Connexion

Actualités

La Ville, peu de temps après

À Pat Murphy, autrice américaine dont on connait finalement peu l’œuvre en France, revient l’honneur de donner le coup d’envoi du tournant que Les Moutons électriques souhaitent faire prendre à leur ligne éditoriale cette année, résolument tournée vers l’utopie. Après La Cité des ombres (Denoël, 1990) et Nadya (J’ai Lu, 2000), La Ville, peu de temps après est le troisième de ses livres à rencontrer le public français, plus de vingt ans après son prédécesseur ; celui qui lui a permis, entre autres nombreuses nominations et distinctions, de se retrouver en lice pour le prix Locus du meilleur roman de science-fiction en 1990.

Dans une San Francisco vidée de sa population par la Peste, il ne reste que des artistes et quelques marchands pour animer la ville. Poussée à y retourner bien des années après que sa mère a fui le passé et ses fantômes, Jax y découvrira, au-delà de son nom, le rôle qu’elle doit jouer dans le conflit qui menace cette petite communauté paisible, sa nouvelle famille. La métropole, dont le cœur semble battre à l’unisson avec celui de ses habitants, ne se contente pas d’être le théâtre de la guerre à venir : protagoniste à part entière, elle y participe à sa façon, apportant à l’histoire une touche fantastique rafraichissante.

Originellement publié en 1989, La Ville, peu de temps après semble avant tout vouloir rejeter en bloc le climat délétère de tension et de peur qui a régné tout au long de la guerre froide. Rien de surprenant, alors que cette dernière touche à son terme, dans le fait que Pat Murphy y défende la paix, quelle qu’en soit la forme ou le prix, du moment que la lutte permettant de la préserver refuse de jouer le jeu de la violence. Rien ne vient perturber la douceur du ton avec lequel l’autrice raconte, au travers des vies entrecroisées de ses personnages et de ce lieu, la façon dont ils mèneront une guerre d’un nouveau genre. Elle prône une ouverture d’esprit sublimée par l’art, tourne en dérision l’arrogance de l’humanité, l’abominable prétention de ses guerres de territoires, la laideur de ses velléités de conquête – y compris, ironiquement, celle de la paix elle-même. Très contemplatif, ce récit antimilitariste invite plutôt son lecteur à respirer avec le monde, à vivre en harmonie avec ce qu’il a à offrir au jour le jour. Une fois cela compris, toute prétention de vouloir imposer à autrui une vision plutôt qu’une autre devient absurde. Sans tolérance, aucune paix n’est possible. Après tout, qu’est l’Amérique aux yeux d’un individu qui ne se reconnait pas en elle ?

Une trentaine d’années après sa publication, ce roman post-apocalyptique parvient à résonner avec l’actualité d’une façon inédite, dans un monde moins préoccupé par le spectre des guerres mondiales que par la menace pandémique. Sa pertinence demeure : aujourd’hui comme alors, la capacité de tout un chacun à projeter l’espoir dans un monde meurtri est une nécessité vitale de laquelle dépend notre résilience et notre faculté à construire un avenir. On ne pourra que pardonner à ce texte ses quelques lourdeurs de style, tant il sublime le rôle essentiel de l’imaginaire dans nos vies.

L’oiseau moqueur

C’est donc L’Oiseau moqueur que Gallmeister a choisi pour introduire Walter Tevis dans sa collection « Totem », dans une réédition qui n’a guère revu que le titre. Une opportunité heureuse pour ce roman moins connu du répertoire de Tevis, et qui, contrairement à L’Homme qui venait d’ailleurs, n’a pas fait l’objet d’une adaptation sur grand écran – quand bien même il pourra bénéficier du succès de la mini-série Le Jeu de la dame sur Netflix, elle-même adaptée d’un autre titre de l’auteur. Ce roman choral, centré sur la côte est des États-Unis, est porté par trois protagonistes témoignant chacun à sa façon des derniers temps d’une humanité agonisante. Plus de quarante ans après sa parution, ce n’est ni par le style d’écriture – certes efficace, mais mécanique, dépouillé – ni par son thème que l’ouvrage se démarquera. Il s’inscrit en effet dans la droite ligne des grands classiques de l’anticipation dystopique parus avant lui, ce qui ne l’aura pas empêché d’être nommé aux prix Locus et Nebula en 1981.

