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Le Livre des monstres

Beau travail que celui de l’Arbre vengeur, dont les racines exhument régulièrement des pépites tombées dans un oubli plus ou moins profond. Et drôle de vie que celle de Juan Rodolfo Wilcock, écrivain et traducteur argentin, de langue espagnole, donc, qui s’exila en Italie à l’orée des années 50, pour ne plus qu’écrire dans la langue d’Italo Calvino, et qui, comme l’indique la préface, « a réussi l’exploit d’être à la fois ignoré, oublié et incompris. » Faisant suite à une poignée de titres traduits en français, désormais épuisés, le présent ouvrage réparera peut-être cette injustice.

Sous un titre rappelant forcément le Livre des êtres imaginaires de son (ex-)compatriote Jorge Luis Borges, ce Livre des monstres présente une galerie de personnages étranges : ce gérant d’entreprise, embaumé, écoute de la pop depuis son sarcophage en rêvant de petites filles et de maîtresses d’école ; ce menuisier pond des œufs, tout le monde s’interroge sur leur contenu ; ce géomètre s’est transformé en un tas de boue au caractère irascible ; ce quidam est un homme magnifique car couvert de miroirs ; tel autre est brillant, littéralement, puisqu’il luit dans le noir… Et en voici un, plat comme une feuille et bête comme ses pieds. Des monstres, vraiment ?

Wilcock nous expose ainsi cette ribambelle de personnages, dont l’étrangeté ne dissimule pas la profonde humanité — dont la veulerie, la stupidité, l’inconstance, les tics et manies ridicules —, en des textes aussi brefs qu’incisifs. Ce sont les Caractères de la Bruyère passés à une moulinette sans pitié. Drôlement féroces, férocement drôles, ces vignettes font rire. Jaune. Elles renvoient le lecteur à sa condition humaine, à ses manques. Et lorsqu’on referme ce mince volume (mieux vaut le picorer, sous peine de finir atteint de misanthropie aiguë), le miroir trouble en couverture vient nous rappeler que, tous autant que nous sommes, nous pourrions bien compter parmi les monstres de ce livre douloureux et précieux.

Les Compagnons de Roland

En début d’année 2018, le succès d’une campagne de crowdfunding a permis le lancement des « Saisons de l’étrange », projet coédité par les Moutons Électriques et porté par Vivian Amalric, Arthur Plissecamps et Melchior Ascaride (qui en touchait déjà quelques mots dans la rubrique « Paroles d’illustrateur » du précédent numéro de Bifrost). Au programme : une première livraison de six livres — nouveautés comme rééditions — se voulant un « Netflix littéraire orienté pulp et fun ». Les quatre premiers titres sont sortis au printemps, c’est donc l’heure de tirer un bilan provisoire.

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Autre premier roman, Les Compagnons de Roland, signé François Peneaud, nous amène dans la France du printemps 1932. « Joyeuse », l’épée de Charlemagne, a été dérobée : charge à Gabriel Dacié, inventif aventurier aviateur, et ses amis, de remettre la main dessus. Ce faisant, ils vont découvrir une conspiration visant à usurper le pouvoir, vacant suite à l’assassinat du président Doumer. Le roman conjugue pouvoirs psys, quatrième dimension, aéronautique steampunk et homosexualité : des ingrédients intéressants, mais un style médiocre, des dialogues horripilants et des personnages sans intérêt l’empêchent de décoller. Dommage, on aurait aimé aimer.

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En fin de compte, on aurait bien voulu se montrer plus enthousiaste sur le début de ces « Saisons de l’étrange » : deux titres sympathiques, sans plus, deux bien plus faibles. Un bilan mitigé, en somme, mais laissons le temps à la collection de s’installer. La suite devrait voir Paul Féval, Jean-Philippe Depotte et Cédric Ferrand enrichir le jeune catalogue.

115° vers l'épouvante

En début d’année 2018, le succès d’une campagne de crowdfunding a permis le lancement des « Saisons de l’étrange », projet coédité par les Moutons Électriques et porté par Vivian Amalric, Arthur Plissecamps et Melchior Ascaride (qui en touchait déjà quelques mots dans la rubrique « Paroles d’illustrateur » du précédent numéro de Bifrost). Au programme : une première livraison de six livres — nouveautés comme rééditions — se voulant un « Netflix littéraire orienté pulp et fun ». Les quatre premiers titres sont sortis au printemps, c’est donc l’heure de tirer un bilan provisoire.

