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Riverdream

La rencontre de George R. R. Martin et du vampire ressort d’une sorte de fatalité, une de ces choses qui ne peuvent qu’arriver. Quelque part, Martin était un auteur qui devait écrire une histoire de vampires.

Martin est un auteur âpre et sombre chez qui la noirceur est bien souvent au rendez-vous. La mort s’invite sans ambages dans ses écrits. Elle n’est ni cynique et désinvolte, ni pleine de bruit et de fureur ; elle n’est pas même cruelle, juste dure. Quand carnage il y a, on arrive après, quand cris et râles se sont tus et que le silence a repris ses droits. Ce n’en est que pire de parcourir le charnier puant quand tout est fini. Dans la touffeur des ombres une sueur glaciale vous coule au creux des reins comme l’ongle de la mort courant le long de votre épine dorsale. Martin sait mieux que nul autre enchevêtrer mélancolie et noirceur.

Tout ce qu’on a pu lire de lui, ou presque, le vouait à traiter le mythe vampirique. Son style, sa patte, ses ambiances, sa manière, tout ce qui fait de lui un écrivain à nul autre pareil le désignait comme celui-là même qui devait faire gravir une marche supplémentaire au vampire sur l’escalier de son évolution littéraire.

De Dracula à Twilight, le vampire a longuement cheminé pour sortir de la nuit. Quelque part, au début des années 80, il arpentait les méandres du Mississipi sur de splendides vapeurs…

A son origine, le vampire est une incarnation du Mal. Il est le Mal dans le monde des hommes mais hors des hommes eux-mêmes. Page 138, par la bouche de Joshua York, Martin dépeint ce vampire originel dont les forces comme les faiblesses relèvent de la surnature et qui se combat par les mêmes moyens : tout un bric-à-brac de croix, de pieux, d’argent, de miroirs (où ils ne se reflèteraient pas car, étant morts, ils n’ont pas d’âme) et d’eau bénite. Avec le reflux de la religiosité, cet état du vampire dépérit et se cherche un second souffle de vie.

Ce vampire s’est épanoui dans la littérature de la fin du XIXe siècle, époque où, dans la société, s’épanouit (concomitamment ?) l’idéal social marxiste. On peut, à cette lueur, lire le mythe vampirique comme une métaphore de l’aristocrate (ne vit-il pas, le plus souvent, dans un château ?). En poussant un peu, le vampire devient alors la figure du bourgeois capitaliste se nourrissant de la vie, de la force du prolétariat.

Des années 80 à aujourd’hui, le marxisme étant cliniquement mort, le vampire (et les puissances économiques qu’ils métaphorisent) entre alors en réhabilitation. Dans un même temps où l’on voit la haute finance cesser d’être perçue comme maléfique, le vampire se dépouille de ses oripeaux surnaturels et métaphysiques pour devenir, chez Martin comme chez Charnas, un prédateur naturel, inscrit dans l’ordre darwinien des choses. Dans Riverdream, Damon Julian, le « méchant » vampire, ne tient pas un autre discours — les financiers se réclamant d’un darwinisme social qui ne serait, pour eux, qu’une heureuse fatalité. Les vampires de Stephenie Meyer cherchant à contrôler leur soif, à l’instar de Joshua York dans le roman antérieur de Martin, entrent alors en résonance avec les discours ultralibéraux prétendant que le capitalisme ne peut que profiter à tous.

Les vampires existent, bien sûr. Et nous en connaissons tous, nous les fréquentons au quotidien à l’instar des fantômes… Mais, alors que les fantômes nous sont propres, sont en nous, sont ce qui reste quand la chair n’est plus, les vampires sont des autres, à moins que nous n’en soyons nous-mêmes un. Pas étonnant, dès lors, qu’il s’agisse de créatures infernales puisque l’enfer, c’est les autres. Pour la psychanalyse, le vampire est la métaphore de l’hystérique. Celle des casse-pieds, des voraces, des emmerdeurs dont nous pouvons, sans même le savoir ni nous en rendre compte, faire partie ; celle de tous ces gens à l’économie libidinale pathologique qui nous bouffe notre temps et notre énergie, notre libido. Dont le sang, fluide vital, est une remarquable et très forte métaphore. Le vampirisme se conçoit dès lors comme névrotique mais sa forme moderne ne renouvelle pas l’approche psychanalytique. Il ne semble pas que dans Riverdream, Joshua York tienne à ramener quoi que ce soit à la lumière du jour, à la surface, pas même le Peuple de la nuit. Le but de la cure est bien présent : restaurer une économie libidinale saine. Damon Julian, qui se complaît dans son pathos, peut incarner les mécanismes de résistance. Si le vampire n’est plus un être surnaturel mais un prédateur victime des contingences qui font de lui ce qu’il est, faut-il accepter ces comportements de gens, plus moustiques que chauves-souris, qui dévorent nos énergies comme inhérent à la nature humaine et non point pathologiques ?

Riverdream n’est pas qu’un roman de vampires. C’est aussi un hymne formidable au Mississipi, ce fleuve dont la source, en altitude absolue (par rapport au centre de la terre et non au niveau de la mer), est plus basse que l’embouchure. Fleuve qui est à l’Amérique ce que la Volga est à la Russie ; qui, au XIXe siècle, avec ses affluents, faisait figure de système sanguin pour l’économie de Saint Paul à la Nouvelle-Orléans. C’était l’âge d’or de la vapeur comme celui du fleuve. Aujourd’hui, on ne voit plus guère de tels bateaux, diesel, que sur le bassin de l’Amazone où la route et le fer n’ont pas encore supplanté les voies fluviales. Martin s’est servi du vampire pour faire revivre le temps d’un livre toute la magnificence et l’esprit d’une époque à jamais révolue. Il est parvenu, mêlant le fleuve et le sang, à renforcer l’un de l’autre avec tout le brio qu’on lui connaît. Nostalgie mélancolique pour ces vapeurs disparus et ces vampires prédateurs qui disparaissent comme tigres et grizzlys, ne survivant plus que dans notre ombre…

[Lire aussi l'avis de Thomas Day dans le Bifrost n°42.]

Un Vampire ordinaire

Qualifié dès sa sortie de roman classique de la littérature moderne, intuition que le temps a confirmée, le récit de Suzy McKee Charnas n’est pas plus un fix-up qu’un recueil de novellas, mais adopte la forme stochastique de la mémoire qui est celle du protagoniste. Cinq moments d’une vie, elle-même fragment d’une longue existence, permettent de suivre un grand prédateur.

Dans « L’esprit ancien en action », premier texte du roman, on découvre ainsi le docteur Edward Lewis Leyland, Ph. D., brillant professeur d’anthropologie au Cayslin College de New York. Grand, grisonnant, légèrement voûté, d’une beauté froide qui séduit toutes les femmes mais fait aussi dire de lui par certains collègues qu’il est un « salaud dédaigneux », Leyland aime le confort ou plutôt la tranquillité. Individu solitaire, qui paradoxalement attire l’attention au sein du milieu universitaire friand de cancans, le seul plaisir qu’on lui connaît est de foncer sur les routes à bord de sa superbe Mercedes-Benz. Un palliatif aux chasses d’antan, car cette bête de travail est aussi une créature féroce, d’une surprenante longévité. « Leyland » n’est qu’une identité empruntée à une pierre tombale de Nouvelle-Angleterre, tout comme il n’est pas un descendant d’immigré allemand. Il ne sait rien de lui-même sinon qu’il est un vampire, sans commune mesure avec les fictions de livres que méprise ce lettré. Son appétit de savoir a pour but d’assouvir une autre faim, compagne de siècles qu’il doit tous les jours contenter. Dans ce but, le directeur du Centre pour l’Etude de l’Homme utilise son programme d’étude des rêves pour endormir les étudiants volontaires et leur faire une ponction de sang. Non sans les avoir au préalable soumis à une analyse de sang afin d’éliminer les sujets consommateurs de drogues ou atteints d’une maladie. Leyland ne voit qu’un cheptel dans la communauté d’étudiants.

Un autre regard est celui de Mrs de Groot. Veuve d’un professeur, assurant depuis la fonction d’intendante, cette native d’Afrique occidentale entretient elle aussi une vision distanciée. Elle déplore que Jackson, l’employé noir de maintenance, soit ignorant de son passé : « Sa vraie place était dans une couverture rouge, la peau luisante d’huile et les cheveux nattés. » Aucun mépris, bien au contraire, chacun devrait apparaître tel qu’il est, et la nostalgique du Veldt, formée à la chasse au rhinocéros et au léopard, a compris qui est vraiment Leyland. Vampire et Afrikaner se rejoindront dans une traque, chacun devenant à son tour l’ombre et la proie.

Blessé, Leyland se retrouve, dans « Le pays du contentement perdu », capturé par Roger, un escroc à la petite semaine. Il le tient encagé dans une chambre à barreaux métalliques. Le vampire est nourri à partir de poches de sang puis par des donneurs volontaires. Mais très rapidement, Roger est convaincu par Alan Reese d’exploiter sa prise. Reese, occultiste bâti en force, doté d’un authentique charisme, souhaite organiser un sacrifice afin de s’emparer de la puissance du vampire, une cérémonie à l’usage de riches amateurs venus du monde entier. Pour cela, il affame le captif. Leyland parviendra à éveiller la compassion de Mark, neveu de Roger. Solitaire et réservé, le prisonnier fait cas de son geôlier, adolescent introverti. Durant les heures de garde, Mark dessine les plans de Skytown, une cité spatiale, sa vision du futur. De même, le vampire privé de passé songe constamment à l’avenir. Leyland parviendra à fuir.

Mais il lui faut revenir, recouvrer son poste de professeur. Dans « La dame à la licorne », le brillant universitaire doit se soumettre à une évaluation psychologique, suite à l’incident survenu au Cayslin College qu’il est parvenu à étouffer. « Il semble que je sois victime de l’illusion d’être un vampire », déclare-t-il à Floria, analyste dont le cabinet est situé à Central Park South. La thérapeute, qui vit elle-même une crise, voit d’abord en Leyland un individu dépressif. Mais au fil des séances le cas lui apparaît comme un magnifique sujet d’études, pouvant donner lieu à un livre à succès, dans la lignée de L’Homme aux loups de Sigmund Freud. Pour au final se laisser séduire par un habile manipulateur qui truque ses réponses, donne à ses actions concrètes une simple dimension symbolique. Mais le jeu n’est pas sans risques. L’esprit parasité par le questionnement de Floria, l’analyste apparaissant alors comme un vampire psychique, Leyland craint de s’affaiblir, pareil à la licorne des contes qu’une vierge amadoue avant que n’arrivent les chasseurs. Il mettra un terme aux séances de façon inattendue, à sa propre surprise.

L’ « Intermède musical » permet de le retrouver à l’université d’Albuquerque, Nouveau-Mexique. Son poste, beaucoup moins exposé que celui de New York, lui garantit de travailler au calme, un labeur fait de chasse et d’études. Convié à une représentation de La Tosca à l’opéra de Santa Fe, le docteur Leyland ne peut se défiler. Mais, suite à son dernier repas, il n’a pu bénéficier du court sommeil nécessaire à sa digestion. Leyland se sent lourd, irritable, beaucoup trop perméable au pouvoir de la musique qu’il a découvert au New York City Ballet. Alors que la création artistique lui apparaît navrante, en regard d’une Nature tellement riche et pourtant oubliée des humains, musique et danse éveillent en lui son instinct primitif. Le vampire commettra un meurtre sauvage en coulisses, occasion de l’unique réminiscence du roman : il a suivi en 1800 les armées du général Bonaparte. Une vision du passé qui le recentre sur son présent : sa vie factice est de plus en plus menacée.

Ainsi « La fin du docteur Leyland » le voit travailler à mettre un point final à son grand œuvre, une recension des rêves humains, lui qui ne rêve jamais. Mais l’un de ses collègues conçoit un outil statistique portant sur la provenance sociale des enseignants et de leurs étudiants. L’étude ne manquerait pas de révéler les failles dans l’identité du prédateur. En danger, Leyland passe ses week-ends à faire de l’escalade pour repérer une grotte qui lui assurerait un abri en vue de son prochain long sommeil. Ce n’est pas sans regrets qu’il s’apprête à quitter cette existence, mais ses dernières expériences l’ont rendu trop vulnérable. Et, depuis quelques temps, le chasseur a l’impression d’être suivi par une Volkswagen bleue. Alan Reese a fini par le retrouver et cherche maintenant à l’utiliser pour fonder une nouvelle religion, quitte à employer tous les moyens, chantage et usage de drogues. Le récit s’achève sur la fin de Leyland, mais rien n’est vraiment terminé.

Profondément novateur, le roman de Suzy McKee Charnas n’est pas sans évoquer toutefois un épisode de Twilight Zone, première saison (1959-1960). Dans Longue vie, Walter Jameson, sur un scénario de Charles Beaumont, le personnage principal est un universitaire, professeur d’histoire. Son futur beau-père, lui-même enseignant, est troublé par une photographie datant de la guerre de Sécession, car l’un des officiers qui y figure est le portrait craché du jeune chercheur. De fait, cet immortel ayant connu So-crate est spécialiste de textes anciens qu’il a lui-même écrits.

D’autres rapprochements sont possibles sans rien ôter à l’originalité du récit. Ainsi, de nombreux critiques situent le roman de Suzy Mc-Kee Charnas dans la lignée du Je suis une légende de Richard Matheson. La com-paraison n’est en rien outrée, car la créature d’Un vampire ordinaire tranche elle aussi radicalement avec la vision convenue du suceur de sang. La morphologie de « Leyland » est en apparence humaine mais ses attaches musculaires, sem-blables à celles du léopard, lui assurent vitesse et puissance. Il se nourrit au moyen d’un aiguillon disposé sous la langue qui sécrète un anticoagulant afin que le sang puisse couler. Ses proies se réveillent com-me après un léger étourdissement et ne deviennent pas vampires. D’ailleurs, « Ley-land » pense être l’unique représentant de son espèce, rêve et redoute en même temps de rencontrer un sujet qui lui soit sembla-ble. Il ne se reproduit donc pas, le sexe n’est qu’un instrument de chasse visant homme ou femme indistinctement, et sans jamais con-clure. « Vous accoupleriez-vous avec votre bétail ? » lâche-t-il à son analyste. L’anthro-pologue étudie l’humanité qu’ironie du pa-radoxe, il instruit : « Je dois boire leur sang pour me nourrir ; par conséquent je ne peux vivre seul et me désintéresser de leur histoire. » Cette nécessité de perpétuellement s’instruire tout en éduquant n’est pas sans danger. Lors d’un cours de travaux pratiques, « Leyland » pourrait façonner un coutelas en silex, sans se remémorer quand il a appris les gestes. Mais ne le fait pas car l’outil serait beaucoup trop parfait. L’instinct du vampire lui commande de ne pas éveiller les souvenirs parasitaires du passé, afin de vivre dans l’instant. D’où la nécessité des plages d’un long sommeil, périodes de coma intermédiaire entre deux existences qui le plongent dans l’amnésie. Un temps mort que « Leyland » doit sans cesse écourter, car les progrès du genre humain sont tels qu’il ne peut rester trop longtemps éloigné. Au réveil, le chasseur ne se souvient que des langues et des techniques apprises. La vie n’offre à son terme d’autre enseignement qu’elle-même, bientôt effacé par l’oubli. Ce qui suit relève de l’inconnu, que l’on soit vampire ou mortel.

Le Rêve de l'élite

[Critique commune à Les Prédateurs, Le Dernier Prédateur et Le Rêve de l'élite.]

Une recherche sur les sites internet français ne vous apprendra pas grand-chose sur Whitley Strieber. Par conséquent, ce sont les sites anglo-saxons qui vous renseigneront au mieux sur ce qu’il a écrit. Cet auteur américain, né en 1945 au Texas, connaît le succès dès son premier roman, Wolfen (1978), un thriller mêlant lycanthropie et mythes amérindiens d’une qualité plus qu’acceptable et qui, dès 1982, deviendra un honnête film d’horreur signé Michael Wadleigh (le réalisateur du célèbre film-documentaire Woodstock). Son deuxième roman, Les Prédateurs, sera lui aussi adapté au cinéma, par ce qui était à l’époque un jeune réalisateur, Tony Scott (frère de…), avec un casting prestigieux (Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon). Si le film bénéficiera d’un succès d’estime grâce à son esthétique et son atmosphère pesante, son exploitation en salles se soldera par un échec commercial. Les Prédateurs (1981), dont est tiré le scénario du film, est en fait le premier volet d’une trilogie que Strieber a écrit sur vingt-deux ans (Le Dernier Prédateur en 2001, Le Rêve de l’élite en 2003). D’emblée, on est en droit de se demander si les suites sont alimentaires. Sans doute, car l’auteur s’est largement grillé à la fin des années 90 en publiant un récit autobiographique sur son supposé enlèvement par des extraterrestres, Communion, adapté au cinéma (encore !) par Philippe Mora, avec Christopher Walken dans le rôle de l’écrivain abducted.

Sur le thème des vampires, Les Prédateurs se distingue des Dracula-like et des mièvreries twilightesques en décrivant la vie non pas d’un mais d’une vampire. Myriam Blaylock est âgée de plusieurs millénaires, qu’elle a passés à se cacher et à survivre en profitant des faiblesses de l’humanité. Elle est d’une beauté irréelle et possède un charisme absolument irrésistible. Ce qui tombe plutôt bien, car elle ne supporte pas la solitude. Elle se choisit donc des compagnons auxquels elle promet une jeunesse éternelle qu’ils ne connaîtront en vérité que pendant quelques siècles de vie, au terme desquels ils se flétrissent comme des fruits secs. Sans toutefois mourir. Son dernier amant et jouet arrivant au crépuscule de son existence, Myriam décide qu’il faut trouver un remède à sa prochaine dégradation physique. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux travaux de Sarah Roberts, spécialiste émérite en gérontologie. Supposant que Sarah ferait une excellente amante et une compagne fidèle pour les prochains siècles, Myriam décide de la séduire…

Dans Les Prédateurs, Whitley Strieber choisit de nous faire partager les états d’âmes de tous les personnages principaux : la prédatrice, l’amant déclinant, la proie et son mari ambitieux. A l’inhumanité des Prédateurs s’opposent donc la peur grandissante et l’incompréhension des victimes potentielles. En cela, le roman est un excellent thriller. L’atmosphère devient vite lourde et l’ambiguïté sexuelle de Myriam participe de l’efficacité du récit, car l’être assoiffé de sang a aussi besoin de l’amour inconditionnel de ses partenaires.

Myriam ne trouvera son âme-sœur que dans le volet suivant, Le Dernier des Prédateurs, mais l’élu est loin d’être conforme à ses attentes. Plus musclé, plus violent, ce deuxième roman perd de sa poésie érotique au profit de scènes pornographiques. D’ailleurs, tout est décuplé ici : le nombre de gardiens (lire vampires), les flashbacks qui renvoient à l’histoire des gardiens et les dialogues complètement idiots. L’intrigue s’articule autour du face à face entre Myriam et le chasseur de vampires, caricature de mercenaire moderne. Mieux encore (ou pire…), on ne peut s’empêcher de ricaner lorsque l’on comprend l’origine du lien unissant les hommes aux vampires.

Mais le grotesque atteint son paroxysme dans le dernier volet, Le Rêve de l’élite, qui décrit en long, en large et en travers le retour de la mère des gardiens parmi les hommes du XXIe siècle. Une plongée sanguinaire dans les feux de l’amour (sans oublier gloire et beauté).

Au final, si Les Prédateurs est un roman indispensable à tout amateur des suceurs de sang, les suites sont tout à fait dispensables.

Le Dernier Prédateur

[Critique commune à Les Prédateurs, Le Dernier Prédateur et Le Rêve de l'élite.]

Une recherche sur les sites internet français ne vous apprendra pas grand-chose sur Whitley Strieber. Par conséquent, ce sont les sites anglo-saxons qui vous renseigneront au mieux sur ce qu’il a écrit. Cet auteur américain, né en 1945 au Texas, connaît le succès dès son premier roman, Wolfen (1978), un thriller mêlant lycanthropie et mythes amérindiens d’une qualité plus qu’acceptable et qui, dès 1982, deviendra un honnête film d’horreur signé Michael Wadleigh (le réalisateur du célèbre film-documentaire Woodstock). Son deuxième roman, Les Prédateurs, sera lui aussi adapté au cinéma, par ce qui était à l’époque un jeune réalisateur, Tony Scott (frère de…), avec un casting prestigieux (Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon). Si le film bénéficiera d’un succès d’estime grâce à son esthétique et son atmosphère pesante, son exploitation en salles se soldera par un échec commercial. Les Prédateurs (1981), dont est tiré le scénario du film, est en fait le premier volet d’une trilogie que Strieber a écrit sur vingt-deux ans (Le Dernier Prédateur en 2001, Le Rêve de l’élite en 2003). D’emblée, on est en droit de se demander si les suites sont alimentaires. Sans doute, car l’auteur s’est largement grillé à la fin des années 90 en publiant un récit autobiographique sur son supposé enlèvement par des extraterrestres, Communion, adapté au cinéma (encore !) par Philippe Mora, avec Christopher Walken dans le rôle de l’écrivain abducted.

Sur le thème des vampires, Les Prédateurs se distingue des Dracula-like et des mièvreries twilightesques en décrivant la vie non pas d’un mais d’une vampire. Myriam Blaylock est âgée de plusieurs millénaires, qu’elle a passés à se cacher et à survivre en profitant des faiblesses de l’humanité. Elle est d’une beauté irréelle et possède un charisme absolument irrésistible. Ce qui tombe plutôt bien, car elle ne supporte pas la solitude. Elle se choisit donc des compagnons auxquels elle promet une jeunesse éternelle qu’ils ne connaîtront en vérité que pendant quelques siècles de vie, au terme desquels ils se flétrissent comme des fruits secs. Sans toutefois mourir. Son dernier amant et jouet arrivant au crépuscule de son existence, Myriam décide qu’il faut trouver un remède à sa prochaine dégradation physique. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux travaux de Sarah Roberts, spécialiste émérite en gérontologie. Supposant que Sarah ferait une excellente amante et une compagne fidèle pour les prochains siècles, Myriam décide de la séduire…

Dans Les Prédateurs, Whitley Strieber choisit de nous faire partager les états d’âmes de tous les personnages principaux : la prédatrice, l’amant déclinant, la proie et son mari ambitieux. A l’inhumanité des Prédateurs s’opposent donc la peur grandissante et l’incompréhension des victimes potentielles. En cela, le roman est un excellent thriller. L’atmosphère devient vite lourde et l’ambiguïté sexuelle de Myriam participe de l’efficacité du récit, car l’être assoiffé de sang a aussi besoin de l’amour inconditionnel de ses partenaires.

Myriam ne trouvera son âme-sœur que dans le volet suivant, Le Dernier des Prédateurs, mais l’élu est loin d’être conforme à ses attentes. Plus musclé, plus violent, ce deuxième roman perd de sa poésie érotique au profit de scènes pornographiques. D’ailleurs, tout est décuplé ici : le nombre de gardiens (lire vampires), les flashbacks qui renvoient à l’histoire des gardiens et les dialogues complètement idiots. L’intrigue s’articule autour du face à face entre Myriam et le chasseur de vampires, caricature de mercenaire moderne. Mieux encore (ou pire…), on ne peut s’empêcher de ricaner lorsque l’on comprend l’origine du lien unissant les hommes aux vampires.

Mais le grotesque atteint son paroxysme dans le dernier volet, Le Rêve de l’élite, qui décrit en long, en large et en travers le retour de la mère des gardiens parmi les hommes du XXIe siècle. Une plongée sanguinaire dans les feux de l’amour (sans oublier gloire et beauté).

Au final, si Les Prédateurs est un roman indispensable à tout amateur des suceurs de sang, les suites sont tout à fait dispensables.

Les Prédateurs

[Critique commune à Les Prédateurs, Le Dernier Prédateur et Le Rêve de l'élite.]

Une recherche sur les sites internet français ne vous apprendra pas grand-chose sur Whitley Strieber. Par conséquent, ce sont les sites anglo-saxons qui vous renseigneront au mieux sur ce qu’il a écrit. Cet auteur américain, né en 1945 au Texas, connaît le succès dès son premier roman, Wolfen (1978), un thriller mêlant lycanthropie et mythes amérindiens d’une qualité plus qu’acceptable et qui, dès 1982, deviendra un honnête film d’horreur signé Michael Wadleigh (le réalisateur du célèbre film-documentaire Woodstock). Son deuxième roman, Les Prédateurs, sera lui aussi adapté au cinéma, par ce qui était à l’époque un jeune réalisateur, Tony Scott (frère de…), avec un casting prestigieux (Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon). Si le film bénéficiera d’un succès d’estime grâce à son esthétique et son atmosphère pesante, son exploitation en salles se soldera par un échec commercial. Les Prédateurs (1981), dont est tiré le scénario du film, est en fait le premier volet d’une trilogie que Strieber a écrit sur vingt-deux ans (Le Dernier Prédateur en 2001, Le Rêve de l’élite en 2003). D’emblée, on est en droit de se demander si les suites sont alimentaires. Sans doute, car l’auteur s’est largement grillé à la fin des années 90 en publiant un récit autobiographique sur son supposé enlèvement par des extraterrestres, Communion, adapté au cinéma (encore !) par Philippe Mora, avec Christopher Walken dans le rôle de l’écrivain abducted.

Sur le thème des vampires, Les Prédateurs se distingue des Dracula-like et des mièvreries twilightesques en décrivant la vie non pas d’un mais d’une vampire. Myriam Blaylock est âgée de plusieurs millénaires, qu’elle a passés à se cacher et à survivre en profitant des faiblesses de l’humanité. Elle est d’une beauté irréelle et possède un charisme absolument irrésistible. Ce qui tombe plutôt bien, car elle ne supporte pas la solitude. Elle se choisit donc des compagnons auxquels elle promet une jeunesse éternelle qu’ils ne connaîtront en vérité que pendant quelques siècles de vie, au terme desquels ils se flétrissent comme des fruits secs. Sans toutefois mourir. Son dernier amant et jouet arrivant au crépuscule de son existence, Myriam décide qu’il faut trouver un remède à sa prochaine dégradation physique. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux travaux de Sarah Roberts, spécialiste émérite en gérontologie. Supposant que Sarah ferait une excellente amante et une compagne fidèle pour les prochains siècles, Myriam décide de la séduire…

Dans Les Prédateurs, Whitley Strieber choisit de nous faire partager les états d’âmes de tous les personnages principaux : la prédatrice, l’amant déclinant, la proie et son mari ambitieux. A l’inhumanité des Prédateurs s’opposent donc la peur grandissante et l’incompréhension des victimes potentielles. En cela, le roman est un excellent thriller. L’atmosphère devient vite lourde et l’ambiguïté sexuelle de Myriam participe de l’efficacité du récit, car l’être assoiffé de sang a aussi besoin de l’amour inconditionnel de ses partenaires.

Myriam ne trouvera son âme-sœur que dans le volet suivant, Le Dernier des Prédateurs, mais l’élu est loin d’être conforme à ses attentes. Plus musclé, plus violent, ce deuxième roman perd de sa poésie érotique au profit de scènes pornographiques. D’ailleurs, tout est décuplé ici : le nombre de gardiens (lire vampires), les flashbacks qui renvoient à l’histoire des gardiens et les dialogues complètement idiots. L’intrigue s’articule autour du face à face entre Myriam et le chasseur de vampires, caricature de mercenaire moderne. Mieux encore (ou pire…), on ne peut s’empêcher de ricaner lorsque l’on comprend l’origine du lien unissant les hommes aux vampires.

Mais le grotesque atteint son paroxysme dans le dernier volet, Le Rêve de l’élite, qui décrit en long, en large et en travers le retour de la mère des gardiens parmi les hommes du XXIe siècle. Une plongée sanguinaire dans les feux de l’amour (sans oublier gloire et beauté).

Au final, si Les Prédateurs est un roman indispensable à tout amateur des suceurs de sang, les suites sont tout à fait dispensables.

Je suis une légende

Robert Neville est le dernier homme sur Terre. C’est du moins ce que tout semble indiquer. Mais il n’est pas seul pour autant. Chaque nuit, ils se massent aux abords de sa maison. Et son voisin Ben Cortman est là, qui l’appelle : « Neville ! Viens, Neville ! » Mais Ben Cortman et ses semblables n’ont plus rien d’humain. Ce sont des vampires. Victimes d’une étrange épidémie qui a balayé la planète entière, ils n’ont absolument rien de surnaturel en dépit des apparences. Mais ce sont bien, pour Neville, des monstres, des prédateurs assoiffés de son sang. Sa femme elle-même n’est-elle pas sortie de sa tombe pour tenter de le tuer…?

Et Neville de se battre pour survivre. Le jour, quand les vampires sombrent dans leur étrange coma, il arpente la ville déserte, seul, bardé de croix et armé de pieux, quand il n’améliore pas les défenses de sa maison aux fenêtres barrées et surchargées de gousses d’ail. Neville tue pour survivre. Et il s’interroge ; il cherche à comprendre la raison de l’existence de ces vampires : d’où viennent-ils ? Comment l’épidémie s’est-elle propagée ? Pourquoi est-il immunisé ? Pourquoi cherchent-ils à boire le sang des humains ? Pourquoi ont-ils ces réactions face à l’ail et la croix ?

Ainsi débute Je suis une légende, sans doute le plus célèbre roman de Richard Matheson avec L’Homme qui rétrécit. Célèbre pour ses qualités intrinsèques, mais aussi pour son abondante postérité, notamment cinématographique : Je suis une légende a été adapté trois fois pour le grand écran (avec beaucoup de libertés… pour ne pas parler de trahison pure et simple, notamment dans le dernier exemple en date) ; de plus, en « rationalisant » le vampirisme — une voie qu’emprunteront par la suite d’autres auteurs à leur manière, tels Theodore Sturgeon (Un peu de ton sang) et Dan Simmons (Les Fils des ténèbres), pour n’en citer que deux —, et en décrivant ce cadre post-apocalyptique (l’anticipation est à court terme…) d’une planète submergée par une épidémie transformant les humains en monstres, Richard Matheson a contribué à façonner le concept moderne du zombie (George A. Romero et John Russo n’ont jamais caché s’être inspirés essentiellement de ce roman pour créer La Nuit des morts-vivants). C’est dire l’importance de Je suis une légende, roman séminal comme on n’en lit que rarement.

Mais, au-delà de cet héritage, Je suis une légende est avant tout un très grand roman d’horreur comme de science-fiction (davantage que de fantastique, justement du fait de la rationalisation du vampirisme — qu’on la juge convaincante ou pas). Et même, osons le terme, un chef-d’œuvre du genre, dont la lecture marque durablement.

Dès les premières pages, où Matheson fait preuve d’un réel talent pour l’attaque en force, le lecteur est immédiatement accroché et s’identifie bien vite à Neville, le dernier homme sur Terre. Sa détresse est palpable à chaque page, au-delà des seuls impératifs de la lutte pour la survie. Car Neville est bel et bien humain, avec ses faiblesses. C’est un homme triste et reclus dans sa solitude autant qu’un combattant, un homme qui a perdu sa famille dans le drame, et que seul l’instinct de conservation semble encore rattacher à la vie. Ce qui, sans surprise, l’amène régulièrement à sombrer dans la dépression et l’alcoolisme… Mais le pire est probablement que Neville reste de temps à autre sensible à de futiles espoirs ; ainsi dans cette magnifique séquence, tout simplement déchirante, où Neville rencontre un chien errant et tente de s’en faire un compagnon…

Car Neville est bien au centre de Je suis une légende, ainsi que ce titre magnifique, justifié par une conclusion bouleversante, le laisse déjà entendre. Et tandis qu’il s’interroge, avec méthode, sur la raison d’être et l’origine des vampires, le lecteur franchit une étape supplémentaire et questionne pour sa part l’homme, le sens de sa vie, sa place dans le monde. Et le court roman « de genre » de se transformer en subtile allégorie, riche en niveaux de lecture.

Palpitant, Je suis une légende est un bref roman cauchemardesque que l’on dévore littéralement, en l’espace d’une nuit (bien sûr…). Les scènes marquantes pullulent, très visuelles pour certaines d’entre elles. Et l’on tremble et l’on souffre à maintes reprises pour ce héros malgré lui…

Plus de cinquante ans après sa parution, Je suis une légende n’a pas pris une ride et reste un des sommets de la littérature vampirique. Un classique incontournable à la lecture indispensable.

La Maison des hommes vivants

On pourrait être surpris de trouver dans ce guide de lecture le court roman de Claude Farrère ; en effet, nul vampire ici, bien que le nom soit prononcé une fois. Mais bien du vampirisme, de celui qui assèche un être, jusqu’à le laisser totalement exsangue. C’est ce qui arrive à André Narcy, le narrateur, qui confesse dès les premières pages être mourant alors qu’il avait encore l’éclatante santé de ses trente-deux ans deux jours plus tôt. Par quel maléfice en est-il arrivé là ?

Tout commence lorsque ce capitaine de cavalerie, basé à Toulon, est chargé de porter un message dans un endroit isolé sur la côte. Son cheval tombe et se brise une patte en plein milieu de nulle part, il n’a d’autre choix que de l’achever et de continuer à pied. Alors que la nuit tombe, il croise son amante, marchant seule sur cette lande déserte, habillée comme à la ville et qui ne semble même pas le voir. Il décide de tirer cela au clair et finit par atterrir dans une petite maison tenue par trois hommes tous plus vieux les uns que les autres. Le secret de leur longévité, Narcy va le découvrir à ses dépens : ces « Hommes Vivants » — on appréciera la force de l’adjectif — ont découvert le moyen de pomper la vitalité d’autres êtres humains pour s’en gorger…

On est donc bien en plein dans la thématique vampirique ici : l’inquiétude monte graduellement à mesure que Narcy perçoit la nature de ses hôtes, et Madeleine, sa maîtresse, n’est pas sans faire penser à Mina Harker. Mais Farrère livre un roman qui sait trouver son identité, dans sa façon d’employer le vampirisme, qu’il relie à l’alchimie en faisant intervenir le Comte de Saint-Germain. De même, ses personnages de « vampires » détonnent : fins, cultivés, amicaux, ils ne souhaitent pas étendre leur pouvoir mais simplement continuer à vivre comme ils le font depuis des siècles.

En 1911, Claude Farrère signait cet admirable roman qui allait devenir un classique de la S-F française et conserver, un siècle plus tard, toute sa force et son originalité.

La Famille du Vourdalak

« La Famille du Vourdalak » est une nouvelle vampirique qui connut un bien étrange destin. Ecrite en français par Alexeï Konstantinovitch Tolstoï — un fonctionnaire et homme de lettres russe principalement connu pour son œuvre historique, poétique et satirique —, aux alentours de 1840 (la date de rédaction varie suivant les sources), elle ne fut pourtant publiée qu’à titre posthume en 1884 dans une traduction russe. En France, c’est à partir du milieu du XXe siècle que le texte connaîtra un certain succès, acquérant peu à peu le statut de classique de la littérature fantastique (alors que son auteur n’aura écrit en tout et pour tout que trois nouvelles du genre) pour régulièrement prendre place dans une multitude d’anthologies (dont Histoires de morts-vivants, issue de la « Grande Anthologie du Fantastique » chez Presses Pocket).

L’originalité de ce texte d’une trentaine de pages ne tient pas dans son thème, celui du vampire, lequel avait déjà connu son heure de gloire en littérature dans les années 1820 (évidemment bien avant le Dracula de Bram Stoker). C’est davantage le contexte et la manière qui font la force du récit.

« La Famille du Vourdalak » nous conte l’histoire d’un diplomate qui, au cours d’un voyage en Europe de l’Est, s’arrête dans un petit village de Serbie afin de passer la nuit dans une auberge. Là, il découvre une famille en pleine déréliction, rongée d’angoisse dans l’attente du retour du père, Gorcha, parti chasser des brigands turcs. Un père qui, avant d’entamer son périple, a lancé un terrible avertissement à sa famille : si au bout de dix jours il n’est toujours pas revenu, il faudra le considérer comme mort et ne surtout pas le laisser entrer dans la maison, car il sera alors devenu un vourdalak, un vampire qui n’aura d’autre but que de leur sucer le sang ! Comme de bien entendu les dix jours sont passés, et alors que l’heure exacte du départ de Gorcha vient tout juste de sonner, le voilà soudain qui surgit du crépuscule :

« Nous en étions là quand j’entendis l’horloge du couvent sonner lentement huit heures. A peine le premier coup avait-il retenti à nos oreilles que nous vîmes une forme humaine se détacher du bois et s’avancer vers nous. »

Gorcha, blessé et affaiblit, réclame alors toute l’attention de sa famille. Mais dans le cœur de cette dernière le doute s’installe, et avec lui, la peur… Le voyageur, quant à lui, ne trouvera rien de mieux à faire que de séduire Sdenka, la fille de Gorcha, ce qui lui vaudra son lot d’ennuis par la suite. Et tandis que l’aube blafarde pointe, un premier mort est découvert : le jeune garçon de la famille, enlevé dans la nuit par Gorcha.

Le vampire de « La Famille du Vourdalak » n’est pas un aristocrate séducteur, élégant et ténébreux, de-meurant dans un château noyé dans le brouillard, mais un paysan serbe désagréable et brusque, un vieillard qui doit s’aider d’un bâton pour marcher. Et il ne s’attaque pas à de jeunes vierges promises au mariage, mais bien à sa propre famille, à ses propres enfants. Bien loin des clichés du roman à sensation et de la nouvelle horrifique, Tolstoï place donc son intrigue et ses personnages dans un paysage sinistre mais réaliste, qui fait le trait d’union entre Prosper Mérimée et Nicolas Gogol. Dans son récit, le vampire sent la terre et le froid, et la terreur qu’il inspire est d’autant plus efficace car crédible. Tolstoï revient aux sources même du mythe, aux légendes paysannes de l’Europe de l’Est, bien avant qu’il ne soit dénaturé par le romantisme noir et la littérature gothique. Avec un talent monstre et un certain culot, il démontre en quelques pages combien il avait assimilé toute la littérature de son époque, y compris ses limites.

Nul doute que la figure de Gorcha, apparaissant subitement à la fenêtre du voyageur en pleine nuit, décimant sa propre famille avant de s’attaquer à son invité, inspirera nombre d’écrivains. Tolstoï sait utiliser des images fortes, lugubres et marquantes, soutenues par un style concis et une langue maîtrisée. Et alors que la tendance actuelle est de sortir le vampire de son contexte classique en le plaçant dans un cadre urbain, au cœur même de notre quotidien ou dans un univers décalé, la lecture de « La Famille du Vourdalak » nous rappelle combien la figure romanesque du vampire ne se limite par forcément à celle d’un séduisant bellâtre qui vient d’emménager de l’autre côté de la rue, celui-là même qui jette de curieux regards à ses camarades de lycée…

On précisera enfin qu’Alexeï Tolstoï est également l’auteur d’« Oupires », autre nouvelle de vampire, plus classique mais tout aussi réjouissante, qui figure au sommaire de la présente édition chez L’Age d’Homme aux côtés d’un troisième récit fantastique, le tout étant traduit et préfacé par Paul Lequesne.

Bitterwood

Le monde vit sous la main de fer des Dragons depuis un millénaire et Albekizan, le roi actuel, est le pire d’une longue lignée de tyrans sanguinaires. Les humains sont traités par les Sauriens comme les Ilotes par leurs maîtres Spartiates : les révoltes sont réprimées avec une violence extrême. La dictature s’aggrave encore avec l’assassinat de l’héritier du tyran par le « terroriste » Bitterwood. Albekizan, fou de chagrin, décide d’anéantir l’espèce humaine qu’il juge inutile et responsable de la mort de son fils. Aidé par un Dragon psychopathe, il met en place un camp de concentration à l’échelle du pays et y attire les humains par un mélange de promesses de vie meilleure et de menaces à peine voilées. Fort heureusement, tous les Dragons ne sont pas de cet avis, ainsi le mage royal Vendevorex et son humaine domestique, qui décident de s’opposer au dictateur génocidaire par tous les moyens, y compris en s’alliant au légendaire assassin de Dragon et héros de la résistance, le fameux Bitterwood…

Ce roman démarre comme un cycle de fantasy naïf et manichéen mais se révèle au fil des pages à la fois addictif et trompeur. Il se transforme en effet par petites touches presque impressionnistes en roman de science-fiction post-apocalyptique qui réussit à surprendre le lecteur et à expliquer de manière assez élégante et logique le retour des dragons et de la magie. Une prouesse qui vaut d’ailleurs à elle seule la lecture de l’ouvrage.

Les personnages sont attachants, quoique parfois un peu trop « Américains », mais il est vrai que l’action se passe en Géorgie, et Bitterwood, sorte de super résistant sur le retour, est particulièrement réussi. L’intrigue rebondit allégrement avec juste ce qu’il faut de surprises et de deux ex machina pour que l’on ne s’ennuie pas. De fait, une fois fini le livre — qui, bien que clos, n’en est pas moins le premier volume d’une trilogie —, on se surprend à y trouver un petit goût de revenez-y. En clair, sans être le cycle de l’année, nous sommes ici en présence d’un très honnête travail d’écrivain qui remplit parfaitement son office : distraire le lecteur tout en étant original. A recommander comme un bon moment de détente sans prétention.

La Parallèle Vertov

[Critique commune à La Parallèle Vertov et Les Manuscrits de Kinnereth.]

Frédéric Delmeulle était apparu en 2007 avec le roman Nec Deleatur, paru chez un petit éditeur (EditeurIndependant.com) mais néanmoins remarqué par certains critiques (notamment Laurent Leleu, pp.70-71 du Bifrost n°50). Passablement réécrit, ce livre est republié chez Mnémos sous un autre titre tout aussi intrigant, La Parallèle Vertov ; cette réédition devrait lui permettre de toucher un public plus large, et ça n’en est que justice car il s’agit d’un roman très intéressant et rondement mené. En 1910, trois frères sont tués en Angleterre ; ces meur-tres marquent le point de départ d’une enquête menée par des journalistes qui vont plonger dans les tourments d’une guerre de succession qui s’étend sur plusieurs décennies, et qui verra certains des héritiers augmenter leur fortune par le biais d’un pacte avec le parti nazi. En 1993, un homme prend possession d’un sous-marin, le Vertov. Enfin, de nos jours, Child Katouchas aperçoit sur des images d’archives datant de 1910 son oncle… avec son apparence actuelle ! Toutes ces trames vont bien évidemment se rejoindre pour tracer une histoire singulière faite de voyage dans le temps. Le lecteur sera ainsi promené à diverses époques, en commençant par 117 et la mort de l’empereur Trajan. Delmeulle est professeur d’histoire-géographie, aussi son solide bagage de connaissances lui permet-il d’asseoir tranquillement la progression de ses personnages au sein d’un univers parallèle qu’ils provoquent, puis subissent. Astucieux, tant dans son propos que dans sa construction, agrémenté d’un humour omniprésent dû aux protagonistes, ce livre se lit d’une traite, même si parfois les exposés « techniques » plombent clairement le rythme.

Ce défaut est corrigé dans le tome suivant de ce qu’il convient désormais d’appeler Les Naufragés de l’Entropie, Les Manuscrits de Kinnereth, inédit cette fois-ci et publié quelques mois plus tard par Mnémos. Davantage porté sur l’action — même si le premier tome n’en était pas dépourvu, loin de là —, ce livre part une nouvelle fois d’un mystère. Mais là où il s’agissait d’une énigme policière dans La Parallèle…, il s’agit de théologie ici : des manuscrits sont retrouvés à Kinnereth — dont la mer est en fait le lac de Tibériade —, qui, s’ils sont authentiques, risquent fort d’ébranler les bases de l’histoire religieuse. Ils datent en effet de la fin du Ier siècle et ont été rédigés par un disciple du Christ. Ce roman ne constitue pas une suite directe du premier volume, puisque c’est désormais l’ex-compagne de Child, disparu depuis dix ans, qui tient le rôle principal. Chercheuse en histoire, elle se voit confier ces manuscrits, et devra mettre en œuvre ses facultés de réflexion pour retrouver les traces du Vertov et de Child, sans savoir s’il est encore vivant… Elle sera accompagnée pour ce faire de plusieurs membres de sa famille hauts en couleurs, et de Masterson, un agent des services secrets dont les motivations restent obscures. Combinaison de mystère religieux des origines et de voyage dans le temps : on pense inévitablement à Voici l’homme, de Michael Moorcock, et Delmeulle ne se prive du reste pas d’y faire référence. Néanmoins, là où le roman de l’écrivain anglais était ouvertement un pamphlet théologique, celui de l’auteur français se veut plus léger, plus tourné vers le suspense et les paradoxes temporels. Comme on l’a dit, ce tome est mieux équilibré que le précédent, et suit exactement le même chemin : une lecture délassante, sympathique plongée dans les méandres du temps, par un auteur qui prend visiblement plaisir à tordre le cours du temps selon son imagination. Par ce diptyque, Frédéric Delmeulle fait une entrée remarquée dans le milieu de l’imaginaire francophone

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