Le récit frappe d’abord par sa mélancolie, caractéristique des textes de l’auteur, exprimée ici par un jeu de contrastes. Alors que l’humanité dépérit, Paul Bentley s’éveille à une vie dont il redécouvre les joies simples avec une ingéniosité toute enfantine, et une curiosité insatiable. Il ouvre enfin les yeux sur ce monde étrange, où les robots paraissent parfois plus humains que leurs créateurs. Ainsi l’androïde Spofforth désire mourir mais, privé de cette capacité, subit une existence hantée par le besoin d’accéder aux souvenirs d’un autre. Mary Lou comprend-elle l’ironie cruelle de cette quête, elle qui appartient à une espèce qui s’est totalement désintéressée des siens ? C’est pourtant cette dernière, développant avec chacun des relations intimes très différentes, qui leur permettra de se rejoindre, de se comprendre. Le roman est ainsi parsemé de moments touchants, évocateurs de ce que l’auteur tient pour essentiel : la liberté, contre toute forme d’aliénation. Liberté de choisir, de penser, d’apprendre, d’aimer… de vivre.

Si le récit est proche de Fahrenheit 451 en ce qu’il sacralise le rôle du livre comme vecteur essentiel de transmission, l’aspect dystopique du roman n’implique ni autoritarisme, ni totalitarisme. Walter Tevis postule au contraire l’extinction d’une humanité abandonnée à une servitude volontaire vers laquelle elle se serait laissé dériver au fil de ses choix. Le désintérêt pour l’écriture et la lecture, encouragé par l’exhortation à un individualisme extrême, a privé les individus de toute volonté de se souvenir ou de découvrir quoi que ce soit. Chacun vit replié sur ses besoins immédiats, aliéné aussi bien par les principes individualistes que par les drogues ou la télévision, en quête d’un bonheur insipide et factice. L’avenir est quant à lui abandonné aux mains de robots dysfonctionnels. Dans cette fuite en avant, l’espèce s’éteint de ne plus s’intéresser collectivement à son sort, chacun vivant dans l’indifférence de ses semblables comme de son environnement.

Mais loin de se complaire dans le fatalisme, L’Oiseau moqueur se montre empreint d’espoir. Pour conjurer les dérives d’un confort illusoire apporté par le tout-technologique, Walter Tevis y défend une poursuite collective du bonheur. L’être humain, animal social, ne saurait se passer de la richesse née de la rencontre et du lien avec le vivant. Il suffit pour cela d’un peu de curiosité, cette éternelle étincelle qui pourrait bien un jour sauver un monde à l’agonie.

Un reflet de lune

Quelques années après Un éclat de givre, Estelle Faye propose une suite aux aventures de Chet et de son alter ego, la chanteuse de jazz Thais, qui nous replonge dans son Paris post-apocalyptique, désormais en proie aux pluies permanentes. Dès les premières pages, on retrouve ce cocktail bien particulier – variante vase et algues – avec un certain plaisir, et si les événements du premier volume sont lointains pour le lecteur, quelques rappels subtils permettent de raccrocher les wagons sans pour autant alourdir le récit, le rendant presque lisible comme un one shot.

La plume d’Estelle Faye est une fois de plus au rendez-vous, pourvoyeuse d’un vocabulaire bien pesé, d’ambiances posées avec efficacité. Quant à Chet, notre narrateur à l’humour particulier et joyeusement autodépréciatif, il est agréable de le retrouver un peu plus travaillé, toujours plus tiraillé ! Concernant l’intrigue, sans en dévoiler trop, elle concerne donc les conséquences du premier volume : un Paris pris dans un déluge permanent, un sourd complot ourdi par d’étranges et sectaires puissants, quelques concerts de jazz, une obsession de Chet pour son chevalier servant qu’il ne reverra plus… et, clou du spectacle, la curieuse apparition de « doubles » de notre héros dans différents endroits de la cité.

L’ensemble nous fait retrouver avec joie les qualités qui faisaient le sel de ses premières aventures : un récit sans temps mort, une exploration de nouvelles arcanes d’un Paris détrempé, le tout mêlé dans un amour contagieux pour cette ville et ses différentes guildes. Une capitale qui se délabre encore plus matériellement et socialement… sans oublier pour Chet son lot d’aventures en tous genres, et dans tous les sens du terme. Une poignée de bémols, cependant : on notera quelques répétitions dans les descriptions, qui tendent à alourdir le récit, et une fin un peu précipitée, à moins que ça ne soit simplement l’effet secondaire d’un bon roman, aussi malin et soigneusement écrit que divertissant, que l’on rechigne à quitter… Il serait néanmoins dommage de se priver de ce bon moment.

Autobiographie d’un poulpe

[Critique commune à Je suis une fille sans histoire, Vivre avec le trouble et Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation]

Voici trois livres – théâtre, essai philosophique, anticipation – à même de former un corpus aussi critique qu’émancipateur, basant analyses et pratiques d’écriture sur les idées d’Ursula K. Le Guin. Plus précisément, ils reprennent les concepts théoriques dufourre-tout de la fiction (évoqué dans le recueil d’essais Danser au bord du monde) ainsi que de sa nouvelle « L’Auteur des graines d’acacia », et leur pendant pratique que sont les répercussions de la focalisation sur le héros et la fiction flèche (ou narration héroïque et linéaire) dans notre imaginaire collectif et de société. Avec leur voix et leurs préoccupations propres, ces trois autrices nous entraînent dans des réflexions liées et riches.