115° vers l’épouvante, premier roman de Lazare Guillemot, ouvre le bal. Nous voici en 1925, en Cornouailles anglaise : le père Brown est témoin de menaçantes apparitions célestes. Avec l’aide de Billy, un jeune guide local, et de Hareton Ironcastle (sans oublier sa fille et son neveu), le prêtre va se lancer dans une quête afin d’empêcher de dangereux cultistes de mettre la main sur une série d’artefacts qui leur permettraient d’ouvrir un portail pour quelque indicible créature. Se plaçant sous le triple patronage de G.K. Chesterton (le père Brown, prêtre catholique amateur d’énigmes policières), J. H. Rosny aîné (la famille Ironcastle) et H.P. Lovecraft (les tentacules), Guillemot apporte sa touche personnelle au fil d’une aventure allant crescendo — jusqu’à un final qui aurait mérité quelques pages de plus, tant le dénouement paraît précipité. L’ensemble ne casse pas trois tentacules à un Shoggoth… mais pourquoi s’en priver ?

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En fin de compte, on aurait bien voulu se montrer plus enthousiaste sur le début de ces « Saisons de l’étrange » : deux titres sympathiques, sans plus, deux bien plus faibles. Un bilan mitigé, en somme, mais laissons le temps à la collection de s’installer. La suite devrait voir Paul Féval, Jean-Philippe Depotte et Cédric Ferrand enrichir le jeune catalogue.

Les Ferrailleurs du cosmos

Eric Brown fut publié en France une première fois dans l’anthologie périodique Univers chez J’ai Lu en 1989, puis dans un fanzine en 1992. Mais c’est entre 1995 et 1998 qu’il explosa vraiment, proposé au lectorat français par Sylvie Denis et Francis Valéry, alors aux manettes de la revue Cyberdreams et d’une anthologie devenue mythique, Century XXI, chez Encrage, qui faisaient la promotion de la nouvelle SF anglaise. Le point d’orgue en fut la publication d’un recueil d’excellente facture, Odyssées aveugles, toujours chez Cyberdreams, qui, croyait-on, allait définitivement installer Eric Brown au panthéon de la SF traduite. Nous étions donc en 98. Et ensuite ?

Ensuite… plus rien jusqu’en 2011.

On n’essaiera pas de comprendre une telle aventure éditoriale, d’ailleurs inexplicable, on saura simplement louer les éditions du Bélial’ pour avoir exhumé Eric Brown des oubliettes. Ainsi, en 2011, 2012 et 2017 nous furent dévoilées au sein de Bifrost trois nouvelles, qui étaient autant d’épisodes de ce qui constitue Les Ferrailleurs du cosmos. J’avoue qu’à la lecture dans la revue, ces textes ne m’avaient guère laissé de souvenir impérissable, hormis la première d’entre elles, « Exorciser ses fantômes ». Loin de ce que les nouvelles des années 90 avaient suscité, en tout cas. Il faut dire que le présent recueil — ou plutôt roman fix-up, mais nous y reviendrons — tranche fortement avec la SF d’Interzone (cette revue anglaise dans laquelle l’auteur fit ses débuts) : nous sommes ici en pleine aventure spatiale, plutôt light, sympatoche en diable, faisant la part belle à l’action et aux situations invraisemblables. À ce titre, Les Ferrailleurs ont parfaitement leur place au sein de la collection « Pulps » de l’éditeur. À bord du Loin de chez soi, Ed et Karrie parcourent la galaxie à la recherche de bons plans, la plupart du temps des vaisseaux perdus ou abandonnés, qu’ils peuvent ensuite monnayer pour gagner leur vie. Quand soudain débarque dans leur vie Ella, une somptueuse jeune femme qui éveille des choses inattendues chez Ed, vieux célibataire endurci… et le fait qu’il découvre après quelques péripéties qu’Ella n’est rien d’autre qu’une créature synthétique ne change rien à l’affaire. Karrie a beau protester contre cette attirance, qu’elle juge contre-productive pour leur métier, elle devra bien convenir qu’avoir une IA du calibre d’Ella à bord du vaisseau va parfois grandement leur faciliter la vie et les sortir de pièges redoutables…

Les Ferrailleurs du cosmos contient onze nouvelles, parues indépendamment, mais on aurait tort de le qualifier de recueil : si la plupart des textes peuvent se lire seuls, ils narrent une histoire continue, où les relations des personnages évoluent progressivement, où certaines affaires ressurgissent quelques récits plus loin… On parlera donc bien ici de roman fix-up comme la SF sait si bien en générer, notamment à l’époque de l’Âge d’or, auquel rend hommage ce livre. Eric Brown a parfaitement compris les ressorts d’une telle mécanique, qui procure un plaisir de lecture indéniable, plaisir comparable, en fait, à celui qu’on éprouve au visionnage d’une série. On rapprochera notamment ce livre de la série Firefly, pour sa construction psychologique des protagonistes, autour d’un quotidien assez banal malgré le décorum SF. Lire ces textes à la suite participe donc grandement du plaisir, et explique en partie le relatif anonymat éprouvé à la lecture individuelle de trois des récits.

