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Roverandom

Avant « Le Seigneur des Anneaux », avant Le Hobbit, il y avait Roverandom. Ce conte au titre intraduisible — mot-valise évoquant le vagabondage, rover, et le hasard, random — raconte l’histoire d’un chiot, Rover, qui a l’idée saugrenue de mordre un passant, sans savoir qu’il s’agit en réalité d’un sorcier, nommé Artaxerxès. Vexé, ce dernier transforme Rover en jouet, qui finit par être récupéré par un petit garçon. Rover découvre néanmoins qu’il peut s’animer à la nuit tombée. Voulant retrouver sa taille initiale, il se lance à l’aventure, et rencontre bientôt un mage des sables qui l’envoie, avec l’aide d’un goéland nommé Cendré, sur la Lune. Là, il rencontre un autre magicien et son chien, nommé lui aussi Rover — et le chiot de se retrouver rebaptisé Roverandom. Les aventures du chiot se poursuivront, mettant en scène un dragon lunaire, un retour sur Terre et une plongée dans les océans à la recherche d’Artaxerxès…

Conçu en 1925 par Tolkien à l’intention de ses enfants, notamment son deuxième fils, inconsolable d’avoir égaré à la plage une figurine de chien, rédigé en 1927, Roverandom n’a été proposé à la publication par son auteur qu’après Le Hobbit, et, Tolkien s’étant ensuite consacré au « Seigneur des Anneaux » et son « Légendaire », n’est finalement sorti en volume qu’en 1998, vingt-cinq ans après le décès du romancier.

Ce conte contient en germe bon nombre d’éléments qui resurgiront dans les œuvres ultérieures de Tolkien. Des êtres de petite taille, des magiciens, des dragons, des voyages, des terres lointaines… Le tout avec humour et jeux de mots plus ou moins traduisibles. Roverandom présente d’abord un intérêt documentaire pour tout amateur de Tolkien, qui pourra retracer une part de la genèse de la Terre du Milieu dans l’univers fantasque mis en place, où se mêlent joyeusement diverses mythologies et les bases du « Légendaire ». Mais pas seulement : à l’inverse des Contes et légendes perdus ou inachevés, Roverandom est un récit fini, vif, des plus plaisant à lire, et qui ne s’adresse pas seulement aux exégètes. Le court volume est enrichi par une intéressante préface, une foule de notes explicitant les nombreux jeux de mots et les références émaillant le conte, ainsi que par une demi-douzaine d’illustrations — il ne faut pas oublier que Tolkien était un excellent dessinateur, doté d’un style bien à lui.

En somme, Roverandom est un petit bijou plein de fantaisie. (Espérons seulement que Peter Jackson n’aura pas l’idée d’adapter ce conte en une nonalogie cinématographique.)

Bilbo le Hobbit

« Dans un trou vivait un hobbit. » L’ouverture de ce roman fait partie des phrases les plus célèbres de la littérature, et les hobbits de Tolkien sont les plus connues de ses créations. Ils sont pourtant apparus dans un roman pour enfants (un récit que Tolkien avait élaboré pour les siens) qui n’était au départ rattaché qu’assez lâchement au reste de la grande œuvre légendaire.

Rappelons-en le propos : dans une agréable maison creusée dans une colline, un petit homme tranquille nommé Bilbo vit de ses rentes. Passe un magicien nommé Gandalf qui lui adresse des paroles mystérieuses et donne rendez-vous chez lui à une compagnie de treize nains barbus… Ceux-ci veulent reprendre le trésor volé à leurs pères par le dragon Smaug. Par fierté, par erreur, notre hobbit va se joindre à la compagnie en tant que « cambrioleur » (les hobbits savent être très discrets) et vivre au milieu d’une bande de bras cassés plutôt incompétents (à l’exception de leur chef, le noble Thorin Ecudechêne) des aventures folles qui lui feront mille fois regretter son confortable cottage campagnard.