Alice Zeniter s’est fait connaître en 2017 avec L’Art de perdre, lauréat du Goncourt des Lycéens. Avec Je suis une fille sans histoire, texte d’un spectacle seule en scène, elle nous convie à un cheminement de pensée aussi incisif que drôle, érudit et accessible, sur un sujet qui nous touche forcément en ces pages : la façon que nous avons de raconter les histoires. En se basant sur cette opposition entre fiction flèche et fiction fourre-tout (ou panier), Zeniter décortique la pensée narrative et ce qui « fait » une bonne histoire. Elle convoque au passage ces théoriciens du langage et du récit que sont Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, Aristote, sans oublier Alison Bechdel. Posant de nombreuses questions sans jamais asséner, elle nous propose une autre façon d’aborder les trames narratives, afin d’aller vers ce qui serait une représentation plus grande des nuances de notre monde, et surtout une réinvention de notre façon de le(s) conter. L’influence de Le Guin est assumée et il s’avère grisant de retrouver sa théorie ainsi complétée par l’apport explicite d’idées et pensées lui ayant succédé, notamment dans la pop culture. On sort de cette lecture avec plus d’outils pour réfléchir aux histoires que l’on porte, et celles auxquelles on se confronte ou se soumet… et c’est aussi de cela dont nous parle Donna J. Haraway.

La penseuse californienne, connue pour son Manifeste cyborg, propose dans Vivre avec le trouble des articles structurant son postulat philosophique et discursif d’une sortie de l’androcène (terme plus approprié selon elle que celui d’anthropocène) autant que du capitalocène, ce pour aller vers le Cthulucène. En huit essais, le dernier relevant d’une application par la fiction, elle nous donne des clés de pensée ainsi que des exemples concrets et contemporains, afin de passer d’une société androcène basée sur la rupture humanité/nature (plus précisément valeurs masculines/reste du monde) à ce qu’elle nomme Cthulucène : une ère des espèces en relation fines, tissées, tentaculaires, et perpétuellement en redéfinition, nommée ainsi en référence non pas à Lovecraft mais à l’araignée Pimoa Cthulhu. Difficile de résumer son propos tant il foisonne de propositions enthousiasmantes aussi bien sur le plan philosophique que concret. Ici, l’apport de Le Guin se fait dans la volonté de décentrer le regard et de renouveler la pensée, en donnant la parole aux parts souvent marginalisées aujourd’hui (humains comme non-humains), tout en changeant les fondements des structures de la société. Haraway propose d’explorer ce que d’autres espèces vivantes pourraient nous enseigner, en oubliant le récit héroïque, afin de construire ensemble des sociétés où les cultures ne se développeraient plus en opposition ni en compétition, mais en « empilement ». Elle explore la métaphore du compost, qui réconforte, réchauffe, et enrichit sur des générations. Cette société se crée par îlots, ne nie pas la possibilité de conflits, se tisse par la communication et la volonté de se com prendre plutôt que de s’acculturer… Vaste programme ! La dernière partie du livre, inspirée d’ateliers d’imagination et d’écriture, met en pratique les concepts explorés au cours d’une résidence où se trouvaient notamment les philosophes Bruno Latour et Vinciane Despret.

Cette dernière vient de publier Autobiographie d’un poulpe, qui prend la suite des idées de Vivre avec le trouble via un triple récit. Dans ce bref recueil, l’autrice explore la thérolinguistique, imaginée par Le Guin avec « L’Auteur des graines d’acacia », et l’extrapole au travers des connaissances actuelles dans les domaines scientifiques et artistiques. L’érudition s’y fait ludique, et les trois récits tournent autour du lien – rompu, recréé, ressuscité – des sociétés humaines avec la nature et les êtres vivants qui la composent. Le premier nous entraîne dans la lecture d’archives arachnéennes, le second donne à voir l’amabilité fécale des wombats via un discours, et le troisième, composé d’e-mails de chercheurs, tente de déchiffrer des poteries marquées par un poulpe. Celui-ci adapte son langage, pour y perdurer et être compris par les membres d’une enclave « compost ». De nombreux articles et sources ainsi que des références à d’autres penseuses et penseurs contemporains soutiennent ces trois nouvelles. Le tour de force de Vinciane Despret est d’en faire aussi bien de bons récits d’anticipation, quasiment de la hard science, version zoologie et éthologie, que des récits philosophiques… et surtout des récits panier : nous sommes là dans la cueillette, la récolte de données qui nous enrichissent aussi bien intellectuellement que symboliquement, et dans le fait de montrer un travail long, fastidieux, qui n’a rien d’héroïque au sens usuel de ce concept.