Bien évidemment, tout ceci ne renouvelle en aucune façon le genre, et l’on ne pourra s’empêcher de trouver dommage que Brown nous revienne par le biais d’une série fun alors que sa SF traduite jusque-là semblait plus ambitieuse, mais le genre est ainsi fait, qui oscille entre œuvres exigeantes et pur plaisir de lecture, dualité dont on ne pourra que se réjouir, tant elle apporte de liberté à la science-fiction. On goûtera donc sans rechigner à ces trépidantes aventures des Ferrailleurs du cosmos.

Dans la toile du temps

Adrian Tchaikovsky (ou plutôt Czajkowski à la ville, mais il a dû considérer que Tchaikovski serait plus facilement prononçable) est un nouveau venu en France, mais il a déjà une œuvre d’auteur conséquente derrière lui en anglais : Dans la toile du temps (Children of Time en VO) est en effet son douzième roman, dix des précédents ayant constitué une décalogie de fantasy intitulée «  Shadows of the Apt ». SF de la plus pure eau, parue en 2015, Dans la toile du temps a été couronnée par le prix Arthur C. Clarke.

Alors que l’humanité court à sa perte, ruinant la Terre, une expédition scientifique est sur le point de lancer une expérience inédite : sur une planète tout juste terraformée, devenue une gigantesque forêt, la scientifique Avrana Kern va déposer des singes et un nanovirus. Ce dernier a pour mission de guider les singes dans leur évolution, jusqu’à leur élévation en tant qu’espèce apte à bâtir une société durable sans reproduire les erreurs de leur aînés. Malheureusement pour Avrana, suite à un acte terroriste, seul le nanovirus échoue sur la planète.

Quelques siècles passent, un nouveau vaisseau, le Gilgamesh, apparaît en orbite. À son bord, les représentants de la nouvelle humanité, celle qui s’est reconstruite sur les ruines de notre civilisation et n’a pas tardé à s’enferrer dans les mêmes travers. Avisant la planète verte, l’équipage la juge propice à accepter cette deuxième humanité. Or Kern, transférée dans une intelligence artificielle et restée en surveillance dans un satellite autour de sa création, n’est pas du même avis. Et pour cause : sur la planète, le nanovirus a fait son œuvre… mais pas sur les singes qui n’ont jamais atterri — on l’a dit. Non, les bénéficiaires de l’élévation sont des araignées, dont la société a connu des progrès impressionnants au fil des siècles… et Kern refuse que les humains la corrompent.

Ce gros roman d’environ six cents pages adopte une narration alternée entre les événements qui se produisent à bord du Gilgamesh et l’évolution de la société aranéide, mais avec un écoulement du temps particulièrement lent, car il s’agit bien ici d’une intrigue qui s’étend sur plusieurs millénaires. Ainsi, Holsten Mason, le linguiste du Gilgamesh, va de réveil en cryogénisation, et subit régulièrement les changements, nombreux, qui se produisent sur le navire. Ainsi, Portia, l’araignée qui, à chaque génération, bâtit sur les épaules de ses prédécesseurs, franchissant les uns après les autres les jalons technologiques ou scientifiques… Cette narration par épisodes constitue l’un des intérêts du roman : même s’il peut parfois être frustrant d’abandonner l’intrigue en pleine action —Tchaikovsky sait se montrer cruel envers son lecteur —, elle permet de vraiment prendre conscience du caractère primordial du temps dans le développement des relations humaines ou aranéides. La narration alternée, quant à elle, n’apporte en revanche pas grand-chose, car les scènes ne se répondent pas réellement, et on a plutôt l’impression de lire deux romans enchâssés qu’un seul et unique livre ; Tchaikovsky tisse néanmoins des liens qui trouveront leur aboutissement dans une scène finale homérique.

Dans la toile du temps est également un roman touffu, au sens qu’il brasse pas mal de thématiques classiques en science-fiction, ce que permet de démultiplier le procédé de narration : d’une part la fin de l’humanité et les vaisseaux-arches, d’autre part une société extraterrestre — car, même s’il s’agit d’araignées, l’auteur brode admirablement dessus et nous donne à voir des progrès scientifiques qu’on n’aurait pas imaginés — confrontée à son premier contact. Mais Tchaikovsky y adjoint l’intelligence artificielle au travers du personnage de Kern, et s’empare également des figures divines ou messianiques (Kern et sa relation ambivalente avec sa création, ou encore le commandant du Gilgamesh, Guyen, investi de la mission de sauver l’humanité au risque de se croire seul capable d’y parvenir et de virer mégalomane). Ajoutez-y une touche d’aspect social — le rusé retournement de situation de la place du mâle au sein de la société aranéide —, et vous aurez une petite idée des ingrédients distillés par l’auteur.

Au final, on pourra penser que Tchaikovsky, à trop courir de lièvres à la fois, nous propose un roman parfois un peu boursouflé, et qu’il aurait peut-être été plus avisé de le dégraisser, voire d’en faire deux romans séparés (suggestion d’explication des choix de l’auteur : il a d’abord eu en tête l’idée de la scène finale et s’est échiné à la mettre en œuvre). Mais, en l’état, il n’en demeure pas moins très prenant, astucieux et bien fichu : en somme, une excellente entrée en matière pour découvrir l’œuvre d’Adrian Tchaikovsky.

L'Odyssée d'Amos

Nous voici aux prises avec un planet opera mâtiné d’un zeste de fantasy indispensable au « bon » fonctionnement de l’intrigue. Ataraxia — absence de trouble ; état de tranquillité de l’âme qui définit le bonheur — est un monde créé par François Bournaud, qui en a dessiné les cartes, inventé la faune et la flore assez peu différentes de ce que l’on connait ici, et a déterminé la manière d’y vivre des humains arrivés sur ce monde idyllique mille ans plus tôt… La société des colons terriens, nommés « exo », repose sur sept principes sacrés auxquels chacun doit une stricte obéissance : Solidarité, Connaissance, Parcimonie, Mémoire, Respect, Liberté et Découverte. Certains étant bien sûr antinomiques entre eux sans que cela dérange ni le créateur (Bournaud) ni l’auteur (Maugenest). Le but de ces principes étant de ne laisser aucune empreinte écologique sur Ataraxia — mais on notera qu’il y a toutefois des espèces à protéger car, en fait, tout cela va au-delà d’une empreinte écologique zéro, pour une empreinte négative. « La planète Ataraxia (…) est réputée intangible, inviolable et indivisible. (…) Chaque exo s’engage à la respecter, à la préserver dans son état originel… » (p. 23) C’est-à-dire qu’il est ici question d’une évolution naturelle bloquée ; au temps pour les systèmes écologiques, par nature en perpétuel déséquilibre et fruits d’ajustements constants. Dans ce roman, la monnaie est diabolisée. Or, comme toute invention (le nucléaire, la morphine, le téléphone, l’automobile, etc.), la monnaie peut être utilisée en bien comme en mal, d’autant qu’à l’instar des avions, la morale est à géométrie variable, le bien étant conforme à l’intérêt de celui qui l’édicte. Les Ataraxiens sont des nomades vivant dans le dénuement, mangeant ce qu’ils trouvent sur le chemin. Tigres, scorpions et cobras sont aussi absents de ce monde que la malaria, la grippe ou la diphtérie… et même l’hiver ! Le monde des Bisounours en cosmos… Il n’y a pas d’élevage, les animaux sauvages se prêtant volontiers à la monte et se laissant bouffer au besoin. Il y a de l’agriculture, ce qui implique à la fois la sédentarité et une empreinte écologique non nulle quand bien même serait-elle fondée sur les modèles collectivistes du kibboutz ou du kolkhoze. Il existe sur Ataraxia un ordre supérieur chargé de faire respecter les principes sacrés de la société et de sanctionner les contrevenants, allant jusqu’à bannir ces derniers sur les îlots les plus inhospitaliers de ce monde. Ces « sages », sommet d’une religion laïque de la nature, ont conservé par devers eux l’accès à la très haute technologie spatiale pour maintenir le gros de la population sous leur coupe. Ça rappelle curieusement la tranquillité du Meilleur des mondes, mais les créateurs d’Ataraxia ont une vision en opposition totale à celle d’Huxley.

Amos de Slima est un jeune docte, turbulent mais brillant, censé être élevé au rang de sage. Or, au tout dernier moment, le conseil se ravise et non seulement renonce à sa nomination, mais le déchoit de tous ses titres sans justification ni question quant à ce subit revirement. À la suite de quoi Amos vole une précieuse relique technologique qui lui vaut d’être traqué comme une bête — avant que, au bout du compte, la relique lui soit reprise sans que l’on sache jamais pourquoi il s’en était emparé… Il apprend plus tard que c’était là un piège du conseil pour mettre à l’épreuve son humilité et sa soumission. Par une pirouette de l’auteur, cette manigance sera ultérieurement imputée à Naxès, le grand méchant de cette histoire, qui rêve d’introduire dans ce monde la monnaie, l’économie de marché, le crédit, le salariat… La question étant, bien sûr, de savoir si le vil Amos parviendra à ses fins.

Si la lecture n’est pas désagréable, en dépit de quelques lenteurs, le livre irrite profondément en raison des innombrables contradictions dont il est perclus. Les incohérences foisonnent et mettent notre suspension de l’incrédulité à rude épreuve. Les protagonistes ont la faculté de projeter leur esprit dans le corps d’oiseaux pour voir au loin, et même à travers le temps, brin de fantasy qui arrive là, en pleine SF, comme un cheveu sur la soupe. On ne croit pas à ce monde idéal qui rappelle beaucoup « Marée montante » de Marion Zimmer Bradley. On ne croit pas un instant à cette harmonie avec la gente animale digne du jardin d’Éden qui évoque, au choix, le film Avatar ou Shikasta de Doris Lessing. On ne croit pas à ces gens qui savent tous tout faire : tisserand, forgeron, charpentier naval, agriculteur… On ne croit pas à la navigation hauturière en solitaire sur des coquilles de noix low tech. On ne croit pas que la population vive dans la plus parfaite béatitude sans pouvoir améliorer son sort quand l’idée lui en vient. Bref… on n’y croit pas ! Du tout.

Femmes d'argile et d'osier

Ce n’est pas de la science-fiction, pourtant il s’agit bien d’un voyage vers une planète inconnue : les confins de l’Amazonie au début du xx e siècle sont aussi éloignés de notre réalité que, disons, la Cité Terre du Monde inverti. Un lieu où la rationalité, les savoirs et les certitudes ne servent plus à grand-chose. Avec Femmes d’argile et d’osier, Robert Darvel délaisse Harry Dickson, dont il a prolongé les aventures dans une série de récits fidèles au modèle original (voir le dossier consacré à Jean Ray dans le n° 87 de Bifrost), pour relater un épisode de la vie d’Hiram Bingham, historien et explorateur. Alors qu’il étudiait la culture inca au Pérou, Bingham entendit parler d’une cité perdue dans les environs du Machu Picchu. La quête de ce lieu mythique devint dès lors son idée fixe, et il réussit à convaincre suffisamment de monde pour organiser une expédition.

Un explorateur obsessionnel, des ruines mystérieuses, des fleuves à remonter ou à franchir, une jungle impénétrable, des bêtes sauvages, des autochtones hauts en couleurs, de la magie vaudou ou végétale… On imagine bien quel récit d’aventures exotiques plein d’effets et de rebondissements l’auteur aurait pu tirer de cette histoire vraie. Or, il escamote très vite cet horizon d’attente en quelques séquences où se concentrent découverte du site inca et rencontre des étranges femmes du titre : désintérêt immédiat de Bingham pour les ruines, l’explorateur n’ayant de cesse, dès lors, de chercher l’introuvable, c’est-à-dire un passage magique vers le monde inversé où vivent ces belles poupées golem.

Au fond, Femmes d’argile et d’osier est moins un récit d’aventure qu’un récit sur le désir d’aventure, voire le désir tout court. Et ce désir est toujours un fantasme : une soif de conquête et de domination (le colonialisme pillard des capitaines d’industrie et, à quatre siècles de distance, des conquistadors), ou la projection de rêveries moites (les utopies, ou les appétits charnels, de Bingham). Comme il n’y a pas de désir sans frustration, la rétention du spectaculaire répond ici à l’idée que l’échec est le moteur de la vie, car c’est en n’aboutissant pas que la quête peut sans cesse être relancée.

Si le livre peut paraître bien sérieux dans son refus d’hystériser l’aventure ou de sacrifier à l’infantilisme qu’on reproche parfois à la SFF, il n’en est pas moins merveilleux et même enfantin. Il rappelle que c’est justement le sérieux qui fascine les jeunes lecteurs dans certains récits d’aventure. Chez Stevenson ou chez Verne, ce n’est pas l’enfance qu’on recherche, mais une preuve que les rêves d’exploration peuvent s’accomplir dans la vie adulte. Que tente précisément de raconter Darvel sous les oripeaux du conte sylvestre ? Peut-être que si les pères comme Bingham délaissent parfois femme et enfants, c’est qu’ils ne peuvent cesser de rester eux-mêmes des enfants, d’insatisfaits rêveurs sous leur masque savant et sévère. Le récit se prive à mon sens de développements intéressants en ne faisant qu’évoquer de manière superficielle Alfreda, la femme de Bingham, dont on devine ce qu’elle doit apprendre à accepter : l’incurable immaturité que la position sociale et l’autorité de son époux dissimulent mal, la laissant dans l’attente, entre amour et abandon, entre le foyer déserté de New Haven et les jungles et les femmes chimériques.

De même qu’Alfreda est tragiquement effacée, Bingham, malgré ses qualités de flegme, de pragmatisme et de curiosité, peut paraître terne, et c’est donc dans l’étonnante galerie de seconds rôles qu’il faudra rechercher un peu de charisme ou de grandeur. Comme ses protagonistes, le livre n’est jamais où on l’attend. Tout en retenue dans l’action – parfois, jusqu’à la vacuité –, la forme, en revanche, est d’une constante densité, par le jeu notamment d’un style emphatique, à la limite de la grandiloquence. Ces actes manqués, ces clairs-obscurs narratifs et stylistiques, conjugués à l’absence de dimension politique (alors que comme l’avait bien compris Lucius Shepard, tout est politique en Amérique du sud, y compris la magie), rendent cette histoire attachante difficile à apprivoiser.

La Ballade de Black Tom

Au panthéon des plus fascinantes entités maléfiques de la littérature de genre, le Cthulhu de Lovecraft occupe une place à part. En témoignent les générations successives d’écrivains qui ont consacré tout ou partie de leur travail à lui rendre un culte. À une époque qui place l’originalité comme valeur suprême dans les arts, ce phénomène de continuation ne manque pas d’interpeller. Certains textes récents vont même encore plus loin, où il s’agit moins de continuer que de revisiter, en construisant à partir des briques de base (univers, personnages, créatures) une histoire inédite, mais en y faisant une place aux laissés-pour-compte du corpus original : pour simplifier, les non-wasps et les femmes.

Surfant sur cette vague, Victor LaValle se propose carrément, dans La Ballade de Black Tom, de réviser, c’est-à-dire de réécrire, la nouvelle « Horreur à Red Hook », notamment du point de vue d’un jeune afro-américain. « … Red Hook » est, de l’aveu d’HPL lui-même, un récit assez mineur relevant d’un occulte banal plutôt que de cette horreur cosmique qui a tant fait pour sa popularité. Ce qui le rend notable est le racisme obsessionnel exprimé par l’auteur, dans une langue hallucinée annonçant les dérèglements verbaux des « grands textes » ultérieurs. S’il réutilise les lieux, certains personnages principaux ainsi qu’une partie de la trame du texte souche, le récit de LaValle s’épanouit dans le contre-pied. Outre son refus d’assumer la méchanceté et la cruauté ouvertement malsaine du texte de Lovecraft, il l’inscrit sans ambiguïté dans le mythe de Cthulhu. C’est donc l’histoire de Tommy Tester, jeune croque-note de Harlem dans l’Amérique des Roaring twenties. Époque d’effervescence économique et culturelle, marquée aussi par une terrible ségrégation qui met sur la touche des pans entiers de populations noires ou immigrées. Tommy louvoie dans cet univers où l’opulence côtoie la plus grande misère. Il multiplie les combines pour payer les factures et assurer à son père, gravement malade, la fin de vie la plus digne possible. Jusqu’à mettre le nez dans les affaires d’individus fort peu fréquentables, qui lui feront franchir, au terme d’une initiation douloureuse, un degré supplémentaire dans l’aliénation.

Parmi les écrivains liés à la mouvance lovecraftienne, aucun bien sûr n’a repris à son compte les phobies raciales et réactionnaires du Maître. Certains ont pu toutefois envisager d’imiter ces fameux passages d’explosion stylistiques des « grands textes », où la prose, perdant toute retenue, fait naître peur et émerveillement par saturation des perceptions, annihilation de toute logique. Mais il est frappant de constater que dans ce registre HPL est resté inégalé. À cet égard, La Ballade de Black Tom porte nombre de stigmates de l’horreur cosmique d’exploitation récente, telle que formalisée dans Les Chroniques de Cthulhu (chez Bragelonne) : l’immersion échoue en partie puisque l’on imagine, on réfléchit toujours avant de voir et d’éprouver. Quitte à décevoir l’attente. Ici le modèle de la peur n’est plus cette sorte de fascination hypnotique née de la saturation et du dérèglement des sens, mais le récit fantastique à progression lente : écartés les traumas de la perception, il n’est question que de prosaïque (quoique tragique) réalité qui se fissure. Las, l’auteur ne retient de « … Red Hook » que l’opportunité de dénoncer le racisme et de jouer avec le mythe, ne parvenant pas à transformer l’épouvantable réalité sociale qu’il décrit en épouvante tout court, si ce n’est lors de quelques moments de bravoure claustrophobe vers la fin.

Dès lors la démarche même de réécriture peut interroger. N’y avait-il pas matière à produire, avec ces thèmes forts, un récit fantastique complètement dégagé de l’influence lovecraftienne ? Ou de transposer l’histoire dans un autre cadre, contemporain par exemple ? C’est d’autant plus frustrant que, sur le strict plan de la composition, l’auteur se montre d’une habileté redoutable.

Si ce choix de coller à l’intrigue de « … Red Hook » ressemble parfois à une impasse, il permet toutefois à LaValle de jouer à fond la carte de l’intertextualité et de faire jaillir une lueur nostalgique précisément là où on ne l’attendait pas, c’est-à-dire dans le regard différé du lecteur sur une mythologie (et ses acteurs) découverte quand il était lui-même plus jeune. Par éclairs, le récit d’horreur un peu convenu se mue alors en une adaptation convenable d’HPL, auteur ambigu dont on ne dira jamais assez à quel point il est plus qu’un écrivain fantastique et dont l’œuvre fut si régulièrement trahie par ses continuateurs — pour le pire ou le meilleur.

Par la mer et les nuages

Pour les survivants de Pontault et Port Leucate, le temps est venu de partir, d’abandonner le refuge de leurs remparts faits de bric et de broc. Les assauts répétés des hors-murs, les cancers provoqués par les radiations de centrales nucléaires aux enceintes de confinement de moins en moins imperméables, les sols et rivières souillés par les effluents toxiques, les vagues épidémiques et la raréfaction des ressources pour pallier à tous ces problèmes ont eu raison de l’espoir en germe dans leurs communautés, devenues low-tech par la force des choses. Il est grand temps de larguer les amarres pour quitter le vieux monde et rallier le nouveau où, ils l’espèrent, un second départ demeure possible. Une fois de plus, le clan Costa est à la manœuvre. Fort d’un dirigeable et d’une poignée de navires, fort de l’amitié des rugosos (cf. Les Damnés de l’asphalte) et d’autres alliés de circonstance, ils comptent bien traverser l’Atlantique pour fonder une nouvelle communauté outre-mer.

Troisième volet de ce qu’il convient désormais d’appeler la « Saga Costa », Par la mer et les nuages n’offre guère de surprise. Les habitués retrouveront en effet dans le roman de Laurent Whale tous les ingrédients sur lesquels se fonde leur adhésion. Une pincée d’aventure mitonnée dans le creuset de la défunte collection « Anticipation » du Fleuve noir, le tout pimenté d’une bonne dose de générosité, d’entraide, de solidarité dépourvue d’arrière-pensée pécuniaire et lorgnant davantage du côté de l’anarchisme que du capitalisme, voire de l’autoritarisme. Sans oublier des archétypes à foison, histoire de dérouler un récit brut de décoffrage sous-tendu par l’action permanente. Bref, de quoi se venger de pas mal d’injustices présentes ou de réparer des torts vécus au quotidien, d’un point de vue, bien sûr, strictement fictif.

Avec ce troisième opus, l’auteur ne déroge donc pas aux recettes de ses précédents romans, Les Étoiles s’en balancent et Les Damnés de l’asphalte. Il poursuit l’aventure, décentrant son intrigue hors d’Europe, histoire de voir si l’herbe est plus verte ailleurs, une quinzaine d’années plus tard, passant ainsi le flambeau à la génération suivante. Pour autant, on est bien heureux de retrouver les personnages auxquels on s’est attaché, même s’ils se contentent ici de faire de la figuration. Plus optimiste, plus pugnace que Exodes de Jean-Marc Ligny, Par la mer et les nuages poursuit l’exploration d’un univers post-apocalyptique non dénué de zones d’ombre. Celles héritées du monde d’avant, le nôtre, celui de la mascarade du développement du râble et des extrémismes de tous poils. Une course en avant dont les personnages de Laurent Whale récoltent les méfaits, s’efforçant de survivre, malgré tout.

Hélas, la satisfaction ne dure pas, les cinq cents pages du roman érodant très vite le capital de sympathie initial. La faute, d’abord, à une intrigue linéaire guère prolixe en matière de suspense. Un périple balisé et répétitif, jalonné d’affrontements lassants, quand ils ne sont pas simplement les redites de ceux des épisodes précédents. Le récit pâtit également d’une progression dramatique, « dramatiquement » atone. On tourne ainsi les pages mollement, sans enthousiasme, comptant les morts, surtout ceux des adversaires, l’œil fixé sur un horizon d’attente au final un peu creux.

À bien des égards, Par la mer et les nuages semble être l’épisode de trop, n’apportant plus qu’un plaisir de lecture amoindri puisque l’on connaît désormais toutes les ficelles du récit et les facettes des personnages. Et le lecteur de se dire qu’il est peut-être temps de passer à autre chose.

Hildegarde

Livre-monde, roman fleuve, véritable OLNI, Hildegarde s’ordonne autour de la figure, pour ne pas dire l’icône, de Hildegarde de Bingen. Prophétesse et sainte femme, animée par de douloureuses épiphanies, savante naturaliste, fine observatrice de la nature, femme d’influence respectée par Bernard de Clairvaux et l’empereur Frédéric Barberousse, compositrice et inventrice d’une langue imaginaire, la magistra des abbayes de Disibodenberg et Rupertsberg a traversé les âges, nimbée d’une aura de mystère et de mysticisme, offrant à la postérité ses visions et une œuvre qui témoigne de la grande variété de son érudition. Pour autant, Léo Henry n’endosse pas ici le rôle du biographe, comme a pu le faire l’historienne médiéviste Régine Pernoud en cherchant à cerner la personnalité de la religieuse, via un corpus de sources historiques. Hildegarde relève davantage de la fiction, mais une fiction où le vrai et le faux accouchent d’un réel dont on se délecte des multiples facettes.

Strictement inracontable, le roman de Léo Henry se déguste comme un mille-feuilles littéraire dont chaque chapitre dévoile une histoire, souvent enchâssée dans un autre récit, révélant des nuances contrastées tout en s’inscrivant dans des registres variés, parfaitement assimilés par l’auteur. Le goût pour le picaresque se mêle ainsi au récit hagiographique, voire à la chanson de geste ou au roman courtois. L’épopée flirte avec le tragique de l’histoire humaine. Le merveilleux côtoie le prosaïsme du quotidien, y compris dans ses manifestations les plus vulgaires. Bref, il est bien difficile de classer le roman de Léo Henry dans une catégorie. Et quand bien même, on s’y risquerait, force serait de constater que cela n’est guère intéressant. Hildegarde se révèle surtout comme un roman total, mêlés d’inventions savoureuses, de souvenirs, de on-dit, de légendes et de témoignages, jalonnés de tueries, de pogroms, de batailles, mais aussi de réalisations merveilleuses conçues par les esprits éclairés de l’époque. Mille et uns récits qui font la vie et l’histoire de cette partie de l’Europe.

Car, loin de se cantonner au personnage de la sainte femme, Hildegarde se fait également le porte-parole d’un Moyen-âge lumineux, non exempt de zones d’ombre, où le monde se conçoit à l’aune de représentations empruntées à la philosophie antique, aux mythes et au christianisme. Une période créatrice où certaines intuitions s’avèrent, contribuant à la compréhension du monde. Un temps apparemment immuable, où les romans de chevalerie forgent la culture des élites. Le récit s’enracine dans la vallée du Rhin, au sein de l’Empire, le Saint-Empire germanique né du démantèlement du monde carolingien, faisant de ces lieux un creuset irrigué par de multiples récits. Naviguant au cœur des conflits entre la papauté et l’Empire, des croisades aux prémisses de la guerre de trente ans, des prophéties hallucinées de la magistra aux premiers développements de l’humanisme, Léo Henry réenchante l’Histoire en puisant dans le légendaire médiéval, n’hésitant pas à évoquer Parzival, Siegfried, le moins connu Dietrich von Bern et la légende des Niebelungen pour donner corps à une intertextualité réjouissante, rendant justice au monde germanique et à l’une des grandes thématiques morales et symboliques de l’imaginaire médiéval. De ce voyage littéraire, mené de main de maître par un auteur ayant érigé son écriture au rang des beaux art, on retire un immense plaisir, celui ressenti à la lecture des œuvres magistrales et forcément indispensables.

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