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Les critiques de Bifrost

Armageddon rag

Armageddon rag

George R.R. MARTIN
POCKET

Bifrost n° 69

Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69

Ce titre un peu abscons, c’est celui d’une chanson des mythiques Nazgûl, groupe dont l’ascension, à l’aube des seventies, a été interrompue par l’assassinat, sur scène, de son leader charismatique Patrick Hobbins. Au début de la décennie suivante, sous la présidence Reagan, les idéaux des années soixante paraissent loin, même pour un survivant comme Sandy Blair, à l’époque journaliste et activiste. Lui, il s’est rangé des voitures : devenu romancier, il a épousé une femme agent immobilier. Mais l’inspiration le fuit sur son quatrième livre quand son ancien associé à la tête du magazine jadis alternatif Hedgehog lui propose de mener l’enquête sur le meurtre, apparemment rituel, de Jamie Lynch, l’ancien manager des Nazgûl, dix ans jour pour jour après celui de leur chanteur, Hobbins.

Sandy voit là l’occasion de se sortir de son marasme. Il va aller au fond des choses, peut-être tirer un vrai livre de son odyssée : les musiciens du groupe à interviewer, les ami(e)s à revoir, les lieux à revisiter. D’autant que quelqu’un veut reformer les Nazgûl, ramener Hobbins d’entre les morts. Et ce n’est peut-être pas qu’une figure de style…

On trouve sans doute dans Armageddon Rag des éléments autobiographiques, car, tel Sandy Blair, Martin est un ancien journaliste devenu écrivain (ce roman est, de fait, son quatrième). En tout cas, il y a mis tout son cœur, donnant là une œuvre polysémique — entre le thriller, l’enquête sociologique et le fantastique mâtiné de SF, à la Lovecraft — qui dresse le bilan à la fois affectueux et critique de ces quelques années où les Etats-Unis, empêtrés dans la guerre du Viêtnam, secoués par la contestation, bientôt confrontés à un scandale sans précédent dans les hautes sphères du pouvoir, se sont retrouvés en situation prérévolutionnaire. On voit sans mal vers qui vont les sympathies de GRRM (indice : il n’a pas voté Romney) et à quel point le tournant conservateur pris par son pays le désole.

Mais il serait dommage de réduire ce livre à sa seule dimension politique, car c’est aussi un formidable bouquin sur le rock, sa créativité, ses ambivalences (sa capacité de transport et de destruction) et le portrait sans affèterie d’un groupe en tournée — on n’est pas loin de Presque célèbre, film assez autobiographique, là encore, de Cameron Crowe. (A titre de clin d’œil final, je signale que, parmi les gens que Martin remercie pour l’aide qu’ils lui ont apportée dans l’écriture de ce roman, figure un certain Lewis Shiner…)

Pierre-Paul DURASTANTI

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