En réactualisant, dans une partie plus mainstream de notre culture, la pensée particulière d’Ursula K. Le Guin, en nous montrant aussi des chemins possibles, ces trois autrices provoquent notre imagination et nous poussent à réinventer notre façon de construire des histoires et de les raconter, mais aussi de les étudier. En proposant des analyses sérieuses, sans jamais oublier d’être ludiques ou drôles, et ainsi sans jamais asséner, elles s’inscrivent bien dans la veine de la créatrice de Terremer, qui invitait dans le fourre-tout de la fiction à « un réalisme étrange, certes, mais la réalité n’est-elle pas étrange ? »

Vivre avec le trouble

[Critique commune à Je suis une fille sans histoire, Vivre avec le trouble et Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation]

Voici trois livres – théâtre, essai philosophique, anticipation – à même de former un corpus aussi critique qu’émancipateur, basant analyses et pratiques d’écriture sur les idées d’Ursula K. Le Guin. Plus précisément, ils reprennent les concepts théoriques dufourre-tout de la fiction (évoqué dans le recueil d’essais Danser au bord du monde) ainsi que de sa nouvelle « L’Auteur des graines d’acacia », et leur pendant pratique que sont les répercussions de la focalisation sur le héros et la fiction flèche (ou narration héroïque et linéaire) dans notre imaginaire collectif et de société. Avec leur voix et leurs préoccupations propres, ces trois autrices nous entraînent dans des réflexions liées et riches.

Alice Zeniter s’est fait connaître en 2017 avec L’Art de perdre, lauréat du Goncourt des Lycéens. Avec Je suis une fille sans histoire, texte d’un spectacle seule en scène, elle nous convie à un cheminement de pensée aussi incisif que drôle, érudit et accessible, sur un sujet qui nous touche forcément en ces pages : la façon que nous avons de raconter les histoires. En se basant sur cette opposition entre fiction flèche et fiction fourre-tout (ou panier), Zeniter décortique la pensée narrative et ce qui « fait » une bonne histoire. Elle convoque au passage ces théoriciens du langage et du récit que sont Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, Aristote, sans oublier Alison Bechdel. Posant de nombreuses questions sans jamais asséner, elle nous propose une autre façon d’aborder les trames narratives, afin d’aller vers ce qui serait une représentation plus grande des nuances de notre monde, et surtout une réinvention de notre façon de le(s) conter. L’influence de Le Guin est assumée et il s’avère grisant de retrouver sa théorie ainsi complétée par l’apport explicite d’idées et pensées lui ayant succédé, notamment dans la pop culture. On sort de cette lecture avec plus d’outils pour réfléchir aux histoires que l’on porte, et celles auxquelles on se confronte ou se soumet… et c’est aussi de cela dont nous parle Donna J. Haraway.

La penseuse californienne, connue pour son Manifeste cyborg, propose dans Vivre avec le trouble des articles structurant son postulat philosophique et discursif d’une sortie de l’androcène (terme plus approprié selon elle que celui d’anthropocène) autant que du capitalocène, ce pour aller vers le Cthulucène. En huit essais, le dernier relevant d’une application par la fiction, elle nous donne des clés de pensée ainsi que des exemples concrets et contemporains, afin de passer d’une société androcène basée sur la rupture humanité/nature (plus précisément valeurs masculines/reste du monde) à ce qu’elle nomme Cthulucène : une ère des espèces en relation fines, tissées, tentaculaires, et perpétuellement en redéfinition, nommée ainsi en référence non pas à Lovecraft mais à l’araignée Pimoa Cthulhu. Difficile de résumer son propos tant il foisonne de propositions enthousiasmantes aussi bien sur le plan philosophique que concret. Ici, l’apport de Le Guin se fait dans la volonté de décentrer le regard et de renouveler la pensée, en donnant la parole aux parts souvent marginalisées aujourd’hui (humains comme non-humains), tout en changeant les fondements des structures de la société. Haraway propose d’explorer ce que d’autres espèces vivantes pourraient nous enseigner, en oubliant le récit héroïque, afin de construire ensemble des sociétés où les cultures ne se développeraient plus en opposition ni en compétition, mais en « empilement ». Elle explore la métaphore du compost, qui réconforte, réchauffe, et enrichit sur des générations. Cette société se crée par îlots, ne nie pas la possibilité de conflits, se tisse par la communication et la volonté de se com prendre plutôt que de s’acculturer… Vaste programme ! La dernière partie du livre, inspirée d’ateliers d’imagination et d’écriture, met en pratique les concepts explorés au cours d’une résidence où se trouvaient notamment les philosophes Bruno Latour et Vinciane Despret.