L’auteur de ces lignes a découvert ce roman enfant et en gardait un formidable souvenir. Pour la première fois, un livre se révélait trop court ! Puis le temps a passé et il a pu le lire à ses propres enfants. La redécouverte n’a provoqué aucune déception : au-delà des péripéties du récit (qui comprennent nombre de grands moments, comme la traversée des souterrains des gobelins ou l’évasion du palais du roi des Elfes de la forêt, sans compter la rencontre avec Smaug, formidable créature), le style fait tout le charme du récit. Ecrit d’une façon légère et humoristique, prenant souvent le lecteur à partie, Bilbo le hobbit, loin du terrible pudding de Peter Jackson, est un roman gracieux et amusant alternant scènes comiques et aventures épiques. Les grands thèmes de Tolkien sont pourtant bien présents, notamment celui de la corruption — corruption de l’or, auquel presque aucun personnage n’échappe. La tonalité se fait d’ailleurs plus grave dans les derniers chapitres, une fois les Nains en possession de l’objet de leurs désirs… La fin du roman est épique et belle, le petit homme a mûri et personne n’est sorti inchangé de l’aventure.

Et c’est au cœur des ténèbres du chapitre 5 qu’apparaît le plus beau personnage de tout l’univers de la Terre du Milieu. Faible, sournois et visqueux, Gollum, hobbit déformé par le Mal, affronte Bilbo dans un jeu d’énigmes rappelant les scènes similaires des légendes nordiques. Ce passage pivot existait sous une forme différente — moins ambiguë — dans la première édition de 1937 du roman. Bloqué dans l’écriture du « Seigneur des Anneaux », Tolkien l’a réécrite et la scène modifiée que nous connaissons mieux est parue dans l’édition de 1951 — sur une initiative de l’éditeur ! Le roman n’étant autre que le récit qu’a écrit Bilbo à son retour de voyage, Tolkien a fini par indiquer que l’édition initiale correspondait à la première version du récit où Bilbo se donnait le beau rôle !

Bilbo le hobbit, ou la part d’enfance, d’humour et de fantaisie du légendaire tolkienien. Un moment de grâce.

Les Aventures de Tom Bombadil

Lors de la sortie du film La Communauté de l’Anneau en 2001, il a été possible de réaliser la popularité du personnage de Tom Bombadil, dont l’absence remarquée (c’est peu dire) dans l’adaptation de Peter Jackson a fait couler beaucoup d’encre et de larmes de frustration chez les fans déçus. Cet être tout en rondeurs et en joie et, surtout, très proche de la nature, se trouve être le héros de quelques-uns des poèmes qui constituent ce livre portant le nom du joyeux drille.

En effet, comme son titre ne l’indique pas, Les Aventures de Tom Bombadil est un recueil de poésies ne parlant d’ailleurs pas forcément de la Terre du Milieu, mais qui sont toutes habitées par le même mystère et, exception faite de la dernière, par la même bonhomie. Cependant, il faut bien le reconnaître, J.R.R. Tolkien n’est pas le poète le plus admirable qui soit, loin de là. S’il applique effectivement quelques règles poétiques et s’amuse avec certaines figures de style, ses poèmes ressemblent plus à de petites comptines parfois un peu gentillettes dont la recherche formelle ne convainc pas toujours. Elles n’en restent pas moins agréables à lire, mais seront malheureusement très vite oubliées.

Sont-elles à mettre de côté pour autant ? Non, et ce serait bien dommage de le faire. Déjà parce que « Les Aventures de Tom Bombadil » et « Bombadil en bâteau » nous en apprennent un peu plus sur ledit personnage. Mais également car les textes mettant en scène le Troll ou l’Homme dans la Lune (The Man on the Moon, cet être fantastique anglo-saxon que l’on connaît moins par ici) réveillent sourires et imagination. Cependant, s’il faut retenir quelque chose de ces petites histoires proches de chansons, c’est la beauté discrète qui se dégage de certaines d’entre elles. Ainsi, celle qui se démarque le plus est « Le Dernier vaisseau », qui nous ramène en Terre du Milieu et nous laisse découvrir quel choix fera la belle et humaine Fíriel quand les elfes lui proposeront de les accompagner dans leur « dernier » voyage…

Les Aventures de Tom Bombadil est donc un petit recueil anecdotique mais qui distraira gaiement les aspirants voyageurs en Terre du Milieu. Pour les curieux.

Le Silmarillion

Le Hobbit et « Le Seigneur des Anneaux » sont loin de représenter l’ensemble de l’œuvre que Tolkien a consacrée à la Terre du Milieu ; à la vérité, ils ne constituent qu’un aboutissement « par défaut » d’une œuvre immense et inachevée, un vaste « Légendaire » entamé dès la Première Guerre mondiale, et sans cesse repris ; un ensemble de textes très divers, puisant dans la littérature médiévale, qui décrivent tout ce qui s’est passé sur Arda avant les deux romans précités, lesquels se situent à la fin du Troisième Age. Or les deux Ages précédents ont bel et bien été développés par Tolkien, au-delà des allusions qui parsèment les romans « de Hobbits ». Le Premier Age, surtout, l’époque des elfes, celle des guerres du Beleriand, a fait l’objet de plusieurs textes, organisés autour d’une pièce maîtresse : le « Quenta Silmarillion » (dont il existe plusieurs versions). Ce « Légendaire » n’a été publié qu’à titre posthume par le fils de l’auteur, Christopher Tolkien, d’abord au travers du Silmarillion, puis des Contes et légendes inachevés, et enfin dans la très vaste entreprise de « l’Histoire de la Terre du Milieu ».

Le Silmarillion, le premier et probablement le plus achevé de ces volumes, est composé de cinq textes reprenant les chroniques des elfes. Les trois premiers concernent le Premier Age, là où les deux qui restent s’intéressent aux périodes ultérieures (d’où un aspect un tantinet décousu à la fin du volume).

« Ainulindalë » correspond à la genèse d’Arda. Ce très court texte, à la puissance poétique rare et aux fortes résonances bibliques et mythologiques, explique comment Eru Ilúvatar a créé les Ainurs (devenus ensuite les Valars), et comment leur chant a créé Arda, selon les thèmes du dieu, et malgré les dissonances introduites par l’équivalent tolkiénien de Lucifer, Melkor. « Valaquenta », qui complète ce premier texte et se révèle d’une brièveté comparable, est une sorte de « catalogue » des Valars, et des Maiars qui leur sont inférieurs.

Mais le gros de l’ouvrage, bien sûr, est occupé par le « Quenta Silmarillion », gigantesque épopée au souffle incomparable qui décrit, sur le mode de la chronique ou de la saga (très dense et délibérément archaïque), les événements majeurs du Premier Age. « Ainulindalë » y est repris et développé, et l’on découvre ainsi ce qu’il en était du monde avant l’arrivée des premiers des enfants d’Ilúvatar, les elfes (et a fortiori des humains qui les ont suivis, successeurs dotés par Dieu du mystérieux don de mourir…). Très tôt, avant même qu’Arda ne soit peuplée, Melkor entre en lutte avec les Valars ; mais la situation ne fera que s’aggraver quand les elfes apparaîtront en Terre du Milieu, avant d’être pour la plupart emmenés tout à l’ouest de ce monde plat, à Valinor. Là, nous voyons notamment comment le plus fameux des elfes de la branche Noldor, Fëanor, crée les silmarils, trois joyaux qui ont capturé la lumière des arbres de Valinor, avant l’apparition du soleil et de la lune. Mais Melkor détruit les arbres et vole les silmarils après avoir semé le trouble chez les Noldors. Et ces joyaux seront à l’origine de tous les malheurs des elfes… En effet, Fëanor entend bien les récupérer, et incite les Noldors à poursuivre Melkor (rebaptisé Morgoth) sur la Terre du Milieu ; le terrible serment qu’il prête avec ses fils de tout faire pour récupérer les silmarils leur vaut d’être maudits… et de massacrer leurs sembla-bles. Le « Quenta Silmarillion », dès lors, se focalise sur la Terre du Milieu, et notamment la région de Beleriand. Cadre propice aux faits d’armes les plus époustouflants, comme aux crimes les plus atroces… Et nous parcourrons ainsi tout le Premier Age. De nombreuses histoires traversent cette période agitée, dont certaines se voient accorder des développements conséquents, comme par exemple le très beau conte de Beren et Lúthien, le couple unissant un humain et une elfe, ou la tragédie des enfants de Húrin.

Mais d’autres histoires hantaient l’auteur, et notamment celle de la submersion de Núménor, équivalent sur Arda du mythe de l’Atlantide, qui fait l’objet du quatrième texte, « Akallabêth ». Cette catastrophe marque la fin du Deuxième Age, et la transformation du monde plat en un monde sphérique, quand bien même les elfes peuvent toujours, s’ils le souhaitent, emprunter la Voie droite pour gagner Valinor interdit aux mortels… Reste enfin « Les Anneaux du pouvoir et le Troisième Age », qui éclaire l’histoire des anneaux et de l’Unique.

