vides d’esprit mais toujours vivants. Dans le même temps, Jord Maogan et son équipage sont capturés par un croiseur intergalactique qui les emporte sur Stol IV, dernière planète habitable d’une lointaine galaxie à l’agonie pour y rencontrer les Stols du titre… On voit le genre, et on se régale !

Ysée-A (paru en 1970) constitue la quatrième aventure de Jord Maogan, la dernière dont il sera le personnage principal. C’est le roman de la série où la vision proprement cosmique de Thirion éclate avec le maximum d’envergure. On y découvre la race des Tulgs, qui ont déjà connu quarante printemps universels : l’univers battant comme un cœur, alternant phase d’expansion et de contraction. Leur race et son fabuleux empire ont été anéantis par l’énigmatique GLORVD. Orvuz, le dernier monde qu’ils possédaient, est détruit à son tour. Oen-Vur se lance alors dans un fantastique voyage de cinq cents milliards de parsecs pour rejoindre sa compagne, Ysée-A, qui a préparé un refuge sur Gmour où ils passeront, endormis, la prochaine phase de contraction universelle… La rencontre avec les humains, et surtout Jord Maogan, prendra très vite, elle aussi, des enjeux cosmiques.

Conté à la première personne par Stephan Drill, qui occupe le devant de la scène, Sterga la Noire (1971) est le meilleur roman de la série. La Sterga du titre est une lointaine planète industrielle que la société McDevitt exploite jusqu’à l’os. Or, des problèmes sont apparus dans ce secteur lointain où Maogan a disparu. La McDevitt a attaqué Aldenor à plusieurs reprises, une planète où vivent les hommes-chats et les femmes-chattes, dont la civilisation est pour l’essentiel psychique et non matérialiste. Si les séides de la McDevitt ont été repoussés, le prix payé par les aldernoriens est écrasant. Stephan Dill devra découvrir qui il est réellement avant de mettre fin aux visées impérialistes de Sterga… Le roman, qui recèle de très beaux passages oniriques, est bien évidemment une charge sans concession contre les méfaits d’un capitalisme sans âme et mortifère. Thirion s’y fait le chantre d’une société plus écologique – quarante-cinq ans après sa parution, Sterga la Noire semble de la plus brûlante actualité.

Roland C. Wagner analyse enfin, dans son article repris en postface, toute l’influence et l’importance de Louis Thirion sur la SF populaire des années 70, examinant les raisons qui ont fait de lui un auteur culte. S’il est aisé de se procurer d’occasion les romans en question, il n’en faut pas moins louer les efforts d’un éditeur courageux – Critic, en l’espèce – qui donne là l’occasion d’en parler et d’inviter un nouveau public à découvrir et lire Thirion : son œuvre en vaut la peine.

Le Mur de Planck t1

Des atomes pensants, capables de se métamorphoser en n’importe quel être vivant, châtiant les mauvaises actions en plongeant leurs auteurs dans un état de prostration perpétuelle. Une invasion planétaire invisible, une stratégie de pacification de l’humanité conduite comme une offensive, contre la méchanceté et l’instinct de prédation, contre la pensée déviante, et bientôt contre l’inconscient, les rêves, les émotions trop vives. Partout, des populations frappées d’hébétude, réduites à l’état d’inoffensifs zombies. Mais aussi une traversée de la galaxie et du temps, une exploration des dimensions parallèles. Et puis ces insectes extraterrestres belliqueux, ces robots, ces monstres géants évoquant un genre de SF apocalyptique appartenant à la préhistoire, qui s’affichent en désaveu de la prémisse high-tech et comme aveu du va-et-vient incessant que Christophe Carpentier cultive entre passé et présent, résidus de mythologie et fragments de modernité. Certes, Le Mur de Planck bouffe à tous les râteliers, c’est sans doute sa raison d’être : comédie d’anticipation tantôt métaphysique, tantôt potache, recyclant aussi bien l’esprit du polar, les revues de vulgarisation scientifique, les fondations de la SF (Frankenstein dépassé par sa création…), les séries télé à la mode et le cinéma bis, ce livre tranche avec le reste de la production hexagonale, tels certains opus d’un certain M. G. Dantec.