Cette dernière vient de publier Autobiographie d’un poulpe, qui prend la suite des idées de Vivre avec le trouble via un triple récit. Dans ce bref recueil, l’autrice explore la thérolinguistique, imaginée par Le Guin avec « L’Auteur des graines d’acacia », et l’extrapole au travers des connaissances actuelles dans les domaines scientifiques et artistiques. L’érudition s’y fait ludique, et les trois récits tournent autour du lien – rompu, recréé, ressuscité – des sociétés humaines avec la nature et les êtres vivants qui la composent. Le premier nous entraîne dans la lecture d’archives arachnéennes, le second donne à voir l’amabilité fécale des wombats via un discours, et le troisième, composé d’e-mails de chercheurs, tente de déchiffrer des poteries marquées par un poulpe. Celui-ci adapte son langage, pour y perdurer et être compris par les membres d’une enclave « compost ». De nombreux articles et sources ainsi que des références à d’autres penseuses et penseurs contemporains soutiennent ces trois nouvelles. Le tour de force de Vinciane Despret est d’en faire aussi bien de bons récits d’anticipation, quasiment de la hard science, version zoologie et éthologie, que des récits philosophiques… et surtout des récits panier : nous sommes là dans la cueillette, la récolte de données qui nous enrichissent aussi bien intellectuellement que symboliquement, et dans le fait de montrer un travail long, fastidieux, qui n’a rien d’héroïque au sens usuel de ce concept.

En réactualisant, dans une partie plus mainstream de notre culture, la pensée particulière d’Ursula K. Le Guin, en nous montrant aussi des chemins possibles, ces trois autrices provoquent notre imagination et nous poussent à réinventer notre façon de construire des histoires et de les raconter, mais aussi de les étudier. En proposant des analyses sérieuses, sans jamais oublier d’être ludiques ou drôles, et ainsi sans jamais asséner, elles s’inscrivent bien dans la veine de la créatrice de Terremer, qui invitait dans le fourre-tout de la fiction à « un réalisme étrange, certes, mais la réalité n’est-elle pas étrange ? »

Je suis une fille sans histoire

[Critique commune à Je suis une fille sans histoire, Vivre avec le trouble et Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation]

Voici trois livres – théâtre, essai philosophique, anticipation – à même de former un corpus aussi critique qu’émancipateur, basant analyses et pratiques d’écriture sur les idées d’Ursula K. Le Guin. Plus précisément, ils reprennent les concepts théoriques dufourre-tout de la fiction (évoqué dans le recueil d’essais Danser au bord du monde) ainsi que de sa nouvelle « L’Auteur des graines d’acacia », et leur pendant pratique que sont les répercussions de la focalisation sur le héros et la fiction flèche (ou narration héroïque et linéaire) dans notre imaginaire collectif et de société. Avec leur voix et leurs préoccupations propres, ces trois autrices nous entraînent dans des réflexions liées et riches.

Alice Zeniter s’est fait connaître en 2017 avec L’Art de perdre, lauréat du Goncourt des Lycéens. Avec Je suis une fille sans histoire, texte d’un spectacle seule en scène, elle nous convie à un cheminement de pensée aussi incisif que drôle, érudit et accessible, sur un sujet qui nous touche forcément en ces pages : la façon que nous avons de raconter les histoires. En se basant sur cette opposition entre fiction flèche et fiction fourre-tout (ou panier), Zeniter décortique la pensée narrative et ce qui « fait » une bonne histoire. Elle convoque au passage ces théoriciens du langage et du récit que sont Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, Aristote, sans oublier Alison Bechdel. Posant de nombreuses questions sans jamais asséner, elle nous propose une autre façon d’aborder les trames narratives, afin d’aller vers ce qui serait une représentation plus grande des nuances de notre monde, et surtout une réinvention de notre façon de le(s) conter. L’influence de Le Guin est assumée et il s’avère grisant de retrouver sa théorie ainsi complétée par l’apport explicite d’idées et pensées lui ayant succédé, notamment dans la pop culture. On sort de cette lecture avec plus d’outils pour réfléchir aux histoires que l’on porte, et celles auxquelles on se confronte ou se soumet… et c’est aussi de cela dont nous parle Donna J. Haraway.

