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Les Synthérétiques

Dès ses débuts (la nouvelle « Rock toujours », dans l’anthologie de Bruce Sterling Mozart en verres miroirs, également publiée en « Présence du futur »), Pat Cadigan révélait une affinité certaine avec la rock music, les nouveaux médias ; pour faire court, les thématiques favorites du cyberpunk — dans le fond comme dans la forme.

Ces Synthérétiques sont les nouveaux addicts de la vidéo, encore plus branchés, câblés, connectés, que les maniaques de Vidéodrome ou d’eXistenZ… et ils courent les mêmes risques, celui d’une infection virale qui leur crame les neurones.

On peut considérer que le livre a quelque peu vieilli (c’est le risque assumé des fictions socio-technologiques traitant de l’avenir proche). Après tout, ne sommes-nous pas depuis belle lurette entrés dans le monde connecté des casquEcrans et des dresseurs de puce, des virus destructeurs et autres léviathans informatiques envahissants ? Tous ces réseaux, machines et logiciels d’autant plus dangereux qu’ils provoquent des addictions quasiment irrémédiables. Aujourd’hui, ils ont pour nom Facebook, Google (avec ou sans « + »), Twitter, LinkedIn, YouTube, Spotify, Deezer, Maps, Earth, StreetView, et sont véhiculés par les netbooks, smartphones, tablettes, GPS, dongles, clés USB, 3G, 4G, iPods, iPhones, iPads et autres dé-clinaisons, hard and soft, défilant, tels de nouveaux Android, pour tous nous mettre au pas et, n’en doutons pas, très bientôt miniaturisés sous la forme d’implants crâniens… Et toujours, sur un rythme techno-speedé de plus en plus hypnotique et répétitif, celui même de la prose nerveuse et rock’n’roll célinienne de Cadigan (dans la mouvance évidente de William Gibson, le créateur du genre). Dans ces conditions, rien d’étonnant que l’héroïne soit une fan folle fondue de thrash metal.

Un conseil, donc : faire passer ces quelque sept cents pages frénétiques, le casque sur la tête, en écoutant Sepultura, Megadeth ou Anthrax.

L'Elvissée

Nous sommes en 2003, mais dans un univers parallèle au nôtre, où la toute-puissante multinationale Dryco étend son pouvoir sur un monde bien déglingué, ravagé par la montée des océans (au point qu’il a fallu rebâtir une « nouvelle New York » pour garder les pieds au sec) et celle, concomitante, des sectes dont une, gratinée, l’Eglise d’Elvis, qui n’attend rien moins que le retour du Messie de Memphis (d’où le titre, L’Elvissée, croisement explicite d’Elvis et de l’Odyssée).

Jack Womack s’était déjà fait remarquer avec Terraplane, premier tome de sa saga uchronique délirante, où le personnage pivot était là aussi un musicien, en l’occurrence Robert Johnson, bluesman des années trente connu entre autres pour son « Terraplane Blues ». Rappelons que dans cette chanson, la Terraplane (un modèle fabriqué par Hudson entre 1932 et 1938), devient une métaphore du sexe : la Terraplane, rétive au démarrage de l’auteur, convoque l’idée de sa petite amie qui se laisserait monter par un autre homme, et les divers problèmes mécaniques y prennent des connotations sexuelles. (Thématique qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, puisque le titre devait inspirer quantité de chanteurs et de groupes dont, last but not least, Led Zep avec leur « Trampled Under Foot ».)

Dans ce deuxième tome de sa saga, Dryco, pareille à la Rome antique face aux premiers chrétiens, sent son pouvoir menacé par le succès grandissant des disciples d’Elvis. Elle décide donc de recourir aux grands moyens pour rectifier le tir et dévier le cours de l’histoire : elle envoie des agents dans le passé. C’est que (détail qui n’en est pas un), dans cette uchronie, on voyage dans le temps, et, en toute logique, ce passé est lui aussi « parallèle ». Oui, je sais, ça paraît compliqué, mais c’est heureusement plus simple à lire qu’à expliquer.

Mais voilà, ces agents se retrouvent en 1954 dans une Amérique ravagée par l’apartheid, au point qu’ils doivent recourir aux grands moyens en se faisant « décolorer » (ah oui, c’est que nos deux agents sont noirs, c’est ballot). Sans compter que l’Elvis qu’ils retrouvent (après moult péripéties) est bien loin d’être la célèbre rock star à l’orée de sa carrière… On pourra songer au film Jean-Philippe de Laurent Tuel, mais ici Elvis n’est pas un anonyme et bien inoffensif Jean-Philippe Smet, patron d’un bowling miteux, mais un redoutable prédateur sexuel, psychotique et schizophrène pour faire bonne mesure (on le serait à moins).

C’est au point que les agents de Dryco n’ont d’autre choix que de l’« exfiltrer » dans leur monde contemporain — décision malheureuse qui ne fera qu’aggraver la situation et l’état mental d’Elvis lorsque ce dernier découvre, accablé, l’image christique qu’il est devenu pour ses fans, pour le coup fanatiques au sens propre du terme. Tout cela culminera lors d’une Fancon tenue à Londres…

On songe bien sûr aussitôt au film Galaxy Quest qui joue, là aussi, sur le suintement de la légende dans le réel et la force médiatique de ces héros mythologiques contemporains que sont devenus nos rock stars ou nos acteurs de séries télévisées (d’où le titre du roman, encore une fois).

Le roman va toutefois plus loin que la simple pochade et n’hésite pas à soulever des questions dérangeantes : le pouvoir des sectes, l’emprise des multinationales, l’impossibilité de rectifier l’« effet papillon » de décisions politiques malencontreuses… tout cela ponctué par la guitare et la voix d’un Elvis devenu contre son gré le « Tommy » d’un opéra-rock sombre et saccadé.

Fugues

Pour certains, une musique — surtout une chanson —, c’est une madeleine de Proust, un instantané temporel. De toute évidence, Lewis Shiner est de ceux-là, lui qui bâtit tout un roman sur la recréation du passé, mais pas n’importe lequel : le passé du rock, et d’une de ses périodes les plus fécondes, la fin des sixties.

Le protagoniste de Fugues, Ray Shackleford, est — tout comme Shiner — un ancien musicien. Il s’est pour sa part reconverti dans la réparation des appareils de hifi, amplis, platines, etc. (Le roman date de 1993 et se déroule cinq ans plus tôt.) Un jour, alors qu’il rêvasse à ce qu’aurait été Get Back, l’album des Beatles sorti sous le titre Let It Be, et notamment « The Long and Winding Road » sans les rajouts sirupeux de Phil Spector, il a la surprise non seulement d’entendre ce titre fantôme, mais de l’enregistrer… Une musique issue d’un univers parallèle ?

Des albums fantômes, il en connaît d’autres. The Celebration of the Lizard, des Doors. Smile, des Beach Boys. First Rays of the New Rising Sun, de Jimi Hendrix. Pourquoi ne pas les invoquer aussi, puis trouver un autre amoureux du rock des sixties pour les vendre ? Et même, pourquoi ne pas glisser dans le temps, « fuguer », en somme, afin d’aller motiver les musiciens concernés ? Sauf que la réalité peut se montrer résiliente…

Fugues est un roman d’une grande richesse. Portrait à la fois d’une époque révolue, d’une génération désenchantée et d’un personnage épris d’absolu dans la musique comme en amour (car, surtout par sa faute, son couple bat de l’aile), il fait partie de ces livres de genre — tel, au hasard, Replay de Ken Grimwood — qu’on peut mettre entre les mains de tout lecteur raisonnablement ouvert.

Son aspect le plus étrange, toutefois, tient à ce que, depuis sa parution, son intrigue s’est réalisée. La plupart de ces galettes mythiques sont disponibles — Let it be… naked des Beatles s’écoutant dans sa version déspectorisée, le Beach Boys et le Hendrix ayant été reconstitués, il n’y a guère que le Doors qui reste insaisissable, mais pour combien de temps ?

Cela ne retire rien à la qualité de ce bouquin attachant et nostalgique. Au contraire : on dispose maintenant de sa bande son.

Lire aussi la critique d'Al' Durou dans le Bifrost 22.

Shock Rock

L’association entre musique rock et chansons à thèmes horrifiques a commencé avec les Black Sabbath — tombés dedans presque par hasard — et Alice Cooper, roublard et détaché, et bien dans son rôle dans la préface du livre. Mais au-delà du Grand Guignol, rock et horreur sont unis par la force mythique des fantasmes de gloire et de puissance. Etre un musicien à succès, c’est gagner l’adulation de toutes les filles de la Terre ; dans ces conditions, on est prêt à vendre son âme au diable. Robert Johnson le savait déjà…

Trop de nouvelles reposent sur ce cocktail de sexe et de malédiction symptomatique d’un regard finalement extérieur sur le rock. Trop ne sont portées que par une seule idée. Les textes qui ne font pas appel à un ressort fantastique (Patrick Gates, Rex Miller, Richard Christian  Matheson, Thomas Tessier) recherchent la terreur dans les perversions de l’âme humaine, en tirent plus de potentiel de surprise. Leurs protagonistes paumés ne sont pas musiciens, mais prisonniers de leur rapport à la musique.

Il faut de l’audace pour mettre en scène un musicien réel, comme le font les auteurs d’uchronies avec les figures historiques, mais quand c’est bien amené, son génie donne un souffle nouveau au texte. Graham Masterton réussit son Jimi Hendrix dans « L’Enfant vaudou » (et lui adjoint le personnage fictif de John Drummond), F. Paul Wilson fait de Bob Dylan un personnage périphérique à la faveur d’une histoire de voyage dans le temps. Curieusement, le recueil s’ouvre sur ce texte… de SF. La musique est la clé des réminiscences... et le rock est mort ! D’où le nombre de nouvelles versant dans la nostalgie, situées dans le passé ou mettant en scène des fans fétichistes ou des rockers has-been (Ray Garton réussit fort bien cet exercice).

John Shirley conclut l’anthologie avec un titre emprunté au Blue Öyster Cult et domine de la tête et des épaules un volume tout compte fait décevant. Sans doute parce que lui connaît vraiment le rock, et met une image vécue et contemporaine de la scène de Los Angeles au service d’une intrigue surprenante, qui emprunte à la SF et à la fantasy autant qu’à l’horreur.

Le Temps du Twist

Il y a toujours eu un côté punk chez Houssin, même s’il est lui-même un enfant du rock. Mais le côté déglingué des romans, à la limite suicidaire, louche davantage du côté d’un no future qui n’a plus rien à perdre qu’il n’est l’expression d’une révolte engagée. La plupart de ses romans se déroulent dans un décor post-cataclysmique, à la violence désabusée, le tout raconté avec nervosité, accumulant les scènes d’anthologie et les images choc.

Le familier de Joël Houssin n’est donc pas dépaysé ici, même si, cette fois, le futur glauque nécessite de voyager dans le temps. Au moins, l’alcoolisme suicidaire des adolescents est-il justifié par la nécessité de se prémunir de rétrovirus transformant les gens en zombis Zapf amateurs de chair humaine. Pour ses seize ans, Antonin n’a qu’une obsession : être enfin dépucelé, peu importe par qui, avant de se suicider. Mais le cadeau de son ami loup-garou Orlando change la donne : la Buick Electra, par la magie de l’informatique de contrebande et de la musique de Led Zeppelin, expédie la bande d’amis aux dates des concerts du groupe.

Las ! le passé n’a pas non plus de futur dans la mesure où celui du rock est furieusement compromis : en 1969, Jimmy Page s’est mis à la peinture et a remisé sa guitare. Led Zeppelin n’existe pas, les hippies ont connu une dangereuse dérive mystique en devenant les sanguinaires adeptes de la dangereuse Nouvelle Eglise, une secte in-fluente qui vaut bien les ZZ du futur.

A partir de là, le roman devient une virée à cent à l’heure où la tentative de restauration du passé est l’occasion de revisiter l’œuvre survoltée des Led Zep’, ainsi que la foisonnante période du rock londonien des seventies, des Beatles aux Rollings Stones, des Who à T-Rex, avec des clins d’œil aux américains de la même mouvance, comme les Doors ou MC5. Ici, le rock ne sauve pas, mais il est nécessaire de sauver le rock pour échapper au néant.

L’ensemble, très cyberpunk, est un délire parfaitement assumé, au final paroxystique comme il se doit. Un roman récompensé par le Grand Prix de l’Imaginaire en 1992, et de l’imagination, il en faut pour assurer jusqu’au bout ce numéro d’équilibriste sur le fil de l’absurde sans jamais tomber dans le n’importe quoi.

Lire aussi la critique de Claude Ecken dans le Bifrost 23…

… et la critique de J.-F. Lyon dans le Bifrost 4.

Rock Machine

Au début du XXIe siècle, la multinationale MUSIK règne sans partage sur l’industrie musicale et le show-biz, où elle tente d’imposer ses Personnalités Artificielles, des stars virtuelles créées de toutes pièces pour chanter des tubes fabriqués sur ordinateur. Mais voilà, les Lady Leather et autres Mucho Muchacho ne durent pas, se fanent vite, le public se lasse, bref, elles manquent un peu de personnalité, justement. MUSIK charge alors Gloriana O’Toole, la Grand-Mère du Rock’n’Roll, une sorte de Janis Joplin rescapée de l’Age d’Or du rock (entendez, les années soixante) de créer une « vraie » star virtuelle, qui ait un peu plus de chien et de faveurs du public.

Gloriana sait qu’elle vend son âme au Diable, mais elle n’a pas le choix. Elle s’adjoint Bobby Rubin, un bidouilleur d’images surdoué, et Sally Genaro, une grosse boutonneuse sexuellement frustrée, mais géniale dans les manips sonores. Ensemble, ils créent Red Jack, un rocker qui cartonne, à la grande joie de MUSIK, mais se trouve parasité par le Front de Libération de la Réalité (genre de mix entre les Situationnistes de 1968 et le mouvement Anonymous) et se met à délivrer des messages révolutionnaires. Mauvais pour le bizness ! Notre trio de bidouilleurs rockers met alors au point Cyborg Sally, qui reflète un peu trop la personnalité mal baisée de Sally Genaro. Pendant ce temps, dans les rues, on trafique du câble (des drogues virtuelles) dont le zap, qui permet de donner vie à tous ses fantasmes…

On a parfois comparé Rock Machine à Jack Barron et l’éternité (1971) pour son côté critique subversive des médias et des multinationales qui les manipulent. Mais là où Jack Barron frappait fort et juste et peut encore se relire quarante ans après, Rock Machine a quand même pris un bon coup de vieux. Ce qui fait la force de ce roman, c’est son départ sur les chapeaux de roues, comme un bon album de metal — mais ça commence à s’essouffler vers le milieu, et la fin est décevante par rapport aux enjeux brassés. C’est également le côté prémonitoire où Spinrad a vu juste en imaginant des stars virtuelles — qui existent à présent au Japon — et de la musique fabriquée de façon industrielle, sur des algorithmes plus commerciaux que musicaux. C’est enfin l’humour de l’ensemble et la truculence de ses personnages — on se souvient longtemps de Gloriana O’Toole, une grand-mère comme tout rocker rêve d’en avoir !

En revanche, tout l’aspect cyber et informatique a terriblement vieilli et fait sourire à présent — c’est hélas inévitable dans ce genre d’anticipation à court terme —, et les références à « l’Age d’Or » (années soixante et soixante-dix) sont trop ciblées pour un jeune lecteur d’aujourd’hui qui aurait du mal à y retrouver ses repères culturels. Un bon divertissement, mais trop ancré dans son époque, à réserver plutôt aux nostalgiques.

Furia !

Troisième roman de l’auteur, Furia ! remonte à 1982, ce qui doit être la préhistoire pour bien des lecteurs… A l’époque où triomphaient les fils de pub persuadés d’être des surhommes devant dominer le monde pour mille ans sans s’apercevoir qu’ils glissaient déjà vers les poubelles de l’histoire, laissant derrière eux leur idéologie du dieu fric, certains tentaient encore de faire bouger les lignes : alors que la musique dite rock ne cessait de se réinventer, il s’agissait de profiter des expérimentations littéraires — parfois indigestes, mais nécessaires — des années soixante-dix. Dans cette histoire de déchéance d’un groupe rock, il y a du Druillet, du K. Dick (bien sûr), du Joël Houssin, de la technique de collage de par ses nombreux apartés, du Einstürzende Neubauten et autres défricheurs de l’industriel, du Orange mécanique de Burgess pour les recherches de langage. Et comme l’histoire, oscillant constamment entre rêve et réalité, jusqu’à s’offrir quelques passages drolatiques tenant plus de Chuck Jones que de Burroughs, se veut intemporelle, ce court roman a beaucoup moins vieilli que bien des récits de l’époque. Et il y a déjà ce style électrique au présent qui se fera de plus en plus sec, nerveux et précis, anticipant l’écriture de thriller telle qu’on la pratique actuellement, qui nous donnera des bijoux comme Aqua et récemment Exodes. P…, trente ans !

Armageddon Rag

Ce titre un peu abscons, c’est celui d’une chanson des mythiques Nazgûl, groupe dont l’ascension, à l’aube des seventies, a été interrompue par l’assassinat, sur scène, de son leader charismatique Patrick Hobbins. Au début de la décennie suivante, sous la présidence Reagan, les idéaux des années soixante paraissent loin, même pour un survivant comme Sandy Blair, à l’époque journaliste et activiste. Lui, il s’est rangé des voitures : devenu romancier, il a épousé une femme agent immobilier. Mais l’inspiration le fuit sur son quatrième livre quand son ancien associé à la tête du magazine jadis alternatif Hedgehog lui propose de mener l’enquête sur le meurtre, apparemment rituel, de Jamie Lynch, l’ancien manager des Nazgûl, dix ans jour pour jour après celui de leur chanteur, Hobbins.

Sandy voit là l’occasion de se sortir de son marasme. Il va aller au fond des choses, peut-être tirer un vrai livre de son odyssée : les musiciens du groupe à interviewer, les ami(e)s à revoir, les lieux à revisiter. D’autant que quelqu’un veut reformer les Nazgûl, ramener Hobbins d’entre les morts. Et ce n’est peut-être pas qu’une figure de style…

On trouve sans doute dans Armageddon Rag des éléments autobiographiques, car, tel Sandy Blair, Martin est un ancien journaliste devenu écrivain (ce roman est, de fait, son quatrième). En tout cas, il y a mis tout son cœur, donnant là une œuvre polysémique — entre le thriller, l’enquête sociologique et le fantastique mâtiné de SF, à la Lovecraft — qui dresse le bilan à la fois affectueux et critique de ces quelques années où les Etats-Unis, empêtrés dans la guerre du Viêtnam, secoués par la contestation, bientôt confrontés à un scandale sans précédent dans les hautes sphères du pouvoir, se sont retrouvés en situation prérévolutionnaire. On voit sans mal vers qui vont les sympathies de GRRM (indice : il n’a pas voté Romney) et à quel point le tournant conservateur pris par son pays le désole.

Mais il serait dommage de réduire ce livre à sa seule dimension politique, car c’est aussi un formidable bouquin sur le rock, sa créativité, ses ambivalences (sa capacité de transport et de destruction) et le portrait sans affèterie d’un groupe en tournée — on n’est pas loin de Presque célèbre, film assez autobiographique, là encore, de Cameron Crowe. (A titre de clin d’œil final, je signale que, parmi les gens que Martin remercie pour l’aide qu’ils lui ont apportée dans l’écriture de ce roman, figure un certain Lewis Shiner…)

La Balade de City

A la fin des années soixante-dix, John Shirley écrivait, et chantait dans un groupe de punk qui jouait à l’occasion dans les conventions de SF. Quand William Gibson et Bruce Sterling ont lancé le cyberpunk, il s’y est retrouvé naturellement. Plus tard, à la fin des années quatre-vingt-dix, il a écrit les textes de nombreuses chansons pour un de ses anciens groupes fétiches, le Blue Öyster Cult, reformé le temps de deux albums…

Quand sort La Balade de City, l’idée n’est pas inédite, mais encore inhabituelle : une ville, par l’ensemble des réseaux, d’eau, d’énergie, de téléphone, constitue une sorte de système nerveux, et peut acquérir une conscience. Et la ville est le biotope du rock. Celle qui intéresse Shirley, « City », c’est San Francisco, qui se manifeste sous forme d’un gaillard taciturne et inquiétant, affublé de verres-miroirs. Il lui faut des humains pour l’aider : ce sera la musicienne Catz Wailen, star montante de l’angst rock, et Stu Cole, propriétaire d’un club rock et connaissance de Catz. Stu et City ont un objectif commun : lutter contre les banques qui veulent mettre l’économie en coupe réglée en imposant leur monopole sur les moyens de paiement électroniques, les seuls qui soient désormais légaux…

Il y a pas mal de violence dans ce livre, plusieurs descriptions bien faites de concerts de rock comme décor de l’action, et un travail de précurseur du cyberpunk (de façon intéressante, le livre était vendu comme du fantastique et non comme de la SF lors de sa sortie). L’action est située en 1991, et si le développement des réseaux informatiques n’y est pas prévu, ou du moins pas de la façon dont il s’est produit, on y trouve de bonnes idées, comme la disparition de la presse papier au profit de versions électroniques disponibles contre paiement dans… les cabines téléphoniques. Matériel démodé, concept toujours moderne. Les protagonistes, eux, représentent une sorte de refus individualiste du monde technocapitaliste. Et le roman, bref et intense, est prenant.

La Mauvaise tête

Etrange destin que celui de ce bouquin atypique. Publié en 1977 sous une forme inhabituelle (un grand format, style beau livre, somptueusement illustré par Ian Pollock, traduit par votre serviteur pour Denoël, en 1979) pour inaugurer une nouvelle collection qui ne dépassera pas trois titres, frais de fabrication obligent, Brothers of the Head / La Mauvaise Tête, devait sommeiller, quasi oublié, durant près de trente ans, jusqu’à ce que… mais on y reviendra.

Il faut d’abord dire que cette histoire fort cronenbourgeoise (pour le réalisateur canadien, pas la bière alsacienne), outre sa forme dérangeante (encore renforcée par le style graphique de l’illustrateur, ambiance Ronald Searle, revu par Gerald Scarfe…), se situait quelque peu à l’écart des canons de la SF ordinaire.

Qu’on en juge : le livre se veut le récit documenté (succession de fiches, interviews, témoignages, articles et documents divers, y compris les textes de chansons fournis en annexe) de la carrière aussi scandaleuse qu’improbable de deux frères siamois natifs d’un cap rocheux paumé, situé sur la côte du Norfolk (d’où le titre — avec un jeu de mots intraduisible, « Head » étant entendu ici comme tête, mais aussi comme cap, promontoire), frères siamois qui plus est affligés d’une troisième excroissance en forme d’ébauche de tête supplémentaire (qui tient à avoir son mot à dire — tel l’ineffable Zappy Bibicy du Guide  du voyageur galactique –, d’où le titre VF).

Deux frères siamois qu’un producteur malin et roublard va propulser dans le top 50 des rock-stars glam punk décadentes (on est en 1977 ! Ziggy Stardust a enfanté les Stranglers), tels deux (trois ?) Elephant Men qui, aujourd’hui, feraient intensément songer, prémonition, aux tristement célèbres (pour leurs frasques) frères Gallagher d’Oasis. Evidemment, tout cela va très mal finir…

Dans l’intervalle, on aura eu droit à un récit éclectique, éclaté, décalé, et d’une intense puissance poétique (quelque peu lovecraftienne ou stephenkinguesque), brumes côtières obligent… (les cultivés convoqueront Mlle Brontë et ses Hauts de Hurlevent).

Détail intéressant (et éclairant), Brian Aldiss a révélé, lors d’une interview ultérieure, que cette histoire passablement tordue était née de la crise que son couple traversait à l’époque, conjuguée à la narration d’un cauchemar vécu par sa fille, dont il avoue (point crucial et douloureux) qu’elle n’avait pas été vraiment désirée…

Sans doute est-ce là la raison pour laquelle les réalisateurs Keith Fulton et Louis Pepe décidèrent, près de trente ans plus tard (précisément, en 2005), de ressusciter le texte en le portant à l’écran sous la forme d’un faux documentaire techno-trash (sur le modèle du Projet Blair Witch en 1999, d’Incident at Loch Ness de Werner Herzog, sorti en 2004, sans oublier, bien sûr, plus récemment, Cloverfield), docu romancé que l’affiche présente comme situé « à la croisée de Cronenberg et Spike Jonze ».

Le livre (en VO comme en VF) étant désormais quasiment introuvable — ou alors à des prix indécents —, on pourra donc satisfaire sa curiosité avec le DVD (dispo, lui, du moins en VO), même si l’esthétique du film est bien plus radicale que celle du livre (dont la forme pouvait évoquer quelque conte macabre mais intensément poétique, tel un Petit Prince sous amphés…).

Si l’on a la chance de tomber sur les deux, l’un et l’autre se complètent admirablement.

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