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Louisiana Breakdown

Jack Mustaine, musicien itinérant, se fait serrer par la police routière à l'entrée de Graal. « On dirait bien que vot' coiffeur faisait la grève », dit l'agent. Le lecteur, habitué aux trous perdus de l'Amérique profonde représentés par la littérature et davantage encore par le cinéma, comprend que le guitariste va se faire emmancher. Fort heureusement, Joe Dill, potentat local, ordonne au flic de laisser tomber. Les Dill règnent en effet sur la bourgade, contrôlant une bonne fois pour toute l'économie autarcique avec leur agence de courtage ou leur société de construction. Et la famille fournit à l'aristocratie locale son lot de dentistes et d'avocats, façon réunion du Lion's Club, mais en salopettes. Mustaine atterrit au club Le Bon Chance que supervise avec ennui Sedele Monroe, la tenancière lesbienne. Là, Jack va faire la connaissance de Vida Dumars, et s'éprendre de cette authentique fille du Sud à la sexualité débordante mais jamais agressive. Pourtant, la violence est le lot de Vida depuis qu'elle a été désignée reine du Solstice quand elle avait dix ans. Le titre n'en fait pas l'élue d'un bal de promo mais le bouc émissaire, celle qui doit endosser les maux de la communauté. Pour détourner la malchance, Vida se fait régulièrement violer par Marsh, la présence sombre qui plane au-dessus de Graal. Tout cela, Jack l'apprend en découvrant le passé de Madeleine Lecleuse qui était la précédente reine. Or le temps du retour est venu pour Marsh, au nom suggestif puisqu'il signifie « Marécages ».

Bayous, moiteur, torpeur des âmes engluées aux lieux, Lucius Shepard invoque l'héritage littéraire de Tennessee Williams et plus encore de Carson Mc Cullers dans son indépassable Reflet dans un œil d'or, pour se l'approprier dans une reprise magistrale qui fait de ce roman à la fois un bijou de construction et un formidable moment de lecture, hybride curieusement viable de Steinbeck et du meilleur Stephen « Différentes Saisons » King. À quoi s'ajoute une dimension documentaire, littéralement par accident, à l'aune de l'ouragan Katrina survenu après sa publication. Dans une préface qui remplace celle de Poppy Z. Brite figurant dans l'édition originale, Shepard s'interroge sur l'identité de la Nouvelle-Orléans, et au-delà de la Louisiane. Comment parler d'un lieu qui n'existe plus, d'un endroit qui avant même le cataclysme n'était trop souvent perçu qu'à travers une poignée de clichés ? Le rapprochement éditorial avec Brite se double d'ailleurs d'une comparaison textuelle, si l'on a en mémoire le recueil de nouvelles Petite cuisine du Diable de l'auteure (Au Diable Vauvert). Fête, magie de la ruelle, Carnaval et câpres grillées, Poppy Z. Brite nous offrait des images certes agréables, mais qui avaient l'épaisseur de chromos collés sur le frigo de son époux restaurateur. Restaurer la Nouvelle-Orléans n'est pas le but de Shepard qui n'a en rien à compenser l'inactivité du gouvernement américain. Sa finalité n'est pas directement politique mais communautaire, ce que traduit l'intemporalité de Graal. De plus, Lousiana Breakdown offre une variation autour des thématiques chères à l'écrivain, notamment la distinction entre Nature et Milieu. La Nature n'a jamais été aussi absente dans l'œuvre de Shepard qui s'intéresse davantage au mode d'existence de l'homme dans son environnement, où l'on ne vit pas mais survit, dans une nécessaire interaction réciproque qui oblige à l'adaptation. « Le Train noir », nouvelle figurant dans le recueil collectif Les Continents perdus (Denoël « Lunes d'encre »), en offrait un inoubliable exemple. Ici, Jack Mustaine, étranger de passage, et donc étrange aux yeux de ceux qu'il considère comme des weirdos, est incapable de comprendre le prix nécessaire à payer. Même sa musique est déplacée face au choix inaltérable du juke-box, le héros a un drôle d'air c'est pourquoi il reprendra la route. Dans la bonne ville de Graal la destinée individuelle est absente au profit d'un rôle social, le tout compte davantage que ses parties. Vida est instrumentalisée, réduite à un objet sexuel soumis aux exigences de Marsh, qui en retour lui permet de distinguer les véritables Formes modelant la ville. L'épisode des homoncules dans les pommes de terre, recouverts de ketchup et engloutis par un habitué obèse justifie à lui seul l'achat du roman. Sa fin renvoie au début, une symétrie dont on ne sait si elle est le fait du narrateur ou du souverain Marsh. Tout va, tout revient, rien ne change jamais à Graal. Et ce n'est pas la chronologie pointilleuse des faits cherchant à rythmer une durée immobile, celle de l'instant, qui y change quoi que ce soit. Venez à Graal, puisque vous en sortirez, vivant mais pas indemne, attendu que vous n'êtes pas du coin. Reste à saluer la formidable traduction d'Henri-Luc Planchat, taillée à mesure du talent de Shepard dans de la toile de moustiquaire.

Radieux

Voici donc, un an après Axiomatique, le second volume de l'intégrale raisonnée des nouvelles de Greg Egan. Passons d'emblée sur une illustration de couverture dont on ne doute pas qu'elle fera débat, même si elle s'inscrit bien dans le ton du recueil, pour nous attaquer au fond, à savoir, les textes.

« Paille au vent » nous entraîne à la suite du « personnage narrateur standard » dans une Amazonie où el Nido, fief des cocaleros reconvertis dans les biotechnologies, s'apparente au château de la Belle au Bois Dormant et à sa forêt d'épines. Y pénétrer est une chose, en ressortir, une autre. Parce que lorsque la drogue cesse d'être un vulgaire psychotrope pour devenir le moyen de recâbler son cerveau de manière à devenir juste et très exactement ce que l'on veut en faisant abstraction de tout contexte, tout a changé. Ce thème va revenir au fil du recueil.

Avec « L'Eve mitochondriale », le « narrateur standard » est confronté à un autre centre d'intérêt majeur de Greg Egan : l'évolution des rapports sociaux en fonction de l'impact de la technique sur le sexe ou le genre. La question ici posée étant de savoir si tous les hommes (et femmes) sont frères ou à tout le moins cousins en partageant une unique ancêtre commune à toute l'humanité. Cela débouche sur une sorte de religion unificatrice et matérialiste mais, si en fin de compte tout ceci n'était que du flan ?

« Radieux », à l'instar des « Tapis de Wang » (in revue Galaxies n°6), appartient à une veine plus cosmique et plus rare de l'œuvre de Greg Egan bien qu'il la traite ici selon son habitude tout en se rapprochant à la fois de Ted Chiang et de Stephen Baxter. Des mathématiciens découvrent qu'une zone lointaine des très très grands nombres ne répondraient plus aux règles de l'arithmétique, lesquelles ne seraient donc plus absolues, mais relatives aux nombres auxquels on voudraient les appliquer. Qui plus est, cette frontière serait mouvante et fractale. La société Industrial Algébra envisage d'exploiter cette discontinuité à des fins pragmatiques pour le moins triviales. Aussi, les chercheurs à l'origine de la découverte envisagent-ils de détruire leurs travaux en espérant que leur commanditaire s'avérera incapable de marcher sur les traces de leur œuvre brisée ou, de manière plus radicale, d'éradiquer la discontinuité au moyen de l'ordinateur photonique « Radieux ». Cependant, des intelligences autres la défendent en modifiant l'espace mathématique avec une subtilité telle qu'ils agissent directement sur l'état mental des protagonistes. On reste pantois devant ce texte génial qui commence comme du cyberpunk bien noir et cloue le bec de quiconque penserait la S-F désormais incapable de se renouveler.

Avec « Monsieur Volition », on redescend de quelques étages pour en revenir au thème de « Paille au vent » mais en ayant cette fois recours à un implant. C'est à nouveau la quête d'un moi absolu, d'une essence intrinsèque de l'être. Bien qu'intéressant, ce texte constitue le point (relativement) faible du recueil.

Et avec « Cocon », ça repart de plus belle. Derrière un récit d'enquête sur un attentat plutôt mieux fichue qu'à l'ordinaire — mais c'est la cerise sur le gâteau — c'est de nouveau une problématique d'ordre sexuel qu'Egan aborde ici. Une firme met au point un filtre capable de protéger le fœtus des influences néfastes de la mère, qu'elle soit alcoolique ou infectée par le VIH, etc. Mais aussi de l'influence du stress qui serait responsable de l'orientation sexuelle future. La question étant, pour la communauté homo qui a enfin gagné le droit d'être et à laquelle appartient cette fois le « narrateur standard », de savoir si sa disparition est acceptable ou criminelle et de choisir entre une fatalité induite par les contingences de la vie et un choix fait par autrui. Cette disparition programmée de la « culture gay » est-elle ou non comparable à une sorte de génocide ? Encore un texte très fort qui pose des questions fondamentales sur la fantasmatique technicienne. Voilà qui donne à réfléchir.

Dans « Rêves de transition » revient le thème de la transcendance qui avait déjà été visité dans le précédent recueil. Quand la technique permet de numériser intégralement la mémoire et de l'implanter dans un robot, a-t-on enfin gagné l'immortalité ou, au contraire, est-on tout simplement mort en laissant une sorte de portrait animé derrière soi ? Une nouvelle en léger retrait.

Le « Vif Argent » est une sorte de fièvre hémorragique cruelle qui ressemble plus ou moins à l'ébola mais se transmet par simple contact épidermique et non par contact avec le sang. La virulence du vif argent est telle que les porteurs meurent trop vite pour que s'instaure une véritable pandémie mais voilà que soudain, ça change. Une sorte de culte écolo-new age extrémiste, délirant, masochiste, technophobe et fondamentalement anti-humaniste se répand dans le dessein de « défaire » la culture technicienne occidentale. Une perspective qui fait frémir…

Le « narrateur standard » de « Des raisons d'être heureux » est atteint d'une tumeur cérébrale dont un effet secondaire lui booste un moral d'acier. Un traitement viral lui sauve la vie mais le plonge dans une terrible et incurable dépression car ce sont les réseaux neuraux liés au plaisir qui on été détruit en même temps que les cellules cancéreuses. Des lustres plus tard, un nouveau traitement le tire de sa dépression mais il apprécie désormais indifféremment tout ce qu'appréciaient individuellement chacun des 4000 hommes morts qui ont servi de modèles pour les réseaux neuraux synthétiques dont on vient de le pourvoir pour restaurer son cerveau. Il apprendra à calibrer ses sensations mais resteront les aléas de la vie…

« Notre-Dame de Tchernobyl » ramène Egan vers une thématique qui lui tient à cœur : la place de l'art dans l'avenir technologique et, à travers lui, la place de la spiritualité. Il est à cet égard intéressant de croiser « Notre-Dame » et « Vif Argent ». À défaut d'une spiritualité authentique, on risque de se retrouver avec des superstitions aussi abracadabrantes que dangereuses. Nouvelle enquête et quête d'une icône néo-orthodoxe, symbole d'une religion où Dieu n'est pas chair mais information. Si cette nouvelle n'est pas la plus éblouissante du recueil, elle est certainement la plus touchante.

Enfin, avec « La Plongée de Planck », Greg Egan nous entraîne dans l'exploration d'un trou noir au travers d'une science-fiction eschatologique, proche du Stephen Baxter de Temps, aux frontières de l'astrophysique et de la physique quantique. Quand la hard science fiction atteint ce niveau-là, ne peut-on y voir l'émergence d'une nouvelle forme poétique ? Après tout, des nombres quantiques ne se sont-ils pas vu attribuer les noms d' « étrangeté » et de « charme » ? Si le gros de l'œuvre de Greg Egan peut contribuer, sinon à l'édification des masses, du moins à aider tout un chacun à s'interroger sur notre avenir technologique, on peut se demander pour qui est cette pyrotechnie finale…

La science-fiction offre cette particularité qu'il n'est nul besoin d'être un grand styliste pour être un écrivain majeur et absolument passionnant. Greg Egan s'inscrit ainsi dans la continuité d'auteurs tels que Arthur C. Clarke ou Philip K. Dick dont les propos se suffisent amplement à eux-mêmes. Des fioritures stylistiques pourraient même grever la force des textes. Les nouvelles d'Egan sont construites autour d'un « narrateur standard », qui s'incarne à la première personne, un « Je » mimétique. Une sorte de Monsieur-tout-le-monde qui est en situation de se poser les questions que se pose Greg Egan et qu'il nous invite à partager. Comme chez Dick, ses personnages ne sont jamais des héros mais servent simplement de révélateurs.

Par ailleurs, la plupart des nouvelles d'Egan contiennent un ou plusieurs paragraphes d'exposition de la technique qui va soulever le problème. Egan ne sacrifie guère au principe du « montrer, ne pas dire ». Il dit. Assez longuement et non sans lourdeur mais c'est indispensable. S'il le fait beaucoup, c'est néanmoins a minima ; jamais trop. Ces défauts sont ceux de ses qualités et passent sans difficultés aucune dans ses nouvelles tandis qu'ils se font sentir sur la distance du roman.

Greg Egan nous interpelle avec une pertinence unique à ce jour sur nos divers fantasmes technologiques. Il a cette capacité à formuler les interrogations éthiques sur la société et la civilisation en devenir. C'est la raison d'être d'un écrivain à défaut de quoi il ne se démarque en rien d'un bateleur de foire. Et c'est ce qui légitime la littérature. À lire l'ensemble, Egan fait apparaître que la spiritualité non seulement peut, mais doit et peut-être même va, faire bon ménage avec la technique, sans quoi il faut s'attendre à de méchants retour de bâton. Si l'on sait que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme », conscience sans science ne saurait être que con(nerie). Non seulement Egan est passionnant mais il est surtout nécessaire et peut-être devrait-on commencer à lire « Cocon » dans les écoles. Incontournable.

La Terre de brumes

Kilworth termine sa trilogie comme il l'avait entamé : par un beau voyage. L'envahissement d'Albainn (la Terre de Brumes du titre), longtemps projeté, a reçu l'aval des dieux Océaniens, avides d'en découdre avec ceux des hommes blancs. Le roi Kieto a rassemblé une flotte immense qui s'apprête à braver les mers du destin. Occasion pour l'auteur de convoquer une dernière fois ses personnages — ou leurs mânes. À l'image du celte Seumas, les héros sont devenus vieux. Tragédie pour le guerrier fatigué : pourra-t-il laisser les Océaniens envahir le pays dont il est issu ? Las. Il ne verra pas l'invasion, ni même la fin du voyage. « Veille sur mon peuple », enjoint-il à son fils Craig (le Kumiki du second volume). Oui, mais lequel ? Le Celte ou l'Océanien ?

Au-delà des affrontements entre les représentants des deux civilisations (plus théâtralisés que féroces d'ailleurs), c'est cette injonction d'une douce ambiguïté qui amène les développements les plus intéressants. L'âme du père, prisonnière de son dilemme, appelle le fils métis à la libérer. Le périple de Craig est donc à la fois physique et intérieur. Dans les songes, les mythes et la géographie du monde celte, c'est la trace de ses origines qu'il recherche, son identité oubliée.

Comme il en va d'ordinaire dans ce genre de récit initiatique, il y a des épreuves à franchir, des monstres formidables, de longues séquences d'exploration, des artefacts fabuleux, beaucoup de magie. Le ton est shakespearien ; la morale nettement plus convenue. « Certains quittent leur terre pour chercher le savoir plutôt que la conquête. Voilà la vraie nature de la quête de l'humanité. » À la fin, Celtes et Océaniens doivent s'allier pour repousser d'autres envahisseurs moins scrupuleux. Puis chacun de rentrer chez lui, apaisé et plus sage.

Si le dénouement est moins spectaculaire que ne le laissaient présager les épisodes précédents, Kilworth est suffisamment habile et malin pour capter l'attention du lecteur et lui asséner jusqu'au bout sa grande idée : une sorte de colonisation à l'envers, une pirouette faite à l'histoire où l'exploration du monde aurait pris sa source ailleurs qu'en Europe ; avec des explorateurs à la fois moins conquérants et plus spirituels que ceux dont les livres ont gardé le nom.

C'est bien évidemment une utopie impossible, comme seuls en ont rêvé les poètes… Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage/Ou comme celui-là qui conquit la Toison,/Et puis est retourné plein d'usage et raison,/Vivre entre ses parents le reste de son âge !

50° au-dessous de zéro

C'est l'histoire d'une bande de primates qui jouent aux savants fous avec leur milieu naturel et finissent par le rendre invivable ; puis, une fois la catastrophe consommée, se lamentent : « Vraiment dommage, on aurait peut-être pu le sauver. »

Vu comme ça, le roman de Robinson a tout de la fable chlorophyllienne un peu cynique. C'est méconnaître l'auteur qui, tout en fustigeant l'iniquité des puissants et l'aveuglement des masses, affiche dans le même temps un optimisme surnaturel, une confiance inébranlable dans la capacité de réaction et d'adaptation du genre humain.

Alors voilà, on en est là : les pluies diluviennes du premier opus (Les Quarante signes de la pluie) ont laissé exsangue une partie des Etats-Unis ; la banquise continue de se déliter ; l'action des courants marins et atmosphériques est bouleversée ; la montée des océans raye de la carte les nations insulaires ; les sans-abri et les réfugiés se comptent par millions ; tandis qu'une vague de froid sans précédent s'abat sur tout l'hémisphère nord. Cette fois, il ne s'agit plus de prévenir le réchauffement climatique, voire un bouleversement écologique global. Le réchauffement et le bouleversement ont eu lieu ; à présent un nouvel âge glaciaire menace l'équilibre de la biosphère. « Il est clair que le problème n'est pas l'ignorance de la situation. Le problème est d'agir en conséquence de ce que nous savons. » Les survivants doivent terraformer la Terre. « C'est ce que nous faisons déjà. Le problème c'est que nous ne savons pas comment. »

Comment agir, donc ? La plupart des figures croisées lors du volet inaugural apparaissent en retraits, comme écrasées par les événements. De loin en loin, on suit les menées de Charlie Quibler pour faire élire son sénateur de patron à la Maison-Blanche. Le roman tourne autour de Frank Vanderwal, sociobiologue à la personnalité singulière. Depuis que son logement est devenu inhabitable, il s'est installé dans un arbre du Rock Creek Park, rendu aux animaux sauvages et aux marginaux de tout poil. Ce primate des temps modernes prône le retour à une vie plus simple donc plus saine, débarrassée du confort fallacieux qu'apporte la civilisation des marques, la société du design et de l'encart publicitaire. Exit jeans, téléphones portables, cartes de crédit, réflexes consuméristes. À l'instar des freegans, il fait le choix d'un mode de vie alternatif qui limite au maximum sa participation dans l'économie conventionnelle. Pour cette raison ou pour une autre, qui tient peut-être à son boulot au sein de la NSF (National Science Foundation) il est très surveillé. Sa surveillante, la femme de l'ascenseur, est aussi son amoureuse. Ecartelée entre son travail d'espionne au service d'une improbable et mystérieuse agence d'Etat, un mari espion qu'elle déteste, et des nuits passées à se bécoter dans le froid, elle traverse la vie de Frank comme un fantôme. Normal pour un homme invisible, qui a volontairement choisi le retrait.

L'avantage d'une telle posture, c'est que parfois on discerne mieux. En haut de ses perchoirs (l'arbre, la tour de la NSF), Frank a tout loisir d'observer l'agitation d'une faune de jungle urbaine livrée à la folie du climat. Obsessionnel compulsif, il décompte à toute berzingue les problèmes et les solutions scientifiques éventuelles qui permettraient de les résoudre ; il remplit des carnets de chiffres, des salles de réunion, des chèques bancaires pour financer les meilleurs projets, tout en se préparant au pire.

Dans cette fable noire — ou plutôt, d'une effrayante blancheur —, deux notions essentielles sont discutées en filigrane : contrôle et pouvoir. À la nécessité du changement s'oppose l'inertie des capitaines d'industrie, des politiques, des administrations, voire du péquin lambda, qui défendent chacun des intérêts contraires. Mais qui détient le pouvoir ? Qui contrôle qui, et quoi ? Dans une association humaine hypercomplexe, le pouvoir des puissants est limité ; et certains événements échappent à leur contrôle. Contre le prêchi-prêcha hypocrite et les rituels qui sentent le réchauffé ou le moisi, Robinson réaffirme sa confiance dans l'individu pour établir une harmonie qui pourrait être perpétuellement maintenue. Tout le monde a du pouvoir, même en petite quantité. « Les gens peuvent changer. Les gens passent leur vie à changer. Tout dépend de ce qu'ils veulent. »

Malgré ses qualités d'hypnose, le roman souffre de trois défauts.

Primo, de sa démarche un brin démonstrative ; même si, composé comme un manifeste écolo, comme un plaidoyer pour une science « éthique », l'auteur a l'intelligence de ne jamais sombrer dans la propagande et l'idéalisme béat.

Secundo, d'une certaine tendance à l'hypergraphie. « Dieu bénisse les résumés, si seulement tout pouvait être condensé, au fond, y perdrait-on grand-chose ? » La phrase, ajoutée au délicieux dialogue de la page 176, résonne comme un tacite aveu.

Tertio, la rupture que constituent les épisodes d'espionnite aiguë interrompt la ligne du récit et, au risque de paumer le lecteur, relègue toute la partie sur l'hiver glaciaire, pourtant très densément tramée et balisée, à une sorte de péripétie interchangeable. Au moment du dégel, l'histoire précipite alors sa marche comme pour en finir vite. Sans doute la volonté de l'auteur d'en garder sous le pied a-t-elle pesé dans ce parti pris scénaristique, en attendant un troisième opus avec des lendemains qui (dé)chantent.

Un puits dans les étoiles

Il était une fois un vaisseau, grand comme une planète, vieux comme l'univers, qui errait dans l'espace intersidéral. Un jour, le mastodonte atteignit la voie lactée et tomba dans les mains industrieuses de l'humanité, qui s'empressa de le convertir en astronef de croisière pour extraterrestres voyageurs. Pour embarquer, une seule condition à remplir : payer sa place en information — transfert de technologie fructueux — ou en ressources sonnantes et trébuchantes. Mais le Mal couvait au cœur du Grand Vaisseau. Pendant une mission d'exploration, certains membres de l'équipage découvrirent la mystérieuse entité dénommée Marrow, incarcérée en son centre. S'étant proclamés Indociles, ils tentèrent alors de s'emparer du pouvoir pour imposer son culte et peut-être même, la libérer de sa prison en hyperfibres. Il en résulta une guerre impitoyable qui manqua de détruire entièrement le Grand Vaisseau. Au terme de cet épisode, on aurait pu croire qu'après avoir réprimé la révolte, préservé l'intégrité de la coque et échappé à l'engloutissement dans un trou noir, les capitaines survivants allaient pouvoir enfin goûter à une immortalité paisible durant des éons. C'est bien mal connaître l'imagination de Robert Reed et le goût du lectorat pour ce genre de saga. À peine ses plaies sont-elles pansées que le Grand Vaisseau voit son avenir dramatiquement hypothéqué. En effet, la nouvelle trajectoire qu'il a adoptée pour échapper au trou noir l'entraîne inexorablement au cœur d'une nébuleuse obscure où le guette… un danger peut-être — certainement — plus grand encore…

Dans un précédent numéro de Bifrost (le 44), j'avais affirmé ne plus vouloir revenir dans l'univers conçu par Robert Reed. Mais voilà, je suis lâche… et influençable de surcroît. Voici donc la chronique de Un puits dans les étoiles qui pourrait aisément s'intituler Le Grand Vaisseau — saison 2. En effet, tous les ingrédients constitutifs, les tics narratifs et les poncifs du précédent volet sont une nouvelle fois convoqués pour en mettre plein la vue aux adeptes de NSO (acronyme désignant le New Space Opera, courant littéraire qui, a bien y réfléchir, ne se différencie de son ancêtre de l'âge d'or que par les trois premières lettres). Un puits dans les étoiles commence immédiatement au moment où l'action de Le Grand vaisseau s'était interrompue et le programme de la seconde saison peut se résumer en deux mots : encore plus. Encore plus de gigantisme, encore plus de combats titanesques et cataclysmiques, encore plus d'armes effroyables (insérez ici le cri d'effroi de votre choix), encore plus d'extraterrestres bizarres, encore plus de jargon technoscientifique, encore plus de sexe (eh non ! même pas…) ; l'ensemble se déroulant sur une échelle de temps qui s'étiiiiiiiire encore sur des centaines d'années.

Une nouvelle fois, la surenchère d'effets se fait au détriment de l'aspect humain de l'histoire. Ici, on pourrait également résumer le procédé promptement. C'est le règne du encore moins. Encore moins de psychologie, encore moins de chaleur humaine, encore moins d'interaction entre les individus. Capitaines, ingénieurs, post-humains, extraterrestres ne sont que les marionnettes d'événements qui les dépassent en ampleur. Ils évoluent en tâche de fond, immergés dans une intrigue, par ailleurs totalement balisée. Fort heureusement, Robert Reed pratique davantage l'ellipse, ce qui nous épargne des siècles de comptes-rendus minutieux sur l'avancement des réparations et sur l'approche de la nébuleuse. Cependant, la narration reste très lente, pour ne pas dire ennuyeuse. Il ne se passe rien ou presque, durant environ 130 pages. Puis, le rythme s'accélère, les événements se précipitent jusqu'à l'offensive générale contre le Grand Vaisseau. C'est alors une toute autre sorte de lassitude qui s'impose. Celle générée par la répétition des combats qui mobilisent un arsenal toujours plus impressionnant. Celle suscitée par le ressassement des effets dévastateurs de l'assaut. Celle enfin, du rabâchage des contre-mesures déployées par les capitaines, Washen et Pamir, afin de repousser l'invasion ; manœuvres toutes successivement et implacablement déjouées. Des pages et des pages où il n'est plus question d'une S-F d'idées puisque l'enjeu se réduit à la question : Charybde (Marrow) va-t-il trouver son Scylla ? Il n'est pas davantage question d'une S-F d'images, même si certaines visions titillent de manière subliminale le sense of wonder. Non, nous nous trouvons ouvertement dans une S-F de comptabilité. Seul importe le nombre de morts, les outrages pyrotechniques infligés au Grand Vaisseau et, de manière de plus en plus lancinante, le compte à rebours des pages qu'il reste à tourner avant un dénouement, en forme de cliffhanger comme il se doit, dans une série interminable…

Sculpteurs de ciel

Premier roman d'Alexander Jablokov, si l'on fait abstraction de la parution de A Deeper Sea dans Asimov's SF Magazine, Sculpteurs de ciel est un ouvrage qui intrigue autant qu'il suscite l'agacement. Assertion contradictoire, me direz-vous, pourtant tel est bien l'état d'esprit, brut de décoffrage, qui prévaut une fois la dernière page tournée. Et puis progressivement, le sentiment jusqu'alors sous-jacent d'avoir lu un roman plus profond qu'il n'y paraît s'impose. Pas facile en fin de compte de chroniquer Sculpteurs de ciel, aussi va-t-on débuter en donnant un aperçu de l'histoire. Nous sommes au vingt-quatrième siècle. Grâce à la découverte de la ngnomite — une matière synthétique très rare et coûteuse, créée par une espèce extraterrestre disparue —, l'humanité a conquis les étoiles et s'est installée sur quelques mondes du système solaire. Cependant, une guerre froide a distendu, pour des raisons sur lesquelles l'auteur ne s'appesantit pas, les rapports entre la Terre, ses partenaires de la Lune et de Mars, et l'alliance technique formée essentiellement par les colonies des satellites joviens. Afin d'éviter un éventuel réchauffement fatal, les deux blocs ont donc convenus d'une zone tampon entre eux, logiquement située dans la ceinture d'astéroïdes qui sépare les planètes intérieures de leurs voisines géantes. La cohabitation demeure pourtant délicate et ce qui semblait impossible jusque-là, la guerre, devient de plus en plus pensable à mesure que les incidents se multiplient.

C'est dans ce contexte qu'échoit entre les mains de Lord Monboddo, célèbre collectionneur d'art, et de son sénéchal Anton Lindgren, une curieuse statuette représentant le Christ. L'objet leur pose rapidement deux problèmes : des éclats de ngnomite appartenant à un morceau de taille beaucoup plus conséquente sont intégrés à l'œuvre et celle-ci porte la marque indéniable de l'artiste Karl Ozaki ; impossibilité notoire puisque celui-ci est mort dans un accident quelques années auparavant. À qui profite l'apocryphe ? Pour les deux hommes, il ne fait rapidement aucun doute : pour mettre la main sur le filon de ngnomite, il faut retrouver l'artiste, quel qu'il soit. Evidemment, les obstacles ne vont pas manquer de se dresser pendant leur périple entre la Terre et la ceinture d'astéroïdes, des tours modernes de Boston à un colossal jardin minéral à la japonaise sur fond étoilé.

On l'aura compris à la lecture de ce bref résumé, Sculpteurs de ciel s'offre donc au lecteur sous la forme d'une enquête très balisée qui s'inscrit dans un univers de space opera de la plus belle eau. Il est cependant utile de préciser que cette investigation est narrée sur un rythme franchement nonchalant — on est loin de l'aventure débridée annoncée par la quatrième de couverture — qui s'abandonne, à l'occasion pour notre plus grand plaisir, sur quelques flamboyances mémorables, et laisse dans l'ombre de nombreux aspects du contexte. Rien de neuf sous le soleil, est-on tenté d'affirmer pendant un instant. Pourtant, cette apparence s'avère un leurre qui masque un enjeu autrement plus essentiel et une réflexion profonde sur la création artistique et le rôle de l'art. Ainsi l'enquête finit-elle par relever davantage de la quête mystique et également esthétique, au sens philosophique du terme. Là se trouve le cœur de ce roman ; un joyau brut qu'il convient de libérer de ses scories sans oublier que « les images sacrées peuvent aider l'esprit à se concentrer, mais elles peuvent aussi le tromper. Le danger est toujours là, mais nous flirtons avec le danger ».

Quinzinzinzili

On a longtemps tenu la science-fiction pour un champ littéraire exclusivement anglo-saxon. Mais depuis la parution de l'anthologie Chasseurs de chimères (éditions Omnibus), il semble bien que les frontières bougent. Parmi les auteurs cités par Serge Lehman, un nom attirait particulièrement l'attention : celui de Régis Messac. Bonne nouvelle : l'œuvre de l'auteur, qui était devenue quasi-introuvable, est désormais en voie d'exhumation grâce à une association créée en 2006 : Les amis de Régis Messac (amis@regis-messac.fr). Trois ouvrages — un roman, un recueil d'articles et les dernières lettres de l'auteur (rédigées avant sa déportation Nacht und Nebel franzosen) — viennent d'être réédités en cet automne 2007.

Comme beaucoup d'écrivains populaires de son époque, Régis Messac était un polygraphe curieux de tout. Grand lecteur de romans policiers — les Detective Novels comme on disait à l'époque —, on lui doit notamment un essai fondamental sur le sujet. On lui doit également la création de la collection « Les Hypermondes » dédiée à l'esprit prospectif, à l'imagination hypothétique, bref tout ce que l'on appelait pas encore couramment science-fiction. Messac ne nourrissait pas une grande admiration pour la Grande Littérature, cette littérature qui pose. Son pamphlet « À bas le latin ! » contribua à le marginaliser davantage dans son milieu. Avec une douloureuse clairvoyance, il ne nourrissait pas non plus une haute estime pour le genre humain. Quinzinzinzili témoigne bien de cet état d'esprit. On est à mille parsecs de l'esprit américain, ouvert sur les grands espaces intersidéraux et l'aventure ; n'oublions pas que les premiers grands cycles de space opera sont contemporains de ce roman. Celui-ci s'ouvre de la même manière que Malevil de Robert Merle. La deuxième guerre mondiale a fini par embraser le monde. L'extermination, ici causée par un gaz modifiant la composition de l'atmosphère, est totale. Seul un groupe d'enfants et un adulte ont survécu car ils visitaient un réseau de grottes au moment du cataclysme. Commence alors le récit de « l'après » apocalypse, un récit désespéré, celui d'une régression puis d'une réorganisation sur des bases beaucoup plus pessimistes que le roman de Merle et qui n'est pas sans rappeler Sa majesté des mouches de William Golding. Une histoire noire, rehaussée d'un humour grinçant voire caustique, des plus réjouissant. Un récit entaché de doute dès le début car le narrateur, le seul adulte du groupe, n'est plus très sûr ni de sa raison, ni de la réalité des événements.

« Moi, Gérard Dumaurier… Ayant écrit ses mots, je doute de leur réalité. Je doute de la réalité de l'être qu'ils désignent : moi-même. Est-ce que j'existe ? Suis-je autre chose qu'un rêve, ou plutôt un cauchemar ? L'explication la plus raisonnable que je puisse trouver à mes pensées, c'est que je suis fou. »

Dumaurier est un individu ordinaire. Dans sa vie antérieure, il a su trouver le filon : être désigné percepteur des deux fils d'un riche Lord anglais. Désormais, il témoigne du devenir de cet embryon d'humanité sans Histoire, ou si peu, qui doit redémarrer à zéro. La régression est totale et ce ne sont pas les maigres connaissances de Dumaurier qui constituent une base viable à la renaissance de la civilisation. « Maintenant, toute la machinerie a sauté en l'air. Anéanties, les machines. Et l'homme de l'âge des machines est tout ce qu'il y a de plus ignorant des machines. Est-ce moi qui pourrais reconstituer la plus simple des mécaniques qui faisaient jadis marcher ma civilisation ? Non, quoique j'aie pu scander des vers de Virgile et traduit Shakespeare en vers français… »

De toute manière, il s'avère très vite que le bougre ne manifeste aucune velléité pour s'ériger en tuteur. Il s'en contrefiche littéralement, du devenir de cette communauté. Il s'en désintéresse et se cantonne à observer et à écrire. Pour qui ? La question le taraude mais ne l'empêche pourtant pas de continuer. Le groupe d'enfants va donc naturellement grandir et évoluer en vase clos, avec leurs propres moyens, c'est-à-dire pas grand-chose, et grâce aux bribes de connaissances en géométrie et en Histoire qu'ils se remémorent ; connaissances rapidement perverties par leurs pulsions animales. Sur une durée assez floue — peu d'informations sont dispensées sur ce point —, ces quelques spécimens de l'espèce humaine, à peine entrés dans l'adolescence, vont s'organiser, redécouvrir le pouvoir, la coercition, les armes rudimentaires, la superstition, la guerre et s'inventer un langage abâtardi. À leur insu, ils vont régler leur compte à la fois au mythe du bon sauvage, cher à Rousseau, et à l'idée de civilisation. Même l'amour qui bourgeonne dans ces corps emplis de sève et autres fluides vite répandus, n'échappe pas au règlement de compte. L'unique élément féminin, elle-même décrite comme un véritable remède contre l'amour, use et abuse de son attrait sexuel pour ordonner, faire et défaire autour d'elle ce petit monde pathétique. Tout n'est que farce cruelle aux yeux désabusé de Dumaurier qui s'esclaffe devant le spectacle de cette déconfiture de l'humanité. Evidemment, devant tant de pessimisme, on peut être mortifié surtout si on se trouve dans un état d'esprit optimiste. Pourtant, le roman ne franchit pas le cap du nihilisme absolu. Il offre un miroir dans lequel l'humanité peut se reconnaître dans toute sa stupide bassesse et étroitesse d'esprit et évite de s'achever sur un sursaut d'humanisme malvenu. À la décharge de Messac, rappelons quand même que le roman date de 1935, époque pendant laquelle les utopies affichaient leurs sinistres figures et où s'amoncelaient sur le monde les nuages du conflit mondial à venir. Voilà de quoi tempérer les élans d'exubérance du plus sincère optimiste. Pour cette raison, pour le lecteur qui lit ce roman près de 72 années plus tard, Quinzinzinzili demeure le cri d'alarme d'une étonnante modernité d'un pacifiste convaincu, d'un homme « juste » qui, finalement, n'a pas été entendu.

« Oh, et puis…
Qu'est-ce que ça peut me faire ?
M'en fous. Quinzinzinzili !
Quinzinzinzili ! »

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