La penseuse californienne, connue pour son Manifeste cyborg, propose dans Vivre avec le trouble des articles structurant son postulat philosophique et discursif d’une sortie de l’androcène (terme plus approprié selon elle que celui d’anthropocène) autant que du capitalocène, ce pour aller vers le Cthulucène. En huit essais, le dernier relevant d’une application par la fiction, elle nous donne des clés de pensée ainsi que des exemples concrets et contemporains, afin de passer d’une société androcène basée sur la rupture humanité/nature (plus précisément valeurs masculines/reste du monde) à ce qu’elle nomme Cthulucène : une ère des espèces en relation fines, tissées, tentaculaires, et perpétuellement en redéfinition, nommée ainsi en référence non pas à Lovecraft mais à l’araignée Pimoa Cthulhu. Difficile de résumer son propos tant il foisonne de propositions enthousiasmantes aussi bien sur le plan philosophique que concret. Ici, l’apport de Le Guin se fait dans la volonté de décentrer le regard et de renouveler la pensée, en donnant la parole aux parts souvent marginalisées aujourd’hui (humains comme non-humains), tout en changeant les fondements des structures de la société. Haraway propose d’explorer ce que d’autres espèces vivantes pourraient nous enseigner, en oubliant le récit héroïque, afin de construire ensemble des sociétés où les cultures ne se développeraient plus en opposition ni en compétition, mais en « empilement ». Elle explore la métaphore du compost, qui réconforte, réchauffe, et enrichit sur des générations. Cette société se crée par îlots, ne nie pas la possibilité de conflits, se tisse par la communication et la volonté de se com prendre plutôt que de s’acculturer… Vaste programme ! La dernière partie du livre, inspirée d’ateliers d’imagination et d’écriture, met en pratique les concepts explorés au cours d’une résidence où se trouvaient notamment les philosophes Bruno Latour et Vinciane Despret.

Cette dernière vient de publier Autobiographie d’un poulpe, qui prend la suite des idées de Vivre avec le trouble via un triple récit. Dans ce bref recueil, l’autrice explore la thérolinguistique, imaginée par Le Guin avec « L’Auteur des graines d’acacia », et l’extrapole au travers des connaissances actuelles dans les domaines scientifiques et artistiques. L’érudition s’y fait ludique, et les trois récits tournent autour du lien – rompu, recréé, ressuscité – des sociétés humaines avec la nature et les êtres vivants qui la composent. Le premier nous entraîne dans la lecture d’archives arachnéennes, le second donne à voir l’amabilité fécale des wombats via un discours, et le troisième, composé d’e-mails de chercheurs, tente de déchiffrer des poteries marquées par un poulpe. Celui-ci adapte son langage, pour y perdurer et être compris par les membres d’une enclave « compost ». De nombreux articles et sources ainsi que des références à d’autres penseuses et penseurs contemporains soutiennent ces trois nouvelles. Le tour de force de Vinciane Despret est d’en faire aussi bien de bons récits d’anticipation, quasiment de la hard science, version zoologie et éthologie, que des récits philosophiques… et surtout des récits panier : nous sommes là dans la cueillette, la récolte de données qui nous enrichissent aussi bien intellectuellement que symboliquement, et dans le fait de montrer un travail long, fastidieux, qui n’a rien d’héroïque au sens usuel de ce concept.

En réactualisant, dans une partie plus mainstream de notre culture, la pensée particulière d’Ursula K. Le Guin, en nous montrant aussi des chemins possibles, ces trois autrices provoquent notre imagination et nous poussent à réinventer notre façon de construire des histoires et de les raconter, mais aussi de les étudier. En proposant des analyses sérieuses, sans jamais oublier d’être ludiques ou drôles, et ainsi sans jamais asséner, elles s’inscrivent bien dans la veine de la créatrice de Terremer, qui invitait dans le fourre-tout de la fiction à « un réalisme étrange, certes, mais la réalité n’est-elle pas étrange ? »

Le Sang de la Cité

Qui n’a pas entendu parler de « La Tour de Garde », la saga de fantasy française la plus attendue cette année ? Car si le nom de Guillaume Chamanadjian ne vous dit rien (ou pas encore), celui de sa co-auteure, Claire Duvivier, est désormais un nom sur lequel il faut compter depuis la parution remarquée de son premier roman, Un long voyage (récompensé par les prix Hors Concours, Libr’à Nous et Elbakin.net). Pourtant, l’intérêt ne réside pas seulement dans ce duo d’auteurs, mais plutôt dans la construction narrative qui naît de cette collaboration : deux trilogies, « Capitale duSud » et « Ca pitale du Nord », menées respectivement par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, qui se répondent au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. Dans Le Sang de la Cité, le premier tome de la trilogie écrite par Guillaume Chamanadjian, nous faisons la connaissance du personnage central, Gemina. Car ne nous y trompons pas : si Nox, le jeune héros de cette aventure, réclame toute notre attention, Gemina, la Cité dans laquelle il évolue, en est bien la principale héroïne. Chaque rue génère une ribambelle de ruelles où se croisent des foules vivantes et oppressantes, où les odeurs grillées et herbacées se mélangent au gras des beignets dont les habitants se délectent et où les raisins qui murissent aux flans des collines donnent naissance à un vin qui servira de fil rouge à des intrigues secondaires. La Cité pulse au rythme de ses habitants, ceux de la maison de la Tortue, de celle des Dauphins, des Baleines, de l’Hirondelle et du Lapin, et jamais il ne sera question de poser le pied au-delà des murailles immenses qui encerclent cette ville aux accents italiens.