Epique et puissant, Le Silmarillion constitue peut-être, malgré son caractère inachevé, le sommet du corpus tolkiénien ; l’œuvre, en tout cas, lui était chère, au point de l’accompagner toute sa vie… On est béat d’admiration devant l’inventivité de l’auteur, son adresse pour susciter et user des mythes. Œuvre inclassable, sans véritable équivalent dans la fantasy, c’est là un chef-d’œuvre que l’on n’a pas fini de lire et de relire.

The Clockwork Rocket

Il y a quasiment un an, au moment où paraît le n°76 de Bifrost, Greg Egan concluait sa trilogie « Orthogonal » : un prétexte comme un autre pour nous pencher dessus.

Après avoir emmené son lecteur dans des futurs de plus en plus distants — mille ans pour Diaspora (1997), vingt mille pour Schild’s Ladder (2002) et cent mille pour Incandescence (2008) —, Egan le transporte ici dans un autre univers. A première vue, on pourrait craindre que notre auteur s’intéresse de moins en moins à l’humain, faisant de Zendegi (2010 pour la VO) une anomalie dans son œuvre. Les choses ne sont cependant pas aussi tranchées.

Un autre univers donc, rigoureusement décrit, et qui, en bref, diffère du nôtre sur deux points essentiels : le temps y est une dimension comme les autres, et la vitesse de la lumière est une variable (certaines longueurs d’onde sont plus rapides que d’autres). Différences qui n’ont en rien empêché l’éclosion de la vie et de l’intelligence. Ainsi, cette race de métamorphes humanoïdes, qui se reproduit par fission. (Et Egan de battre en brèche le présupposé selon lequel toute Nature serait intrinsèquement bonne : la procréation est ici fatale aux femmes.)

The Clockwork Rocket se centre sur le personnage de Yalda, une femme hors du commun. Issue d’une société agraire, elle gagne la ville pour ses études d’astronomie. En butte à l’hostilité et au conservatisme de ses pairs, elle va néanmoins effectuer des découvertes révolutionnaires sur la nature de son univers. Et comprendre que sa planète est menacée : depuis plusieurs années, des étoiles filantes toujours plus nombreuses illuminent le ciel. Ces « fonceurs » représentent un danger pour la planète, risquant de l’annihiler en cas de collision. L’état actuel des connaissances ne permet hélas pas de faire face à ce péril. Ce que Yalda sait néanmoins, c’est que, dans cet univers, avancer à une vitesse relativiste augmente la durée du trajet pour le voyageur. Elle émet alors le projet de lancer un vaisseau spatial selon une trajectoire orthogonale au temps de son monde d’origine, ce qui laissera aux passagers la durée pour résoudre le problème des « fonceurs » tandis que seules quatre années s’écouleront pour ceux restés sur place. C’est ainsi qu’est lancé dans les cieux lePeerless (le Sans-Pareil), rien de moins qu’une véritable montagne, et dont le voyage est raconté dans The Eternal Flame et The Arrows of Time. Le deuxième tome se déroule plusieurs générations après le départ du Peerless, à bord du vaisseau. Certains problèmes ont été résolus, d’autres ont fait leur apparition : les principaux sont la surpopulation du vaisseau et le carburant. Sans oublier un planétoïde non loin, fait de matière orthogonale. Les recherches sur ces trois problèmes et leurs implications ne vont pas sans causer peurs ou rejets au sein d’une société où le conservatisme est encore fort. Bien plus tard, au moment où débutele troisième tome, le Peerless est sur le point de faire demi-tour — une décision qui navre certains, peu désireux de sauver ce monde des origines qu’ils n’ont jamais connu. Mais ce qui divise l’équipage du vaisseau est l’invention d’une caméra capable d’envoyer des messages à rebrousse-temps. La moitié des voyageurs y voit la fin de son libre-arbitre, tandis que l’autre moitié s’enthousiasme pour les possibilités de l’appareil pour résoudre des problèmes futurs. Les tensions sont telles que certains envisagent l’exil. Une expédition est donc lancée orthogonalement vers une planète proche… dont la flèche temporelle s’avère inversée par rapport aux explorateurs.

