Connexion

Actualités

Le codex du Sinaï

À défaut de parler d'entités extraterrestres, certains livres sont des entités extraterrestres. Celui-ci est du nombre.

Certes, pour appâter le lecteur, le dos de l'objet parle de « roman d'espionnage », d'Umberto Eco et des Mille et une nuits. D'un point de vue commercial, ça se défend. Dans sa préface, Gérard Klein affine les choses en citant Kafka, Borges et Lewis Carroll, Thomas Pynchon et Theodore Roszak. On pourrait descendre encore d'un cran sur l'échelle de la notoriété et évoquer Fernando Pessoa et son Livre de l'intranquillité, Witold Gombrowicz et Ferdydurke, Julio Cortazar et Marelle. Quoique rares, ces livres « célibataires » ne sont pas si solitaires que ça. Mais si l'on se prend souvent à rêver d'en découvrir d'inconnus, on espère rarement en trouver des nouveaux, récents, inédits, etc. Force est de constater que l'état actuel du monde de l'édition n'autorise guère de tels rêves…

Et à en juger par sa biographie un peu trop spectaculaire, Edward Witthemore n'entre pas comme ses prédécesseurs dans la catégorie des auteurs discrets — pasteurs, mathématiciens, enseignants, sans-grade… Discret, il l'était professionnellement, comme on se doit de l'être quand on travaille pour la CIA. Et ici, même les rares éléments discrets de sa biographie (employé d'une fabrique de chaussures, directeur de journal… ou écrivain !) deviennent en quelque sorte suspects. On ne peut plus accorder aveuglément sa confiance à un homme dont les emplois successifs pourraient n'être que des couvertures.

Ici, l'élément de base du récit est simple : la Bible est un faux.

Bon. Admettons.

L'amateur de S-F est habitué à ce genre de principe de départ. Le roman pourrait se contenter d'explorer les conséquences historiques d'un tel postulat, d'en décrire les ramifications, les changements qu'il implique dans la vie sociale au jour le jour, les bouleversements induits dans l'existence d'un certain nombre de personnages représentatifs découverts par un tiers issu de notre monde « normal ».

Sauf qu'ici rien n'est normal.

L'auteur de la fausse Bible, par exemple, est un érudit albanais qui tombe par hasard sur le plus vieux manuscrit de la « vraie » et, scandalisé par ce qu'il lit à l'intérieur, décide de fabriquer un faux conforme à l'autre vraie, celle dont il se souvient et que nous connaissons.

Déjà décontenancé par cette mise en abîme d'une référence de base, le lecteur tente par réflexe de se raccrocher aux branches et de trouver dans l'univers décrit quelque chose d'ordinaire. L'ennui (et on adore ça), c'est que rien n'est ordinaire. Les autres personnages qui composent ce quatuor d'éléments sont 1°) un très jeune Irlandais extrêmement doué pour la guerre qui fuit son pays natal pour devenir le vétéran héroïque d'un conflit terminé depuis longtemps, 2°) un Anglais de haute naissance qui parcourt le monde en quête des témoignages sur le sexe qui sont nécessaires à la rédaction de son Œuvre en trente-trois volumes, 3°) un Juif arabe né depuis plus de mille ans qui s'oppose aux innombrables hordes malveillantes qui cherchent à envahir Jérusalem…

Il serait non seulement très stupide mais aussi presque impossible de chercher à résumer ce qui se passe dans Le Codex du Sinaï, parce qu'on dispose d'à peu près autant de chances de résumer un tel livre qu'on en a de décrire une toile de maître ou une odeur en espérant susciter l'émotion qu'elle provoque. Et tout ce qu'on peut dire de l'émotion en question, c'est ici qu'elle pousse à son extrême la fièvre déclenchée par tout bon texte de S-F, fièvre due au dépaysement, à la plongée dans un univers régi par une logique réelle mais singulière, à l'« inquiétante étrangeté »…

On en vient très vite à attendre que quelque chose d'autre déraille dans cet univers fou, et encore autre chose, et encore, et encore… Le roman prend tellement son lecteur que celui-ci ne peut se résoudre à le lâcher avant d'avoir terminé — et qu'il se surprend à attendre la parution du deuxième volume comme il guetterait un rendez-vous amoureux. Avec une tranquille impatience, un doute raisonné, une certitude frémissante…

N'empêche, ça va être long…

Delirium Circus

Pierre Pelot est un auteur prolifique qui est parvenu à écrire jusqu'à aujourd'hui plus de 150 romans. Ecrivain multiple, il débute par des romans de western, puis, lorsque sa série doit cesser, se lance dans diverses catégories de la littérature de genre. Ainsi, il écrit des romans de S-F au Fleuve Noir sous le pseudonyme de Pierre Suragne, puis sous son vrai nom pour d'autres éditeurs, notamment J'ai Lu, Robert Laffont et Denoël. Véritable hydre-écrivain, Pelot livre aussi des romans fantastiques, des reconstitutions scientifiques, des novélisations, mais encore des scénarii de cinéma et de télévision. Longtemps considéré comme un littérateur populaire — aux connotations diverses —, il se libère des clichés qui lui collent à la plume avec C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël), fresque brutale et puissante, incontournable.

Devant une telle quantité de textes, il est parfois difficile de faire un choix, pour celui qui tenterait de s'immiscer dans cet univers fécond. Et pourtant, le recueil Delirium Circus présente en un fort volume quatre romans de Pelot qui, avec une certaine unité thématique, exposent différentes facettes de l'auteur et la qualité de son œuvre. Au sommaire : Delirium Circus (1978), Transit (1978), Mourir au hasard (1980) et La Foudre au ralenti (1983) ; les deux premiers textes sont couronnés par des prix littéraires, le premier par le Grand Prix de l'Imaginaire, le second par le Graouly d'or de Metz.

D'un côté, deux romans rapides, nerveux et radicaux :

Mourir au hasard montre une société qui établit à la naissance un pronostic de vie, ne laissant à première vue aucune place au hasard de la mort. Le roman se déploie comme un véritable thriller S-F mené par un natural killer. La Foudre au ralenti est une sombre histoire de réplication humaine, rouge sang à l'odeur de polar, où plusieurs personnages se croisent dans la fumée des bars louches de Denvercolorado.

De l'autre, deux romans « dickiens » plus élaborés :

Delirium Circus décrit un monde qui serait calqué sur celui du cinéma. Une société autarcique qui se développe en univers-bulles le long d'une grande roue perdue dans l'espace. Les personnages se démènent dans ce lieu hiérarchisé selon les métiers du cinéma pour découvrir leur être profond, mais aussi pour percer le secret du Dieu-public ; univers truqué et satire de l'existence par procuration. Transit, c'est l'histoire de deux mondes radicalement opposés, traversés par deux personnages qui ne sont qu'une seule et même personne — errance d'amnésique en utopie.

L'unité de ces quatre romans se retrouve dans leur thématique qui dénonce sans cesse et sous toutes les formes le simulacre — c'est-à-dire l'abus de pouvoir et l'injustice, les bases vérolées de la société, le problème de la liberté de l'individu, l'identité de soi au sein de la masse. Chaque texte, à sa manière, explore les faux-semblants d'univers viciés, parce que construits sur le trucage, et dénonce l'impossibilité d'ébranler des conventions universelles. La fiction pelotienne est une remise en question de la réalité comme elle est perçue par l'être social, face aux autres et à soi-même. Réalité trop présente pour que les personnages ne se fassent pas broyer.

Le style de l'auteur participe pleinement de cette catharsis. Ainsi, la construction narrative ne cesse d'amener le sujet au travers de différents parallélismes : en suivant plusieurs personnages qui se croiseront pendant le récit, en mettant en miroir différents mondes. Comme pour accentuer l'effet implacable de la machine à démembrer les illusions humaines, les univers de Pelot se répètent en eux-mêmes par des effets de mise en abyme — la fiction illustrant les trucages de la réalité. En général, Pelot excelle dans l'économie du texte, présentant nerveusement ses mondes imaginaires. Parfois, l'auteur laisse couler son texte vers des horizons plus lyriques — îlots de tranquillité — qui sont souvent brisés par des passages plus violents — crudité ramenant le texte dans la dureté de son propos. Il ne faut pas se fier aux apparences : Pelot est un architecte minutieux qui sait manier les styles afin de raconter une histoire.

Ce recueil illustre tout cela et démontre la puissance narrative de Pelot en tant que conteur implacable — pour reprendre les paroles de Philippe Curval à son sujet : « car, comme tous les grands romanciers populaires — je n'hésite pas à citer Gaston Leroux ou Maurice Leblanc à son propos —, Pierre Pelot jouit d'un souffle 1 […] ». Pour être plus radical, l'auteur dépasse les classifications convenues : Pelot est un romancier qu'il faut avoir lu.

 

Notes :
1. Philippe Curval, « Chronique du temps qui vient » in Futurs n°5, novembre 1978.

La Servante écarlate

Avec la publication simultanée du Dernier homme (inédit critiqué in Bifrost 38) et de La Servante écarlate (réédition en poche), Margaret Atwood fait un retour remarqué sur le devant de la scène éditoriale française.

C'est l'occasion de (re)découvrir l'extraordinaire travail de cette Canadienne presque sexagénaire, dont la virulence du propos est encore aujourd'hui un sujet d'émerveillement.

Véritable roman politique et militant, au meilleur sens du terme, La Servante écarlate est un texte atypique, terrifiant et volontiers orwellien. Pendant féministe du célébrissime 1984, son intrigue tourne avant tout autour du mécanisme du pouvoir, et de l'acceptation lâche qui le produit. En l'occurrence, Atwood construit son roman comme une arme de guerre féministe, aussi incorrecte qu'assassine à l'égard de toutes les formes de dominations (y compris masculines).

À travers l'histoire de Defred, femme-objet vêtue de rouge et dont la fonction officielle n'est rien d'autre que reproductive, Atwood dissèque la mécanique totalitaire avec une douloureuse lucidité. Résumons : le pays subit une dictature théocratique autoritaire qui réprime tout et n'importe quoi. Pour une raison inconnue, les femmes n'enfantent plus guère, menaçant de fait la survie même de l'humanité. Celles qui possèdent encore la capacité d'être enceintes sont réquisitionnées par le gouvernement. Commence alors une épouvantable existence de recluse, de prisonnière sexuelle et politique, alors que certains dignitaires les fécondent régulièrement pour renouveler la race. Dès lors, Defred n'est somme toute pas autre chose qu'une matrice, sans âme, sans esprit, sans rien. Constamment surveillée, perpétuellement soumise à une discipline patriarcale impitoyable, Defred se souvient du monde tel qu'il était avant. Le monde où son amant s'appelait Luke, le monde où elle pouvait lire, boire, chanter, le monde où elle avait encore une petite fille…

Terriblement sombre, d'une violence extrême (une violence sourde et toujours pudique, donc plus efficace), intelligent et superbement mené, La Servante écarlate n'est évidemment pas qu'un simple manifeste. C'est une interrogation grave, un signal d'alarme lancé en 1985, mais dont l'écho est encore vivace aujourd'hui. À la manière d'un Orwell dont la lecture est aujourd'hui plus que jamais nécessaire, Atwood signe tout simplement un grand livre, dérangeant et fondamental. À ne pas manquer. Et à cacher au fond d'un carton avant qu'on interdise définitivement toute forme de libre pensée.

La Séparation

Bien parti pour être le second livre de Christopher Priest à rencontrer le succès en France, La Séparation est assurément une œuvre ambitieuse. Avant d'être un authentique chef-d'œuvre, et malgré quelques défauts d'ensemble, ce nouveau roman est d'abord la preuve de l'inquiétant talent de Christopher Priest. Un auteur qui prend plaisir à promener son lecteur sur un terrain a priori balisé, mais secrètement tortueux, détourné, dangereux et finalement diabolique. On connaît la propension de cet anglais flegmatique à clore ses histoires en pirouette : de La Fontaine pétrifiante à L'Archipel du rêve en passant par Les Extrêmes. Ce dernier livre ne déroge pas à la règle, mais Priest y fait un effort considérable sur le terrain de la fissure et des dérapages qu'elle entraîne. Fidèle à cet univers désormais habituel, La Séparation est avant tout un jeu de miroirs, où les faux-semblants s'amoncellent sur plusieurs réalités parallèles. De quoi perdre pied si le lecteur ne jure que par les invasions extraterrestres et autres vitesses supraluminiques. Avec Priest, nous évoluons sur le terrain des personnages, sans jamais entrer dans le registre explicatif. C'est d'ailleurs avec beaucoup de naturel que les réalités se chevauchent, à tel point qu'il faut parfois revenir quelques pages en arrière pour mieux saisir à quel exact moment le récit a basculé. Uchronie ? Sans doute. Mais pas que. Perpétuel questionnement dickien (en beaucoup plus intelligent, soit dit en passant) sur la nature de ce qui est vécu, sur ce qu'on nomme abusivement le réel, La Séparation est un pur produit priestien. Interrogations profondes sur l'Histoire, personnages fascinants de présence et de charisme, crédibilité générale font de ce roman un sommet de construction et de machiavélisme. Certes, la trame narrative est parfois si compliquée que le récit en perd sa force, certes, on ne peut nier un côté passablement ennuyeux, mais les tenants et aboutissants minutieusement mis en place contrent largement les rares frustrations ressenties ici ou là. Au final, La Séparation fait partie de ces livres qui hantent, et pour longtemps, l'esprit des lecteurs avides d'aventures inédites.

Personnages centraux autours desquels La Séparation tourne et se retourne, les jumeaux Sawyer alternent leur histoire dans une Histoire alternative. Anglais sportifs et membre de l'équipe olympique d'aviron, leur prestation aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936 leur vaut d'être médaillés par Rudolf Hess en personne, le dauphin d'Hitler. C'est le début d'une séparation à la fois morale, pratique et historique, alors que les deux frères s'éloignent inévitablement. Pour l'un, ce sera le mariage (avec une juive berlinoise ramenée de Berlin avant les déportations) et, peut-être, la vie de famille. Pour l'autre, l'aviation et la vie militaire au sein de la prestigieuse Royal Air Force. Mais la guerre et son cortège d'horreurs réunissent les deux hommes… Tout en les éloignant d'une manière autrement plus radicale. Pendant le Blitz londonien, l'un des jumeaux, officiellement déclaré objecteur de conscience, sert la Croix Rouge comme ambulancier. Son attitude héroïque lui vaut d'être remarqué par Churchill pour une négociation ultrasecrète : faire la paix avec l'Allemagne nazie, suite aux manœuvres de Rudolf Hess. Le but inavoué du dignitaire nazi ? Clore le front de l'ouest et ouvrir peu après un front à l'Est en attaquant l'Union Soviétique. Nous sommes en 1941 et tout peut basculer.

Ailleurs, ici, au même moment, l'autre jumeau poursuit ses campagnes de bombardement des régions sous contrôle allemand. Pilote vétéran, il n'a jamais revu son frère, ambulancier à Londres. Alors que chaque nouvelle mission le rapproche de la mort, une lettre de sa belle sœur le rappelle à la vie de famille. Juive, allemande et seule au milieu d'une campagne anglaise pas forcément tolérante (les boches bombardent l'Angleterre toutes les nuits, d'où une légitime rancune anglaise à l'égard des Allemands, quels qu'ils soient), elle a désespérément besoin d'aide. Suite à cette relation perturbante (et évidemment sexuelle) avec la femme de son frère jumeau, le pilote s'interroge sur la nature du monde. Un monde de plus en plus englouti par la folie destructrice et la guerre. Un monde où Rudolf Hess a tenté seul de conduire une mission de paix en Ecosse, apparemment sans l'aval d'Hitler, tentative morte née car jamais prise en sérieux. Qui peut d'ailleurs prouver qu'il s'agit bien de Rudolf Hess, et non d'un jumeau ? Dès lors, rien n'empêchera la guerre totale et l'entrée des Etats-Unis dans un conflit qui pourrait bien durer encore quelques années.

Mais si la paix est perdue, pourquoi les négociations auxquelles a participé l'autre frère ont-elles permis la signature d'un traité ? Quelle réalité l'emporte ? Et où se situe la frontière (ténue, forcément ténue) du fantasme, du flou, du rêve et de la folie ? D'autant que le roman s'ouvre sur une uchronie classique, un monde où les Etats-Unis n'ont jamais participé à la guerre et son tombés dans un lent déclin économique…

Fascinant, dérangeant, diabolique dans sa construction comme dans sa conclusion, La Séparation est un livre majeur, de ceux qui font la fierté de la S-F en général. Littérature d'idée, littérature essentiellement libre, littérature rebelle, la S-F fait mal quand elle tape juste. Avec La Séparation, le coup est violent. Et destructeur.

L’écorcheur

Avec la nouvelle publiée dans Bifrost n° 38 et la parution en « Rendez-vous Ailleurs » de L'Ecorcheur, Neal Asher fait une entrée remarquée (et remarquable, même, soyons fous) dans l'imaginaire hexagonal. Auteur anglais dont les thèmes rappellent par bien des aspects les trouvailles d'un certain Iain Banks, Asher est l'héritier direct de cette « nouvelle S-F anglaise » dont l'inspiration penche autant du côté des classiques que vers la parodie la plus délirante. De fait, l'univers de Neal Asher est certes purement science-fictif, mais suffisamment déjanté et incorrect pour emballer les lecteurs les plus sceptiques.

Vrai roman d'aventures pour les gamins que nous ne sommes plus, planet opera aussi ridicule que jouissif, L'Ecorcheur n'est assurément pas l'œuvre d'un styliste patenté. De fait, les qualités strictement littéraires du livre oscillent entre mauvais et médiocre, douloureux constat que ne corrige pas (mais alors, pas du tout !) la traduction française. Dès lors, on pourrait se débarrasser de la chose d'un haussement d'épaule, mais ce serait atteindre gravement à l'enfant qui sommeille (cherchez bien) en nous. Car oui, définitivement oui, L'Ecorcheur est un roman tout bêtement excellent, bien mené, drôle, original et inventif, même si son scénario est aussi abracadabrant que prévisible.

Emballé par une lecture presque schizophrène, on y suit page après page une histoire débridée et loufoque, sans jamais savoir précisément dans quel état d'esprit l'a conçue l'auteur. En attendant, ce serait faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que de bouder L'Ecorcheur, tant sa lecture fait plaisir. Débrouillons-nous avec ça.

Entièrement située sur la planète Spatterjay (également titre de la nouvelle parue dans Bifrost 38), l'intrigue fait la part belle aux locaux, humains modifiés par un virus fibreux endémique de ce monde océan (seuls quelques îlots émergent de ci de là). La très grande originalité du roman réside cependant dans la faune de Spatterjay, abondamment décrite en tête des chapitres : poissons généreusement pourvus en dents, saletés visqueuses et voraces, mollusques semi-rigides capables d'arracher une main en moins d'une seconde, crustacés variés et variables, parfaitement contents à l'idée de bouffer tout ce qui passe à leur portée, sangsues à la dentition rotative vertigineuse, rien ne manque à un bestiaire aussi monstrueux qu'agressif…

Mais cette liste ne serait pas complète sans LA star du livre, le virus lui-même, jolie petite chose dont la particularité est de pousser le parasitisme à un degré pour le moins inédit : intégré au métabolisme humain, remplaçant peu à peu la quasi-totalité du sang (par de curieuses fibres aussi pratiques que peu crédibles), il protège son hôte au point de le rendre quasiment immortel. Longévité exceptionnelle (jusqu'à plusieurs siècles, tout de même), cicatrisation quasi systématique (un bras arraché ? pas grave), le corps des Hoopers (du nom de Jay « Hoop » Spatter lui-même, contrebandier sans scrupule qui a donné son nom à la planète) est une source d'émerveillement permanent. Mais si le virus rend son hôte littéralement indestructible (noter au passage l'hilarante scène de catch entre hoopers, où les lutteurs s'éventrent joyeusement sans la moindre gène, l'ensemble donnant lieu à des paris déjantés, du type « 50 crédits pour une éviscération »…), il est toutefois nécessaire de le contenir (avec de la nourriture strictement humaine, c'est-à-dire non infectée) pour bénéficier de ses avantages et éviter de légers désagréments. Comme perdre toute humanité et se transformer en monstre abruti et sanguinaire, par exemple. En d'autre terme, devenir l'Ecorcheur…

Ce cadre idyllique posé, Asher passe aux personnages, à savoir trois visiteurs différents dans leurs motifs comme dans leur connaissance de Spatterjay. Une femme ethnologue qui recherche un Capitaine (les capitaines des bateaux de pêche sont la figure Melvillienne patriarcale et dominante du roman) avec lequel elle s'est liée lors d'un premier voyage sur la planète (voir Bifrost n°38… on le saura !), un flic mort (mais ressuscité via un système mi-organique, mi-robotique) depuis 700 ans à la poursuite d'une bande d'assassins sanguinaires, ainsi qu'un touriste humain en liaison permanente avec un Esprit de Ruche (explications : deuxième espèce intelligente terrestre, les frelons ont essaimé sur plusieurs mondes et développé leur intelligence collective dont chaque élément est ce charmant insecte que nous aimons tant). Vous suivez ? Rassemblés par Neal Asher, ces trois personnages mènent leur propre quête en commun, mais vont découvrir de surprenantes vérités sur Spatterjay (tout en révélant leurs motifs réels, comme le lecteur s'en doute). L'ensemble sous la bienveillante mainmise du Gardien (référence explicite aux tout-puissants Mentaux de Banks) et de ses drones facétieux (Douglas Adams n'est pas loin, et l'on pense évidemment à Marvin, célèbre androïde dépressif s'il en est). Car si Spatterjay est encore une planète sauvage, elle intéresse pourtant la grande confédération humaine et ses mille mondes. Mais pas qu'elle…

Plutôt embrouillée, l'intrigue se clarifie jusqu'à la transparence la plus totale au cours du roman. Asher ne révolutionne absolument rien, mais se fait évidemment plaisir, un plaisir communicatif au plus haut degré. Au final, L'Ecorcheur est un divertissement exceptionnel par son inventivité et son rythme. Divertissement quand même, certes, mais qui songerait à s'en plaindre quand les productions S-F manquent singulièrement d'humour ? Sans atteindre la puissance littéraire d'un Harrison ou l'envergure d'un Banks, Asher se glisse entre les deux, donne des coups de coudes et finit par s'allumer une clope au soleil. Qu'on lui donne du feu et tout saute — pour peu que la poudre soit livrée dans une traduction correcte…

Les amants étrangers

Premier roman de Philip José Farmer, publié en 1961 (mais basé sur une nouvelle parue en 1952), Les Amants étrangers fait partie de ces œuvres au parfum de scandale qui peuvent sembler bien fades aujourd'hui. Réédité dans la toute jeune collection « Poussière d'étoiles » chez Terre de Brume, ce livre a certes vieilli, mais n'en reste pas moins agréable à lire et pertinent, ce qui est loin d'être le cas pour tout un pan de la S-F de l'époque.

Avant de s'étendre plus avant sur la simplicité presque gênante des relations homme/femme survolées par le texte, il convient de se souvenir que le thème du métissage entre humains et extraterrestres est tout sauf anodin dans un contexte politique où la ségrégation raciale est une réalité (les Etats-Unis des années 50, donc). Pas encore devenu l'auteur pornographique que l'on connaît aujourd'hui, Philip José Farmer pose les jalons de son œuvre future avec Les Amants étrangers. Une œuvre tolérante, ouverte, volontiers expérimentale (au sens où l'expérience est avant tout sujet d'émerveillement et non de méfiance immédiate) dont on redécouvre aujourd'hui toute la portée.

Histoire d'amour entre un homme en rupture avec l'humanité et une extraterrestre en exil, Les Amants étrangers met en scène une expédition humaine sur une planète où règnent des conditions de vie proches de la Terre. Peuplé d'extraterrestres au langage compliqué mais pas insurmontable, ce monde intéresse grandement les humains, dont les intentions réelles sont évidemment expansionnistes et violentes.

Mais si extermination il doit y avoir, il est nécessaire de faire ça doucement et d'étudier cette nouvelle société sous toutes ses coutures. C'est le travail du personnage principal, linguiste mal vu par ses supérieurs et mal à l'aise dans une société religieuse répressive.

Inhibé par des interdits parfaitement inconcevables pour les locaux, il rencontre une femme, clairement alien, mais dont les traits manifestement humains sont le témoignage d'une rencontre depuis longtemps oubliée (ou peut-être effacée de l'Histoire officielle ?) avec des explorateurs terriens. Entre ces deux êtres que tout sépare, l'amour est immédiat et fortement révolutionnaire. On ne brise pas des millénaires de tabou en quelques minutes, et la trame dramatique du livre tire son essence de cette incompatibilité fondamentale.

Critique du puritanisme et du racisme sous toutes ses formes, éloge de la différence et du métissage, Les Amants étrangers est aussi un vrai roman de S-F, avec un scénario millimétré, dont le coup de théâtre final est particulièrement intelligent. Reste que la trame narrative et le rythme du texte sont datés (surtout quand on les compare aux explosions vidéoclipées d'aujourd'hui), d'où un côté curiosité historique qui n'en possède pas moins un charme certain. Philip Jose Farmer tient une place de choix dans le panthéon de la S-F ; lire Les Amants étrangers nous rappelle que le vrai scandale du livre tient plus à ses thèmes clairement adultes, là où la production de l'époque se complaisait dans une certaine adolescence. Un coup de poing venu du passé. Vieilli, ridé, peut-être même pathétique, d'une certaine manière, mais dont la valeur de témoignage reste forte et surtout utile.

Zemal, l’épée de feu

Pour une fois, je vais briser le moule de la critique et ne pas vous faire de résumé. D'abord parce que ce serait ridicule : Zémal est un roman d'heroic fantasy tout ce qu'il y a de plus classique, comme vous en avez certainement lu des centaines si vous aimez le genre. Un couple de magiciens disciple/maître, un couple de guerriers disciple/maître, une quête initiatique, un combat désespéré contre les forces du mal, les ennemis aux portes du royaume, un artefact magique, une prophétie, un élu, des dieux vengeurs… Bref, une facture plus que classique. Non, pas de résumé. Je préfère m'attarder sur la critique. Car en toute honnêteté, et avec une énorme dose de surprise, je n'avais pas été aussi enthousiasmée par un roman de ce type depuis… la série de la Belgariade de David Eddings. C'est dire.

D'abord, Negrete est un fin tolkienniste. Fin, oui, car non seulement Negrete connaît son Tolkien sur le bout des doigts, mais aussi, et surtout, parce qu'il en a assimilé tous les rouages avec intelligence et a su les restituer avec finesse, tout en faisant non pas du Tolkien, mais du Negrete. Cela peut paraître bizarre, voire contradictoire, mais Negrete fait du Tolkien à la Negrete. Si si. Et il le fait superbement bien, le bougre. Tout ce qui a pu vous transporter, vous émouvoir, vous soulever de votre chaise en lisant Tolkien, vous le retrouvez ici intact, dans toute sa fraîcheur et sa sincérité. Mais attention, ce n'est PAS du Tolkien. Pour dépeindre la Tramorée, Negrete a plutôt choisi l'ambiance qui se dégage des pays Orientaux, tels que l'Egypte, les steppes de l'Asie centrale, le Japon médiéval et ses Shogun. Un monde d'une richesse extraordinaire, riche de couleurs, de sons et d'odeurs, de passions et d'humeurs, très justement équilibré dans sa structure et son découpage, un mélange de peuples et de races détaillé et passionnant. Ensuite, les personnages. Ah, les personnages ! Une série de portraits aussi disparates que solides. Bleusailles ou vieux briscards, loin des clichés héroïques à la Conan, des personnages qui crachent leurs tripes et leurs sangs, suent et souffrent. Des héros pétris de faiblesses et de contradictions, de remords et de souffrances, qui perdent plus qu'ils ne gagnent au cours de ce long voyage. De vrais personnages, quoi, incroyablement attachants. Autre grande réussite : la magie. Ici, pas d'effet de manche ni de longues incantations gesticulantes et sonores. Mais une puissance énorme, folle. Une parabole sur le pouvoir et sa corruption, sur le coût réel de son acquisition : ici aussi, sang et larmes.

Le style de Negrete est paradoxal. Une écriture rapide, serrée, alerte et nerveuse, avec quelques bourdes ici ou là (traduction ?), et quelques éclairs d'humour à la Pratchett, surprenants et bien venus. Mais un rythme lent, qui prend son temps pour installer l'histoire, distiller l'information, asseoir l'ambiance. Imaginez un mastodonte, au déplacement lent et majestueux mais pourvu de mille pattes qui s'agitent frénétiquement. Un temps à deux temps, différent de ce qu'on peut lire ailleurs. Un temps espagnol ? Negrete enchaîne avec bonheur les scènes d'actions, rapides sans être particulièrement frénétiques, ce qui laisse le loisir d'admirer le paysage, riche et magnifique, et donne le temps nécessaire à la réflexion, notamment sur les implications des événements.

Si vous aimez les histoires avec de vrais méchants, très nombreux et trop puissants, des gentils pathétiques de faiblesse et en sous-nombre, des situations désespérées et des vengeances bien senties, des dieux qui manipulent, des destins gravés dans le marbre, Zémal est fait pour vous.

Car force est de constater que Javier Negrete est un écrivain magique : confiez-lui un cheval en bois tiré par une ficelle et il vous réinvente la prise de Constantinople. Un vrai talent. On l'aura compris : ceci n'est pas une critique, c'est un coup de cœur.

Il semblerait que Zémal soit le premier volet d'une trilogie. On se gardera pour une fois de s'en plaindre ! Dis, monsieur l'Atalante, c'est quand la suite ?

Le Temps du voyage

La Terre, surpeuplée, s'est tournée vers la colonisation d'autres planètes par le biais de voyages « aller simple » en hibernation cryogénique qui s'étalent sur plusieurs siècles — d'où l'émergence de colonies humaines qui, petit à petit, se détachent de la planète-mère pour devenir complètement étrangères car trop éloignées de l'influence terrestre… Bien sûr, la Terre essaye de venir en aide à ses colonies, mais plus la planète est distante, plus elle est « oubliée », livrée à elle-même, notamment du point de vue des ressources scientifiques et technologiques. Les voyages interstellaires sont tellement lents que seules des IA à base de cerveaux d'animaux sont capables de les effectuer d'un bout à l'autre en toute conscience. Cheval Fou est une de ces IA, pilote enchâssé dans l'astronef Crome Syrcus. Outre le ravitaillement pour une de ses lointaines planètes, située à plus de cinquante années-lumière de la Terre, Cheval Fou transporte dans ses flans Ab Skhy, agent des « Porteurs de qualité », l'autorité qui gère le système solaire et ses colonies. Une autorité assez inquiète pour envoyer un de ses agents sur le terrain. Car Ab Skhy doit enquêter sur une nouvelle alarmante : la sphère d'influence terrestre est petit à petit grignotée par une organisation mystérieuse, les « Charlatans », possiblement une race extraterrestre, qui marque sa présence par un bond technologique important sur des planètes pour certaines à peine sorties de l'âge médiéval. Les Charlatans sont-ils hostiles à l'espèce humaine ? L'invasion ou pire, l'extinction, guettent-elles le système solaire ? Sautant de monde en monde à la poursuite de cette entité insaisissable au cours d'un voyage fabuleux, Ab Skhy va découvrir les réponses à toutes ces questions, et bien davantage encore…

Inutile de revenir sur la carrière de Roland C. Wagner. Vieux routard de la S-F française, c'est en professionnel chevronné de l'écriture qu'il nous livre ici un roman qui remplit haut la main la charte du space opera. Oui, certes, tous les tropes sont respectés : technologie, nombre de planètes visitées, diversités des races extraterrestres rencontrées, voyages dans l'espace, bagarres et poursuites, rebondissements et coups fourrés. Même l'équipe dont s'entoure le héros respecte les quotas homme/femme, humain/extraterrestre, couleur de peau. Tout est carré, net, sans bavure. C'est bien là le problème. Car à vouloir à tout prix faire un space op' techniquement parfait, Wagner en oublie quelque peu le côté émotionnel. Si on gratte la surface des mots, on s'aperçoit qu'il n'y a pas grand-chose en dessous, rien qui retienne l'attention, rien qui suscite véritablement un intérêt plus que poli. Une enfilade de phrases certes non dépourvues de sens, mais dégagées de tout pathos, de tout ce qui pourrait éveiller un écho dans le cœur du lecteur, qui pourrait le faire vibrer, lui donner envie de s'investir, de se projeter dans les personnages ou l'action. Sans grande saveur, inodore et incolore, Le Temps du voyage s'oublie aussi vite qu'il se lit — ce qui ne signifie pas qu'il ne se lise pas avec plaisir. On en vient à regretter l'innocence délicate et enthousiaste d'un Tem, ou la fougue et le cynisme de La Saison de la sorcière. Pour la détente et rien de plus, donc, et c'est un peu dommage…

Meddik

Il faut bien l'avouer : Thierry Di Rollo n'a pas sa place dans le Paysage Imaginaire Français. Pas le moindre gobelin, aucun combat au sabre laser, rien de ce qui fait la richesse de nos genres préférés. On trouve bien quelques animaux : chien (Number nine), rhinocéros (La Lumière des morts), hyène (La Profondeur des tombes), et ici éléphant ou vautours, mais pas trace de licorne ou de loup. Pourtant, ne nous y trompons pas, si Di Rollo n'a rien compris aux « attentes du marché, coco », s'il ne nous propose pas de trilogie en six volumes de 500 pages la pièce, c'est pour nous offrir bien plus que cela : un aller simple pour Humain-Land. Le matériau qu'il travaille, c'est les tripes. Celles de ses personnages — certains le lui reprocheront sûrement — et, surtout, les siennes. Ses livres sont remplis de son cœur, de son sang, et nous ouvrent les portes d'univers entiers. Et, qu'on le veuille ou non, il y a bien plus de noir dans l'univers que d'étoiles qui brillent. Alors oui, les romans de Di Rollo sont noirs, et celui-ci peut-être encore plus que les autres.

Si l'on pouvait trouver quelques excuses aux atrocités perpétrées par les « héros » meurtris des précédents ouvrages, John Stolker, personnage principal de Meddik n'a, lui, aucune circonstance atténuante. Pas même la drogue, qu'il consomme à outrance. Fils d'un Juste, la caste dominante sur Terre, vivant dans un immeuble de plus de trois cents étages surplombant Grande-Ville, Stolker est rongé par la haine. Haine de son père, Blöm (Blöm Stolker/Bram Stoker : le père comme vampire ?), tout-puissant dirigeant de la Gormac, n'hésitant pas à tuer des enfants lors de l'essai d'un prototype. Haine de la religion qu'on tente de lui enfoncer dans le crâne à coups de phrases toutes faites. Haine de ce qu'il deviendra s'il reste dans le quartier des Justes. La haine jusqu'à l'amour (ses « amis » Susie et Roman). La haine jusqu'à la mort. Après un premier meurtre, Stolker fuit le quartier protégé, pour plonger dans Grande-Ville, cité survolée par d'immenses vautours mutants prêts à emporter quiconque sortirait à découvert ou serait tué dans les combats d'une bien mystérieuse guérilla. Il peut alors laisser ses instincts meurtriers s'exprimer et rencontre, grâce à la drogue, l'éléphant géant qui sera son guide et son protecteur : Meddik (Meddik/Merrick : elephant man, l'autre visage de Stolker, monstre au cœur tendre ? Meddik/Mais Dick : hommage au maître ?…).

Et ces quelques lignes ne suffiront jamais à rendre compte de l'extrême richesse du roman écrit par Di Rollo. Il radicalise encore sa démarche artistique, non seulement dans l'horreur, mais également dans la construction de son récit, faisant de l'ellipse et de la métaphore des armes de dissection massive. Chaque fois que l'on croit percevoir ses intentions, il se dégage d'une pirouette et nous entraîne sur une autre voie. Ainsi Meddik est/n'est pas : un roman de S-F politique, une histoire d'amour, un pamphlet anti-religieux, un cri de rage, une ode à l'humain… Non, décidément, Thierry Di Rollo n'a rien à faire dans le PIF. C'est un écrivain. Un grand écrivain, auteur d'une œuvre exigeante dont je ne pourrais me passer.

Délivrez-moi

Après avoir longtemps travaillé pour le cinéma, le gallois Jasper Fforde est venu à l'écriture sur le tard. Ayant essuyé de nombreux refus, son premier roman, L'Affaire Jane Eyre, est publié en 2001 en Angleterre. Traduit l'an passé en France et critiqué dans le Bifrost n°35, il ressort en poche pour l'occasion, chez 10/18 (moralité : si vous êtes un tantinet patient, vous aurez le présent bouquin au prix du poche dans une poignée de mois !). Mélangeant allègrement les genres (S-F, roman à l'eau de rose, polar, roman feuilleton…), le livre va très vite devenir un succès — au point de le voir comparé à un Harry Potter pour adultes. Deux suites paraîtront en 2002 et 2003, le quatrième volume de la saga venant de sortir en version originale.

L'action de Délivrez-moi, suite de L'Affaire Jane Eyre, se déroule en 1985, mais dans un univers parallèle au nôtre : la guerre de Crimée n'est toujours pas finie, le Pays de Galles est une république socialiste et, surtout, les livres occupent une place très importante dans la vie de tous les jours. Thursday Next, l'héroïne de la série, est d'ailleurs détective littéraire. Elle est chargée, entre autres, de démasquer les fausses pièces inédites de Shakespeare ou de récupérer les manuscrits originaux dérobés. Ainsi dans L'Affaire Jane Eyre, c'est le manuscrit du roman de Charlotte Brontë qui était menacé par l'ignoble Achéron Adès. Thursday sauvera le livre en pénétrant à l'intérieur grâce au portail de la prose, une invention de son oncle Mycroft, savant génial, bien que légèrement timbré. Elle contrera également les funestes projets de la Goliath Corporation en enfermant l'un de ses employés à l'intérieur du « Corbeau » d'Edgar Alan Poe.

Au début de ce deuxième épisode, on retrouve Thursday alors qu'elle est, à son grand désespoir, devenue une célébrité. Elle tente de concilier une vie normale auprès de son mari, Landen Parke-Laine, et son travail qui la passionne toujours, d'autant que, cette fois, elle authentifie un vrai inédit de Shakespeare. Pourtant, alors que tout semble aller pour le mieux, les événements vont, une nouvelle fois, s'accélérer : Thursday va échapper, de justesse, à plusieurs tentatives d'assassinat, son père, capable de voyager dans le temps, a vu la fin du monde pour très bientôt, et Goliath décide de se venger en éradiquant Landen de la trame temporelle. Le portail de la prose ayant été détruit, notre détective littéraire va devoir plonger dans les livres par ses propres moyens. Elle deviendra l'apprentie de Miss Havisham, personnage de Dickens (De Grandes espérances) qui appartient à la Jurifiction, un mystérieux service dont la mission consiste à veiller à ce qu'aucun personnage ne s'échappe de son propre roman ou qu'un texte ne disparaisse à jamais dans le Puits des Histoires Perdues.

Même si l'effet de surprise n'est plus total, Jasper Fforde parvient à maintenir l'intérêt suscité par L'Affaire Jane Eyre. Il approfondit encore le thème de l'interactivité homme/livre (les personnages communiquent par note de bas de page interposées…), réaffirmant ainsi les qualités du livre par rapport à d'autres médias ludo-culturels plus en vogue de nos jours : cinéma, jeux de rôle/vidéo, Internet… C'est peut-être une évidence, mais lire un roman, et Délivrez-moi en particulier, c'est littéralement entrer dedans, se faire son propre film, suspendre la course du temps, vivre et souffrir avec les personnages. Thursday Next nous apparaît d'ailleurs plus humaine, alors qu'elle est sur le point de tout perdre. Et comme l'humour, la folie et l'invention de l'auteur sont toujours au rendez-vous, ce deuxième épisode de la saga de Thursday Next est, à l'image du premier, un excellent divertissement, subtil et intelligent. Autant de raisons d'attendre avec impatience le troisième tome, qui devrait nous entraîner dans le Puits des Histoires Perdues.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug