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Les critiques de Bifrost

Lumière des jours enfuis

Lumière des jours enfuis

Stephen BAXTER, Arthur C. CLARKE
J'AI LU
448pp - 8,00 €

Bifrost n° 21

Critique parue en décembre 2000 dans Bifrost n° 21

La technologie des trous de ver offre la possibilité de relier deux espaces très éloi­gnés l'un de l'autre. Si l'énergie qu'elle réclame ne permet pas encore de franchir des distances cosmi­ques, encore moins d'y expédier des humains, elle autorise par contre l'emploi de caméras capables de filmer ce qui se déroule à l'autre bout du monde. Tout le monde peut donc être espionné à son insu, et les journalistes ne s'en privent pas. Cette dé­couverte intervient au moment où un astéroï­de géant, Absinthe, contre lequel le monde est impuissant, annon­ce l'éradication prochaine de l'espèce hu­maine. Il n'y a plus de secret pour person­ne. Les révélations tant politiques que privées changent la donne.

Pire : la Camver permet de filmer le passé et de révéler les mensonges des siècles révolus, sur lesquels s'est bâtie la civilisation. Les hauts faits héroïques, la naissance du christianisme, la conquête des libertés sont autant de cinglantes désillusions quand la légende est démolie par la réalité des faits. L'impact de ces révélations, s'il génère des troubles dans un premier temps, finit par faire émerger une nouvelle humanité, plus humble et plus sin­cère, car n'ayant rien à cacher.

On songe aux Enfants d'Icare, où la venue d'extraterrestres est porteuse d'une nouvelle humanité. Sauf que dans le cas présent, l'apocalypse annoncée tue tout espoir dans l'œuf.

Les protagonistes de cette ultime aven­ture lui donnent le relief humain nécessaire : l'inventeur de la Camver, Hiram Patterson, richissime conquérant industriel illustrant les temps anciens, ses deux fils Bobby et David — le premier étant un clone que le magnat a cherché à configurer à son image aux moyens d'implants cervicaux, le second, fils d'un premier mariage, étant le réel inventeur de la Camver — , et une jour­naliste, Kate, aussi radicale que critique face à Hiram, qui s'éprendra de Bobby et lui rendra sa liberté, sont autant de per­sonnages attachants parce que bien cam­pés.

Une telle fresque narrant un changement radical de la société, malgré la justesse de certains comportements, n'est pas exemp­te de naïvetés ni d'erreurs de jugement qui prêtent à sourire, comme quand la jeune génération, se sachant espionnée par les invisibles Camvers, se promène nue et fait l'amour en public. A ces défauts s'ajoutent quelques lourdeurs stylistiques heureuse­ment éparses, probablement dues au souci de précision des auteurs, qui décrivent une personne affligée d'épithélium avec une figure « tavelée de multiples cratères de car­cinomes basocellulaires ».

Le propos des auteurs n'est cependant pas la peinture sociale dans une période de crise, même si elle occupe une large place — et l'on regrette d'ailleurs que la construc­tion du roman soit bancale sur ce point. Après avoir montré comment la civilisation s'est bâtie sur des mensonges, ils opèrent une poétique rétrospective à travers les âges, remontant le temps jusqu'à l'origine de l'homme puis des espèces qui lui ont donné naissance, pour démontrer que la vie de notre espèce n'est qu'un chanceux hasard, favorisée par de nombreux acci­dents antérieurs qui auraient pu générer des voies différentes. Cette perspective très humble donne, sur la fin, la véritable tonali­té du roman, qui oppose le principe de vie à l'univers, la tragédie de Sisyphe dépas­sant sa condition humaine pour devenir celle de toute vie qui n'a rien à « attendre de plus de l'univers qu'un coup de massue régulier sur la vie et l'esprit d'évolution parce que l'état d'équilibre du cosmos est véritablement la mort ».

Au final, un livre réussi, qui se perd par­fois dans les méandres de son sujet, vu son ampleur, et qui se veut, malgré tout, un message d'espoir, moins en faveur de l'hu­manité que de la vie.

Claude ECKEN

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