Avec « Orthogonal », Greg Egan donne une dimension supplémentaire et inédite au worldbuilding, créant un univers de toute pièce, jusqu’à ses lois physiques. De fait, on serait bien en peine de prendre l’auteur en défaut, tant chaque point de cet univers est détaillé. De fait, chaque tome de la trilogie possède son lot d’échanges de points de vue entre chercheurs, biais par lequel on découvre et comprend ce monde en même temps que les personnages. Les notions abordées dans The Clockwork Rocket font la part belle à l’astrophysique, tandis que The Eternal Flame aborde biologie et physique des particules, dans des chapitres parfois arides qui risquent d’en rebuter certains. Enfin, le temps et ses directions font l’objet de casse-têtes dans The Arrows of Time. Une trilogie complexe donc, mais pas illisible : Egan donne au lecteur les clés pour appréhender son univers clés, et les nombreux schémas (dont la présence n’a rien d’injustifié) agrémentant les livres permettent de mieux saisir les concepts exprimés : de fait, « Orthogonal » s’avère dans ses développements plus aisé d’accès que Schild’s Ladder ou Incandescence. Y demeure cependant en commun le leitmotiv d’Egan : la primauté du questionnement, de la recherche et de la méthode scientifiques.

L’auteur n’en propose pas moins également une aventure humaine. Bien loin des personnages de Schild’s Ladder ou Incandescence, parfois guère plus que des silhouettes, on en vient à vibrer pour Yalda et ses pairs, face à l’adversité des conservateurs ou aux dangers de cet univers où rien n’est intuitif.

Certainement l’une des œuvres les plus ambitieuses d’Egan, la trilogie « Orthogonal » est aussi ardue que fascinante. S’il n’est pas évident qu’elle réconcilie les allergiques à l’auteur, on la recommandera sans réserve aux amateurs (anglophones).

À noter enfin, la parution en mai dernier d’une étude de Karen Burnham sur Greg Egan, titrée Greg Egan, aux presses universitaire de l’Illinois dans la collection « Modern Masters of Science Fiction ». Passant en revue les thématiques de l’auteur, explicitant la méthode scientifique qui sous-tend son œuvre, l’étude se conclut par une longue interview. Rien moins que passionnant.

Foudre de guerre

L’intrigue de Foudre de Guerre, nominé au prix Hugo 2014,se situe dans la continuité de Malédiction. Jake Sullivan, le lourd, recrute une équipe d’actifs de chocs pour se lancer dans une mission suicide afin de débusquer l’éclaireur. Faye, la voyageuse censée être morte, part à la recherche de Jacques Montand pour en apprendre davantage sur sa « malédiction ». Quant à Francis Stuyvesant, le bougeur, il œuvre dans l’ombre contre la loi de fichage des actifs que souhaitent mettre en place les États-Unis.

« On prend les mêmes et on recommence ». Cette maxime s’applique aussi bien aux défauts qu’aux qualités de Foudre de Guerre : un manichéisme trop marqué (les gentils américains, les méchants japonais), des combats homériques ad nauseum, des protagonistes qui commettent atrocités sur atrocités mais en les justifiant toujours de belle manière pour se donner bonne conscience (quand ils en possèdent une). L’intrigue linéaire ne surprendra personne, les meilleures idées sont sous-exploitées, certaines lignes narratives ou personnages quasiment abandonnés pendant plusieurs centaines de pages avant de réapparaître. Quant aux lecteurs avertis de l’univers Marvel, ils ne pourront s'empêcher de faire quelques rapprochements embarrassants (fichage des mutants/actifs, le cérébro/la machine de l’impérium, les Skrull/l’éclaireur).

Observer les mêmes défauts, filés sur la trilogie complète, a de quoi décourager ; l'auteur ne fait montre d'aucun progrès. Heureusement, le bébé n’est pas à jeter avec l’eau du bain : Foudre de Guerre possède quand même quelques vrais points forts. Correia insuffle un rythme soutenu à son récit ; seulement 448 pages pour clore une trilogie c’est assez bref par les temps qui courent. Et la qualité principale du roman tient dans sa galerie de personnages, plus déjantés les uns que les autres. On retrouve et on suit avec plaisir (quoique pas toujours…) les aventures de nos actifs. Mention spécial au Docteur Wells qui aurait mérité d’être plus développé.

Au cinéma, on parle volontiers de série B. « La trilogie du Grimnoir » n'est rien de plus. On réservera Foudre de Guerre à ceux que les deux premiers tomes ont enthousiasmé. Les autres passeront leur chemin sans regret.

L'Homme-soleil

« Dans L’Homme-soleil, j’ai un vernis de réalisme, mais sous ce vernis, des choses remontent comme des bulles à la surface.» Voilà qui rassurera le lecteur de Bifrost se demandant ce que peut bien trafiquer L’Homme-soleil de John Gardner dans la collection « Lunes d’encre » et, à fortiori, dans sa revue favorite.