Nox, jeune bâtard et neveu du duc de la maison de la Caouane, dite de la Tortue, est commis d’épicier. Sa vie est bercée par les livraisons, les coups d’éclat de sa sœur, l’amour qu’il voue à la poésie et, surtout, aux parties de Tour de Garde, un jeu de plateau dans lequel deux joueurs s’affrontent pour détruire la ville de l’autre. Après une première expérience en tant qu’émissaire du duc de la Caouane, Nox se retrouve en possession d’un mystérieux livre de poésie dont l’un des poèmes, traitant du mythe fondateur de sa Cité, attire plus particulière son attention. Petit à petit, la mise en abyme s’installe, la Cité prend alors la forme d’un plateau de jeu que Nox, tel un pion, parcourt et retourne à sa guise pour disparaître dans un monde parallèle au sien et dont il apprendra à manier les codes grâce à ce fameux poème. Car c’est dans l’art, entre les lignes des légendes, dans le sang de la Cité, qu’il lui faudra aller pour trouver les réponses aux questions soulevées par ce premier opus. Le décor est planté, rassurant, le lecteur évolue en terrain familier car les références sont multiples, et on ne peut que dévorer ce récit initiatique classique mais assez original pour nous faire tourner avidement les pages. Reste à savoir si les tomes suivants sauront tenir leurs promesses et combler les attentes.

Indice des feux

Maison d’édition québécoise œuvrant depuis une quinzaine d’années, La Peuplade propose un catalogue aux choix assurés, à raison d’une dizaine de titres par an. Paru en ce début d’année 2021, sous une couverture à l’ambiance désolée – du genre Le Monde englouti rencontre Blade Runner 2049 –, Indice des feux est le premier livre d’Antoine Desjardins. Au programme : sept nouvelles. Amateurs de gaudriole et de franche rigolade, passez votre chemin. « À boire debout » raconte à la première personne la fin de vie d’un adolescent atteint d’une leucémie ; depuis sa chambre d’hôpital, il voit la pluie tomber sans fin et suit la fonte des glaces accélérée du Groenland. Poignant. Les nouvelles suivantes seront (heureusement ?) un brin moins tragiques. « Couplet », c’est le surnom donné à cette baleine noire de l’Atlantique – une espèce en danger critique d’extinction qui, en 2017, année où se déroule cette nouvelle, a subi une inquiétante surmortalité –, et à laquelle va s’intéresser le narrateur, alors que lui-même se prépare à devenir père. Mais à quoi bon en ce monde ? « Étranger », c’est cet homme qui tente de revenir chez lui après une nuit de beuverie, et ne se retrouve pas plus bienvenu dans la maison de son ex-compagne que les coyotes qui errent nuitamment dans les rues. La prise de conscience sera douloureuse. Placé stratégiquement au cœur du recueil, « Feu doux » raconte, via les yeux de son frère, le parcours d’un jeune prodige à qui tout est promis et qui préfère s’avancer toujours plus loin dans les marges du monde : n’est-ce pas la meilleure trajectoire au vu de l’avenir qui nous attend ? Foin d’apocalypse dans « Fins du monde » : la fin est ici le bout du monde civilisé, en l’occurrence cette impasse donnant sur une friche industrielle… un lieu promis à la réhabilitation – ou plutôt la destruction, selon le narrateur. « Générale » revient à un cadre naturel : pourquoi, dans ce recoin du Québec, les oiseaux ont-ils disparu du jour au lendemain ? Pour le comprendre, la tante du narrateur va remuer ciel et terre. Le recueil se conclut sur « Almus Americana », récit mélancolique où la fin de vie du grand-père du narrateur rejoint celle de cet orme majestueux planté dans le jardin. L’histoire prend alors des atours mythiques, mais la réalité n’est jamais loin – hélas.

Les sept nouvelles d’Indice des feux ressortissent à la science-fiction de manière très marginale : avec ses désastres climatiques, la première nouvelle pourrait en relever ; les autres tiennent davantage de la littérature générale. Pourtant, les amateurs d’Imaginaire auraient tort de s’arrêter à ces questions d’étiquette. Au fil de son recueil, l’auteur confronte ses personnages à la nature et aux prémices des désastres à venir, sans verser dans le catastrophisme ou le pathos à outrance. Rédigé dans une langue juste, intense, chacun de ces récits est empreint de cette angoisse existentielle face au dérèglement climatique. Indice des feux est une littérature en phase avec l’anthropocène. Et c’est salutaire.

Pill Dream

[Critique commune à Monstrueuse Féerie et Pill Dream]

Les novellas continuent d’avoir le vent en poupe. Il en va ainsi de « La Tangente » de Flatland éditeur qui propose, sous un format très étiré (10 × 20 cm), des courts romans d’auteurs francophones. Deux titres sont parus jusqu’à présent. Bref passage en revue.

Monstrueuse Féerie de Laurent Pépin a l’heur d’inaugurer la collection. Psychologue clinicien à l’enfance passablement cabossée, le narrateur se sent plus à l’aise avec ses patients, qu’il surnomme les « Monuments », qu’avec les gens normaux. Les Monuments traversent parfois des « décompensations poétiques », mais notre homme est là pour les aider – c’est sa vocation. C’est parmi ses patients qu’il rencontre une Elfe : moins une créature de Tolkien qu’une femme un peu étrange. Entre patient et soignant, la différence est ténue et basculer dans la folie est si aisé. D’autant qu’en la matière, le narrateur a un lourd passif familial. À la fois grotesque et clinique, partiellement autobiographique et relevant du fantastique à la marge, Monstrueuse Féerie marque par sa sincérité brute à défaut de totalement convaincre.

Changement d’ambiance avec Pill Dream de Xavier Serrano. On y suit les pas de Theo Voight : le jour, il travaille pour Exnihilor, grande laboratoire ayant fait fortune en proposant un réseau social dédié à la santé. Ses nuits, Theo les passe en compagnie de Manuella, serveuse à l’hôtel Marienbad, qui rêve de révolution. Tandis que le jeune homme gravit avec brio les échelons d’Exnihilor, à la manière d’agent infiltré et velléitaire, d’autres projets se trament dans l’ombre… On aurait aimé aimer Pill Dream. Las, le récit est plombé d’un côté par une narration à l’imparfait atténuant son impact, de l’autre par des références cinématographiques et musicales bien trop écrasantes pour que l’histoire prenne son indépendance. Les intentions sont là, visibles et louables, mais l’intrigue est à l’étroit dans la petite centaine de pages du livre. Dommage.

Deux autres novellas sont annoncées dans la collection, dont un deuxième texte de Laurent Pépin. À voir…

Monstrueuse Féerie

[Critique commune à Monstrueuse Féerie et Pill Dream]

Les novellas continuent d’avoir le vent en poupe. Il en va ainsi de « La Tangente » de Flatland éditeur qui propose, sous un format très étiré (10 × 20 cm), des courts romans d’auteurs francophones. Deux titres sont parus jusqu’à présent. Bref passage en revue.

Monstrueuse Féerie de Laurent Pépin a l’heur d’inaugurer la collection. Psychologue clinicien à l’enfance passablement cabossée, le narrateur se sent plus à l’aise avec ses patients, qu’il surnomme les « Monuments », qu’avec les gens normaux. Les Monuments traversent parfois des « décompensations poétiques », mais notre homme est là pour les aider – c’est sa vocation. C’est parmi ses patients qu’il rencontre une Elfe : moins une créature de Tolkien qu’une femme un peu étrange. Entre patient et soignant, la différence est ténue et basculer dans la folie est si aisé. D’autant qu’en la matière, le narrateur a un lourd passif familial. À la fois grotesque et clinique, partiellement autobiographique et relevant du fantastique à la marge, Monstrueuse Féerie marque par sa sincérité brute à défaut de totalement convaincre.

Changement d’ambiance avec Pill Dream de Xavier Serrano. On y suit les pas de Theo Voight : le jour, il travaille pour Exnihilor, grande laboratoire ayant fait fortune en proposant un réseau social dédié à la santé. Ses nuits, Theo les passe en compagnie de Manuella, serveuse à l’hôtel Marienbad, qui rêve de révolution. Tandis que le jeune homme gravit avec brio les échelons d’Exnihilor, à la manière d’agent infiltré et velléitaire, d’autres projets se trament dans l’ombre… On aurait aimé aimer Pill Dream. Las, le récit est plombé d’un côté par une narration à l’imparfait atténuant son impact, de l’autre par des références cinématographiques et musicales bien trop écrasantes pour que l’histoire prenne son indépendance. Les intentions sont là, visibles et louables, mais l’intrigue est à l’étroit dans la petite centaine de pages du livre. Dommage.

Deux autres novellas sont annoncées dans la collection, dont un deuxième texte de Laurent Pépin. À voir…

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug