Connexion

Actualités

Trop semblable à l’éclair

Après une période de troubles ayant failli entraîner sa disparition, l’humanité a opté pour un changement de paradigme aussi brutal que radical. États-nations et religions ont été ainsi remplacés par une oligarchie composée de sept Ruches qui dirigent le monde, redessinant la société à la lumière de la philosophie du XVIIIe siècle. Sept Ruches pour les gouverner tous, et peut-être sept Ruches pour les lier tous… Parce qu’il a commis un crime effroyable, Mycroft Canner a été condamné à une forme d’esclavage. Instrument du pouvoir des Sept, mais aussi principal souffre-douleur de leurs éminences grises, il est chargé d’enquêter sur le vol et la falsification d’une liste de noms dont l’ordre importe beaucoup dans l’équilibre du pouvoir. Et, comme si cela ne suffisait pas, le voilà bombardé protecteur d’un enfant capable de donner vie à l’inanimé et apte à ressusciter les défunts…

Ne tergiversons pas. Trop semblable à l’éclair fait partie des nouveautés très attendues qui doivent paraître à l’occasion du festival des Utopiales (où l’autrice sera présente). Ce fait est sans doute le résultat d’une légitime curiosité titillée par les louanges d’une blogosphère portée à ébullition, par une critique élogieuse et quelques récompenses, notamment le prix Compton Crook et un Campbell Astounding Award. Bref, avec la parution du premier opus de la tétralogie «  Terre Ignota », le Bélial’ fait le pari de l’audace, de l’exigence et de la sidération. Dès les premiers chapitres, le lecteur se retrouve en effet immergé dans un futur où le meilleur des mondes possibles, issu du creuset de la philosophie des Lumières, a abouti à l’émergence d’une utopie aussi étrangère à nos yeux que pourrait paraître notre présent à un homme ayant vécu à la Renaissance. Ada Palmer n’a cependant pas oublié les leçons d’Ursula Le Guin, pour laquelle toute utopie recèle une part d’ambiguïté. Dans ce futur ultra-connecté, unis par un réseau centralisé de voitures volantes, où chaque individu est tracé, où le genre est considéré comme un archaïsme ou un objet de fétichisme, y compris dans la langue, où les religions sont proscrites au profit de directeurs de conscience chargés des questions métaphysiques (les sensayers), où les nations ont cédé la place à des organisations communautaires librement constituées, où les familles ne sont plus fondées sur les liens du sang mais sur les affinités, il y a tout de même quelque chose de pourri, pour paraphraser Shakespeare – qui donne par ailleurs son titre au roman. Et il ne faut guère compter sur le narrateur, Mycroft Canner lui-même, pour contester cette impression. Bien au contraire, il aurait même plutôt tendance, en bon narrateur non fiable, à brouiller les pistes, interpellant régulièrement le lecteur d’une manière très théâtrale afin de susciter adhésion ou réprobation.

À n’en pas douter, Trop semblable à l’éclair est un roman clivant, d’une densité confinant au repoussoir pour les uns, d’une érudition foisonnante et d’une ambition incroyable pour les autres. Le premier volume de la tétralogie «  Terra Ignota » n’est pas en effet un livre facile d’accès. L’autrice ne s’embarrasse pas de didactisme pour livrer au lecteur les clés de son univers. Le roman d’Ada Palmer demande que l’on s’accroche, que l’on persévère afin d’aller au-delà de la linéarité apparente de son double arc narratif. Il demande que l’on s’intéresse à la philosophie et à la pensée des Lumières, sans renoncer à une certaine dose de sense of wonder. Pourvu de l’illustration de couverture originale de Victor Mosquera déployée sur de larges rabats, et d’une interview de l’autrice américaine en guise de postface, Trop semblable à l’éclair se pare au final des vertus d’une science-fiction complexe et stimulante, formant une sorte de diptyque avec Sept Redditions, à paraître en mars prochain au Bélial’. On réserve d’avance notre caddie.

Le Triomphe

Voici déjà le quatrième volet des aventures du Capitaine Futur, le héros des quadras et quinquas, fans de l’anime du studio japonais Toei Animation. Une nouvelle fois traduit par Pierre-Paul Durastanti dans la collection « Pulps » dont il est par ailleurs l’initiateur et l’animateur infatigable, l’ouvrage ne décevra pas les amateurs de rétro-fiction. Rien de neuf en effet sous le soleil des neuf planètes, une fois de plus menacées par un péril insidieux et implacable. Ne lésinons pas sur les superlatifs car ils composent l’ordinaire du sorcier de la science, ce géant roux dont la carrure athlétique n’a d’égale que l’esprit vif et alerte. Meneur né des Futuristes, cette association de héros extraordinaires, à laquelle le gouvernement planétaire fait appel lorsque le désordre se répand parmi les peuples du Système solaire, Curt Newton ne semble animé que par la passion de la connaissance et un sens de la justice surhumain. Cette fois-ci confronté au seigneur de la vie, un mystérieux criminel promettant la jeunesse éternelle aux plus chenus des citoyens, via un élixir aux effets secondaires mortels, il doit prêter une nouvelle fois main forte à la police des planètes, incapable de déjouer la redoutable accoutumance qui se répand dans les neufs mondes. La routine, en somme, dans le plus pur registre du pulp et du comics dont Edmond Hamilton applique les recettes avec cette série née dans les années 1940. L’amateur retrouvera donc la démesure d’une intrigue ne s’embarrassant guère de vraisemblance, lui préférant la patine d’une histoire recyclant des motifs plus anciens, comme ici celui de la fontaine de jouvence. Inutile en effet d’attendre autre chose que le dépaysement suranné d’un space opera trépidant, où une péripétie en chasse une autre, sur fond de ranch saturnien, de forêt de champignons aux spores mortels et de brumes impénétrables hantées par des hommes oiseaux. L’aventure à un saut d’astronef ou de voiture fusée, jalonnée par les saillies d’un humour potache, certes un tantinet répétitif, avec une foi dans le progrès scientifique chevillée au corps. Toute une époque et un état d’esprit différent, celui qui prévalait durant l’âge d’or américain, mais avec une légère touche de nostalgie dont on goûte un aperçu dans la salle des trophées du Capitaine Futur.

Bref, Le Triomphe, quatrième aventure du Capitaine Futur, reste un texte d’une exubérance juvénile, à peine entaché par quelques tournures familières, qui ne cède rien en matière de distraction sans conséquence. Et, ce n’est pas un fan de Starwars qui lui jettera la première pierre.

Le Monde de Satan

Avec la parution du roman Le Prince-Marchand en 2016 (critique in Bifrost 84), les éditions du Bélial’ ont entamé, sous la houlette de Jean-Daniel Brèque, traducteur et maître d’ouvrage pour l’occasion, la publication intégrale des textes ressortissant à « La Ligue polesotechnique », première époque de «  La Civilisation Technique », l’un des cycles majeurs de Poul Anderson. Le temps passant très vite, le quatrième tome est désormais disponible. L’amateur y trouvera une traduction très révisée du roman Le Monde de Satan, et un inédit sous la forme d’une novelette intitulée « L’Étoile-Guide ». Pour qui serait passé au travers des trois précédents volumes, peut-être n’est-il pas inutile de procéder à un bref rappel. Dans le futur, le Commonwealth englobe une multitude de planètes et de colonies habitées par des humains et des extraterrestres, rebaptisés sophontes. Mais la véritable puissance reste l’association des libres marchands, la fameuse Hanse galactique, dont les affaires s’autorégulent dans le respect des principes de l’intérêt bien compris, de la concurrence libre et non faussée, contribuant ainsi à la stabilité de la civilisation technique. Si Le Prince-Marchand avait été l’occasion de découvrir Nicholas van Rijn, le fondateur de la Compagnie Solaire des Épices & Liqueurs, personnage fantasque, jouisseur et roublard au langage fleuri, les tomes suivants nous ont permis, au fil d’aventures périlleuses et un tantinet répétitives, de lier connaissance avec d’autres collaborateurs de la compagnie, en particulier le trio de pionniers marchands formés par David Falkayn, Chee Lan et Adzel. Un aristocrate beau gosse et intelligent, parfait cliché pour belle-mère, une Cynthienne menue et d’apparence faussement adorable, à la langue bien affûtée et au caractère caustique, et enfin un Wodenite, sophonte à l’impressionnante envergure de centaure mâtiné de saurien ne laissant pas deviner sa nature débonnaire et non-violente. Bref, trois mousquetaires au service d’un quatrième tenant plus de Falstaff que de d’Artagnan. Si Le Monde de Satan permet de renouer avec cette complicité, voire cette amitié indéfectible, forgée au fil des missions accomplies pour le compte de van Rijn, le présent roman relève surtout d’un changement dans la continuité. Aucune allusion politique malvenue dans cette assertion, même si le regard de Poul Anderson sur la Ligue polesotechnique se fait progressivement plus désabusé, surtout dans le texte « L’Étoile-Guide ». Certes, les péripéties vécues par van Rijn et consorts ne brillent toujours pas par leur originalité. On reste dans une veine populaire, où l’humour, le rythme soutenu et les stéréotypes confèrent au récit un caractère divertissant indéniable, sans pour autant renoncer complètement à la science, notamment dans des passages flirtant avec une hard SF au didactisme un tantinet agaçant. Quant au changement mentionné plus haut, d’abord sous-jacent, il perce de plus en plus au travers d’Adzel, sans doute le plus sensible à l’égoïsme bien compris de la Ligue polesotechnique, puis de Coya, la petite-fille de van Rijn, au point de briser la belle entente qui prévalait entre les associés dans Le Monde de Satan. Si le roman s’achève en effet sur une note joyeuse, celle-ci est sévèrement tempérée à la lecture de « L’Étoile-Guide ». Le cabotinage du prince-marchand et l’esprit d’entreprise cèdent alors la place à l’amertume et au dégoût.

Mésestimé lors de sa première parution en France, comme en témoigne la critique assassine de Jean-Pierre Andrevon dans Fiction, Le Monde de Satan apparaît pourtant comme l’apogée des aventures de van Rijn, Falkayn, Chee Lan et Adzel. Mais, l’apogée comme l’orgueil précèdent toujours la chute, déjà annoncée par la novelette «L’Étoile-Guide ». En cela, le quatrième tome de «  La Hanse galactique » apparaît comme un ouvrage de transition, entre optimisme et fatalisme, bouffonnerie et drame, John W. Campbell et Paul Valéry. Le laissez-affairisme et la ploutocratie étant désormais au cœur du Commonwealth, les temps sont dorénavant ouverts pour Le Crépuscule de la Hanse, ultime tome du cycle. Ne cachons pas notre impatience.

Horror

Dario Argentio, pour la portion pré-cacochyme du lectorat, c’est d’abord le giallo ; puis Phenomena : Donald Pleasance, Jennifer Connelly, BO par Iron Maiden ; enfin, la Trilogie des Mères, histoire de sorcières étalée sur 30 ans de production et inspirée par le Suspiria de Profundis de De Quincey. Un maître de la lumière succombant trop souvent à son goût immodéré du grotesque. Une œuvre dont la légitimité artistique est de plus en plus régulièrement contestée.

Aujourd’hui, à 77 ans, Argento sort son premier recueil de nouvelles d’horreur, sobrement intitulé Horror. Était-ce bien nécessaire ?

Horror est constitué de six textes de longueurs variables. « Une nuit aux Offices » se déroule dans le musée éponyme. Argento, à la première personne, y fait une visite nocturne de repérage et y est saisi par la violence trop longtemps contenue des fem-mes exposées, d’Artemisia « Holophern » Gentileschi à la Méduse du Caravage – un rappel en abyme de son propre Syndrome de Stendhal. Trop ou trop peu, au choix. « Rouge pourpre à la Biblioteca Angelica » rappelle un peu L’Oiseau au plumage de cristal. Voilà. « Villa Palagonia » entraîne le lecteur sur les traces d’un visiteur peureux de la célèbre Villa palermitaine des Monstres pour une histoire d’adultère, de meurtre et de fantômes. Convenue et prévisible. « Les Oubliettes de Merano » renoue avec l’ambiance de la Trilogie des Mères, quand un enfant citadin est placé chez une étrange nourrice. Peut-être la plus engageante par l’alternance froideur/moiteur qu’elle propose. « Alchimie macabre au château de Gilles », sur Gilles de Rais, les enfants, tout ça… Que peut-on écrire de neuf sur Gilles de Rais ? Une espèce de petit conte peu crédible à la Hansel et Gretel. Enfin, bouquet final, « Les Démons de Singa-pour », resort, terroristes sanguinaires, varans (!) salvateurs. Absolument grotesque.

Par-delà le détail de chaque texte, l’ensemble – écrit en collaboration (jusqu’à quel point ?) avec Pamela Ferlin – est vraiment mauvais. Textes poussifs et ennuyeux, vocabulaire limité ou répétitif (plus lu de « cantilène » que durant toute ma vie), monologues internes naïfs et pénibles, personnages et situations peu crédibles ou atrocement datés. On pourrait juste dire, ce qui serait déjà rédhibitoire, que, non content d’être souvent inférieur à une rédaction de collège, le recueil Horror est sop-horrifique. On ajoutera, pour la route, que décrivant de façon graphique un massacre terroriste sans oser, dans la nouvelle précédente, faire de même avec les nuits de Gilles de Rais, on est ici, en plus, dans de « L’horreur sans estomac ».

L’Empire savant

L’Empire savant est un joli petit fascicule à l’histoire étonnante qui commence comme un scénario de L’Appel de Cthulhu. En 2013, Vincent Haegele prend ses fonctions de directeur des bibliothèques de Compiègne. Faisant une tournée détaillée de son fonds, il découvre un lot coté VDC 130. À l’intérieur des boites, dorment depuis bientôt deux siècles de nombreux manuscrits. Il s’agit de papiers ayant appartenu à Pierre-Marie Desmarest, un révolutionnaire devenu policier politique impérial sous les ordres de Fouché. Poussé vers la sortie en 1814, l’homme participe aux Cent Jours comme « représentant », avant d’être définitivement écarté à la Restauration. Après des années de retraite studieuse, il reprend du service en 1830, puis meurt du choléra en 1832. Années de retraite qu’il passa à écrire ses mémoires – Témoignages historiques – et à composer un roman inachevé dont n’existent que des fragments. C’est L’Empire savant, qui est publié aujourd’hui après mise en ordre stylistique et logique par Haegele, et en dépit des trous qui en mitent, hélas, la narration – comme le dernier message politico-philosophique d’un honnête homme étonnamment clairvoyant.

Début du XIXe siècle. Isidore est un fils de bonne famille, idéaliste et bon, qui rêve d’explorer le centre de l’Afrique, alors encore terra incognita. Il croit au doux commerce de Montesquieu et veut aller en frère à la rencontre des peuples. Dans ce but il embarque, contre l’avis familial, sur un navire à destination de l’Égypte, sa première étape. De là, le récit compte structurellement deux parties, mais d’un point de vue logique, on peut en distinguer quatre.

D’abord un long voyage plein de merveilles, d’imprévus et de tribulations, qui rappelle finalement moins les péripéties de Gulliver que les voyages des Mille et une Nuits que Desmarest avait sans doute lus dans la traduction de Galland. En effet, on y trouve la même combinaison de hasards providentiels, d’emportements des puissants, de risques mortels, d’intrigues de palais, et même d’esclaves énamourées, que dans le texte arabe. Isidore est donc capturé par des Barbaresques et vendu comme esclave. Il enseigne une langue italienne qu’il ne maîtrise pas, fait route à travers le désert avec une caravane dont il devient sans titre l’interprète des songes, est choisi comme favori d’un seigneur qui veut sa science de la poudre à canon, puis réquisitionné par le sultan qui le fait bouffon, avant d’enfin partir vers le centre de l’Afrique en compagnie de Pinda, une esclave originaire de sa destination finale.

Atteignant enfin ses montagnes rêvées, Isidore a d’abord l’impression de plonger en sauvagerie. Puis, aidé par une Pinda qui semble retrouver sa nature première en revenant dans son monde, il fait de la région un Jardin d’Eden, primordial et pur, plein de mille végétaux, bêtes, fruits, plus merveilleux et nourriciers les uns que les autres. Le ton ici est au merveilleux mythologique ; quant à Pinda, en Vendredi personnel du jeune homme, elle se débarrasse des oripeaux de l’esclavage et devient une sorte de Bon sauvage rousseauiste.

Enfin, le couple arrive dans la société et la famille dont Pinda est originaire. Ici, avec la superstition, c’est le patriarcat qui domine, avec mariages polygames et dots obligatoires.

Grand saut dans le texte ensuite car manquent les parties de liaison. Au-delà du pays des griots, Isidore atteint une civilisation très avancée : « la cité des sciences ». Là, dans un monde qui devance de cent coudées le niveau technologique de l’Europe d’alors, il est accueilli par une population paisible qui lui montre ses prodiges scientifiques sans lui en cacher les effets secondaires. Desmarest est ici impressionnant. Il imagine des avancées stupéfiantes, puis en pointe toujours les effets pervers — sagement contrôlés par La cité des sciences. Éducation approfondie pour tous – mais des débats existent sur le contenu d’une « bonne » éducation, et l’auteur entrevoit l’hyperspécialisation à venir des champs de la connaissance. Un « conservatoire des arts » et une île où trouver l’ataraxie mettent à l’écart les inventions devenues problématiques : système de surveillance de masse, publicité, sondages et opinion publique, radiologie, culte du corps, prolongation artificielle de la vie, procréation médicalement assistée.

Isidore finit par retourner à la « simplicité » de la vie européenne, où il peindra les merveilles d’une civilisation étrangère à prendre pour modèle.

Inversant l’ordre de la supériorité technique, Desmarest crée une fable amusante qui montre le caractère contingent de la domination scientifique — comme Jared Diamond, ailleurs. Il livre au lecteur un texte tout inspiré par la pensée des Lumières. Même si certains stéréotypes affleurent, les descriptions de tyrans orientaux empruntent plus aux Mille et une Nuits qu’à Voltaire, et la volonté sous-jacente est clairement bienveillante. Montrant que les rapports de forces auraient pu être inverses, il affirme que la colonisation n’est que contingente, qu’elle n’a pas de fondement naturel, et que donc elle est politiquement critiquable.

Eltonsbrody

1958. La Barbade. Mr Woodsley, peintre, est là quelques jours pour mettre sur toile les paysages enchanteurs de l’île. Hélas, les deux seuls hôtels de Georgetown sont complets. Sur les conseils d’un chauffeur de car, il demande asile à Mrs Scaife, une gentille et respectable vieille dame qui vit avec ses domestiques dans la vaste demeure défraîchie d’Eltonsbrody — le « manoir » local, perché sur Staden Hill.

Les trois premiers jours se passent très bien. Woodsley est accueilli avec une grande générosité par son hôtesse ; la maison, quoiqu’ancienne et un peu défraîchie, est confortable, les repas – préparés par Jack-man, la cuisinière – sont bons, et le peintre profite autant du calme des lieux que de la beauté sauvage du « côté écossais » de l’île, non loin de la ville de Bathsheba.

Mais voici que le soir du quatrième jour, Mrs Scaife vient de façon tout à fait inappropriée demander à Woodsley, dans sa chambre même, si rien ne l’a incommodé ce soir. Woodsley ne sait que répondre, tout va bien, rien n’est inhabituel si ce n’est la visite nocturne de la vieille dame. Il ne sait pas encore que, de là, tout va déraper et devenir de plus en plus étrange, inquiétant et choquant.

Eltonsbrody est un roman « gothique » de Edgar Mittel-holzer. Une grande maison à l’écart, sur une colline dominant des villages de cahutes. Un cimetière non loin, où gît notamment le défunt mari de Mrs Scaife – à la tombe duquel elle voue un culte ; clairement, la veuve vit confite dans le souvenir omniprésent de son cher décédé. Elle est, en revanche, en froid avec son fils Mitchell et sa bru, et n’aime, de sa famille, que son petit-fils Grégory, que Mitchell lui amène de temps en temps. Son seul entourage est constitué de cinq domestiques aux tâches variées, tous Noirs – comme feu Mr Scaife – alors qu’elle-même est Blanche.

À Eltonsbrody, le vent souffle follement. Dans les arbres mais aussi, semble-t-il, à l’intérieur, en courants d’air entêtants. Et il n’y a pas que le vent. Les vieux meubles, les marches d’escalier, les planchers, tout craque. D’étranges odeurs fleurissent. Les ombres jouent des tours aux yeux de Woodsley. Et pourquoi ces trois chambres condamnées à l’étage ? Paranoïa ? Voire. Car plus les jours passent, plus la vieille dame s’avère étrange. Affirmant sans vergogne des choses folles, passant sans cesse de la dignité aimable à la provocation la plus outrancière, elle donne d’elle un spectacle maniaque qui amène à se demander si elle est une folle meurtrière, une folle qui fantasme une malfaisance rêvée, ou une vieille folle qui s’amuse à choquer. Disant toujours trop mais jamais assez, elle se place elle-même dans une posture « cachée en pleine vue » qui rappelle « La Lettre volée » de Poe. Car l’ambiance ici est clairement à Poe, un Poe illustré par Corben.

Au-delà du divertissement, Eltonsbrody est aussi un livre triste sur la malédiction des origines et les inégalités structurelles dans les sociétés coloniales. Derrière la carte postale – nature magnifique, mer traîtresse, couchers de soleil grandioses et poissons grillés –, la réalité est plus sordide. Les pêcheurs pauvres de la Barbade vivent dans de misérables masures. Les champs sont encore de canne à sucre. Les domestiques d’Eltonsbrody – tous Noirs – parlent un créole très basique qui exprime leur absence d’éducation et n’ont que des noms sans Monsieur ni Madame, contrairement à Scaife et Woodsley. Mrs Scaife les aime pourtant, de son surplomb, comme des enfants. Et si feu Mr Scaife était noir, il était médecin et riche, ce qui faisait de son mariage avec la pauvre mais blanche Mrs Scaife un mariage « de haut en bas » et simultanément « de bas en haut » (cf. Bourdieu, Le Bal des célibataires) tant pour l’un que pour l’autre ; double intérêt bien compris qui, pourtant, fit un mariage d’amour. Mais de ce mariage naquit Mitchell, que sa mère n’aima jamais car il avait pris le côté noiraud de son père (comme Mittelholzer lui-même, issu aussi d’un couple mixte et qui en souffrit sa vie durant) et que, cerise sur le gâteau, il épousa une Portugaise créole. Et ici, dans ce malheur de Mitchell qui fait écho à celui de son auteur, c’est à Lovecraft qu’on pense. À la hiérarchie raciale de l’époque, à la vision racialiste d’un monde qui différenciait les droits selon d’obscures divagations biologisantes, et à la peur panique de ce sang impur qu’on ne peut dissimuler si on a la peau sombre. D’où, peut-être, dans Eltonsbrody, la quête folle des os et des squelettes qui devraient prouver que les différences ne sont que superficielles, mais qui est aussi une façon d’éliminer ce qui fâche : la couleur de la peau.

Six mois, trois jours

Après la publication en 2018 de Tous les oiseaux du ciel, premier roman de Charlie Jane Anders, couronné par les prix Nebula et Locus, les éditions J’ai Lu proposent au lectorat francophone un recueil de six nouvelles – dont le texte éponyme audit recueil, lauréat du Prix Hugo catégorie novellette. Doug et Judy ont chacun le don de voir l’avenir. Doug ne perçoit qu’un seul futur tandis que Judy est capable de discerner tous les futurs possibles. Le premier n’a pas le choix et, résigné, subit sa vie. La seconde trie et choisit ce qu’elle va vivre. Ils tombent amoureux, mais savent que leur histoire ne durera que six mois et trois jours. Doug le voit et aucun des avenirs que Judy anticipe ne permet d’éviter la rupture… La narration maîtrisée, le traitement émouvant dénué de pathos, l’exploration subtile des relations entre deux personnages que tout oppose et les questionnements sous jacents sur le libre-arbitre et le déterminisme, font de cette novella le récit de référence du présent recueil. Dans « Notre modèle économique ? Le Paradoxe de Fermi », le ton léger contraste avec le propos glaçant autour d’un premier contact fortuit entre extraterrestres écumant les galaxies et humains décimés par un cataclysme écologique. Charlie Jane Anders choisit d’adopter le point de vue de l’étranger, même si ce dernier cache plutôt un alter ego. « Comme neuf » joue avec un objet emblématique du conte : la lampe magique. Marisol, dramaturge en plein doute existentiel, survit à un cataclysme mondial en se réfugiant dans la panic room du manoir dans lequel elle travaille comme femme de ménage. À sa sortie, elle trouve une bouteille contenant un génie prêt à lui exaucer trois vœux et tente de remettre le monde en état. Un récit qui tient grâce aux digressions autour de l’écriture théâtrale et aux ruses déployées par la narratrice afin d’éviter que ses souhaits ne tournent au désastre. « Intestat » se penche sur le transhumanisme en mode nostalgie et cynisme. Lors d’une réunion de famille dans les bois, chacun se demande quelle partie du corps du patriarche modifié il recevra en héritage à la mort prochaine de ce dernier. Malgré une critique sous-jacente de la guerre économique sans merci autour des innovations techno-biologiques, le texte reste très en surface des thématiques abordées. « Cartographie des morts soudaines » aborde voyage temporel et dystopie. L’Empire entrevu offre peu de perspectives pour les gens du commun – la plupart destinés à vivre et à mourir en esclave, et les portes qui permettent de se déplacer dans le temps ne s’ouvrent qu’au moment de morts brutales et inattendues. Un texte qui semble à l’étroit dans ce format court, et tend à frustrer son lecteur. « Trèfle » met en scène l’histoire d’un couple gay qui reçoit, en guise de porte-bonheur, un chat. Pendant neuf ans, comme convenu, tout leur sourit, mais passé ce délai et l’arrivée d’un autre félin, le vent tourne. La magie a toujours un prix ; cette nouvelle de fantasy urbaine l’illustre doublement.

Même si le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes, Charlie Jane Anders fait preuve d’audace dans le mélange, parfois improbable, des genres et des thématiques – réjouissant à défaut d’être totalement réussi.

La Fureur de la Terre

« Les Dieux sauvages », série prévue initialement en trois tomes, se transforme, au fil des parutions, en pentalogie. Cinq opus seront donc nécessaires pour dénouer tous les fils d’intrigues et offrir un dénouement satisfaisant aux multiples arcs narratifs ouverts dans les premiers tomes. Wer a détruit le monde parce qu’il ne lui convenait pas, jetant l’opprobre sur une femme et par-delà, sur toutes les femmes. Le clergé, puissant, a instauré des normes patriarcales sévères créant une société dans laquelle les femmes n’ont guère de droits. Mériane avait choisi de vivre en paria, dans les zones instables, contaminées par la magie et dangereuses, pour éviter de se plier aux lois des hommes. Devenue malgré elle Héraut d’un dieu auquel elle ne croit pas, qu’elle n’apprécie pas, elle s’efforce de sauver un monde qui ne mérite peut-être pas de l’être. Elle tente donc d’arrêter la marche sur la Rhovelle de l’implacable Ganner, Prophète d’Aska, entité rivale de Wer, et défend la ville de Loered, protégée par huit murailles concentriques. Quatre sont déjà tombées dans le tome précédent (Le Verrou du Fleuve). Le siège se poursuit, et la situation des assiégés empire. Les réserves de nourriture, touchées par la pourriture, promettent une famine et le morbus, maladie mortelle, fait son apparition. Grâce au savoir de Néhyr, survivante de l’empire d’Asrethia à la longévité mystérieuse, Mériane s’approprie une armure issue des troupes ennemies. Ainsi harnachée, elle insuffle aux défenseurs de la ville l’énergie de se défendre, jour après jour, alors même qu’ils ne peuvent vaincre. L’Église, incapable de soutenir Mériane (une femme ne peut être choisie par Dieu pour incarner sa Parole), s’est prudemment mise en retrait. Seul Maragal, chronète attaché à Loered, l’accompagne de bonne grâce, bien décidé à écrire sa légende. En parallèle, le prince Erwel tente d’obtenir de précieux renforts des provinces voisines réticentes pendant que les jeux d’alliances politiques pour la conquête du trône se poursuivent loin du champ de bataille.

Comme dans les tomes précédents, Lionel Davoust multiplie les points de vue. Le lecteur peut ainsi appréhender sous des angles différents les évènements marquants, anticiper les révélations et comprendre, bien avant les personnages, que les dieux n’en sont pas et que la magie n’est en réalité qu’une technologie ancienne et oubliée, que même les enfants d’Aska peinent à maîtriser. La fureur se retrouve des deux côtés de la ligne de front. Mériane se transforme peu à peu en machine de guerre. Elle lutte pour sauver un peuple tout en tentant de ne pas perdre son humanité sous l’emprise d’une armure aspirant son énergie vitale. Idéaliste, elle se refuse pourtant à sacrifier les plus faibles comme Wer le lui conseille. A contrario, Ganner, dénué de ces préventions, se révèle prêt à tout pour atteindre ses objectifs. La maîtrise narrative de Lionel Davoust impressionne et invite à revenir arpenter le monde d’Évanégyre aux côtés de Mériane.

La Fille dans la tour

La Fille dans la tour , deuxième tome d’une trilogie commencée avec L’Ours et le rossignol (critique in Bifrost 94), revisite les contes russes dans un décor médiéval. Il en est sa suite directe. Si vous n’avez pas lu le premier opus, passez d’emblée à la critique suivante.

Après la mort de son père et de sa belle-mère, Vassilissa ne peut revenir dans son village natal où on la croit sorcière. Peu d’alternatives s’offrent à celles qui veulent être libres. Pour les jeunes filles de l’époque, la vie de femme se résume à rejoindre un couvent ou vivre dans le mariage – arrangé le plus souvent – et assurer une descendance à leur époux. Dans les deux cas, elles finissent cloitrées, prisonnières et sans libre-arbitre. Parce qu’elle perçoit la magie, qu’elle parle aux animaux et qu’elle semble liée à Morozko, le puissant et dangereux Roi de l’Hiver, Vassilissa choisit une autre voie. Déguisée en garçon, elle décide de voyager pour découvrir le monde. Elle pense pouvoir vivre libre, même si le prix à payer ne peut être qu’élevé. D’autant qu’une troupe de brigands sillonne la campagne et attaque des villages reculés, enlevant les jeunes filles en ne laissant derrière elle d’autres traces que la fumée des incendies. Le grand-prince Dimitri Ivanovitch, accompagné de Sasha, le frère de Vassilissa entré dans les ordres, se lance à la poursuite de ces pillards. Leur expédition croise la route de celle qui se fait appeler Vassia, diminutif de Vassili tout comme de Vassilissa….

L’Ours et le rossignol narrait la jeunesse de Vassilissa et souffrait d’un manque de rythme dans son premier tiers. La Fille dans la tour déroule son récit sur un laps de temps plus court parsemé de temps forts et la tension, palpable, ne faiblit jamais. Expéditions armées et combats façonnent peu à peu l’évolution de Vassilissa. Naïve, elle n’anticipe pas les pièges de la vie de cour et réagit en fonctions de ses convictions et de son sens de la justice. Si son passage à l’âge adulte signe la fin de ses rêves d’enfant, elle continue pourtant à se bercer d’illusions. Sous une identité masculine, elle peut chevaucher Soloveï, son cheval magique, se battre, gagner le surnom de Vassili le Brave et recevoir les honneurs. Elle n’est cependant qu’une femme dans un monde qui les entrave en permanence, et la réalité se rappellera à elle de la manière la plus brutale qui soit.

Katherine Arden mêle avec aisance personnages historiques, contes et folklore traditionnel, pour composer une Russie fictive aussi enchanteresse que cruelle. Avec La Fille dans la tour, elle signe un roman âpre et émouvant, à la narration parfaitement maîtrisée et propre à faire naître de fortes attentes en ce qui concerne le dernier volet, The Winter of the Witch. Si les deux premiers livres de la « Trilogie d’une nuit d’hiver » peuvent se lire indépendamment, ils restent étroitement liés et s’enrichissent mutuellement. Mieux vaut les aborder dans l’ordre de leur parution.

La transparence selon Irina

Dans la France imaginée par Benjamin Fogel, l’Internet a été remplacé par le Réseau en 2027. Toutes les informations autrefois privées sont alors devenues publiques. Plus d’anonymat en ligne : les données bancaires, juridiques, scolaires, médicales sont ouvertes à tous. La vie de chacun s’étale devant les yeux de tous. Chaque habitant se voit attribuer un coefficient, sorte de note, reflet de son adaptation aux normes de la société. Chacun vit dans un logement « intelligent », économe en énergie. Chacun se voit proposer des partenaires correspondant à son caractère et à ses goûts. Bref, une vie guidée par les machines et le plus grand nombre. Bien entendu, certains répugnent à cette transparence, refusant d’employer dans la vie de tous les jours (la Real Life) le même nom que sur le Réseau. Ce sont les Nonymes, acceptés par la société mais regardés de travers par les Rienacalistes. Ainsi, en dépit de quelques tensions, les choses fonctionnent néanmoins sans accroc notable. Jusqu’a-lors… Car des individus œuvrent pour « li-bérer le peuple de cette tyrannie ». Quitte à recourir à la violence…

Le/la narrateur/narratrice (il/elle n’a pas de genre défini), Camille, est très actif/ve en ligne, suivant Irina, l’une des femmes les plus influentes du Réseau. Cette dernière est présente sur tous les sujets de discussion à la mode, donne un avis argumenté et tranché sur tout et n’hésite pas à détruire ses adversaires. Une personne très clivante et très puissante donc. Mais aussi fort mystérieuse. Or, peu à peu, Camille va vouloir découvrir la véritable personnalité de son modèle. Et cela va la mener très loin, en pleine révolution.

Le thème est indubitablement intéressant : la place des réseaux sociaux dans nos vies, poussée à l’extrême, jusqu’à la transparence ultime, la fin de toute vie privée. Une noble ambition que celle de Benjamin Fogel, en somme : faire réfléchir son lecteur à cet avenir possible, cet envahissement de la sphère privée par le regard des autres, pour le meilleur ou pour le pire. Sauf que l’auteur semble ici avoir hésité entre plusieurs genres littéraires. Récit policier, tout d’abord, avec des morts, des enquêtes plus ou moins officieuses, des mensonges, des trahisons. Bref, tous les codes du roman noir à suspens, mâtiné d’une petite dose de thriller. Mais le rythme est lent, haché, surtout au début, quand Fogel met en place la situation, les personnages et – surtout – le décor. L’utilisation de notes de bas de page, pas excessive mais présente, confère au texte une dimension documentaire. Comme si le romancier tentait de nous en dire le plus possible sans vouloir interrompre son récit, mais sans vouloir non plus abandonner un pan du monde qu’il a construit. Parfois, il a su intégrer ces renseignements à même son récit, parfois il a eu recours à ce procédé des notes un peu maladroit. À cela s’ajoute l’aspect pamphlétaire de La Transparence selon Irina. Rien de manichéen : Fogel propose des arguments validant des thèses opposées, donne le choix. Il ne force pas vraiment la main, mais propose au contraire des réflexions, des pistes pour nourrir un avis personnel. Cependant ces passages, proches de l’essai, lourds de références à certains penseurs (Foucault, Derrida…), participent de ce mélange des genres et obligent le lecteur à la patience et l’indulgence.

Car ce roman mérite de passer outre ces maladresses de construction. Le propos de Benjamin Fogel est suffisamment actuel et réfléchi pour mériter l’effort. D’autant que la dernière partie, bien qu’en germe dès le début du roman, et n’apportant donc pas une surprise phénoménale, est amenée de manière satisfaisante et offre des réponses solides. Reste un texte transgenre (n’est-il pas publié dans une collection réservée aux polars, alors que c’est aussi un récit d’anticipation ?), donc, et en définitive plus que recommandable.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug