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Atomic Bomb

Résumer un tel livre tient de la gageure la plus totale : on a affaire ici à un « Objet Littéraire Non Identifié », fruit de la conjonction des talents de deux frappadingues, Fabrice Colin et David Calvo. Pour ceux qui souhaiteraient néanmoins connaître un semblant d'intrigue, on leur dira que l'histoire commence dans le parc de Kensington Garden, à Londres, où deux personnes, Kelvo et Collins, s'amusent à faire le poirier au milieu d'écureuils. Plus tard, ils iront surfer sur l'onde de choc produite par l'explosion de la bombe atomique en plein désert du Nevada. On parlera aussi, pêle-mêle, d'extraterrestres attachants, d'un grand constructeur de jeux vidéo et de rats. Bien sûr, il se trouvera des lecteurs qui ne supporteront pas ce bric-à-brac intenable. À ceux-là, les auteurs ont prévu de fournir une réponse, qui tient dans le titre du deuxième chapitre : « On vous emmerde ». Ou, en d'autres termes moins directs, ne cherchez pas à retrouver une histoire linéaire et classique. Mieux vaut que vous laissiez tomber dès la première page toutes vos facultés d'analyse et de rationalisation, et savouriez simplement l'humour des personnages, l'extravagance des situations, et le côté joyeusement bordélique de l'ensemble.

Dans ce triptyque (dont la première partie avait été publiée dans Jour de l'an 2000, aux éditions Nestiveqnen), il y a également des tonnes de références à la culture, sans distinction entre celle dite « officielle » et la « populaire ». La quatrième de couverture présente ce livre comme « un Fantasia post-moderne mis en musique par Marylin Manson et filmé par Terry Gilliam sous speed ». Cette description est encore trop réductrice — voire fausse, la bande-son empruntant par exemple aussi bien aux années 80 (qui se souvient encore de Den Harrow ?) et aux années 90 (Neil Hannon et Divine Comedy). Les auteurs citent entre autres Shakespeare, les préraphaélites, Walt Disney, Richard Brautigan, artistes qu'ils apprécient tout particulièrement. Et ce livre de se transformer en œuvre très personnelle, qui expose une certaine philosophie de la vie, entre tolérance et volonté affirmée de conserver une âme d'enfant prompte à s'émerveiller. Reste à savoir comment s'est articulée l'écriture de ce texte à quatre mains : Fabrice Colin s'est-il chargé des seuls passages dont le narrateur est successivement Collins, Nik et Ko, laissant à David Calvo la paternité des passages signés Kelvo, Valk et Ka ? Ou la situation est-elle plus complexe ? Qu'importe, au fond, puisque cette dichotomie est le moteur du livre, et lui confère son énergie vitale.

Bref, ce court roman est un régal à savourer immodérément, une vision totalement disjonctée et jouissive de l'imaginaire de deux auteurs qui n'ont pas fini de nous surprendre. Kwak.

Plastic Jesus

« Les Beatles étaient devenus plus populaires que le Christ ». Cette phrase a été prononcée par John Lennon en 1966. Bon. Maintenant, imaginez que les deux piliers, les vrais moteurs de ce groupe « plus populaire que le Christ », aient été gays. Cela aurait-il un tant soit peu changé le monde ? Tel est le postulat de départ de Plastic Jesus. Et autant vous le dire tout de suite, d'après Poppy Brite, la réponse à la question posée est bien évidemment oui… Donc, John et Paul (ils ont un autre nom et leur groupe ne s'appelle pas les Beatles, mais il s'agit bien d'eux), sont gays. Et John (en fait, son nom c'est Seth, dans le bouquin) meurt le corps truffé de balles — cinq, pour être précis. Paul (son nom à lui, c'est Peyton), fou de douleur, va voir le psychanalyste de John/Seth, un vrai fan de leur groupe ayant lui-même assumé son homosexualité grâce aux deux rock-stars. Paul veut rencontrer Ray Brinker, l'assassin de John, et pense que le psychanalyste devrait pouvoir lui permettre d'accéder au meurtrier. Les deux hommes discutent, et bientôt Paul raconte son histoire, sa rencontre avec John, la formation du groupe, sa vie amoureuse…

