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Le Sang du Serpent

Voici la réédition en poche, tant attendue par les moins fortunés, du chef-d'œuvre de Brian Stableford, le premier Livres de la Genèse.

Pour être paru dans une collection de fan­tasy, Le Sang du serpent manqua son pre­mier rendez-vous avec le public français. Car c'est bien de pure SF qu'il s'agit, plus particulièrement de celle que les anglo-saxons dénomment planetary romance. On peut raisonnable­ment imaginer que ce roman était destiné à devenir le quatrième titre de la collection mort-née « Futur », où Doug Headline, son responsable, avait déjà publié dans un registre voisin, Les Fils de la sorcière de Mary Gentle (bientôt réédité en « Folio-SF »). Après l'arrêt prématuré de la collection, on sup­posera que le même Doug Headline ne renonça pas à offrir au public ce roman qui le méritait et le publia dans la collection sœur des éditions Rivages : « Fantasy ». Voilà comment une excellente trilogie peut se retrouver victime de la confusion des genres…

C'est de la SF certes peu technologique. Un monde où l'on utilise des épées, où il y a des rois et des sorcières — comprenez des guérisseuses, c'est à dire des empoi­sonneuses… Ici, « surnaturel » signifie « ap­partenant à la biosphère originelle de ce monde », par opposition à une biosphère étrangère, importée de la Terre et dite « terrestre ».

Cette romance planétaire traite du thème générique de la colonie perdue, à l'instar de La Jeune fille et les clones de David Brin, d'Exilé, l'excellent roman de Michael P. Kube-McDowell, ou encore, pour citer un auteur français, d'« Avant Champollion », la remarquée nouvelle de Sylvie Denis. Mais c'est de Patience d'Imakulata, d'Orson Scott Card, dont Le Sang du serpent est le plus proche. Outre que l'on y trouve aussi une tête toujours jactante bien que tranchée ainsi qu'une princesse héroïne rompue à l'usage des poisons, c'est avant tout l'idée d'une lutte séculaire entre l'écosystème local et les éléments d'origine terrestre importés par les colons — que l'on peut, humains compris, considérer comme une pollution — , qui lie les deux livres. Deux autres éléments rapprochent davantage encore ces ouvrages. Tout d'abord l'inopérance de la technologie, et d'autre part l'écologie locale qui, dans les deux cas, a su attendre longuement son heure et la dégradation de la technologie pour reprendre l'offensive. Ultime parallèle : tant Patience que Lucrezia traversent une grande partie du pays en compagnie d'un équipage hétéroclite, local et terrestre.

Brian Stableford est un auteur anglais atypique. Il a commencé à publier dès les années 70, mais sans être marqué par les thématiques fort pessimistes qui s'impo­saient alors outre-Manche chez les post-moorcockiens. Peut-être cela fut-il dû à un certain positivisme scientifique ? Quoiqu'il en soit, il ne s'est véritablement imposé que plus récemment, avec la génération des Baxter et autre McAuley, comme lui scienti­fiques de formation. Et pourtant. Le thème moorcockien en diable du pourrissement court tout au long du Sang du serpent. Bien sûr, Stableford ne le décline pas selon sa dimension métaphysique, en termes d'entropie ; il privilégie l'aspect biologique. Tout vieillit et se meurt, voué à la corrup­tion, mais il ne semble jusqu'à présent guère s'attacher à la notion de complexification du système.

Andris Myrasol, prince en cavale condamné à la suite d'une rixe, se retrouve emporté par le flot des circonstances dans une expédition vers la vallée des terribles Dragomites, en compagnie du capitaine qui l'a arrêté, Jacom Cerri, désormais en dis­grâce, et qui est chargé de ramener à Xandria la princesse Lucrezia. Autour d'eux, le bandit Checuti qui a raflé l'argent du roi ; le marchand Carus Fraxinus et son adjoint, Aulakh Phar ; Ereleth, reine-sorcière qui chaperonne Lucrezia et leur âme dam­née, la géante Dhalla ; Hyry Keshvara, l'aventurière ; Merel Zabio, la cousine de Myrasol ; et le Serpent Ssifuss…

Les presque six cent pages de ce pre­mier tome ne sont pas de trop pour poser la foultitude de personnages, dont une dou­zaine de principaux, et d'évoquer ce monde foisonnant à travers mille et un détails. En cinq cent pages d'ouverture, Brian Stableford ne laisse nulle place à l'ennui ni aux lourdeurs ; le rythme sait toujours rester alerte. À la lecture, on sent la nécessité des informations reçues. Et au tourné de la dernière page, le lecteur n'a que l'envie de pénétrer plus avant les arcanes de ce monde étrange en compa­gnie de Fraxinus et de son équipage, d'aller avec eux jusqu'au Berceau de la Chimère. Gageons que J'ai Lu saura donner à la trilo­gie des Livres de la Genèse tout son lustre et la positionner, complète et en bonne place dans toute bibliothèque SF qui se respecte, au côté de l'Helliconia de Brian Aldiss, car c'est un morceau de choix pour les rêveurs de mondes.

La Maison des Atréides

Dune. À mon sens, l'un des trois plus grands chefs-d'œuvre de la SF avec Tous à Zanzibar de Brunner et En Terre étrangère de Robert A. Heinlein. Il y a près de 20 ans que j'ai lu Dune et j'en ai gardé le souvenir d'un livre génial mais difficile. Exceptionnellement ardu. N'étais-je pas alors insuffisamment armé pour aborder le livre ? Peut-être. Mais l'avis est largement partagé. Et que l'on prenne le problème comme on veut : cette Maison des Atréides ne joue pas dans la même division. On est plus proche du film de David Lynch, voire des « séquelles » de Star Wars dues à Kevin J. Anderson, que de feu Frank Herbert. On avait reproché à Dune d'être ardu, à ses suites ou aux collaborations avec Bill Ransom de l'être trop ; ce ne sera pas le cas cette fois : Frank Herbert est bel et bien mort et il le reste.

Il y a des personnages de Frank Herbert dans un univers de Frank Herbert, l'odeur de l'épice et des vers de sable. Mais ce n'est pas Dune. C'est du space opera standard. Rien de plus que, par exemple, la Trilogie des Conquérants de Timothy Zahn. Force est d'admettre que ça ne fait guère avancer le schmilblick. De plus, il y a encore la place d'un tome au moins entre La Maison des Atréides et Dune… Et là, l'odeur est davantage celle du billet vert que celle du Mélange ! Dieu seul sait combien les marchands de tapis de l'édition ont prévu de nous fourguer de ces « préquelles ».

Voici une assez bonne histoire avec ce qu'il faut de machinations et de péripéties, mais où est l'intérêt problématique qui faisait tout le sel de Dune ? Frank Herbert ne cessait d'interroger le pouvoir, le rôle particulier de la religion dans son exercice. Dans La Maison des Atréides, ce n'est plus qu'un background…

L'univers de Dune est une société féodale dont les principales forces en présence sont :

> le Landsraad — c'est à dire la noblesse, parmi laquelle on distinguera trois principales familles de protagonistes, les Atréides, leurs ennemis héréditaires, les Harkonnen, et la famille impériale, les Corrino.

> la CHOM (Compagnie des Honnêtes Ober Marchands) qui détient le monopole du commerce dans l'Imperium.

> le Bene Gesserit, un ordre religieux féministe et manipulateur qui crée des superstitions, mène un programme eugéniste et a pour dessein de se hisser au pouvoir.

Tout cet univers gravite autour de l'épice de la planète Dune, que toutes les parties en présence consomment et qui est sous le contrôle des Harkonnen. L'Imperium a été instauré après le Jihad Butlérien — croisade contre la cybernétique et les ordinateurs qui avaient asservi l'humanité et qui, depuis, sont tabou, tabou codifié dans la Bible Catholique Orange qui fonde la religion.

Dans La Maison des Atréides, trois blocs s'opposent. Les Corrino et l'empereur s'allient au Bene Tleilax — des biologistes honnis — pour produire de l'épice de synthèse et ne plus dépendre des Harkonnen. Pour ce faire, Tleilax et Impériaux conquièrent Ix, monde high tech fief des Vernius alliés des Atréides. Afin de contrer les visées impériales qui les ruineraient, les Harkonnen tentent de dresser l'un contre l'autre Tleilax et Atréides et de faire d'une pierre deux coups.

Kevin J. Anderson, faiseur de Star Wars, n'était certainement pas l'auteur le mieux indiqué pour cette « préquelle ». Bill Ransom, qui a écrit trois complexes romans en collaboration avec Frank Herbert, aurait probablement obtenu un résultat, sinon meilleur, du moins davantage conforme à l'esprit de Dune. Orson Scott Card, d'un point de vue thématique, est l'un des auteurs les plus proches de Frank Herbert — passionné lui aussi par les jeux de la religion et du pouvoir. Leurs optiques respectives étaient-elles compatibles ? Card aurait-il pu en faire abstraction ? Vaine spéculation…

Reste que nous sommes ici en présence de space opera qui ne prend pas le chou. La lecture est facile, agréable, mais n'apporte rien sur le plan intellectuel. On conseillera davantage La Maison des Atréides aux fans de space op' à la Star Wars qui apprécient les épisodes rédigés par Kevin J. Anderson qu'aux inconditionnels de Dune. On est à cent lieues en dessous de Dune, loin même de La Culture d'un Iain Banks. Ce livre ne marquera pas la SF, ni même le millésime 2000.

Galilée-1

Il y a déjà quelques années, j'avais été écœuré par le premier des célèbres Livres de Sang. Hauts le cœur, nausées… jamais je n'avais eu les tripes secouées de la sorte par un bouquin. Aussi n'avais-je plus touché à la prose du sieur Barker depuis. En définitive, avec huit années de recul, Clive Barker m'apparaît aujourd'hui comme ayant été le seul authentique écrivain gore. Mais Clive Barker a changé. Et Galilée n'est pas un roman gore même si, au détour d'une page, subsiste une certaine crudité. Par contre Barker reste un écrivain hors du commun : s'il sait choquer, il s'épargne — et nous avec ! — la vulgarité sans pour autant édulcorer son langage. Joli tour de force.

Clive Barker recourt ici au principe du livre dans le livre. Le « Galilée » de Barker est le « Galilée » d'Edmund Maddox Barbarossa. Maddox entreprend d'écrire la chronique de Geary et des Barbarossa. Étant l'un de ces derniers, ce qui lui advient ressort à ce qu'il a à écrire. Et Clive Barker use de la position privilégiée de rédacteur de Maddox pour nous donner, à nous, des éclaircissements nécessaires sur la construction même de Galilée. Ainsi, tel un Petit Poucet, Barker sème au fil du texte, comme partie intégrante, les réflexions de Maddox sur ce qu'il a écrit. Ce roman est le volume d'introduction en quatre parties de cette chronique familiale.

La troisième, qui est aussi la plus longue, emprunte les tons et nuances de la chronique mondaine et du soap opéra pour dépeindre la dynastie Geary. Nous sommes entre Dallas et Point de vue. Cadmus, le patriarche presque centenaire qui tient de Randolf Hearst à moins que ce ne soit d'Howard Hughes ; Loretta, sa seconde épouse, qui consulte des astrologues ; Mitchell, petit fils de Cadmus, beau gosse et fils à papa mais nul au pieu ; son frère Garisson et son ivrognesse de femme, Margie ; et enfin, Rachel Pallenberg, la petite vendeuse provinciale qui a épousé le prince charmant pour voir le château de pain d'épice prendre l'odeur, et la couleur vert-de-gris de la moisissure, le conte de fées ne tardant pas à tourner en eau de boudin parfumée au divorce…

Pour nous autres, lecteurs de fantasy ou de fantastique, les Barbarossa ont tout de suite plus de chien, de moelle. Ce sont des demi-dieux. Au bas mot. Des quasi-immortels. Aussi Barker, fine mouche, a-t-il commencé par eux, histoire de fixer le lecteur. Feu Nicodème, le père obsédé sexuel ; Ceasaria, la mère et sorcière ; Marietta la lesbienne et sa sœur obèse ; Luman, le fils à moitié fou qui vit dans un taudis immonde au fond du parc ; Galilée, l'autre fils, banni, qui hésite entre Juif Errant et Hollandais Volant ; et Edmund Maddox, l'inévitable bâtard de Nicodème, plus humain et donc plus proche du lecteur. Hormis Galilée, tous vivent à L'Enfant, immense demeure magique conçue par Thomas Jefferson… Oui, celui-là même.

La deuxième partie plonge dans le passé pour nous conter la vie de Zelim qui fut témoin du baptême de Galilée sur les rives de la mer Caspienne au temps des Mille et Une Nuits et de la splendeur de Samarcande…

Dans la dernière, on voit Galilée se rapprocher de Rachel Pallenberg. Le décor désormais posé, l'action pourra commencer avec le second tome (qui devrait être tout chaud au moment où vous lirez ces lignes).

Ne serait-ce le talent de Clive Barker, on délaisserait ce tome 1 sans intérêt propre mais qui éveille le nôtre pour la suite. Le livre ne cesse de nous sauter dans les mains, de vouloir se faire lire. Barker a l'art de rendre passionnant jusqu'aux passages les plus mièvres — ou censés l'être au vu de l'action — et donne quelques scènes fortes. Il faudra certes juger sur la totalité, mais, à défaut d'autre chose, il y a déjà la manière… et la superbe couverture de Vincent Froissard.

Le Voyage de Simon Morley

Ce qui nous immerge dans le présent, ce sont les multiples fils que tissent l'environ­nement, l'architecture des bâtiments, le langage, les objets… Les rompre, en reconstituant l'atmosphère et le décor d'une époque révolue, en s'imprégnant du passé, permet de voyager vers ce passé. C'est ainsi que Simon Morley, dans le cadre de recherches secrètes du gouvernement américain, effectue plusieurs missions dans le New York de 1882. Il s'isole dans un immeuble de l'époque, y vit comme un citoyen du XIXe siècle jusqu'à ce que, se sentant prêt, il effectue ses premiers pas à l'extérieur…

Au cours de ces voyages, Simon tente d'élucider le mystère du suicide de l'aïeul de son amie Kate, ce qui l'amènera à découvrir des malversations inconnues des historiens. Il tombe également amoureux de Julia, la jeune fille de la pension où il est descendu.

Malgré la minceur de l'intrigue, l'intérêt est soutenu de bout en bout grâce à la richesse des détails restituant la fin du XIXe siècle à New York. Chaque événement permet de mesurer à quel point la société a changé. Le comportement, les modes de pensées, la psychologie des gens de l'époque sont par moments aussi éloignés des nôtres que ceux d'un extrater­restre, ce que Simon paraît être parfois. Malgré son imprégnation de l'époque, il commet de menues erreurs — ainsi quand il exécute le portrait de Julia, portrait qui déroute car les traits de son esquisse ne se touchent ni ne se ferment, ce qu'un œil du XIXe siècle est incapable d'interpréter comme étant un dessin réussi.

La lecture de ce roman abondamment illustré est un réel bonheur. Les descrip­tions dont il fourmille ne sont en rien pesantes, au contraire : elles constituent la matière même du livre. Grâce à elles, l'imprégnation est totale. C'est le lecteur qui, désormais, voyage dans le temps.

Ce roman de Jack Finney qui a obtenu le Grand Prix de l'Imaginaire en 1994, a depuis été suivi d'un autre, Le Balancier du temps, tout aussi passionnant. Sa réédition s'imposait.

Horizons lointains

Robert Silverberg avait déjà réalisé une anthologie de fantasy (Légendes, éd. 84) basée sur le même principe : prolonger, pour un nouveau tour de piste, les cycles célèbres de la science-fiction, en partant du postulat que leurs univers sont suffisamment riches pour justifier de nouveaux prolongements. Silverberg ne parle pas ici des concepts de séries qui se répètent inlassablement mais évoque, dans sa préface, les sagas évolutives qui approfondissent idées et univers au fil des volumes.

Curieusement, sa propre nouvelle, appartenant à la série Roma Aeterna, uchronie où l'empire romain a survécu, contredit ses ambitions ; l'intérêt des univers parallèles est en grande partie motivé par les divergences provoquées par la modification d'un événement. Celles-ci admises, raconter un énième récit situé plusieurs siècles après le point de divergence n'ajoute ni ne retranche rien à la série, le référent étant situé trop loin dans le temps. Cette réserve n'ôte rien au mérite du récit, dont le propos est ailleurs, et qui reste agréable à lire.

Il en va de même avec Orson Scott Card qui envoie Ender, alors que celui-ci cherche une planète pour les Doryphores, sur un monde où il a maille à partir avec un inspecteur des impôts véreux et où il fait la connaissance de Jane, le « compagnon » logé dans son ordinateur : ce prudent épisode d'une malversation déjouée serait sans rapport avec la saga si le riche voyageur des étoiles n'avait été Ender.

Il n'y a en fait qu'un seul texte vraiment médiocre dans cette anthologie, c'est celui d'Anne McCaffrey. Séquelle du Vaisseau qui chantait, la nouvelle n'est qu'un épisode supplémentaire des aventures d'Helva, le vaisseau-femme, centré autour d'une idée maintes fois ressassée : la planète capable de se défendre seule contre l'envahisseur.

Mais comment ajouter une pierre à l'édifice sans dérouter le lecteur qui ignorerait tout du bâtiment lui-même ? Le plus souvent, celle-ci n'est pas d'une incidence qui nécessite la connaissance de la série au complet. Dans le cas de Frederick Pohl, par exemple, qui reprend son concept de la Grande Porte, les éléments de base, à savoir la capacité de voyager pour des destinations inconnues mais peut-être fabuleuses dans des vaisseaux abandonnés par les énigmatiques Heechees, suffit pour raconter un épisode très réussi. L'exercice est moins évident dans le cas de « Tentation », du cycle Élévation de David Brin, malgré la présentation que chaque auteur fait de sa série, en introduction à la nouvelle : lorsque le décor est aussi riche que foisonnant, il est difficile de livrer en quelques lignes les informations qui furent développées sur plusieurs milliers de pages. Le texte de Gregory Benford approfondit la réflexion sur la spécificité humaine, un des thèmes développés dans sa série des Organiques contre les Machines (on retrouve d'ailleurs Nigel Walmsley combattant la Mante), mais, bien que non dénué d'intérêt, il restera probablement hermétique à ceux qui ne connaissent rien du cycle du Centre galactique, en raison justement des détails non explicités qui se réfèrent directement à la trame de base.

La plupart des auteurs retiennent donc un aspect peu abordé de leur univers : Ursula Le Guin, dont le cycle des Ekumen est suffisamment lâche pour proposer des romans lisibles séparément, raconte fort intelligemment une guerre qu'on suit uniquement par le biais de ceux qui ne la pratiquent pas ; se référant à Endymion plus qu'à Hypérion, Dan Simmons choisit de raconter avec brio comment les Enéens, à bord de leur vaisseau spatial, sauvent une civilisation régulièrement agressée par un engin aussi gigantesque que ravageur ; Greg Bear envoie à nouveau Olmy sur la Voie présentée dans Éon, Éternité et Héritage, pour empêcher que l'univers ne soit phagocyté par un autre où c'est l'ordre, grand dévoreur d'énergie, et non l'anarchie qui a pris le pouvoir : les implications philosophiques qu'en tire Bear sont à la hauteur de ce cycle ambitieux.

« Une Guerre à part » est la seule nouvelle qui se réfère à un roman isolé, La Guerre éternelle en l'occurrence, mais qui ne le restera pas, la proposition de Silverberg ayant donné à Joe Haldeman l'idée d'une suite. Le texte lui-même ne manque pas d'intérêt, ne serait-ce que par le point de vue décalé qu'adopté l'auteur en plaçant ses héros dans une société où l'homosexualité est la norme et l'hétérosexualité la perversion.

Tous ces romans appartiennent au space opera, comme si seul ce genre était susceptible d'offrir de grandes sagas. Nancy Kress apporte un flagrant démenti avec une nouvelle appartenant au cycle des Insomniaques, une trilogie scandaleusement inédite en France quand on sait que la nouvelle qui lui donna naissance, L'une rêve et l'autre pas, a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire. « Méfiez-vous du chien qui dort » s'attaque à la modification génétique des animaux : priver les chiens de sommeil n'a pas sur eux le même effet que sur les humains.

Avec près de 650 pages bien serrées, ces dix nouvelles qui prennent le temps de développer leur sujet (entre 50 et 70 pages en moyenne) donnent le sentiment de lire plusieurs courts romans à la suite. La reprise des cycles célèbres n'est pas étrangère au plaisir global qu'on retire de cette anthologie, tant ceux-ci rappellent de riches et passionnants moments de lecture. Avec Horizons lointains, Silverberg nous offre un beau bouquet final de la SF du XXe siècle.

Miso Soup

Si le tueur en série est devenu, au fil des ans, un des motifs préférés de la série B, qu'elle soit littéraire (Thomas Harris) ou cinématographique (Copycat, Scream, etc.), il est agréable de voir que la grande littérature s'intéresse avec plus ou moins de bonheur au symbole, à sa mécanique (meurtres, enquête, motivations du tueur, modus operandi). Parmi les réussites majeures, on citera Lune Sanglante de James Ellroy, L'Aliéniste de Caleb Carr, Un Enfant de dieu de Cormac McCarthy ; d'autres chercheront plutôt du côté de Bret Easton Ellis et de son insupportable American Psycho. Ce serait enterrer un peu rapidement Miso Soup de Murakami Ryû, sans aucun doute l'un des romans les plus fins jamais écrits sur les bas-fonds de Tokyo et le phénomène de la prostitution lycéenne (qui n'a aucun équivalent dans les autres pays du monde). L'histoire ? Kenji a vingt ans, il sert de guide aux touristes étrangers intéressés par les love-hôtels, salons de massage, bars sans culotte et autres peep-shows avec « service spécial ». Dans ce monde de perdition où la jeunesse japonaise touche le fond sans jamais oublier de sourire, Kenji guide Frank, l'affranchit. La routine, sauf que Frank, un américain mythomane, pourrait bien être le tueur en série qui ensanglante Tokyo depuis quelques jours en démembrant ses victimes (une façon peu japonaise de tuer, nous apprend le narrateur). Alors commence un jeu morbide, cruel, entre Frank, la vérité et Kenji qui a besoin de l'argent de Frank pour vivre, veut protéger sa petite amie (dont Frank prend régulièrement des nouvelles) et a tout aussi besoin de comprendre qui il est réellement. Car c'est bien de réalité dont il est question ici, tout cela est-il réel ? Est-ce que les actes d'un tueur en série ne sont pas, par essence, irréels ? Et si — au contraire — ils étaient des symptômes de normalité ? Roman époustouflant de bout en bout, véritable thriller avec bout de peau de clochard incendié collé à la porte de l'appartement en tant qu'avertissement, dialogues à double-sens, menaces explicites, massacre d'anthologie (page 138 à 156), Miso Soup est surtout une plongée nietzschéenne dans le fameux « quand tu regardes l'abysse, méfie-toi, car l'abysse regarde en toi ». Un peu comme Peter Hoeg avait détourné les ficelles du thriller médical pour écrire Smilla, l'un des plus beaux portraits de femme de la littérature moderne, Miso Soup détourne les règles du « thriller à la Seven » pour nous parler du monde moderne et des monstres qu'il crée. Le meilleur livre jamais écrit sur les tueurs en série ? Peut-être. Du moins un des plus érudits, des plus intelligents. Quant à ceux qui n'ont jamais lu Murakami Ryû et aiment la littérature qui secoue les tripes, ils peuvent aussi se ruer sur Bleu presque transparent et Les Bébés de la consigne automatique : le premier raconte l'odyssée immobile de quatre jeunes japonais qui se droguent, se prostituent au quotidien pour survivre dans un monde dont ils acceptent inconsciemment l'insupportable américanité ; le second décrit avec minutie la société japonaise actuelle, dénuée d'âme, déracinée, vouée à l'empilement des solitudes.

De minuit à minuit

Anthologie conçue pour qu'on lise dans l'ordre les vingt-sept nouvelles qui la composent, De minuit à minuit, au fil des heures, ne cesse de décevoir et d'exaspé­rer. Si l'on enlève les textes nuls (Calvez, Bouhier, Siniac, Nicodème, Fuentes), ceux qui n'ont rien à faire en ces pages (Pelot, Ravalec), ceux agréables à lire mais sans surprise (Arnaud, Nguyen, Françaix, Pouy, Fazi, Ka, Winckler, Duguël), ceux ratés mais ambitieux (Leroy, Curval, Brèque, Andrevon), les razzies en puissance (Ulysse, Valéry, Bolduc), et, cerise sur le gâteau, l'incompétente Marie Darrieussecq (infoutue de savoir que c'est d'Aliens qu'elle a tiré sa citation « My mother told me monsters do not exist. Now I know they do » et non d'Alien IV)… il y avait là de quoi faire une jolie plaquette de 96 pages ou, pour être plus gen­til, un bon sommaire d'un numéro de la revue Ténèbres spécial francophonie. On s'arrêtera néanmoins sur les textes de Michel Pagel, Claude Ecken et Stéphanie Benson, tous trois très bons dans des registres assez différents. Reste que l'antho­logie donne une bonne idée de l'état du fantastique moderne francophone : une lit­térature qui parle principalement de l'en­fance (malade, victime, bourreau) et du sang (vampirisme, menstrues, SIDA). On regrettera l'absence de texte de grande littérature (« Le Horla », souvenez-vous) même si l'es­sai de Darrieussecq propose un travail sur le style assez intéressant… Quant aux textes qu'on aime, ici chez Bifrost, rapides, puissants, avec du rythme, un brin méchant : nulle trace à l'horizon. Cela aurait pu être les textes de Francis Valéry et Louis-Stéphane Ulysse, s'ils n'étaient point si ridicules.

Dans un paysage où il existe maintenant plusieurs revues professionnelles, trop d'anthologies francophones tue les anthologies francophones (voir le récent Hyperfuturs qui peine bien à découvrir ne serait-ce qu'un nouvel auteur). Quant à savoir ce qu'est l'angoisse, avouons que Daniel Conrad y répond avec brio. L'angoisse, c'est de savoir que des lecteurs peu in­formés vont acheter De minuit à minuit — 99 francs tout de même — alors que, pour le même prix (voire moins), ils pourraient acquérir deux excellents Pocket « Terreur » (Koko de Peter Straub et Maison hantée de Shirley Jackson — pour avoir le plaisir de citer deux chefs-d'œuvre). Il faut d'habitude du recul pour dire que la sortie d'une anthologie est un non-événement. Ici, au fil des noms alignés, trois heures de lecture suffisent.

Les Aventures de Jerry Cornelius

Avec une cinquantaine de livres traduits, Michael Moorcock est l’un des auteurs les plus connus du public, notamment pour son œuvre de fantasy. Mais, outre Elric et ses nombreux avatars alimentaires qui popularisèrent Moorcock — sur le tard, il est vrai —, il fut un précurseur du steampunk, donna dans l’uchronie baroque et, surtout, s’imposa comme l’acteur majeur de la New Wave britannique des années 60, en tant que rédacteur en chef de New World et en tant qu’auteur des aventures de Jerry Cornelius. Il prêta ensuite le personnage à d’autres auteurs dans la mouvance de New World, tels que Spinrad, Aldiss ou Hilary Bailey...

Jerry Cornelius a été présenté comme un James Bond pop et un dandy cynique vivant dans un monde en proie à l’entropie : le nôtre au milieu des sixties. C’est un brin superficiel et racoleur.

En premier lieu, à l’instar d’Elric dont il est un énième avatar, Jerry Cornelius est un agent du Chaos. Dans Le Programme final, le parallèle avec son modèle est particulièrement cultivé. Ainsi, Jerry Cornelius investissant le château faux Le Corbusier de son père faisant écho au sac de Melniboné par Elric, son amour pour sa sœur, Catherine, répondant à celui d’Elric pour sa cousine, Cymoril, de même que leurs morts respectives de la main de l’un et l’autre. Franck, son frère, endossant le rôle du prince Yrkoon. Le multivers moorcockien — on entend ici la manière dont se répondent les textes de Moorcock les uns aux autres à travers toute son œuvre en une construction conceptuelle devenue délibérée — commençait à prendre forme.

Jerry Cornelius, dont les initiales ne doivent rien au hasard, est un moderne messie hédoniste et dérisoire qui s’évertue à provoquer l’avènement d’un monde moins froid, moins faux. Ces aventures sont une farce, une comédie où l’humour vient conjurer l’horreur mise en images du monde postmoderne avant qu’elle ne nous anesthésie. Jerry Cornelius — né dans une réaction de colère à la guerre du Vietnam — déchiffre pour nous le labyrinthe discontinu de nos sociétés où l’on est voué, non seulement à se perdre, mais à s’évanouir.

Il expérimente diverses attitudes, cherche avant tout à se présenter en tant qu’être humain épris de sincérité et de sensibilité. Pour se faire, il lui faut lutter contre les systèmes, les organisations incarnées par la froide — et frigide — Miss Brunner. Jerry ne propose rien d’autre que d’introduire un brin de fantaisie dans la dérisoire rigidité de systèmes absurdes prétendant tout contrôler et réduire les gens au rôle déshumanisé d’agent d’un processus. Jerry Cornelius est un anti-héros, acteur de la farce, qui s’arme toujours d’un poignard de théâtre pour que seuls meurent les masques ou les rôles. Il ne faut pas davantage se laisser abuser par les oripeaux dont il se vêt, les artefacts dont il s’entoure ; à travers lui, Moorcock montre tout ce qu’ils ont de futiles et dérisoires. C’est un rêveur. Et l’imagination, moteur de tous les rêves, lui permet de détourner la technologie, de la réduire en gadgets... En tant que tel, fringues et gadgets ne sont là que pour donner l’illusion de la plénitude et combler la vacuité affective ; en fait de voie, ils aboutissent à une impasse. Tous ces artefacts ne sont qu’artifices incapables de produire du sens. Autant pour le consummérisme !

Datant des années 65/75, Les Aventures de Jerry Cornelius ont certes vu leur cadre vieillir ; le nec plus ultra du gadget high-tech d’alors a pris des allures de pièces de musée de province. Pourtant, comme un grand cru de Bourgogne, elles se sont bonifiées avec les années. La pertinence du propos moorcockien s’accroissant avec l’entropie, il n’en prend que davantage de saveur et de relief. Pour apprécier pleinement, il suffit de se restituer dans le contexte de l’époque, à la manière dont on lit du steampunk. Bien qu’écrit hier, Jerry Cornelius est plus que jamais au goût du jour.

La construction, de plus en plus fragmentée au fil des volumes, dans la mouvance du nouveau roman — atomisant la narration, recourant à des inclusions de coupures de presse, des commentaires « off » —, loin de parasiter le récit, en pose le contexte de l’unique manière possible. En effet, la narration la mieux aboutie s’avérerait désormais impuissante à restituer la complexité de l’époque d’une manière autre que parcellaire, impropre au propos de Moorcock. Cette construction ne facilite pas la tâche d’un lecteur habitué à une confortable linéarité mais, elle est indispensable pour créer une « impression du monde » suffisamment globale. Le monde de Jerry Cornelius, c’est ça, ça, ça, ça, ça, ça... ça, ça ! Tout ça ! Et c’est le nôtre ! Si le choix formel de Moorcock — encore exacerbé dans les nouvelles mettant Jerry Cornelius en scène — n’est pas exempt de difficultés, cela tient au fait que le monde n’est plus facile à appréhender. Marshall Mac Luhan n’a-t-il pas dit que le médium était le message ? Le sens ne réside nullement dans un hypothétique rassemblement des fragments épars dont l’auteur eut laissé le soin au lecteur. Il n’y a pas de cohérence à rechercher, rien à comprendre. Tous ces éclats de récit n’ont qu’une fonction sensitive. Le sens gît dans l’éclatement même de la forme. Peut-être n’est-ce pas facile, peut-être l’expérience est-elle étrange et laisse-t-elle le lecteur un instant désorienté, à l’instar du monde d’aujourd’hui où la falsification globale s’esquive dans la vitesse. Mais lire Les Aventure de Jerry Cornelius est bien plus facile que de se forger une bonne image du monde. En tout cas, ça y aide. Jerry Cornelius ne propose rien de moins qu’une grille de lecture du monde contemporain, une manière de le décoder pour y survivre et en tirer un minimum de bonheur. Les Aventures de Jerry Cornelius sont une lecture dont on tire d’autant plus profit que l’on éprouve le besoin de décrypter le monde actuel. Voici bien l’une des œuvres les plus essentielles de la S-F.

Billet sans titre

De retour à l'antenne de son podcast spatial, Philippe Boulier nous parle cette semaine dans la Bibliothèque Orbitale du roman d'Eric Holstein, D'Or et d'Émeraude !

Station solaire

Jusqu'il y a peu, la traduction de S-F allemande, outre Perry Rhodan, restait un épiphénomène ; pire, une rareté, une curiosité… On parlait alors de S-F exotique et ça n'a pas vraiment changé ; pas encore. C'est néanmoins le second roman d'Andreas Eschbach que l'Atalante nous propose après Des Milliards de tapis de cheveux. C'est moins que les huit livres italiens désormais disponibles (chez Payot/Rivages et au Fleuve Noir) mais déjà beaucoup dans le contexte désertique qui prévalait jusqu'alors. Des S-F autres que anglo-saxonne et indigène commencent à exister. D'autant plus qu'Eschbach et d'autres auteurs ou artistes venus d'outre-Rhin ont pu être vu à Utopia et aux Galaxiales ; des nouvelles ont également été traduites dans Utopia 1 et Cosmic Erotica. L'Europe de la S-F commencerait-elle à entrevoir le jour ? Va-t-on vers des conventions européennes dignes de ce nom ?

Station Solaire est un frileur, comme on dit à l'Atalante pour faire plaisir à Jacques Toubon.

Il n'existe pas pléthore de romans se passant intégralement en orbite basse dans un futur immédiat. L'une des références les plus proches est l'historique Apollo 13 ; sinon, ce sera Ascenseur pour l'infini de Lester Del Rey, roman et auteur aujourd'hui bien oubliés, écrit avant même que Gagarine ne fasse quelques petits tours en orbite. Alors que chez Del Rey on s'enthousiasmait à l'idée de ce qui allait pouvoir se faire, chez Eschbach on espère entretenir encore un peu ce qui n'est toujours qu'un rêve. Quarante ans ont passé. L'humanité n'a plus d'avenir.

2015. Le Japon entretient la station Nippon et a racheté les navettes spatiales américaines. À 400 km au-dessus de la Terre, neuf astronautes-chercheurs expérimentent la transmission au sol d'énergie solaire, captée au moyen d'une immense voile photo-électrique — hybride de panneau photo-électrique et de voile solaire — et transmise grâce à un faisceau de micro-ondes. En effet, le pétrole s'épuise et le nucléaire suivra… Mais la transmission ne fonctionne pas et un sabotage commence à être soupçonné.

Entre les pirates de l'espace qui veulent utiliser le faisceau de micro-ondes pour cuire tous les habitants de la Mecque et un éco-terroriste qui, soucieux de dissimuler son forfait, permettra à Khalid et ses sbires de perpétrer le leur en rendant le faisceau opérationnel, les autres occupants de la station auront fort à faire pour ne serait-ce que sauver leurs vies.

Station Solaire est un parfait huis-clos mené à cent à l'heure dans une ambiance étouffante. Du coup, on le dévore plus qu'on ne le lit. De plus, il ne faut que fort peu de pages à Eschbach pour brosser le tableau d'un XXIe siècle qui déchante. L'Islam à feu et à sang. Une Amérique en proie à l'obscurantisme qui s'est désinvestie de l'espace. Quant à la Russie : « dire qu'elle est plongée dans le chaos serait faire injure au chaos », selon la formule choc d'Eschbach lui-même. Reste l'Europe, qui a raté le coche et se trouve en voie de balkanisation. Le pétrole se tarit. Des écho-nihilistes font tout leur possible pour abattre la civilisation et priver l'humanité de ses ultimes chances de salut, telle la station solaire. Eschbach ne s'évertue pas sur les détails ; son évocation du monde a la force incisive de la caricature. Ce n'est pas son propos, c'est son contexte. Son propos, c'est un roman d'action.

L'intrigue repose certes sur quelques clichés du roman d'espionnage : les « méchants » qui ont malencontreusement pris pour cible le fils du héros, les femmes otages qui sont, au choix, menacées ou exécutées par l'inévitable sbire sadique et psychopathe, le héros qui s'évade et reconquiert la station, la seconde chance accordée au « méchant » par le destin d'accomplir son funeste dessein, les « méchants » qui meurent tous sans que les « bons » l'aient vraiment voulu, la fausse piste qui n'en est pas une… Jusqu'au Katana qui traîne à bord de la station qui n'aurait pu être japonaise sans cela ! Tout y passe. Dans un premier temps, on assiste à la mise en place de la situation assortie de perturbations. Dans un second, c'est l'irruption de la situation de crise qui va crescendo jusqu'à son paroxysme, puis survient le retournement de situation et l'ultime rebondissement. Le thriller type. Classique en diable mais diablement efficace. Station Solaire est aussi radical qu'épuré à l'extrême. Un modèle du genre. On en redemande.

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