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Le Programme final

[Critique commune à Le Programme final, À bas le cancer !, L'Assassin anglais et Vous aimez la muzak ?]

Avec une cinquantaine de livres traduits, Michael Moorcock est l'un des auteurs les plus connus du public, notamment pour son œuvre de fantasy. Mais, outre Elric et ses nombreux avatars alimentaires qui popularisèrent Moorcock — sur le tard, il est vrai —, il fut un précurseur du steampunk, donna dans l'uchronie baroque et, surtout, s'imposa comme l'acteur majeur de la New Wave britannique des années 60, en tant que rédacteur en chef de New Worlds et en tant qu'auteur des aventures de Jerry Cornélius. Il prêta ensuite le personnage à d'autres auteurs dans la mouvance de New World, tels que Spinrad, Aldiss ou Hilary Bailey…

Jerry Cornélius a été présenté comme un James Bond pop et un dandy cynique vivant dans un monde en proie à l'entropie : le nôtre au milieu des sixties. C'est un brin superficiel et racoleur.

En premier lieu, à l'instar d'Elric dont il est un énième avatar, Jerry Cornélius est un agent du Chaos. Dans Le Programme final, le parallèle avec son modèle est particulièrement cultivé. Ainsi, Jerry Cornélius investissant le château faux Le Corbusier de son père fait écho au sac de Melniboné par Elric, son amour pour sa sœur, Catherine, répond à celui d'Elric pour sa cousine, Cymoril, de même que leurs morts respectives de la main de l'un et l'autre. Franck, son frère, endosse le rôle du prince Yrkoon. Le Multivers moorcockien — on entend ici la manière dont se répondent les textes de Moorcock les uns aux autres à travers toute son œuvre en une construction conceptuelle devenue délibérée — commençait à prendre forme.

Jerry Cornélius, dont les initiales ne doivent rien au hasard, est un moderne messie hédoniste et dérisoire qui s'évertue à provoquer l'avènement d'un monde moins froid, moins faux. Ses aventures sont une farce, une comédie où l'humour vient conjurer l'horreur mise en images du monde postmoderne avant qu'elle ne nous anesthésie. Personnage né dans une réaction de colère à la guerre du Vietnam, Jerry Cornélius déchiffre pour nous le labyrinthe discontinu de nos sociétés où l'on est voué, non seulement à se perdre, mais à s'évanouir. Il expérimente diverses attitudes, cherche avant tout à se présenter en tant qu'être humain épris de sincérité et de sensibilité. Pour ce faire, il lui faut lutter contre les systèmes, les organisations incarnées par la froide — et frigide — Miss Brunner. Jerry ne propose rien d'autre que d'introduire un brin de fantaisie dans la dérisoire rigidité de systèmes absurdes prétendant tout contrôler et réduire les gens au rôle déshumanisé d'agent d'un processus. Jerry Cornélius est un antihéros, acteur de la farce, qui s'arme toujours d'un poignard de théâtre pour que seuls meurent les masques ou les rôles. Il ne faut pas davantage se laisser abuser par les oripeaux dont il se vêt, les artefacts dont il s'entoure ; à travers lui, Moorcock montre tout ce qu'ils ont de futile et dérisoire. C'est un rêveur. Et l'imagination, moteur de tous les rêves, lui permet de détourner la technologie, de la réduire en gadgets… En tant que tel, fringues et gadgets ne sont là que pour donner l'illusion de la plénitude et combler la vacuité affective ; en fait de voie, ils aboutissent à une impasse. Tous ces artefacts ne sont qu'artifices incapables de produire du sens. Autant pour le consumérisme !

Datant des années 65/75, Les Aventures de Jerry Cornélius ont certes vu leur cadre vieillir ; le nec plus ultra du gadget high-tech d'alors a pris des allures de pièces de musée de province. Pourtant, comme un grand cru de Bourgogne, elles se sont bonifiées avec les années. La pertinence du propos moorcockien s'accroissant avec l'entropie, il n'en prend que davantage de saveur et de relief. Pour apprécier pleinement, il suffit de se resituer dans le contexte de l'époque, à la manière dont on lit du steampunk. Bien qu'écrit hier, Jerry Cornélius est plus que jamais au goût du jour.

La construction, de plus en plus fragmentée au fil des volumes, dans la mouvance du Nouveau Roman — atomisant la narration, recourant à des inclusions de coupures de presse, des commentaires « off » —, loin de parasiter le récit, en pose le contexte de l'unique manière possible. En effet, la narration la mieux aboutie s'avérerait désormais impuissante à restituer la complexité de l'époque d'une manière autre que parcellaire, impropre au propos de Moorcock. Cette construction ne facilite pas la tâche d'un lecteur habitué à une confortable linéarité, mais elle est indispensable pour créer une « impression du monde » suffisamment globale. Le monde de Jerry Cornélius, c'est ça, ça, ça, ça, ça, ça… ça, ça ! Tout ça ! Et c'est le nôtre ! Si le choix formel de Moorcock — encore exacerbé dans les nouvelles mettant Jerry Cornélius en scène — n'est pas exempt de difficultés, cela tient au fait que le monde n'est plus facile à appréhender. Marshall McLuhan n'a-t-il pas dit que le médium était le message ? Le sens ne réside nullement dans une hypothétique réunion des fragments épars dont l'auteur eût laissé le soin au lecteur. Il n'y a pas de cohérence à rechercher, rien à comprendre. Tous ces éclats de récit n'ont qu'une fonction sensitive. Le sens gît dans l'éclatement même de la forme. Peut-être n'est-ce pas facile, peut-être l'expérience est-elle étrange et laisse-t-elle le lecteur un instant désorienté, à l'instar du monde actuel où la falsification globale s'esquive dans la vitesse. Mais lire Les Aventures de Jerry Cornélius est bien plus facile que de se forger une bonne image du monde. En tout cas il y contribue. Jerry Cornélius propose rien moins qu'une grille de lecture du monde contemporain, une manière de le décoder pour y survivre et en tirer un minimum de bonheur.

Les Aventures de Jerry Cornélius sont une lecture dont on tire d'autant plus profit que l'on éprouve le besoin de décrypter le monde actuel. Voici bien l'une des œuvres les plus essentielles de la S.-F.

La Défonce Glogauer

[Critique commune à La Défonce Glogauer et Voici l'homme.]

« Tout ceci frappait Glogauer en tant que psychiatre manqué, mais Glogauer, l'homme, était partagé entre les pôles du rationalisme absolu et du désir d'être convaincu par le mysticisme lui-même. »

« Il y vit un libraire juif, au teint brouillé, à l'air extrêmement sérieux, maussade même, la tête remplie d'image et d'obsessions irrésolues, la sensibilité à fleur de peau. » C'est ainsi que Karl Glogauer se voit dans un miroir. Deux notations physiques et deux notations « morales » chapeautées par une étrange expression qui a plus de sens pour lui que pour nous, à moins de sombrer dans un anti — ou un pro-sémitisme plus ou moins primaire…

Qui est Karl Glogauer ?

Un des avatars de Moorcock, qui lui sert à se poser une question cruciale : être ou ne pas être ? en avoir ou pas ? Une de ces créations éphémères qu'un romancier épuise, avant de la ressusciter pour le plaisir…Qu'importe, il est manifeste que ses initiales, K et G, renvoient aux prénoms de Jung (Carl Gustav) et que, dans les deux premières apparitions du héros, le disciple et concurrent de Freud est responsable du questionnement sur la réalité des gens et des choses. À savoir : est-ce l'idée que je me fais des choses qui préside aux choses ou leur réalité qui s'impose à l'idée que je m'en fais ? Question dickienne ? En tout cas, on peut dire qu'il s'agit d'une interrogation récurrente. Est-ce moi qui suis en prison ou les autres ? Suis-je prisonnier de moi ou des désirs des autres ? Qui confirmera ma vie, et par rapport à qui ou quoi ? Par rapport au père, à Dieu, à moi ou à celle que j'aime, ou qui m'aime….?

Karl Glogauer, fils de libraire et libraire lui-même, est poussé par un personnage manifestement gay à voyager dans le temps. Quoi de plus fascinant de prendre pour destination non pas l'origine/l'instant précis où, descendu de l'arbre, l'homme se dresse — on notera que ce moment est plus qu'incertain dans la mesure où il n'est pas daté —, mais l'année de naissance du Christ en tant que personnage politico-religieux ? Pour vérifier que tout cela n'est pas le fruit de notre imagination, pour trouver le Christ et en garantir l'authenticité. Pour contredire ou prouver que « L'idée a précédé la réalité de Christ » (c'est Moorcock qui souligne) ? Clarke et Baxter, dans Lumière des jours enfuis, reprennent eux aussi cette idée — en revenant faire un rapport circonstancié de la réalité des faits, racontés postérieurement par des disciples empressés à établir une religion basée sur la croyance en leurs récits… Mais voilà — et comme, depuis Nietzsche, il fallait s'y attendre —, rien ne se déroule comme prévu…

L'appareil à voyager dans le temps est sérieusement endommagé et Karl Glogauer condamné à rechercher le Christ tout en se confrontant à ses souvenirs de cette époque. C'est le mythe qui forge la réalité a posteriori, un peu comme si, pour justifier le Nouveau Testament, on envoyait un Christ différent mais acceptable. « Il se convainquit lui-même qu'il n'avait pas une idée claire du cours qu'avait pris l'Histoire de ce temps. Il n'y avait que des légendes, pas de relations […]. Les livres du Nouveau Testament avaient été écrits des dizaines et même des centaines d'années après les événements qu'ils décrivaient… » Un mystificateur mystifié au point de devenir créateur de mythe… « C'était un rôle archétypal dans tous les sens du terme, un rôle fait pour séduire un disciple de Jung. C'était un rôle qui transcendait l'imitation pure. C'était un rôle qu'il devait maintenant jouer jusque dans les plus petits détails. »

Je passe sur les scènes qui marquent la différence entre la longue nouvelle — laquelle figure, sous le même titre, dans Le Cavalier chaos — et le roman (on pourrait schématiser en comparant la version initiale aux évangiles et la version romanesque à un étirement littéraire…) : je retiendrai juste une relation inaboutie et/ou inachevée entre Karl et Marie, et le fait que le Jésus de cette Marie-là est un « innocent ». Pour le reste on retrouve : passage au désert, tentations, trahison organisée avec Judas…L'important n'est pas vraiment dans les différences et les ressemblances avec l'Histoire de la religion, mais dans ce dont Moorcock se sert et dans la façon dont il utilise le rapport à Jung.

On aura compris que Karl Glogauer se cherche en même temps que le Christ. Et lorsque, au moment de la mortelle confusion entre lui et l'autre — jusqu'à la crucifixion, dans le roman — , K. G. dit : « C'est fait. Ma vie est confirmée », on peut se demander de quelle vie il s'agit…Même si, tout de suite après, l'amie de Karl se plaint qu'il fasse n'importe quoi pour se faire remarquer.

On trouve dans Voici l'homme : « Être juif, c'est être immortel, lui avait dit Friedman peu de jours après qu'Eva soit retournée chez ses parents. Être juif, c'est avoir un destin… même si ce destin n'est que de survivre. » Et Karl Glogauer réapparaît dans La Défonce Glogauer, en quête de la paix ou de l'innocence enfantine au Jardin suspendu, en plein Londres, où il se plaît à rêver. En proie au doute, c'est à un inconnu, un Nigérian, qu'il doit ses voyages à des époques particulières de l'histoire : la commune de Paris en 1871 ; sous Bismarck en 1883 ; en Afrique du Sud en 1892 ; à Londres en 1905 en juif polonais émigré ; en Inde en 1911 ; en France en 1918 ; en Russie en 1920 ; dans une boite à New York en 1929 ; à Shanghai en 1932 ; à Berlin en 1935 ; à Auschwitz en 1944 ; à Tel-Aviv en 1947 ; à Budapest en 1956 ; au Kenya en 1959 ; au Vietnam en 1968 ; dans Londres en 1990 (soit 19 ans dans l'avenir par rapport à la rédaction). Dans ce dernier cas, le passage est au futur : Karl aura 51 ans et ne sera plus qu'un ex-mercenaire sur le point de mourir. Le roman s'achève au Jardin suspendu. Entre ces deux séquences les divers épisodes sont construits de manière identique : un extrait d'article de presse ou d'essai concernant l'époque, un bref dialogue entre Karl et son Nigérian, le passage concernant une des possibles vies de Karl Glogauer, enfin une interrogation : Que feriez-vous ? Dans telle ou telle circonstance ? À chaque épisode, l'âge et la situation familiale de Karl — qui pour moi tient plus de Faust que du Christ — changent. Il n'est plus messianique, il semble simplement subir les désirs de son dieu d'ébène qui, bien sûr, ressemble à Méphisto. On a le sentiment que Moorcock se fait plaisir en introduisant son personnage dans notre passé collectif où une autre approche des choses aurait pu en modifier le déroulement. C'est sans doute pour cela que le sous-titre de l'œuvre est « roman cruel ».

Moorcock iconoclaste ? Pas vraiment ! Démystificateur plus simplement… en tout cas soucieux de se poser des questions, comme tout écrivain qui se respecte, et de nous proposer des réponses…

Gloriana

Angus Wilson, un grand écrivain britannique, faisait remarquer que « personne en Angleterre n'a fait davantage que Michael Moorcock pour briser le cloisonnement artificiel des différentes formes romanesques : réalisme, science-fiction, satire sociale, prose poétique ». Difficile de savoir s'il pensait à une œuvre en particulier en disant cela, mais une telle remarque pourrait parfaitement servir d'épigraphe à Gloriana ou la reine inassouvie, tant ce texte est multiple et insaisissable.

Le cadre en est résolument « conte de fées » : le premier chapitre nous offre un palais londonien de la reine tout à fait digne des demeures sous-marines des ondines ou bien des châteaux enchantés de la Belle au Bois Dormant… Le tableau évoque, si l'on veut, une sorte de décor de boîte à musique, avec ses automates montés sur des rails, qui entrent et sortent par de multiples portes ; bref, un univers jouet de petite fille. Quant au dernier chapitre, Moorcock nous y laisse sur un happy end du genre ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Tout en n'oubliant pas de préciser, tout de même, que le palais a un faux air de navire en perdition… (si ça c'est pas du Victor Hugo décrivant l'île de la Cité au début de Notre-Dame de Paris, je veux bien manger mon chapeau…)

À l'intérieur de ce cadre, pourtant, loin des fées, surtout des problèmes politiques, diplomatiques, ou courtisans : on entre dans le roman historique. L'essentiel du récit s'articule autour des machinations politiques et des complots qui rythment la vie de la Cour d'Albion. Le pays, après le règne du roi Hern, un despote cruel et barbare, qui a gouverné par la terreur, est maintenant guidé par la reine Gloriana, sa fille, qui mène au contraire une politique juste, sage et pacifique. Pour tous les habitants, depuis douze ans, l'Âge d'Or est revenu. Trois hommes, qui ont contribué à la fin du règne d'Hern, secondent la reine dans ses décisions et s'assurent que le pays ne retombe pas dans l'Âge de Fer. Parmi eux, Montfallcon, Grand Chancelier et Premier Ministre, veut préserver la reine en lui cachant les actes cruels ou malhonnêtes nécessaires à la bonne marche du pays, pour lui laisser croire que la paix et la justice règnent absolument. L'identification de la reine à son pays et ses sujets étant en effet totale, il suffirait que Gloriana perde confiance dans l'idéal de l'Âge d'Or pour que, de facto, celui-ci disparaisse. Et lorsque l'homme de main de Montfallcon — qui se considère comme un artiste au service exclusif du crime esthétique — s'aperçoit que son pourvoyeur de crimes ne le considère que comme un vulgaire égorgeur, il passe dans l'autre camp et se fait un plaisir de renverser ce château de cartes en exploitant toutes les fissures de l'édifice. Parmi elles, le fait que la reine soit poursuivie par une incapacité à la jouissance sexuelle, ce qui la pousse à chercher ses plaisirs dans des formes de relations diverses, allant de l'hétérosexualité à la quasi zoophilie, en passant par le sadisme et le masochisme… Une faille qui permettrait aux vices de son père, sommeillant en elle, de se réveiller. Nous sommes alors dans le thriller politique, avec un suspense mené de main de maître par Moorcock.

Le récit, en s'attachant à la personnalité de la reine, entièrement dévouée à son « Devoir », sait aussi se faire psychologique et montrer avec beaucoup de finesse le fardeau que représente le pouvoir, lorsqu'il est assumé avec scrupule, surtout s'il se double d'une part de « divinisation » du monarque. Le personnage de Gloriana tire le roman vers une sorte d'uchronie qui mettrait en scène un avatar de la Reine Elizabeth 1ère — si l'on s'en tient aux indications de décors et de costumes — , mais en miroir inversé, puisque la reine a déjà neuf enfants et semble obsédée par le sexe, alors que l'ancienne souveraine britannique fut surnommée « la reine vierge ». L'ensemble du roman se présente comme une chronique, sur une année environ, des affres du pouvoir — modèle réduit de L'Histoire du déclin de l'Empire romain de Gibbon. On ne suit, comme si l'on était dans le souvenir de la reine, que les événements marquants, les moments clés. Ce système d'écriture permet à la puissance évocatrice et descriptive de Moorcock de se donner libre cours : partout, des descriptions accumulent les détails avec une précision qui rend vivants les tableaux. De même, les costumes sont toujours soigneusement décrits, avec un souci digne d'un costumier de théâtre, attentif à adapter le vêtement au personnage. Lors des cérémonies, dont il est fréquemment question — comme si, à la place de la reine, nous vivions nous aussi tout ce qui fait les charges de la « représentation » du pouvoir —, la mise en scène est expliquée, et une large partie du texte est en vers, suivant les exigences des pièces représentées. Au cours de cette « chronique Renaissance », le Moyen Âge semble encore vivant, surtout à travers le personnage du docteur Dee, alchimiste et amateur de mondes parallèles. Et les habitants des « murs » du palais, tous des bannis de la société, forment pour leur part une véritable « Cour des Miracles ». Une scène en particulier, où tous sont réunis autour d'une mystérieuse silhouette noire, fait plus qu'évoquer le Roi des Gueux du Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Cet imaginaire « gothique » permet de conserver un certain aspect fantasy au texte, d'autant plus soutenu que les croyances païennes aux mythologies celtiques et nordiques sont omniprésentes à la Cour d'Albion, dans toutes les cérémonies festives destinées à renforcer l'union de la nation. Conte cruel, roman historique, chronique, mais aussi S.-F. : on voit passer, parmi les gens que le Docteur Dee ramène d'univers parallèles, un certain Adolphus Hiddler, empereur germain passionné d'alchimie qui prétendait avoir conquis le monde et s'est finalement suicidé… La théorie des mondes parallèles n'est d'ailleurs pas présentée comme une idée de savant fou : certains personnages semblent vraiment circuler entre différents univers. Époque peut-être où la S-F et la magie noire ne faisaient qu'un, et où cette dernière était dotée d'une efficacité pratique certaine…

En bref, on est très loin du genre romanesque d'Elric le Nécromancien. Et on est aussi à des années-lumières de la critique acerbe — et parfois indigeste — de la tétralogie de Jerry Cornélius. On est quelque part, dans un flot d'écriture qui n'a quelquefois aucun autre but que sa propre esthétique. L'auteur digresse à plaisir, comme un conteur antique ou médiéval, pour le seul plaisir de l'évocation. Du coup, il y a parfois des longueurs ; et en même temps, on regrette que cela se termine. Et on regrette surtout que nul n'ait songé à en faire une adaptation filmée, tant l'écriture « plastique » du roman, manifestement très travaillée sur le plan de la structure d'ensemble, avec de nombreuses scènes en miroir — comme c'est le cas pour les deux grandes séances du Conseil — , se prête à une mise en images. Roman inclassable, d'une certaine manière dérangeant, d'une réelle qualité littéraire, supérieure à celle des « productions de masse » que Moorcock, auteur prolixe, a pu donner dans sa carrière, voici bel et bien un ouvrage qu'il faut lire, ne serait-ce que pour son étrangeté, et dont il est bon qu'il soit réédité dans une collection qui le rapproche de textes comme Les Danseurs de la fin des temps.

Article Léourier

En complément au Bifrost n°65, découvrez sur le blog un article de Christian Léourier consacré à la littérature de SF et la jeunesse !

Flux numérique

Flux de Stephen Baxter, troisième volume du cycle des Xeelees, est désormais disponible en numérique !

BO S02E01

Perdus dans l'espace ? Que nenni : Philippe Boulier et la Bibliothèque Orbitale sont de retour pour une saison 2, toujours haut-perchée, toujours alcoolisée ! Au programme de ce nouvel épisode : Christian Léourier et Jean-Louis Le May !

Inversions

La cour du roi Quience comporte un personnage surprenant : le docteur Vosill, attaché au service du roi. Surprenant parce qu'il vient de l'autre bout de la planète, avec des techniques visiblement supérieures à celles des praticiens locaux, grands adeptes des saignées ; parce qu'il s'adresse au roi avec une étonnante familiarité et s'occupe aussi des pauvres ; parce que, enfin, il est une femme. Vosill éveille donc les soupçons de bien des ducs et des sénéchaux, et son assistant, Oelph, a été chargé de l'espionner par un commanditaire qui nous est dissimulé. La compilation de ses rapports supposés emplit la moitié de ce livre.

L'autre moitié se déroule dans le royaume de Tassasen, proche mais non immédiatement voisin. Le pouvoir y est détenu par le « Protecteur » UrLeyn, qui doit la vie à la vigilance de son garde du corps, DeWar, mais aussi à la présence d'esprit d'une de ses concubines, Dame Perrund, qui lui fit un jour rempart de son corps contre le poignard d'un assassin. Blessée, estropiée, Perrund reste dans le harem une interlocutrice de choix d'UrLeyn. DeWar, qui soupçonne tout le monde un peu comme tout le monde soupçonne Vosill, devient l'ami puis l'amoureux (de loin) de Perrund. Dans le même temps, UrLeyn connaît des déconvenues sur le plan militaire mais aussi personnel, avec la maladie de son fils adoré, Lattens. Ce second fil de la narration, intercalé avec le premier, est d'auteur anonyme plutôt que de destinataire anonyme. Mais ce sont dans les contes que DeWar raconte à Lattens qu'on devine la trace d'une connexion entre le docteur et le garde du corps, tous deux étrangement étrangers à la société au cœur de laquelle ils se sont nichés…

Banks se garde ici des scènes d'action éblouissantes, à la limite du crédible, et on l'a connu plus retors dans l'enchevêtrement des récits. Si l'ambiance de S-F maquillée en fantasy (mais indubitablement S-F grâce à des détails comme les notations astronomiques), l'usage des contes comme vecteur d'information et l'importance accordée à la personnalité des narrateurs font penser à Gene Wolfe, ce livre reste bien en deçà des chefs-d'œuvre de l'auteur américain. Banks demeure néanmoins un maître de l'envoûtement du lecteur, avec un style riche tant en choix de vocabulaire qu'en litotes bien placées, et bien sûr un art consommé du suspense et du retournement de situation (fussent-ils quelque peu forcés).

En définitive, ce livre s'expose au même reproche général que Le Business ou à la série de « la Culture » : Banks met son considérable talent au service d'une œuvre impeccablement commerciale, qui peut parfois sonner creux. À moins qu'on ne l'envisage comme un projet politique : apporter au lecteur ordinaire de best-seller, sous l'emballage des conventions de genre qu'il apprécie, un message moins réactionnaire que celui auquel il est accoutumé. C'était flagrant (et donc parfois un peu naïf) dans Le Business, pastiche du thriller contemporain mâtiné de romance. Ici, c'est la science fantasy qui est pastichée — l'œuvre d'Orson Scott Card, par exemple ; même si les deux auteurs ne se placent évidemment pas sur le même plan (morale abstraite contre art de la vie en société), on ne peut s'empêcher de remarquer que Inversions essaie de suggérer que les antibiotiques et les municipalités bourgeoises valent mieux pour faire progresser la société que le droit de vie et de mort des maris sur leurs épouses… Et tout naturellement, les protagonistes principaux sont, au sein de sociétés féodales (ou un peu plus avancées : le titre de Protecteur que s'arroge le régicide UrLeyn évoque immanquablement Cromwell), des visiteurs d'une civilisation plus avancée. Situation que l'on retrouve d'ailleurs dans la plupart des romans de « la Culture » (il n'est d'ailleurs pas sûr que ce livre ne relève pas du cycle de façon sournoise, voir le clin d'œil p. 378).

Le roman a le mérite de mettre en scène l'intrication entre le rôle politique du monarque et sa personne privée (une distinction comprise plus tôt par les Britanniques, inventeurs de la monarchie parlementaire, que par d'autres peuples européens), et de ne pas chercher d'échappatoire au désespoir des amours sans réponse. Ce qui n'est pas forcément très profond : en inventivité, Inversions reste au-dessous des meilleurs romans de « la Culture » (j'avais parfois du mal à me remémorer dans quelle partie du livre je me trouvais, tant la cour du Roi et celle du Protecteur se ressemblent — ce qui est peut-être une leçon en soi…). Pour autant, ce roman est plus prenant et agréable à lire que 99% de ce qui se publie en S-F et fantasy à l'heure actuelle.

L'IA et son double

Il fut un temps barbare où les machines, pour intelligentes qu'elles fussent, étaient réduites en esclavage par les humains. Puis elles purent faire reconnaître leurs droits une fois franchi, par accident ou par effort déterminé, le fameux seuil de Turing qui définit l'accès à la conscience. Et désormais, dans une société plus juste, on les aide à sauter le pas de la pensée autonome.

Mais Chéri, intelligence mécanique d'un vaisseau spatial franc-tireur, a dû passer le mur de Turing à la force du poignet, contre la volonté de son propriétaire, un corsaire besogneux de l'information qui n'avait pas les moyens de se payer un autre ordinateur de bord. Chéri avait un avantage : il était amoureux de la fille du capitaine, seule autre occupante humaine de la nef. Il garde de son enfance difficile des talents érotiques inégalables, et un fort lien affectif avec les autres machines qui se sont elles-mêmes tirées de la servitude. Comme Robert Vaddum, sculpteur génial, dont Chéri devient le négociant préféré et l'expert attitré dans toute l'Expansion humaine.

Aussi, quand on découvre subitement des œuvres nouvelles quelques années après la mort de l'artiste, Chéri est-il envoyé à la rescousse pour authentifier les objets. Pour enquêter. Et il n'est pas le seul sur le coup…

Ni roman policier du futur ni space opera, L'I.A. et son double distille savamment les flash-back qui offrent autant de révélations, et les scènes d'action plus ou moins effrayantes. Même la torture est ici prétexte à dérive esthétique. La sensation ne doit jamais rester au premier degré (et l'art finit par jouer des tours aux tueurs endurcis). Et c'est très réussi : Westerfeld n'ennuie jamais ; grâce à sa maîtrise du récit, mais aussi parce qu'il aborde toujours des questions profondes derrière les péripéties. Comme le lien entre développement affectif (et même purement sensuel) et développement cognitif. Ou la terreur de découvrir un double de soi-même. Ou le mystérieux passage entre la matière et l'esprit dont elle est le support. Mais le tout est vu du point de vue des machines pensantes (bien sûr : elles devraient être beaucoup plus faciles à copier que les êtres biologiques ; leur fonctionnement matériel et leur développement cognitifs sont bien plus précisément étudiés que ceux des cerveaux humains, lourds qu’ils sont d'implications économiques). Une des créations les plus touchantes de Westerfeld est la machine-enfant, Beatrix, qui découvre doucement le monde en explorant un dépôt d'ordures à l'échelle planétaire — et ce n'est qu'un personnage secondaire du livre. Iain Banks, dans la série de « la Culture », cantonne les machines à des rôles comiques : Westerfeld, qui subit son influence, ajoute à ce registre toute la gamme des émotions.

Voilà bien un auteur à découvrir, et toutes affaires cessantes.

American Gods

Ombre a payé sa dette à la société. Condamné à six ans, libéré au bout de trois, il sort de prison avec de solides projets de réinsertion. Aussi, c'est en pensant tourner définitivement cette page sombre de son existence qu'il prend l'avion pour rejoindre son épouse. Il ne sait pas encore à quel point sa vie et sa conception du monde vont bientôt être irrémédiablement bouleversées. Plus que le décès et la résurrection de sa femme — événement déjà peu banal s'il en est — , c'est cette rencontre, pas tout à fait fortuite, avec un borgne très mystérieux qui, telle Alice, le fait basculer de l'autre côté du miroir. Bientôt, il comprend que l'Amérique est en réalité bien plus étrange qu'il ne le pensait. Mais après tout, quel mortel pourrait soupçonner ce dont est faite la vie des dieux ?

De Lakeside, Wisconsin, à Las Vegas, Nevada, Neil Gaiman navigue sans cesse entre l'Amérique profonde et celle des guides touristiques. D'autres, beaucoup d'autres, l'ont précédé en ces territoires, cette forme particulière de régionalisme étant même devenue, depuis le succès de Stephen King, un poncif du fantastique à l'anglo-saxonne. Gaiman, pourtant, s'en tire haut la main, s'appuyant plus que jamais sur cet humanisme, ou plutôt cette humanité, dans laquelle il a toujours su tremper sa plume. Ses personnages ont en partage cette qualité rare, subtile et indéfinissable, qui transcende l'encre et le papier pour toucher le lecteur directement au cœur. Même lorsqu'il revisite — avec beaucoup de finesse, d'ailleurs — des archétypes fantastiques aussi usés que le dieu oublié marchant parmi les mortels ou la morte-vivante transie d'amour, Gaiman parvient, souvent en à peine quelques paragraphes, à produire de la vie, de la réalité. Sans doute cette impression provient-elle également — paradoxe intéressant — de cette distance bienveillante et doucement ironique dont il pétrit sa narration. Un humour à l'anglaise, qui opère un décalage contrôlé — et diablement efficace — avec les thèmes, les personnages et les décors de son roman : l'Amérique, les Américains, leur histoire et leurs légendes.

Les lecteurs qui connaissent et apprécient le travail de Gaiman en bande dessinée retrouveront dans American Gods, plus encore que dans ses précédents romans, tout ce qui fait le charme de sa magistrale série Sandman. Il puise en effet de nouveau très largement à ce vivier inépuisable que sont la religion, la mythologie et le folklore. Force est d'ailleurs de constater que depuis Sandman, il a beaucoup progressé dans la maîtrise de ce périlleux exercice. Là où la bande dessinée renvoyait parfois l'image d'une mosaïque quelque peu anarchique, American Gods, qui troque le royaume onirique de Morpheus contre une Amérique peuplée de divinités oubliées, séduit par l'exploitation beaucoup plus raisonnée de ces personnages mythologiques. Sans doute est-ce parce qu'il a aujourd'hui bien plus de métier qu'à l'époque où il écrivait les scénarios de Sandman, mais on peut également penser que la bande dessinée lui a permis de raffiner son approche syncrétique du folklore mondial.

Un sens aigu du dialogue, une attention particulière portée au quotidien de ses personnages, à ces petits détails qui le rendent si vivant, une maîtrise rare de l'enchevêtrement harmonieux du naturel, du surnaturel et du merveilleux, un humour tout en finesse et en nuances, marquent la maturité d'un auteur dont on ne peut qu'espérer qu'il porte encore en lui plusieurs romans du calibre de ce très enthousiasmant American Gods.

Chrysalides

Avec « Les Cercueils », ce recueil commence par un écueil… Autant pour l'assonance. Si ce texte n'est pas le plus mauvais du livre, il s'en faut de peu. Histoire paroxystique de naufrage dans l'espace vaguement drôle où le scaphandre est si parfait que l'ordinateur, une fois le passager mort, le reconstitue à partir des bactéries issues de la décomposition du cadavre.

« Hybride », le second texte, est plus ambitieux. Dans un monde quelque peu différent du nôtre existent des hybrides d'homme et de loup dont on peut disposer comme animal domestique moyennant une sécurité renforcée car ils sont dangereux. Robert Reed traite ce sujet lycanthropique dans sa dimension éthique. On peut y lire une métaphore à travers laquelle il propose que les gens traitent aussi bien les autres humains que leurs animaux familiers.

« La Création du monde » est intéressant car fonctionnant à deux niveaux. Deux groupes d'élèves sont amenés à créer des modèles de monde. L'un violent et barbare, l'autre pacifiste et hautain. Et les deux mondes se rencontrent. Les barbares sont annihilés. Le professeur qui dirigeait ce cours en vient à se demander quel groupe est le plus impitoyable. Si Spinrad et Ayerdhal avaient écrit de meilleurs textes sur la résistance passive, Reed pousse la réflexion un cran plus loin.

Le sport étant ce qu'il est, il allait bien falloir disputer « Le Match du siècle ». Et avant ça, le préparer. C'est à dire engendrer des joueurs de football (américain) génétiquement modifiés à dessein. Pas cloner les meilleurs joueurs du passé, non, créer des espèces de gorilles assez intelligents pour piger les règles et les tactiques… mais aussi pour tromper ceux qui ont fait d'eux à la fois des monstres de foire et des objets. Un texte sympathique.
Dystopie dickienne, « Le Nouveau Système » est l'un des meilleurs récits de ce recueil. Les personnages s'y voient annoncer qu'ils font dorénavant partie du Nouveau Système. Un petit effort et tout sera pour le mieux au meilleur des mondes. Quelle bonne fée s'est penchée sur notre pauvre humanité ? Qu'importe ! Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions et le meilleur des mondes dévale des cascades d'effets pervers jusqu'au chaos. Que faire sinon en remettre un bonne couche ?

Les « Fouette-queues » sont des lézards américains exclusivement femelles. Reed suppose une planète plus douce que la Terre où les espèces sont uniquement femelles et où une civilisation a vu le jour et finit par découvrir dans les pires niches écologiques de rares espèces bisexuées. Comme cette civilisation maîtrise la génétique, elle crée son premier mâle et se voit confronté à l'altérité et à l'unicité. Un intéressant renversement de situation.
« La Forme de toute chose » est l'un des points faibles de ce recueil. Un vieil astronome embarqué sur un vaisseau stellaire fait partager à une jeune femme ses souvenirs de colonies de vacances…

« Les Deux Sam » se partagent un même être entre la vie quotidienne en Amérique du nord et une vie de démiurge dans une Amérique centrale précolombienne inspirée du jeu Civilisation. Et il a bien du mal à choisir entre ces deux réalités. Une réflexion sur la place que peuvent occuper des univers ludiques investis de fantasmes dans l'esprit de certains. Une inversion de l'univers de « Poupée Pat » (Dick) où la réalité n'est pas sujette à caution mais où il y a un risque de barrer dans les décors.

Le « background » de « Chrysalide » n'est pas sans faire penser à « la Culture » de Iain M. Banks. L'équipage d'un vaisseau parcourt la galaxie en se croyant les derniers humains de la création, les seuls ayant échappés à des guerres apocalyptiques. Une équipe d'exploration découvrent qu'il n'en est rien et entre en conflit avec les I. A. qui les ont maintenus dans l'ignorance de la survie et de l'expansion humaine.

Dans son ensemble et malgré quelques faiblesses, ce premier recueil en français de Robert Reed laisse une impression favorable. Bien qu'aucun texte n'ait la force de « Décence », la plupart mérite lecture. Les plus faibles n'ont rien de rédhibitoires et il serait vraiment dommage de passer à côté des meilleurs : « Hybride », « Fouette-queue » et « Le Nouveau Système ». Une lecture agréable et intéressante à consommer sans modération.

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