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Kinshasa

Rintintin, Lassie, Benji et tutti quanti. On ne compte plus les chiens ayant égayé de leur jeu un tantinet cabot les séries télévisées, films et publications destinés à la jeunesse. Il faut croire que le meilleur ami de l’homme jouit d’une place privilégiée parmi les animaux à plumes et à poils.

Kinshasa, tel est le nom d’un labrador, doté d’une robe noire, dont le pedigree ne se limite pas à tenir compagnie à sa mémère ou à décorer la pelouse d’un pavillon de banlieue. Dans le roman éponyme de Jonas Lenn, Kinshasa se révèle même être un as dans son genre. Un genre génétiquement modifié, science-fiction oblige. Doté d’un odorat maousse, bardé de caméras, micros, pourvu d’une vision télescopique, d’un embryon de parole et de la faculté de faire le zombie, c’est-à-dire de quitter son corps pour se livrer à des investigations plus poussées, Kinshasa est un supertoutou. Le fleuron de la brigade cynophile de New York. Appelé sur une scène de crime, le cyberchien ne tarde pas à flairer une piste. Il guide son maître jusqu’aux installations portuaires s’étendant à proximité, sans se douter un seul instant que le voyage lui sera fatal. Le bonhomme termine ainsi sa vie au fond des eaux glaciales de l’East River et le chien échappe de justesse au même sort. Contraint à la fuite, il rejoint à la nage les rives d’une île apparemment déserte d’où il espère être récupéré afin de témoigner…

A la lecture de ce résumé, on sent bien que l’enthousiasme ne l’emporte guère. Certes, Jonas Lenn écrit un roman pour la jeunesse honorable. Toutefois, l’intrigue reste assez plan-plan, animée par des rebondissement téléphonés et s’achevant sur un dénouement expéditif. Comme pour compenser la faiblesse de l’histoire, l’auteur ne s’embarrasse pas d’un préambule interminable. Une fois le cadre posé, les divers protagonistes entrés en scène, l’action démarre, adoptant un rythme faussement haletant. Bref, Lenn déroule son intrigue, sans esbroufe stylistique ni mièvrerie, ne s’encombrant d’aucune psychologie compliquée.

Quid des points forts du roman ? Ils sont peu nombreux. Pour commencer, Jonas Lenn adopte le point de vue d’un animal, un chien dont le cheminement olfactif, à hauteur de… (on ne le dira pas) guide le déroulé du récit. Un chien certes quelque peu amélioré, dont les facultés dopées grâce aux technosciences lui permettent d’accomplir des prodiges. Mais un chien quand même, conservant grosso modo la psychologie — enfin, façon de parler — d’un brave toutou. Sur ce point, le pari de l’auteur semble tenu.

Abandonnant vite le registre et les codes du roman policier, l’auteur opte pour le huis clos. L’île sur laquelle échoue Kinshasa est le siège d’une micro société enfantine, rappelant celle de Neverland, tout amateur de James Matthew Barrie aura immédiatement fait le lien. Jonas Lenn ne fait d’ailleurs pas secret de cette inspiration. Les allusions aux enfants perdus, à l’organisation sociétale dépourvue d’adultes et rejetant les filles, sautent aux yeux. Cependant, on se situe dans le registre du clin d’œil, voire de l’hommage, plutôt que dans celui du simple pastiche.

Au final, Kinshasa apparaît comme un roman sympathique, sans plus. Une lecture légère, adoptant un point de vue original et pas trop ridicule.

Chevaucheur d'ouragan

Chroniquer un premier roman n’est jamais chose aisée. On pèse ses mots, on hésite dans son accroche, oscillant entre enthousiasme modéré et agacement tempéré. On tourne le sujet dans tous les sens, guettant l’inspiration, histoire de voir si sa muse s’amuse de ses tourments. Et puis, on finit par lâcher le morceau parce que le rédacteur en chef trépigne d’impatience.

De Chevaucheur d’Ouragan, on ne dira pas que l’on ressort bouleversé. Certes, le roman de Sam Nell ne manque ni d’ampleur, ni d’imagination. Le genre d’ampleur ne demandant qu’à prendre ses aises dans une multitude de suites, comme de coutume en fantasy nous rétorquera-t-on. Une imagination nourrie par les mythes et leurs créatures : stryge, ondine, dryade, minotaure, golem, dragon et tutti quanti. Rien de neuf en définitive.

Le prière d’insérer évoque l’hommage à Michael Moorcock. L’un des personnages emprunte son apparence au prince albinos déchu, comme un clin d’œil adressé à l’auteur britannique. De même, l’ambiance et les ressorts du roman s’inscrivent dans les codes d’une dark fantasy empruntée au multivers moorcokien, lorgnant du côté de l’affrontement entre Ordre et Chaos. Toutefois, point d’antihéros torturé dans Chevaucheur d’Ouragan. Tout au plus croise-t-on quelques archétypes au caractère ambivalent, en lutte contre leur destin. Pas de quoi tomber en pâmoison. Et puis, on pense plus d’une fois à Mathieu Gaborit ou à Michel Robert (au secours !), en particulier L’Ange du chaos (au secours bis !) édité aux mêmes éditions Mnémos.

Quid de l’histoire ? Faisons simple. D’une écriture engluée parfois dans une multitude de fioritures, Sam Nell entremêle trois destins sur fond de guerre cyclopéenne et de complots byzantins. Par ordre d’entrée en scène, Abel de Tyr, yeux gris, teint d’albinos, cheveux blancs. Le bougre tue son spleen dans l’alcool lorsqu’une inconnue lui propose de rejoindre l’avire (le navire volant) de Trestan Vortigern, prince atlante maudit en exil. Il devient ainsi le chroniqueur de ses aventures. Deuxième à entrer en scène, Tres-tan Vortigern, prince de la famille Vortex, Chevaucheur d’Ouragan, corsaire de la Reine des Orages, commandant Le Souffle de l’âme, avire de la flotte atlante. Ce fin de race porte sur/en lui (on ne sait plus) les misères d’une malédiction ancestrale. Un lourd passif qu’il supporte avec une morgue toute aristocratique, la cicatrice qu’il arbore autour du cou brasillant selon ses humeurs. Shi’ndra, jeune dryade affriolante, un peu naïve, pour ne pas dire gourde (trop tard, c’est fait), est la féminine de l’étape. Un rôle assez transparent consistant à passer de mâle en mâle, telle une parure de lit un peu bavarde.

Tout ce beau monde, et quelques autres, embarquent pour un périple qui les mène à l’Observatoire d’Ar-Zalaam, lieu de confluence de toutes les forces élémentaires de l’univers. Naturellement, moult obstacles s’opposent à leurs projets…

Inutile de surcharger davantage une intrigue au parfum entêtant de déjà-lu. Allons à l’essentiel. L’amateur d’épopée chargée d’hormones appréciera Chevaucheur d’Ouragan, même si les enjeux de l’histoire se montrent quelque peu confus, les scènes de combat souvent illisibles et les descriptions percluses de loevenbruckeries. Les crânes qui éclatent dans une gerbe de sang et les membres virils dressés peuvent titiller les zygomatiques.

De son côté, l’adolescent boutonneux délaissera la veuve poignet, le temps d’enquiller l’ouvrage avec passion. Le tout en écoutant, à s’en faire péter les trompes d’Eustache, la playlist composée par Sam Nell lui-même sur le site chevaucheurdouragan.com.

Les autres ? Ils feront comme moi : passer leur chemin.

Khanaor

Inutile de le nier : chez Bifrost, Francis Berthelot fascine. Que ce soit pour sa science-fiction — comment oublier La Lune noire d’Orion, aujourd’hui disparu des librairies, ou le splendide Rivage des intouchables, réédité chez Folio « SF » — ou pour l’inclassable Cycle du Démiurge, qui, de roman en roman1 invite à un lent glissement dans le fantastique et dans les profondeurs tourmentées de l’être. La récente réédition de Khanaor vient nous rappeler qu’il s’est aussi aventuré en terres de fantasy. A une époque (1983) où le genre n’était quasiment représenté en France que par la production anglo-saxonne, il fallait s’attendre à ce que Berthelot s’aventure hors de ses sentiers balisés pour en interpréter la partition d’une manière toute personnelle. Vingt-sept ans plus tard, ce roman n’a rien perdu de sa force et de son originalité.

Khanaor : une île que les aléas de l’Histoire ont scindée en quatre territoires — l’Eau, la Terre, le Feu et l’Air — profondément antagonistes. Une terre qui souffre de ces divisions, au point qu’un jour l’équilibre se rompt. Les ressources se tarissent : en Aquimeur, la faune et la flore dépérissent, et la reine Mervine se voit contrainte de réclamer de la puissante Ardamance le sacrifice de quatre de ses mages… Quitte à s’appuyer pour l’obtenir sur la puissance militaire de la Goldèbe, créancière de l’Aquimeur, bientôt réduite au désespoir après des années de mauvaises récoltes. Les tensions montent, la terre de Khanaor en accuse les symptômes et s’empoisonne. Seuls les monts d’Espréol semblent épargnés, mais pour combien de temps encore ?

Au gré des convulsions politiques, alors que la reine d’Aquimeur sombre peu à peu dans la folie, le roi Leuthiag de Goldèbe dans la barbarie et les barons d’Ardamance dans la peur, quelques destins vont se croiser, se mêler, se lier.

Il y a Sigrid, fillette apprentie magicienne lancée à la recherche de sa grand-mère promise au bûcher pour sorcellerie, et l’Anserf, l’esprit de l’île, âme d’un noyé arrachée à la mort qui dans sa souffrance a oublié ses origines ; Kurt, le jeune charmeur de plantes traître à Sigrid, traître à son pays, amoureux du trop beau Raïleh, traître à toutes les causes hormis la sienne ; Judith, mage d’Ardamance, et Craès, l’ermite d’Espréol, prisonniers du passé et impuissants à résoudre le présent…

Chez Berthelot, la fantasy oublie les grands destins, les héros et les batailles, pour plonger au plus profond de l’être. Et le long des chemins secrets de Khanaor se dessinent les paysages intérieurs de ces personnages meurtris par la violence des guerres que savent se livrer corps et esprit, par les violences faites au corps ou à l’esprit, par l’exclusion que vaut, encore et toujours, la différence. Autant de thèmes qui hantent ce roman et toute l’œuvre de l’auteur, portés, ici comme toujours, par un style ciselé, incisif, aiguisé : un scalpel prêt à fouiller nos chairs et nos cœurs pour, à la lumière des équilibres rompus de Khanaor, dévoiler les monstres que nourrissent nos déséquilibres fondamentaux.

Avec ce roman sensible et militant, intensément humain, Francis Berthelot a écrit à lui seul un chapitre de l’histoire de la fantasy en France : une réédition à ne pas rater.

Note :
Et d'éditeur en éditeur — Denoël, Fayard, Flammarion et enfin le Bélial', ce dernier nous promettant une intégrale dudit cycle pour 2012, alors que le huitième opus de la série, soit l'avant-dernier, devrait à cette heure être disponible chez le petit éditeur Rivière Blanche sous le titre de Carnaval sans roi. [NDRC].

CLEER

Deux Kloetzer pour le prix d’un, c’est la promotion de rentrée offerte par la collection « Lunes d’encre », avec en prime un habillage impeccable et résolument hype. Roman à quatre mains signé Laurent et Laure Kloetzer (L.L. Kloetzer, donc), Cleer s’impose d’entrée de jeu comme un texte à part, littérairement et physiquement. Le graphisme soignée rend l’objet aussi curieux que désirable, et l’étiquetage « Fantaisie Corporate » le classe parmi les ovnis littéraires. De fait, Cleer se range sans doute plus facilement du côté des transfictions qu’autre chose, la saveur politique en plus. Car même si les Kloetzer s’en défendent et s’abritent derrière une neutralité ironique, Cleer est une interrogation politique sur le monde moderne, traitée comme un texte d’anticipations aux accents fantastiques. A travers les aventures (?) de deux employés d’une multinationale tentaculaire qui symbolise à peu près tout ce que le capitalisme tertiaire fait de pire, on contemple par petites touches (cinq nouvelles, en fait) un paysage moderne et quasi extraterrestre de l’aliénation voulue. Charlotte Audiberti et Vinh Tran sont jeunes, beaux, intelligents et super efficaces. Ils sont recrutés par la société Cleer pour gérer les situations de crise. Si les Kloetzer baptisent ce service Cohésion Interne, la Gestion de Crise existe bel et bien dans l’organigramme des entreprises d’aujourd’hui. En gros, il s’agit de jouer les interfaces entre la boîte et les médias, de remettre de l’ordre quand il le faut et de savoir se montrer discret quand tout devient gênant. Et ceux qui bossent dans ce service font de l’argent. Beaucoup d’argent. Entités en plastique aux allures de Ken et Barbie, Charlotte et Vinh avancent comme des automates dans un monde parfait, où les écologistes sont des terroristes, où les saboteurs font du social, où les cultures transgéniques sont aussi belles qu’utiles. Les deux agents servent un mode de vie aussi glaçant que totalitaire, sans jamais s’interroger sur le bien fondé de leur action. A l’image de ces scientifiques sympathiques, chevelus et fumeurs de joints qui travaillent pour Matra à la mise au point d’un missile révolutionnaire par guidage laser, Charlotte et Vinh sont tout simplement déconnectés du monde réel et vivent littéralement pour leur entreprise. Si les émotions et le sexe ne sont pas absents de leur existence, ils les relèguent à la marge. Seul compte le board, les résultats, les meetings, le traitement des données et la neutralisation des problèmes. Le reste, c’est de la morale. Et c’est là où les Kloetzer tapent juste, dans la représentation d’un univers tautologique qui se suffit à lui-même dont la morale (et l’éthique) touche au vide. Ici, ni bien, ni mal. Deux personnages qui font ce qui doit l’être. Et qui le font bien. Le tout dans une ambiance blanche, lumineuse, propre. Flippante, en fait. Impossible de ne pas se souvenir de la dernière phrase de l’indispensable 1984 : « Il aimait Big Brother. »

Glaçant, effrayant, bien ficelé, Cleer impressionne. Malheureusement, le côté collage de nouvelles lasse sur la longueur. C’est d’ailleurs le seul défaut du roman. Quelques pages sabrées et sans doute un peu moins d’explications auraient encore renforcé cette impression de réalisme magique assez unique. Défaut mineur, tant la lecture de Cleer interroge. Un questionnement renforcé par les étranges passages fantastiques (rêvés ?) dans lesquels s’embourbent les personnages. Magie, prescience, troisième œil ? On n’en saura rien et c’est très bien comme ça. Le livre refermé, le lecteur pense. Le lecteur réfléchit. Et les livres capables d’entraîner ce genre de réactions ne sont pas si nombreux.

Drone

Troisième roman de l’anglais fou Neal Asher publié par chez nous après L’Ecorcheur et Voyageurs, mais second titre du cycle Polity — l’univers ultra futuriste dudit anglais fou (après L’Ecorcheur) —, Drone, dans la droite ligne des deux titres précités, ne fait pas dans la dentelle, ou alors une dentelle tricotée à la sulfateuse calibre mammouth, façon puzzle… Ainsi, après le planet opera débridé et sanglant (L’Ecorcheur), après le voyage temporel barzingue sur fond de guerre galactique mitonné sauce Terminator (Voyageurs), voici le space op’ militaire de gauche (si si) mâtiné de Memento, quelque chose à mi chemin entre Etoiles, garde à vous ! (revu par Paul Verhoeven), Le Vieil homme et la guerre de John Scalzi, voire La Guerre éternelle de Joe Haldeman, le tout soutenu par une écriture certes minimaliste, mais une aptitude au rentre-dedans et à la tripaille à tous les étages assez peu commune. Neal Asher ça dépote, c’est pas du Mickey, ça arrache son slip à mémé. Tout ça en même temps, et plus si affinité. Bref, le prototype du livre qui nous rappelle pourquoi on aime la S-F, ou en tous cas qu’on l’aime aussi pour ça, même si ça nous fout un peu la honte.

Ian Cormac est fils et frère de soldats, aussi sera-t-il soldat lui-même, histoire d’aller à son tour casser du Prador, ces saloperies de crabes géants qui élèvent les humains en batterie à l’échelle de planètes entières pour, au choix, les bouloter à l’apéro ou en faire des machines à tuer décervelées (une mutation sans doute facile à mettre en œuvre, diront les mauvaises langues). On suit donc, sur deux lignes narratives distinctes, Cormac jeune, vivant avec sa mère archéologue et croisant un frère aîné condamné à se faire effacer les souvenir tant ce qu’il a vu sur le front est insupportable, et Cormac moins jeune, devenu soldat, et bientôt soldat d’élite, qui va découvrir au fil du temps combien son passé n’est pas aussi lisse qu’il y paraît, un passé qui ne va pas tarder à lui exploser en pleine poire par l’entremise d’un drone de guerre intelligent aux allures de scorpion géant (oui, celui de la couverture).

On l’a dit, Neal Asher brasse du lourd, y compris en termes d’influences (ici, outre les précités un peu plus haut, on pourrait évoquer Iain M. Banks). Et si la science-fiction s’avère bel et bien une littérature de strates ou chaque auteur peut (doit ?) puiser dans le sédiment culturel de ses prédécesseurs, Neal Asher ratisse large et synthétise à tout va. Mais avec talent. Et pas que. Ainsi, à l’instar de Banks (encore lui) ou même, dans un autre registre, de Peter Watts (auquel il rend d’ailleurs ici un hommage appuyé en guise de clin d’œil), Asher se livre mine de rien à une déconstruction habile du domaine au fil de ses romans, conférant de fait une vigueur nouvelle à nombres de tropes éculés. Habile, le Neal Asher, on l’a dit, et aussi d’une efficacité redoutable, même si tout n’est pas toujours ici d’une cohérence imperméable. On ajoutera enfin que le présent Drone, en révélant les origines du personnage central du cycle du Polity, s’avère une introduction parfaite à l’œuvre de l’auteur, et on aura compris qu’il serait dommage de se priver de cette série B haut de gamme comme la S-F en produit finalement trop peu.

Plaguers

Période faste pour Jeanne-A Debats. Après son recueil de nouvelles, Stratégies du réenchantement, paru chez Griffe d’encre en mai dernier, c’est désormais au tour de Plaguers, chez l’Atalante cette fois. Dans ce roman, le premier de l’auteure en collection « adulte », cette dernière revient sur ses thèmes de prédilection et pousse plus loin certaines idées abordées dans ses nouvelles : un groupe d’individus différents doit vivre, voire survivre, dans un environnement hostile, un monde dévasté par le manque d’attention qu’on lui a porté.

Quentin est un jeune homme dont la vie d’adolescent rebelle a basculé lorsque de l’eau s’est écoulée de ses pieds. Nouvelle victime de ce mal récent, de cette « Plaie », il est devenu ce que les autres appellent des « Plaguers », des jeunes hommes et femmes touchés par cette malédiction aux formes diverses. Certains font naître des végétaux, d’autres créent et vivent entourés d’animaux — serpents, abeilles ou loups. Au début, personne ne maîtrise ce pouvoir. Leurs détenteurs sont donc isolés, ou plus précisément parqués dans des Réserves. Quentin se retrouve dans celle de Paris. Il y pénètre en même temps qu’Illya, jeune fille transformée en homme par ses parents pour tenter d’échapper à sa Plaie. Sans succès. Ils vont devoir apprendre comment vivre dans cette communauté. Comment supporter, puis, peut-être, contrôler leur « talent ». Ils vont finir par comprendre comment l’humanité en est arrivée à ce point de déliquescence et comment eux-mêmes ont été créés…

Jeanne-A Debats sait conduire le lecteur au milieu de ses personnages ; elle a cette tendresse à leur encontre qui les humanise. Dès les premières pages, elle caractérise les deux principaux protagonistes, expose leurs faiblesses, leurs doutes, leurs fragilités. A travers les yeux du jeune Quentin, la communauté des Plaguers, des Uns et des Multiples, prend rapidement vie. On sent que l’auteure apprécie ce mode de fonctionnement : une certaine anarchie, régulée par la bonne volonté de chacun, guidée par les plus anciens, les plus « sages ». Pas de pouvoir central pour imposer, sans explication, des règles à priori injustes. Pas de privilèges pour une minorité. Le respect des différences de chacun, mais aussi de la nature.

C’est un autre thème important du roman. Le monde dans lequel évoluent les personnages est cauchemardesque. L’air est tellement pollué qu’il faut sortir avec un masque. L’énergie est à ce point rare que les quartiers les plus pauvres en sont quasiment dépourvus. On a bien trouvé une nouvelle façon d’en produire, mais elle est insuffisante. La société est donc encore plus clivée qu’aujourd’hui : les riches, enfermés dans leurs quartiers, laissent les pauvres suffoquer, mourir à petit feu. La nourriture et les autres ressources sont stockées dans des zones protégées. Tout le monde n’y a pas accès.

Corollaire de ces souffrances, de cette déshumanisation : la haine de l’autre. Et qui détester sinon ces mutants aux pouvoirs étranges et dévastateurs (certains peuvent créer des virus tueurs, des tsunamis ravageurs) ? Certains d’entre eux, déjà, se méprisent et ne supportent pas leur transformation…

Plaguers s’avère en définitive un roman profondément humain et non dénué d’optimisme en dépit de la noirceur du monde décrit, malgré la violence de certains sentiments, de certains personnages. On pourrait presque parler de naïveté — un reliquat, peut-être, des habitudes prises par l’auteure au cours de l’écriture de ses romans « jeunesse ». Mais tout cela demeure remarquablement mené, avec une belle justesse dans les portraits, un réel enthousiasme bienveillant, au point qu’on se laisse emporter dans ce récit d’un avenir certes sombre mais où palpite encore l’espoir.

Le Coup du cavalier

Louons les efforts des éditions l’Atalante, qui poursuivent la publication des romans de Walter Jon Williams, auteur finalement assez méconnu en France au-delà du désormais classique Câblé (Denoël « Lunes d’encre »). En février 2010, il était question de Ceci n’est pas un jeu. Sept mois plus tard, il s’agit désormais d’une œuvre moins récente, puisque publiée aux Etats-Unis en 1985.

Le Coup du cavalier est un roman de science-fiction des plus classiques : dans un avenir lointain, la Terre s’est vidée de ses habitants. Un homme, Doran Falkner, s’emploie à la racheter progressivement aux derniers Irréductibles qui refusent de la quitter — refusant aussi, au passage, l’immortalité offerte à tous.

Doran, lui, à l’instar de la majorité des humains, l’a acceptée. Il est même à l’origine de sa découverte (aidé, il est vrai, par un extraterrestre assez étrange, Elastos). Grâce à cela et à l’« in-vention » d’une nouvelle source d’énergie inépuisable, il est devenu riche. Immensément. Il a donc pu réaliser ses rêves et s’installer à Delphes, siège de la Pythie, lien supposé entre le dieu Apollon et l’Humanité. Il en a en partie reconstitué les mo-numents antiques, créant au pas-sage une nouvelle race inspirée de la mythologie : les centaures. Doués de parole, ces derniers discutent en grec ancien et cultivent le souvenir des poètes classiques, composent, chantent et dansent, font revivre en les actualisant ces moments passés depuis tant de siècles… Si Doran vit seul, dans sa maison si perfectionnée qu’elle est à l’écoute de son moindre désir, il garde toutefois quelques contacts avec certains de ses enfants, en tous cas ceux dont il connaît l’existence, car après tout, à son âge, on ne se rappelle plus précisément le détail de ses actes…

Un jour, son associé vient lui parler d’une découverte à même, pour peu qu’on en perce le secret, de bouleverser à nouveau le destin de l’Humanité : des animaux, les lugs (sorte de kangourous stupides), parviennent à se téléporter instantanément d’un endroit à un autre. Doran Falkner est appelé à la rescousse afin d’élucider ce mystère aux enjeux colossaux…

On pourrait croire que cette aventure scientifique va servir de fil conducteur au roman, mais elle ne s’avère finalement qu’un prétexte, prétexte qui ne se verra traité que dans le dernier tiers du récit. Ici, ce qui intéresse Walter Jon Williams, c’est le thème de l’immortalité, l’un des tropes de la science-fiction, un sujet souvent traité sous l’angle de l’ennui. Des entités, si puissantes qu’elles ont terrassé la mort, ne cherchent plus qu’à vaincre ce nouvel ennemi délétère, cette lassitude qui finit par les miner, les rendre fous. Et cela, par tous les moyens, y compris, paradoxalement, par la mort elle-même. C’est ce que vivent Hergal et d’autres dans Ne mords pas le soleil ! de Tanith Lee, eux qui passent leur temps à se suicider (Hergal en est à sa quarantième tentative au début du roman). Chez Moorcock, cette immortalité entraîne tous les excès, baroques et décadents dans Une chaleur venue d’ailleurs, Les Terres creuses et La Fin de tous les chants. Dans Le Coup du cavalier, Walter Jon Williams nous offre une galerie assez variée de réactions devant cette chance aux allures de fardeau. Des humains et des extra-terrestres cherchent et trouvent des distractions, des solutions ou des pis-aller.

Pour l’auteur de Câblé, le risque dans l’immortalité, c’est tout simplement de perdre son humanité, devenir esclave des machines et de ses propres fantasmes. De se transformer, comme ce savant de renom, le docteur Zimmerman, en être geignard et infantilisé, tributaire d’une IA protectrice et tyrannique ayant pris la place de sa mère défunte. Voilà ce que refuse Mary, femme aimée de Doran. C’est une Irréductible. Elle a choisi de vieillir afin de rester elle-même alors que Doran Falkner a basculé dans l’immortalité. Leurs réflexions, leurs doutes, leurs envies contradictoires sont l’intérêt principal de ce roman. Comment accepter le choix de celle qu’on aime alors que cela implique sa mort prochaine ? Comment vivre avec quelqu’un qui restera éternellement jeune alors que l’on vieillit inexorablement, qu’on évite les miroirs de peur d’y croiser son reflet ?

Ces questions et d’autres font de ce Coup du cavalier un roman attachant quoique souvent brouillon, un livre qui n’évite pas toujours au lecteur l’ennui que vivent certains de ses personnages, mais qui mérite néanmoins le temps qu’on lui consacre. Et tant pis si nous ne disposons pas encore de la vie éternelle. D’ailleurs, après tout, est-ce vraiment souhaitable ? Sans doute pas, si on en croit Walter Jon Williams…

Dernières nouvelles de la Terre

Elles ne sont pas bien gaies, ces dernières nouvelles de notre bonne vieille Terre. Elles sont même totalement déprimantes. Pas d’espoir à attendre de ces quelques images de nos avenirs possibles. Bordage veut-il nous faire réfléchir à ce monde que nous détruisons peu à peu ? Veut-il nous faire prendre conscience de la catastrophe vers laquelle nous tendons si rien ne change ?

Les causes sont différentes, mais le constat reste le même : notre avenir est bouché, les futurs potentiels ici présentés sont des impasses. Domination de la machine dans « La Voix du matin » : les humains ont laissé aux IA le soin de décider pour eux. Au point de devenir d’éternels enfants tributaires des ordinateurs. Tentation du repli sur soi dans « Une plage en Normandie », un des deux inédits du recueil. L’Europe y est devenue une vraie forteresse. Sa ligne de miradors est infranchissable. Pour le plus grand désespoir des milliers de réfugiés qui tentent de survivre dans un environnement de catastrophes climatiques prévues de longue date. La Terre, décidément, est bien maltraitée. Celle que découvre le narrateur de « Dans le regard des miens » pourrait effrayer n’importe qui. De retour d’un long séjour sur une planète étrangère, il rentre chez lui et retrouve les siens. Et peine à les reconnaître, victimes d’un progrès mal contrôlé.

Pierre Bordage ne situe pas tous ses textes dans un horizon lointain. Dans « On va marcher sur la Lune », le tour que joue la Chine au reste du monde, et surtout aux Etats-Unis d’Amérique, s’avère plus que crédible — et pourrait se dérouler sous nos yeux. De nos jours, tellement de personnes mettent tout en doute, se regroupent et se confortent grâce à Internet. Pourquoi ne pas imaginer, comme l’auteur, qu’avec quelques preuves assénées par des individus influents, le monde finirait par croire que l’homme n’a jamais mis le pied sur la Lune ? Que tout n’était qu’une vaste escroquerie ? Un texte qui vaut surtout par son côté réaliste et crédible.

Ici, Pierre Bordage ne se cantonne pas à la science-fiction. Ainsi aborde-t-il par exemple les rivages du roman noir avec « Mauvaise nouvelle », une sombre histoire de vengeance, un récit classique mais néanmoins glaçant : des personnages au scalpel, des sentiments exacerbés, une souffrance à fleur de peau. Quant à « Fort 53 », il s’agit d’une relecture du mythe de la Table ronde : la compagnie Excalibur doit protéger la ligne Avalon qui marque la frontière de l’Europe et de la chrétienté face à l’ennemi. Un de ses jeunes soldats fera une rencontre mystérieuse en plein champ de bataille… Un texte qui se révèle pour le moins obscur à qui ne connaît pas les références originelles. On trouve aussi un épisode biographique imaginaire (quoique ?) : le jeu-ne Jules de « Son nom est personne » rencontre les futurs personnages de ses succès littéraires. Amusant, surtout pour les nombreux clins d’œil qui émaillent cette nouvelle.

La découverte de ces Dernières nouvelles de la Terre… ne se fait pas sans plaisir. Pierre Bordage sait manier le récit à chute. Même si la surprise n’est pas toujours au rendez-vous, la maîtrise avec laquelle l’auteur guide son lecteur est telle que les textes s’enchaînent avec un rythme métronomique, peut-être trop.

Reste un recueil sans doute un peu lisse, mais formant un ensemble qu’une fois commencé on n’abandonnera pas facilement.

Canisse

Après s’être frotté aux romans historiques documentés, Olivier Bleys fait une rapide incursion en science-fiction. Et il a des idées. Pas forcément toutes neuves, ni forcément originales, mais nombreuses. Trop peut-être pour un livre de cette taille. En effet, pourquoi s’être contenté de si peu de pages pour conter une telle histoire, une histoire qui, du coup, peine à tenir dans un costume si étriqué ?

Dans un univers dont la civilisation repousse sans cesse les limites, les braconniers ont toujours une longueur d’avance. Dans cette zone de non-droit qu’est l’Outre-Monde, ils cherchent de nouvelles planètes, de nouvelles espèces, de nouvelles proies. Et le corps des garde-pêche, chargé de limiter leurs exactions, est bien impuissant devant leur détermination et leurs moyens.

Xhan est l’un de ces défenseurs de la loi. Il vient d’être mis à la retraite, sans raison valable, quelques années avant l’âge requis. Pour couronner le tout, son médecin lui apprend qu’il est atteint d’une tumeur potentiellement mortelle. A opérer d’urgence. Mais il s’en moque et préfère passer ses journées à boire. Jusqu’à une rencontre qui va changer ce qui lui reste de vie. Moox, un pilote des Grandes Lignes abordé dans un bar, lui montre un œil de poisson. Mais pas n’importe quel œil. Un œil qui mesure plusieurs mètres de diamètre… ce qui laisse imaginer la taille phénoménale de l’animal à qui il appartenait. Xhan veut alors, avant de passer l’arme à gauche, voir de ses propres yeux ce monstre impossible. C’est ainsi qu’il découvrira Canisse, la planète-océan, théâtre de l’essentiel de ce roman. Canisse et ses autochtones craintifs, Canisse et ses richesses convoitées, Canisse et ses secrets bientôt dévoilés…

Court, si court ! Olivier Bleys ne prend pas le temps d’exposer ses personnages, ne serait-ce qu’un minimum. Au point qu’ils en deviennent par trop stéréotypés, trop simplistes. On n’a pas l’occasion de les apprécier ou de les détester qu’ils disparaissent déjà. A commencer par Xhan et ses états d’âme — en dépit de son statut de héros. Un personnage principal qui s’avère transparent et sans intérêt. Les autres protagonistes sont eux aussi taillés à la serpe, tous semblables à une silhouette déjà aperçue — qui dans un roman, qui dans un film.

Canisse est pareil à ces contes où seule l’histoire est importante au détriment des personnages. Annoncé par la quatrième de couverture comme un planet opera, il lui manque le souffle, l’ampleur, l’ambition. La mise en place du récit est laborieuse, l’intrigue met du temps à démarrer jusqu’à l’arrivée sur la planète-océan, puis les événements s’enchaînent jusqu’à une fin, certes pas inintéressante, mais dont on se demande ce qu’elle vient faire là. Patchwork d’éléments disparates, ce roman fait donc davantage penser à un cahier dans lequel Olivier Bleys aurait pris des notes, esquissé quelques caractères à gros traits. Et l’ensemble de nécessairement finir par laisser un goût amer, un parfum de déception devant ce qu’aurait pu être Canisse. Reste l’espoir d’une nouvelle tentative, plus riche, plus aboutie. Mais pour l’heure on passe… dommage pour l’un des rares inédits de l’année proposés en collection de poche.

Arche

Suite de Déluge, qui a vu la Terre inondée par de gigantesques poches d'eau souterraines ayant fait résurgence, Arche décrit le projet gouvernemental consistant à exiler un fragment de l'humanité vers un autre monde. C'est une aventure s'étalant sur plus d'un demi-siècle que Baxter propose dans ce volume, où les protagonistes du début s'effacent progressivement au profit de leurs enfants et de la génération suivante.

La destination est une planète distante d'une vingtaine d'années-lumière, autour d'une étoile relativement semblable au Soleil. Afin de ne pas perdre trop de temps dans le trajet à destination, le mode de propulsion choisi, dans une bulle de distorsion échappant à l'espace-temps, reste cependant hautement spéculatif, comme le reconnaît l'auteur en postface, ne serait-ce que pour embarquer l'accélérateur de particules destiné à modifier localement la constante cosmologique, lequel nécessite l'énergie d'une antimatière récoltée au large de Jupiter, car trop longue à fabriquer avec les moyens humains classiques.

En adepte des voyages spatiaux, l'auteur n'omet aucun détail d'une expédition dont on imagine sans peine la difficulté. La catastrophe planétaire devient, rétrospectivement, le seul impératif de survie suffisamment fort pour justifier cette entreprise hors normes et dans un temps réduit. Pour mieux convaincre le lecteur, Baxter présente quelques scènes sordides liées à la survie et aux bouleversements sociaux accompagnant la montée des eaux. C'est encore l'imminence du désastre, et la faible dangerosité en cas d'accident, qui autorise la reprise de projets remisés au placard, comme le vaisseau spatial Orion à propulsion nucléaire.

Les candidats choisis pour leur jeune âge, leurs grandes capacités intellectuelles, sont formés de manière à réussir cette expédition de plusieurs années. Dès le départ, des impératifs politiques, des modifications de programme, des désordres divers infléchissent le projet. Des passagers clandestins aux accidents engageant la survie du groupe, des conflits psychologiques à la schizophrénie individuelle, en passant par des modes de gouvernance successifs, de l'abandon de la destination initiale pour une autre en passant par le désir de rebrousser chemin, aucune piste narrative n'est négligée, Baxter s'amusant même à les traiter toutes en un seul ouvrage, comme il traita jadis dans Les Vaisseaux du temps de l'ensemble des thèmes liés au voyage temporel. C'est donc une compilation de toutes les situations qu'a engendré le thème de l'arche stellaire qui est présentée ici, en tenant compte des avancées scientifiques réalisées entre-temps.

L'exercice a l'avantage et l'inconvénient du pot-pourri, à savoir que ces thèmes familiers manquent d'originalité et qu'à peine esquissés, ils sont abandonnés pour le suivant. Si on suit les péripéties avec intérêt, l'intrigue s'éparpille malgré tout entre les multiples protagonistes et les théâtres des opérations. L'auteur a du mal, et on le comprend, à rassembler les fils des intrigues croisées en une seule trame cohérente, celle de la survie globale de l'humanité étant trop ravaudée pour être satisfaisante.

Un thème dominant finit tout de même par émerger, récurrent chez l'auteur, à savoir les possibilités de vie et leur évolution dans l'univers. D'abord contenu dans la seule tragédie de l'humanité, il se dégage insensiblement du spectacle des mondes croisés, épuisés plutôt que morts, et de l'absence de signaux intelligents. En fin de roman réapparaît donc le Stephen Baxter des vertigineuses spéculations ; mais peut-être avait-il lui aussi besoin d'accomplir ce long périple pour se retrouver.

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