Aussi insidieux mais plus cruels et plus caustiques que les profanateurs de Jack Finney, les envahisseurs de Christophe Carpentier, autrement nommés « particules baryoniques », semblent d’abord n’avoir d’autre but que de prendre en otage le destin des êtres qui les ont créés et de neutraliser parmi eux le maximum de nuisibles, présidents russe et syrien en tête… Entreprise de nettoyage du plus haut comique (même le président d’Amazon y passe), justice immanente vengeresse, foutoir dans les familles, bordel monstre partout dans la société, irréalisme libérateur. Tout le livre est une histoire de frontières : limites à ne pas franchir ou au contraire à dépasser pour les protagonistes, mixage de genres différents et d’aspirations contradictoires pour l’auteur, qui campe sur son monde un point de vue d’ado, espérant toujours qu’une force supérieure – petits hommes verts aux yeux globuleux ou intelligences angéliques – viendra modifier le cours mortel de la condition humaine (cette vieillerie).

Malgré la densité du livre et l’ampleur des thèmes brassés, Le Mur de Planck – à l’inverse proportion de ce que son titre annonce – ne se livre à aucune révélation, aucune extrapolation sur l’origine de l’univers, Carpentier affirmant la suprématie du questionnement et du romanesque sur la découverte d’une hypothétique cause non causée. L’emphase (parfois boursouflée) de la prose, l’inaction érigée en principe actif et une intrigue en roue libre (je ne résiste pas à citer ce passage p. 556 qui vaut profession de foi : « Disons que j’improvise, mon vieux, j’improvise au mieux, et je dois dire que ce n’est pas évident. ») suffisent à installer la singularité de l’auteur. Lequel bosse également à démonter les fantasmes foireux de notre civilisation hyper connectée, son goût du voyeurisme, de la vitesse et du bruit où tout acte, toute parole authentique est désormais impossible à cerner, son besoin d’ennemi mondial et de catastrophes pour se peupler l’imaginaire. Mais en bousillant, de manière ironique, l’espoir d’un outre-monde qui nous sortirait de notre microcosme vicié, Carpentier oblige tout le monde à ne puiser qu’en soi-même. Ce qui est bien plus difficile.

Critique de la suite, Le Temps imaginaire.

Ysabel

Les Marriner, père et fils, Canadiens bon teint (câlisse !), séjournent à Aix-en-Provence. Photographe professionnel, Edward tire le portrait des lieux pendant que son fils, Ned, tue le temps entre deux prises en faisant son jogging ou en approfondissant sa connaissance du pays. Pour son bonheur, la région fourmille de monuments anciens à découvrir, histoire de finir moins bête. Pour son malheur, il se découvre un talent pour sentir les événements passés. Alors qu’il visite la cathédrale d’Aix en compagnie d’une jeune touriste américaine rencontrée sur place, il assiste à une scène inquiétante qui l’interpelle (tabarnak !). Progressivement, de spectateur, il devient l’acteur d’un drame trouvant son origine dans l’Antiquité, autour des colonisations grecque et romaine. De quoi meubler la monotonie des vacances…

Entamons cette chronique par une précaution oratoire. Que les fans de Guy Gavriel Kay rengainent leurs armes, ce qui va suivre risque fort de leur déplaire. En dépit d’un prix (World Fantasy Award en 2008) et d’une ribambelle de critiques élogieuses outre-Atlantique, Ysabel se révèle, hélas, un roman poussif et médiocre n’offrant guère de surprises. L’auteur canadien délaye sur près de cinq cents pages une intrigue qui aurait pu tenir sur une centaine, contraignant le chroniqueur à sauter des passages entiers pour éviter de s’assoupir.

Avec Ysabel, Guy Gavriel Kay renoue avec la Provence, région qui avait déjà servi de décor pour La Chanson d’Arbonne. Délaissant la fantasy historique, sous-genre dans lequel il s’est taillé une solide réputation, il opte ici pour un récit contemporain saupoudré d’une touche de fantastique. À bien des égards, le roman s’apparente à une déclaration d’amour pour les environs d’Aix-en-Provence. Les Baux, Arles, Fontaine-de-Vaucluse, la Montagne Sainte-Victoire, l’oppidum d’Entremont servent de toile de fond à un récit puisant ses ressorts dans les mythes celtes. Hélas, on est bien loin de l’ampleur et de l’émotion des Lions d’Al-Rassan ou de Tigane. L’intrigue pointe même aux abonnés absents, se contentant d’un minimum où les références à l’Histoire se trouvent réduites à une notule digne de figurer dans un guide pour touristes pressés. À vrai dire, on s’ennuie beaucoup du rythme paresseux du récit et de sa légèreté dépourvue de toute tension dramatique. Et ne parlons même pas des échanges dont les lourdes saillies ne contribuent qu’à engluer les situations dans une impression de dilettantisme, voire de je-m’en-foutisme. Quant au personnage principal, le jeune Ned, son caractère falot et ses atermoiements agaçants plombent le récit, contribuant à donner l’impression de lire un roman d’apprentissage en pantoufles.

Bref, avec cette histoire de triangle amoureux mâtinée de magie celtique, Guy Gavriel Kay réussit le tour de force d’être complètement transparent (et ne parlons pas de la traduction…). À fuir pour ne pas être dégoûté de l’auteur.

Le Poids du cœur

Profitant de la réédition de Des Larmes sous la pluie, les excellentes éditions Métailié nous gratifient d’une suite intitulée Le Poids du cœur. L’occasion de retrouver le personnage de Bruna Husky, détective désabusé et réplicant obsédé par sa date de péremption. L’occasion aussi de s’immerger à nouveau dans le futur imaginé par l’auteure espagnole.

Le XXIIe siècle de Rosa Montero n’est finalement pas si éloigné de notre époque. Migrations massives, pollution de l’air, dégradation de l’écosystème, ségrégation spatiale et sociale, libéral-capitalisme poussé jusqu’à son terme logique, autrement dit une prédation ajustée aux besoins de l’utilitarisme, et bien d’autres maux dont nous connaissons les prémisses sont ici vécus comme l’ordre naturel des choses. Seules échappatoires à ce meilleur des mondes, des utopies inquiétantes, délocalisées dans l’espace, et des marges en proie à une guerre impitoyable dont les autorités s’emploient à taire les manifestations anxiogènes. On est bien loin des visions radieuses de la SF de l’âge d’or, plutôt dans un futur inspiré des cyberpunks. De retour d’une Zone Zéro, Bruna se trouve nantie d’une injonction à se faire suivre médicalement par un tripoteur, sous peine de se voir retirer sa licence de détective. Et comme si cela ne suffisait pas, elle doit s’occuper d’une fillette gravement irradiée qu’elle a prise sous sa protection. Pas de quoi contribuer à sa tranquillité d’esprit, d’autant plus qu’elle continue à égrainer le compte à rebours des jours qui lui restent à vivre. Pour se changer les idées, elle accepte d’enquêter sur la mort suspecte d’un capitaine d’industrie. Trafics, secrets d’État ne tardent pas à resurgir…

Le Poids du cœur montre, s’il est encore utile de le faire, que la dystopie est le roman noir de l’avenir. Sur ce point, Rosa Montero acquitte sa dette au genre policier avec talent. À l’instar du détective de roman noir, Bruna Husky se révèle un individu paradoxal, partagé entre son empathie pour autrui et un cynisme implacable dicté par sa condition de techno-humain à l’obsolescence programmée. D’aucuns pourraient reprocher l’aspect fleur bleue de sa personnalité, prompte à fondre devant un homme. Le personnage n’en demeure pas moins le point fort d’un roman qui ne manque pas d’autres atouts. Parmi lesquels on relèvera la crédibilité du décor. Montero ne se contente pas en effet du minimum. Elle imagine un futur cohérent qui, s’il emprunte beaucoup de ses éléments à notre époque, n’en demeure pas moins fouillé jusque dans son évolution historique et ses spéculations, ne cachant rien de l’impact des technosciences sur le quotidien, l’organisation sociale et les rapports humains.

Bref, Le Poids du cœur se révèle un retour gagnant, même s’il ne bénéficie plus de l’attrait de la nouveauté. Il va sans dire qu’on attend un troisième épisode des aventures de Bruna Husky.

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