Plastic Jesus n'est pas un mauvais livre. Ce n'est pas non plus, loin s'en faut, le chef-d'œuvre de Poppy Brite. Le texte est court (100 pages, le reste du volume étant meublé par une introduction, des illustrations hideuses de l'auteure, une interview ainsi qu'une sorte d'essai fictionnel tiré de Coupable, recueil d'essais abscons de Brite publié récemment Au diable vauvert). En fait, il s'agit davantage d'une novella que d'un roman. Brite y fait preuve de son habituelle sensibilité, de sa justesse de ton et de son style simple, nerveux. Si ses motifs centraux demeurent inchangés (l'amour, le sexe et ses orientations, le rock, la créativité, etc.), on notera toutefois qu'on retrouve ici l'auteure d'Âmes perdues non seulement débarrassée de son appareillage gothique habituel (fantôme, vampire et magie), mais aussi du cadre classique de ses bouquins (principalement la Nouvelle Orléans et la Louisiane). De fait, Plastic Jesus tient davantage de la littérature générale que de la littérature de genre. Voici donc un livre d'une auteure dont le talent n'est plus à prouver mais qui vaut surtout par la dimension (direction ?) nouvelle qu'il donne à son œuvre.

Le Pas de Merlin

« Ne croyez pas les contes de fées : ce sont les hommes qui brisèrent cet équilibre, et non les nains malfaisants, chargés de tous les maux. Les hommes et leur nouvelle religion, prônant l'unicité et proclamant la suprématie d'une race sur toutes les autres : une seule terre, un seul dieu, un seul roi… ».

Ainsi donc, la première trilogie de Fetjaine, celle des Elfes (remarquable et tout juste rééditée chez Pocket — cf. critique in Bifrost n° 17 et l'interview de l'auteur dans le n° 21), narrait-elle cette histoire avant l'Histoire, la tragédie de la rupture, la fin du monde d'avant, quand hommes, elfes et nains cohabitaient en harmonie. Ce nouveau cycle nous contera donc l'après-chute, le monde des hommes et de leur cruauté, l'avènement de leur royaume et leurs conflits fratricides, le fer des rois guerriers et le bois des croix monastiques. Et si la première trilogie pouvaient se présenter comme une manière de rapprochement entre la « Matière de Bretagne » et un appareillage romanesque qu'on qualifiera, faute de mieux, de tolkienien, ce nouveau cycle marque un autre rapprochement, celui de cette même « Matière de Bretagne » avec l'Histoire, la grande, la vraie, la nôtre…

Nous sommes à la fin du VIe siècle. La Grande Bretagne, après le départ des romains, est éclatée en une multitude de royaumes : au nord le royaume picte, à l'est les royaumes saxons, au nord-ouest et sur l'île d'Irlande les royaumes gaels et scots. À la croisée de ces territoires, les bretons ont toutes les peines du monde à survivre, éparpillés, divisés, diminués. Il leur faudra pourtant parvenir à s'unir sous la bannière d'un roi suprême s'ils espèrent résister à leurs voisins, une union qui n'ira pas sans son lot de trahisons et de mésalliances… Au sein de ce tourbillon de violence, un gamin, Myrddin, fils bâtard du plus grand roi de son temps, le riothime Ambrosius Aurelianus, se voit échoir des charges et devoirs qu'il ne souhaitait pas. Le voici propulsé sur les chemins de l'aventure, aventure qui, bien sûr, comme en toute bonne fantasy, sera d'abord une initiation…

Au-delà de ses indéniables qualités de conteur et son sens aigu de la dramaturgie, le vrai talent de Fetjaine, ce qui en fait tout l'intérêt, c'est la perpétuelle mise en perspective historique de ses récits. En cela, ses romans arthuriens sont autre chose qu'une pierre de plus — aussi bien taillée qu'elle soit — à ajouter au gigantesque édifice littéraire qu'est la « Matière de Bretagne ». L'introduction du Pas de Merlin, le premier tome de cette nouvelle trilogie, est à ce titre exemplaire. L'auteur s'y livre à quelques « réajustages » étonnants. On y apprend par exemple l'apport fondateur au mythe d'une certaine tribu scythe, les iagyzes, ou encore que si Merlin a probablement existé, le cas d'Arthur est plus hypothétique — il serait, comme Merlin d'ailleurs, l'assemblage de plusieurs personnages ; peut-être même, et c'est l'avis de l'auteur, se limiterait-il à un simple surnom honorifique ! Et Fetjaine de conclure en évoquant le « cadre historique de ce récit… imaginaire » (p. 20). C'est dit. L'auteur inscrit son récit dans un strict cadre, celui de l'histoire. Cette démarche, cette mise en perspective historique de la légende, place Fetjaine dans la lignée des premiers conteurs médiévaux, ceux de l'Historia Brittonum (vers 830), Geoffroy de Monmouth et Chrétien de Troyes. Un parrainage parfaitement assumé par l'auteur même si, dans ce Pas de Merlin, sur le strict plan narratif, on ressort moins convaincu qu'à la lecture du premier cycle. Le roman n'en est pas moins passionnant de bout en bout, et l'ensemble des quatre livres qui forment à ce jour le corpus arthurien de Fetjaine, une œuvre remarquable, un sommet de fantasy.

Le Trait d'union des mondes

520 pages écrites petit. Premier volume d'une trilogie annoncée. Une ampleur peu fréquente dans notre imaginaire hexagonal. La couverture est particulièrement hideuse, ce qui, par contre, est fort fréquent. Le roman n'est pas estampillé S-F. Mais cela en est-il ? Peut-être bien…

L'ouvrage n'est pas facile à classer. Ni thriller ni mainstream, ni S-F ni fable mystique. Un peu de tout ça… Jérôme Camut a délaissé les effets de manches du thriller tout en en conservant la construction. Il a sabré à la base toute dimension tragique et laissé tomber l'issue dramatique avec la fatalité d'une pierre. Ça aurait pu être un roman de Michael Crichton et c'est tout autre chose.

À l'aube du XVIe siècle, dans une France renaissante où sévit l'Inquisition, Malhorne ressuscite pour la première fois. Faut-il parler de métempsycose ou de transmigration ? La conscience — ou faut-il dire l'âme — de notre bonhomme qui en avait alors fort peu se transfère dans le corps d'un nouveau-né où elle reste en stand-by jusqu'à ce qu'il perde son pucelage. Un bon moyen que l'auteur a trouvé pour esquiver les problèmes générés par une conscience adulte dans le corps d'un petit enfant.

Après être bêtement mort sur le champ de bataille, il sera traumatisé par sa première résurrection. Il jettera ensuite à la Macarine les bases d'une famille qui le suivra de génération en génération avant de partir sur le chemin de St Jacques, puis Lisbonne, et de traverser l'Atlantique pour s'échouer sur les côtes du Brésil et y mourir d'une flèche au curare. Revenir comme chamane et conduire sa tribu au fond de la sylve pour échapper aux Blancs ; franchir les Andes pour défier le Pacifique en pirogue et y mourir. Revenir esclave africain, traverser l'océan Indien et mourir. Revenir Japonais et traverser une Inde en proie à la peste et gagner le Tibet pour y recevoir l'enseignement d'un lama. Devenu riche anglais, retrouver les Macare, faire fortune en Louisiane et mourir sous la guillotine durant la révolution française et renaître mongolien, puis Egyptien. Rencontrer Van Gogh, l'aventure coloniale, les camps de la mort et le goulag… Au cours de toutes ses vies, Malhorne a marqué le monde d'un heptagone de statues identiques…

Franklin Adamov en a découvert une, la seconde, façonnée en Amazonie, et la mystérieuse fondation Prométhée ne tarde pas à compléter la collection. À la fin du tome 1, on ne sait pas pourquoi Denis Craig, le magnat de l'armement, a créé cette fondation, comme s'il subodorait l'existence de Malhorne, lequel semble entretenir des liens mystiques avec les descendants de ceux qu'il a rencontrés ici ou là.

Livre de son époque, Malhorne ne véhicule tout au plus qu'une problématique résiduelle et relève du divertissement. On y retrouve l'idée, présente dans le film Stigmata ou le Jésus Vidéo d'Andreas Eschbach, que, pour préserver la foi, l'Église se doit de combattre tout ce qui pourrait établir sa « mystique » dans les faits puisqu'elle perdrait dès lors son statut de mystère.

Ce premier tome est avant tout une esquisse, encore floue et amenée à acquérir une dimension plus large. Tout apparaît lié en dépit de nombreux fils encore épars. L'aspect narratif domine le roman, avec, notamment, le récit des vies antérieures de Malhorne. Malgré quelques détails douteux et certaines longueurs — on a connu bien pire sur des livres plus courts — Malhorne est somme toute un roman prenant. La force de Jérôme Camut réside dans ses personnages. Non qu'il leur confère une épaisseur psychologique hors du commun, mais il sait leur donner du corps, du jus, de la saveur. Même les troisièmes rôles que Malhorne a croisés au cours de ses vies ont leur empreinte, parfois forte. Certains arrivent à être touchants. Et pourtant, souvent on frôle le cliché. Mais ça fonctionne. Paradoxalement, c'est un roman très professionnel tout en restant personnel. Comme si la volonté de fabriquer un best-seller n'était pas parvenue à gommer la patte de l'auteur.

Pas speed mais bien mené, pas prise de tête pour un rond, idéal pour la plage…

La Ligue de Prométhée

Que reste-t-il du Londres du XIXe siècle ? Un peu de ce bon vieux fog, des ruelles obscures, des fantômes édentés qui se perdent sur le pavé. L'ombre des fiacres d'où les aristocrates regardent se tortiller le peuple en s'encanaillant parfois sur sa misère. Cette merveilleuse injustice sociale que chacun dénonce en l'acceptant, comme une rengaine propre à forger une identité revendicatrice.

Londres d'en haut, Londres d'en bas… On pourrait penser à Neverwhere de Gaiman et sa cassure dans le temps. On pourrait aussi continuer à faire le parallèle habituel entre Neil Gaiman et Christopher Fowler. Mais la Ligue de Prométhée s'éloigne de la Londres étrange de Gaiman pour revenir à des questions plus proches de nous et bien plus effrayantes, quelques mois après que la France s'est posée la question des groupuscules extrémistes.

À Londres, Vincent Reynolds, intellectuel précaire et prolétaire, attend la gloire, flanqué d'amis tout droit issus d'un roman de Nick Hornby. Lorsqu'il a enfin la possibilité de percer en rédigeant un article sur la lutte des classes, il se trouve confronté à quelques problèmes majeurs. Son sujet, Sebastian Wells, un aristocrate cynique, l'entraîne dans une relation étrange et se révèle être un prédateur exercé. La société secrète dont il est président, la Ligue de Prométhée, prône toutes sortes de théories captivantes : le droit féodal (vie ou mort), la soumission des femmes, le sang pur, la séparation traditionnelle pour l'Angleterre du reste du monde. Renversant les rôles de l'observateur et du sujet, Wells impose une course macabre à Vincent, dont l'enjeu est sa propre survie. Mais si Wells maîtrise les lois et ses représentants dans leur moindre détournement, Reynolds connaît mieux que quiconque ce Londres populaire vomi par la Ligue.

Fowler fournit ici un huitième roman subtil. La dualité ne s'exprime pas dans l'affrontement de personnages monochromes. Reynolds plonge dans l'indicible : la fascination qu'exerce le pouvoir sur ceux qui en dénoncent, par tradition inverse, les dysfonctionnements, lorsque la peur de la différence se dit civilisée, s'organise en caste et prend l'apparence du raisonnement. L'absence de doute qui fait la force du nationalisme de la Ligue, et du nationalisme en général, est bien à l'origine de l'attirance de Reynolds pour son adversaire.

Au-delà du jeu à la Running Man où Vincent devra résoudre des énigmes de potaches sanguinaires et hellénistes, le véritable sujet de Fowler rejoint donc la question du surhomme. Toucher la « grandeur », même lorsqu'elle est mensongère, même lorsqu'elle est répugnante, permet-elle de la disséquer et d'en sortir indemne ? Wells semble trancher dans la chair : le destin de Prométhée, qu'il détourne en prédication, suffit à lui faire accepter définitivement sa déchéance.

Que reste-t-il du Londres du XIXe siècle ? Un Londres de la fin du XXe. Une ambiance schizophrénique et familière — au-dessus et dans la ville fracturée grouillent deux classes distinctes — qui cache encore un mal-être social que Fowler exploite avec talent. Roman fantastique, noir ou policier, tout simplement un bon livre qui, à défaut de mener quelques irréductibles vers les bureaux de vote, fait exploser en douceur certaines idées reçues, sur le genre comme sur le sujet.

Viktoria 91

Whitechapel, Londres, 1891. Au cœur de ce quartier poisseux, infesté de misère et de violence, peuplé de bouges puants, d’ivrognes crasseux et de putains décaties, l’ombre de Jack l’éventreur refait surface. Trois ans après ses derniers crimes, une prostituée est retrouvée assassinée. À ses côtés, le crâne défoncé, gît un androïde, un policier...

Dans ce Londres revisité, où les calèches sont conduites par des automates et les borgnes disposent d’yeux biomécaniques, Lady Audrey Burton rend visite à Norman Latimer. Journaliste dans une feuille de chou populaire spécialisée dans la relation racoleuse des crimes les plus divers, la tâche que lui confie sa visiteuse ne manque pas de le surprendre : retrouver son frère disparu, avec pour tout indice une photo et la connaissance de son penchant pour les filles de joie.

Sur les traces de William Burton, Norman Latimer découvrira qu’il a été mis sur sa piste non par sa sœur mais par une parfaite inconnue, meurtres  et  fausses pistes s’accumuleront, Sherlock Holmes interviendra et les cadavres se volatiliseront au mépris de la raison...

Visiblement  féru  de mise en scène historique, Pierre Pevel nous offre une enquête policière certes solide mais dépourvue d’originalité. Les personnages manquent de profondeur et, mis à part quelques exceptions, les descriptions sont trop vite avortées pour que le lecteur s’imprègne pleinement des ambiances. Surtout et avant tout, bien que le dénouement surprenne et soit fort bien amené, qu’apporte-t-il réellement à l’histoire si ce n’est une certaine jouissance intellectuelle face à tant d’astuce et l’alibi nécessaire à l’auteur pour être publié dans une « collection de l’imaginaire » ?

On regrettera aussi que le monde a priori attrayant mis en place par Pierre Pevel, un Londres de la fin du XIXe siècle émaillé d’anachronismes technologiques, n’influe que peu sur le récit. Il paraît souvent plaqué sur l’histoire, n’orientant que rarement le comportement des héros de manière décisive. Bien que parfaitement cohérent, le côté science-fiction ne fait que se surajouter et complexifier la résolution de l’intrigue ; sa principale justification réside dans le caractère spectaculaire de la chute.

Pierre Pevel donne l’impression d’avoir voulu faire du steampunk sans tirer pleinement parti des potentialités du genre. Bref, si Viktoria 91 n’ennuie pas un instant grâce aux nombreuses péripéties et au suspense ménagé jusqu’aux dernières pages, on reste cependant sur sa faim du fait d’idées trop brièvement exploitées ou pas assez développées. Ecrit avec fluidité, rythmé, dépourvu de temps mort et nanti d’une intrigue astucieuse, Viktoria 91 se lit d’une traite, sur la plage, comme on y boit une kro bien fraîche : ça ne se déguste pas, ça ne nourrit pas, mais ça désaltère. Agréable, pas inoubliable.

Pages perdues

La science-fiction est morte le 8 septembre 1966 à 20h30… dans un univers parallèle où la diffusion de Star Trek l'a rendue si ridicule que tout le monde s'en est détourné.

La présente anthologie donne à lire quelques textes mémorables, classés par décennies. Il s'agit en réalité de nouvelles mettant en scène des écrivains célèbres ayant connu un destin différent. Les lecteurs de Bifrost et de Galaxies auront déjà pu respectivement découvrir le naufrage d'un Philip Dick marié à une Linda devenue énorme et qui végète dans un magasin d'accessoires (« Linda et Phil »), et les aventures d'un Saint-Exupéry hanté par des rêves grandioses pour bâtir un monde meilleur, alors que Jim Ballard n'est encore qu'un petit garçon fasciné par les avions (« Terre sans hommes »). Dans « Le Monde de Campbell », un écrivain témoigne de sa relation avec cet important personnage qui changea le monde grâce aux versions d'Astounding adaptées à la mentalité de chaque pays, entraînant par exemple le déclin du parti nazi.

Toutes les nouvelles ne concernent pas que les écrivains de S-F : le journal d'Anne Franck permet d'apprendre que ses rêves d'actrice ont été exaucés (« Anne ») et Kafka est un héros costumé, le Choucas, luttant contre le Scarabée noir, qui n'est autre que Max Brod, son biographe et premier éditeur ! Au fil des récits, on constate que l'auteur a la dent particulièrement dure contre les physiciens du nucléaire et les saccageurs de planètes en général : Teller, von Neumann, Feynman, « ces trous du cul de personnages clés » de la bombe atomique, sont détruits par Kerouac lors du premier essai (« Instabilité »), tandis que les concepteurs de tout ce que la technologie moderne a produit de néfaste, de Einstein à Fermi en passant par les Joliot-Curie sont assassinés par un voyageur temporel (« Les Troisièmes guerres mondiales »).

Di Filippo ne s'est pas contenté de modifier le destin d'un auteur : celui-ci a évolué concurremment à la société, de sorte que chaque récit présente un univers hyper référencé, légèrement décalé, qui ne peut se savourer qu'à condition de bien connaître la période et le contexte. Les nombreuses notes comblent, heureusement, une partie des lacunes et rafraîchissent les mémoires défaillantes. Les connaisseurs des auteurs précités apprécieront en outre la concordance du récit avec les thèmes ou la problématique des modèles : Heinlein en président des États-Unis visionnaire mais peu embarrassé de scrupules est assez réussi (« Mairzy Doats »), Sturgeon, en gourou humaniste repoussant pacifiquement avec Tiptree et Bester une invasion extraterrestre, également (« Alice, Alfie, Ted et les extraterrestres »). Il n'est pas si évident de réussir un tel équilibre et on peut estimer que Di Filippo se sort de ce périlleux exercice avec brio.

Détectives de l'impossible

Après Privés de futur, l'anthologie de Gilles Dumay et Francis Mizio mêlant polar et S-F, publiée au Bélial', voici quinze autres nouvelles internationales mettant en scène des flics et des détectives, ces derniers étant largement représentés et déclinés sur tous les tons, de l'hommage à la parodie. S'il y a une chose qui ne change pas, c'est bien la nature humaine, ses mauvais côtés surtout, qui forcent à mener des enquêtes pour trouver les coupables, de meurtre le plus souvent. Les trépassés peuvent être des extraterrestres, des clones ou bien leurs originaux (« La Mémoire du sable » de Di Rollo, « Ego Mnemosis » de Johan Heliot, « De l'autre côté du pont » de Kathleen A. Goonan). Mais on tue aussi chez les vieux : « Champs d'automne », de l'espagnol Daniel Mares est un petit bijou, un récit aussi surprenant par son originalité que grave et touchant dans ses développements. À l'ère des jeux cybernétiques (« Chupa Dumdum » de Jonas Lenn), des stations spatiales et des voyages interstellaires, il y a bien des trafics à démanteler et des scandales politiques à dénoncer. Didier Daeninckx, qui excelle dans ce dernier registre, revient sur l'attentat du 11 septembre et les commentaires contradictoires concernant celui du Pentagone (« Les Boueux de l'espace »), attentat qui est pour Valerio Evangelisti le prétexte à une féroce critique teintée d'un humour très noir (« Laurel & Hardy, Terror Detectives »). Andreas Eschbach ne joue pas réellement le jeu du polar avec son intrigue sur un vaisseau-génération, certes efficace mais banale, quand bien même l'enjeu de la tromperie aurait changé de nature (« Un Monde vierge »). Jean-Bernard Pouy, quant à lui, semble montrer trop de retenue avec son histoire de clone terroriste (« Et Moi et moi et moi »).

Si l'enquête reste convenue, les enquêteurs le sont moins : le couple humain-androïde de Di Rollo, le fameux Tem de Roland Wagner qui joue les Hercule Poirot pour l'occasion (« … Et personne n'est venu »), l'enquêteur évoluant dans des univers virtuels (« Le Petit réveil » de Jean-Pierre Hubert, délirant et brillant), la profileuse de Claire et Robert Belmas, une grand-mère qui s'offre un nouveau corps (« À n'importe quel prix »), jusqu'aux Sherlocks très originaux de Michel Pagel qui mélange allègrement les genres en faisant intervenir dans son lointain univers de la fusion un vampire et une elfe (« L'Enlèvement de la reine des feys ») ! On le voit, les déchets sont rares et l'ensemble de bonne tenue.

Restent deux récits surprenants tournant autour de l'art, archéologique dans le cas de « Charlie et ses drôles de dames », où Terry Bisson fait déboucher une banale enquête de meurtres sur une question touchant à la survie de l'humanité, et surréaliste avec « La Profession insipide de Jonathan Hornebom », de Jonathan Lethem : chargée de surveiller un peintre sans talent, l'enquêtrice découvre les pénétrants pouvoirs d'un objet de Max Ernst, l'Appareil photo-oiseau. Ce sont, avec Goonan et Mares, les quatre textes majeurs de l'anthologie, qui justifient à eux seuls son acquisition.

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