À Batavia, dans l’état de New-York, au milieu des années soixante, Fred Clumly assume sa charge de chef de la police malgré un vieillissement certain jusqu’au jour où son équipe met sous les verrous un homme étrange à l’identité non déterminée. Celui qui se présente comme l’Homme-soleil a pris soin de détruire ses papiers avant d’être arrêté pour avoir peinturluré le mot Amour en travers d’une des artères de la ville. La détermination du prisonnier à faire tourner en bourrique les policiers prend une tournure bien plus grave quand il décide de s’échapper avec ses codétenus à la manière d’un Houdini : l’évasion finit dans un bain de sang.

Dès lors, le chef Clumly n’aura d’autre obsession que d’élucider le mystère de l’Homme-soleil. Avec une frénésie croissante, il remuera ciel et terre à Batavia, et surtout le passé souvent boueux de la famille Hodge, de médiocres notables locaux qui doivent essentiellement leur position sociale à leur patriarche, feu Arthur Hodge Sr, membre du Congrès. Enfin, Clumly acceptera l’impensable : ouvrir et maintenir le dialogue avec sa Némésis.

L’Homme-soleil ne raconte pas tant une enquête policière qu’un voyage intérieur fait de doutes et de désillusions menant aux portes de l’enfer. Au fil des pages, le sol se dérobe sous les pieds de Fred Clumly. Ce personnage reste pourtant, malgré les apparences et comme l’a voulu Gardner, la seule constante dans un univers rempli de faux semblants et de sombres secrets. Un monde où les humains sont des acteurs pour qui l’hypocrisie semble la seule défense valable contre une inéluctable dégénérescence.

L’Homme-soleil , paru en 1972, a progressivement connu un très grand succès aux États-Unis. À une époque marquée par l’antagonisme entre l’idéologie hippie et celle de Richard Nixon, beaucoup ont cru qu’il mettait en scène un combat symbolique entre un pouvoir monolithique et une rébellion ouverte sur le monde. Mais Gardner va beaucoup plus loin : il démontre qu’ordre et anarchie sont les deux faces d’une seule et même médaille, des faux-jumeaux fratricides, nés d’une bonne volonté et d’un appétit de vivre qui s’épuisent avec le temps.

L’exigeant John Gardner, sur près de huit cents pages qu’il a toujours refusé d’amputer, déploie d’incroyables talents de conteur : il tisse un décor plus vrai que nature, il y insère des personnages finement profilés, insuffle la vie à une création que l’on peine à distinguer de la réalité et, enfin, fait pétiller l’ensemble avec de toutes petites bulles d’imaginaire. Une pièce de maître.

La Terre embrasée

La Terre Embrasée est le deuxième volume des préquelles à La Stratégie Ender et fait suite à Avertir la Terre. Dans le premier volume on voyait le vaisseau interstellaire des aliens baptisés « formiques » aborder et traverser le Système Solaire en y laissant un sanglant sillage. Il se dirige vers la Terre et point n'est besoin d'être grand clerc pour deviner leurs funestes intentions. Dans ce deuxième volume, le vaisseau formique atteint la Terre et l'invasion commence par la Chine. En fait, leur dessein n'est ni d'envahir ou de conquérir, ni même d'exterminer les humains mais d'éradiquer toutes formes de vies terrestres.

On retrouve les principaux protagonistes du premier tome. Victor a bien réussi à atteindre la Lune mais peine à faire prendre conscience à l'humanité du danger qui se précipite vers elle. Lem Juke rejoint aussi la Lune, davantage préoccupé par l'idée de détrôner son père à la tête de la plus puissante corporation du Système Solaire et la manière d'exploiter l'invasion formique à cette fin. Enfin, les Soldats d'élite Wit O'Toole et Mazer Rackham qui nous avait été présenté en marge des péripéties d'Avertir la Terre entrent en action, prenant même pour le second, le premier rôle.

Les auteurs privilégient clairement le romanesque à la plausibilité et une poignée de héros sauve le monde. Comme Ender et Bean. Certes. Mais ces deux personnages avaient été « fabriqués » dans cet unique dessein et c'est justement ce qui conférait da dimension spéculative à La Stratégie Ender. On se demande pourquoi la stratégie des formiques est si peu expéditive et s'expose ainsi à une contre-offensive. On sait depuis la Seconde Guerre mondiale qu'il faut détruire l'infrastructure de l'ennemi : hôpitaux, centres et voies de communication, sites de production, par des bombardements massifs avant d'envoyer l'infanterie fignoler la besogne. Les formiques, à l’instar de Göring, opteront pour un choix différent axé sur la terreur. On ne croit pas le moins du monde au GOM, une unité d'élite internationale dépendant de l'ONU chargé de défendre la veuve et l'orphelin mais qui tombe vraiment à pic lorsque surviennent les formiques…

Ce roman d'invasion extraterrestre s'inscrit dans une tradition déjà longue depuis La Guerre des Mondes et n'est pas sans rappeler par maints aspects le film de Roland Emmerich Independence Day. L'aventure pour l'aventure. De l'action à toutes les pages. La Terre Embrasée est à La Stratégie Ender ce que les préquelles de Dune sont à Dune : l’exploitation du filon. C'est d'une lecture bien agréable, certes, mais sans la moindre once spéculative. Du pur divertissement.

Le Clan suspendu

Antigone, Ismène, Hémon… des prénoms rendus célèbres, entre autres par Sophocle. Synonymes pour les uns de tragédie émouvante et terrible, pour les autres de leçons poussiéreuses pleines d’ennui. Si vous pouvez en citer des passages entiers par cœur, vous ne serez pas dépaysé. Quant à ceux qui ignorent tout du destin des princes de Thèbes, qu’ils se rassurent : Etienne Guéreau, qui semble ici signer son premier roman, fait un sort à ce classique de l’Antiquité grecque.

Si Antigone est présente tout au long du roman, c’est sous les traits de l’héroïne, jeune fille qui quitte l’enfance bien plus violemment qu’elle n’aurait voulu. Elle réside dans le Suspend, village caché au sein des arbres, où cohabitent trois générations. Dans un si petit espace, la survie nécessite des règles strictes. Les rituels marquent le temps, justifient les actions, confortent les rôles de chacun. Le texte sacré n’est pas la Bible, le Coran ni la Torah, mais Antigone de Sophocle. Tous les habitants apprennent cette pièce par cœur (l’écrit a disparu, ou presque), s’en transmettent les vers et en récitent des passages à tout propos. Elle ponctue les conversations, clôt les discussions, unit le groupe à l’instar de la peur d’un ennemi cruel, implacable, qui guette au sol. Interdiction formelle de descendre, sauf pour les chasseurs, et encore, le moins fréquemment possible, tant le danger est grand. Anne Dersbrevik rôde et la liste de ses victimes s’allonge.

Mais peu à peu, l’ordre établi se délite. Les anciens perdent leur autorité. Hémon, un jeune chasseur, veut les renverser, prendre le pouvoir. Les dieux, explique-t-il, fidèle à la tragédie de Sophocle, exigent des sacrifices. Et le quotidien, autrefois dur mais rassurant, bascule progressivement dans la violence. Pour fuir ce péril, Antigone va en affronter un plus effrayant encore : elle va descendre de l’arbre, quitter la protection de son village.

« Quand Antigone rencontre “The Hunger Games”. Inoubliable ! » Encore un bandeau racoleur, sans réel lien avec le roman. Les points communs avec la trilogie à succès sont bien minces : une jeune fille comme personnage principal ; une lutte pour la survie (et encore, pas de jeu, pas de société « organisatrice »). En fait, à part dans la volonté d’attirer un public « young » (ce roman est l’un des premiers de la collection « Y » de Denoël), cette comparaison est sans fondement. Reste que si ces livres ne boxent pas dans la même catégorie, cela n’enlève rien au caractère « addictif » (pour reprendre un autre terme de la couverture) du Clan suspendu, ni à sa valeur. L’histoire est solide, bien menée. La mise en place est alerte, rythmée ; les événements s’enchainent avec naturel et Antigone s’avère un guide aussi émouvant qu’attachant. A travers sa vie dans le village, puis son périple haletant sur et sous le sol, elle entraîne le lecteur vers le dénouement, la compréhension de cet univers particulier. Au fil des pages, des bribes d’informations distillées avec plus ou moins d’habileté permettent de saisir l’étendue du mystère entourant le Suspend, son origine, le monde d’en bas.

On peut souhaiter au Clan suspendu le succès des « Hunger Games ». Il a les qualités, en tout cas, pour divertir de manière aussi efficace qu’agréable. Et puis, cerise sur le gâteau, il donne envie de (re)découvrir l’histoire de la « vraie » Antigone et son destin funeste. Pourquoi bouder son plaisir, alors ?

Le Système D

A l'instar de Mirobole ou de Cambourakis, Asphalte fait partie de ces petites maisons ne craignant pas de défricher les territoires délaissés par les grosses structures éditoriales. Sans doute plus libre, et aussi plus curieux, l’éditeur parisien dispose d’un catalogue international digne d’intérêt, ne dédaignant pas la littérature interstitielle, raison pour laquelle quelques-uns de ses titres ont déjà été chroniqués ici même.

Le Système D relève de cette approche où se mêlent les ressorts de la science-fiction et du polar, la littérature et le cinéma. Parfait melting-pot d’influences diverses, le roman illustre idéalement la fusion des genres dans le creuset de la culture pulp. Un registre dans lequel Duane Swierczynski s’est illustré dans trois romans parus dans nos contrées chez Rivages « Noir » (A toute allure, The Blonde et Date limite).

New York dans un avenir si récent qu’il semble passé. La Grosse Pomme se relève difficilement des attentats et de la pandémie de grippe qui l’ont frappée. Dans un décor de fin du monde qui n’est pas sans rappeler celui de Bagdad après sa libération par l’Axe du Bien, nous suivons les pérégrinations de Dewey Decimal. Le bonhomme crèche dans la bibliothèque de la ville où il peut assouvir sa passion pour les livres. Il emprunte d’ailleurs son identité au système de nomenclature de l’institution, car de son passé, il ne conserve rien. Juste des bribes dont il n’est même pas sûr. En fait, Dewey est persuadé qu’il s’agit de faux souvenirs implantés par l’armée. Paranoïaque, hypocondriaque, amnésique, affligé d’obsessions lui pourrissant l’existence, tous ces maux ne l’empêchent pourtant pas d’effectuer régulièrement des missions pour le compte du procureur de la ville. Un type ingrat et autoritaire qui semble en savoir plus long que lui-même sur sa véritable identité. Chargé d’exécuter un malfrat ukrainien, Dewey est détourné de sa mission initiale par une série de fâcheux contretemps. Il y laisse sa rotule, sa santé, et manque d’y perdre la vie. Heureusement, il récupère aussi un Sig Sauer, une main momifiée, la droite, rencontre une beauté fatale et retrouve au final une certaine dignité.

Sous l’égide de Megan Abbott, bien connue des lecteurs de thrillers, la quatrième de couverture invoque les mânes de Philip K. Dick et Chester Himes. Elle aurait pu tout aussi bien convoquer les fantômes du 11 septembre 2001 et des diverses interventions militaires des Etats-Unis dans les Balkans et au Proche-Orient. Ces événements de l’Histoire récente, mais aussi la crainte d’une pandémie fatale, semblent condensés dans les attentats du 14 février dont les ravages servent de décor à la mission de Dewey. Soldat perdu, tueur impitoyable, pauvre type, on a beaucoup de difficultés à cerner la psychologie gigogne du personnage, et s’il faut en retenir un trait dominant, misons sur sa chance de pendu. Le bougre partage aussi bon nombre des caractéristiques du privé des romans noirs dont il subit par ailleurs toutes les avanies. Passage à tabac, femme fatale, procureur corrompu, flic bouffant à tous les râtelier et faux semblants, Nathan Larson ne lui épargne rien, se contentant de saupoudrer son intrigue d’une bonne dose de dinguerie, d’humour et de nonchalance. Dewey est à l’image d’un pays ayant perdu la boussole quelque part du côté du 11 septembre. Un pays en état de siège, taraudé par ses fantasmes. Heureusement, il dispose du Système pour échapper au marasme ambiant. Une méthode en valant une autre et qui a fait ses preuves.

Le Système D rejoint sans peine la longue liste des livres singuliers dont le charme apparaît proportionnel à l’agacement qu’il peut provoquer chez le lecteur refusant de lâcher prise. Et si ce premier roman paraît un tantinet décousu aux entournures, il fait montre de suffisamment d’inventivité et de punch pour mériter plus qu’un coup d’œil. On vous le dit, l’essayer, c’est l’adopter. Ça tombe bien, un deuxième épisode est disponible aux Etats-Unis, et le prochain doit paraître à l’automne.

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