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Sur les terres de Tolkien

Pour une personne ayant découvert « Le Seigneur des Anneaux » avec l’adaptation cinématographique qu’en a fait Peter Jackson, il est difficile d’imaginer la Terre du Milieu autrement que de la manière dont elle lui est apparue pour la première fois à l’écran. Et peut-être encore plus de réaliser qu’il fût une époque où les lecteurs de la trilogie de Tolkien n’avait pas forcément en tête la même chose quand on évoquait l’Argonath, le Balrog ou encore Minas Tirith. C’est dire l’influence que les images nées de l’esprit de John Howe, et réutilisées par Jackson, ont pu avoir. De fait, quand on replonge dans l’histoire originale aujourd’hui, il s’avère pour ainsi dire impossible de s’affranchir des visions des cavaliers noirs, de la Porte de la Moria ou même, en allant chercher dans les petits détails, de lembas (cette nourriture elfique dont une bouchée vous cale pour une journée) qui nous ont été offertes par l’artiste canadien. Certainement parce que personne n’a su aussi bien que lui donner vie aux mots de J.R.R. Tolkien (2).

John Howe, sur les terres de Tolkien nous propose de replonger en Terre du Milieu à l’aide des croquis et des dessins, des peintures et des merveilles de l’illustrateur ayant séjourné un certain temps en Champagne-Ardenne, région qui a publié le superbe ouvrage qui nous occupe à l’occasion d’une exposition des œuvres de l’artiste. Pour une fois, les éditeurs ont compris que face à de telles images, les textes pesaient parfois trop lourd. C’est certainement pourquoi ils n’ont mis que quelques pages d’explications (le plus souvent admiratives) avant de conclure l’ensemble par une courte (auto)biographie (très intéressante, soit dit en passant). La part belle est ainsi laissée au plaisir de regarder et non de lire.

Ainsi, cet album nous permet de retrouver des personnages et lieux devenus maintenant célèbres, mais également de constater les changements effectués par Jackson quant aux visions de Howe — et, pourquoi pas, éventuellement comparer la nôtre à celle de l’artiste, pour peu qu’on soit parvenu à ne pas se laisser « contaminer » par ses productions à la lecture des livres de Tolkien (Howe illustrant par ailleurs la plupart des couvertures des ouvrages de l’auteur de Bilbo, privilège qu’il partage avec l’artiste anglais Alan Lee). Si certains rendus déçoivent un peu quand on constate les traits flous prêtés aux figures humanoïdes, l’ensemble ravi néanmoins l’esprit et l’imagination par la richesse des détails offerts et l’élégance du trait servant si bien l’univers tolkienien. Il est amusant de constater que, parfois, les simples croquis préparatoires sont encore plus fascinants que les peintures qu’ils ont aidé à faire naître.

C’est pourquoi, que l’on soit un expert de la Terre du Milieu ou un simple néophyte attiré par l’art à tendance heroic fantasy, John Howe, sur les terres de Tolkien constitue une excellente lecture, ou plutôt une merveilleuse découverte d’un ailleurs non pas « enchanteur », mais totalement envoûtant. Voici en tout cas un beau complément à l’œuvre de Tolkien.

L'Étoile du matin

Oxford, en 1919. Dans la cité universitaire évoluent quatre personnages, tous blessés d’une façon ou une autre par la guerre qui vient de s’achever, tous à un tournant de leur vie. T. E. « Ned » Lawrence, venu défendre la cause de ses amis arabes aux négociations du traité de Versailles et forcé par son éditeur à se remettre à son manuscrit. C. S. « Jack » Lewis, menant une étrange vie entre l’université et la famille de son meilleur ami disparu ; le poète Robert Graves et John Ronald Reuel Tolkien, ce dernier hanté par les spectres des amis disparus dans les tranchées de la somme.

Dans cet étrange roman de l’auteur italien Wu Ming 4 (pseudonyme de Federico Guglielmi), on entre dans la vie de trois créateurs de mythes et dans celle d’un homme qui en devint un lui-même. Un projet difficile : mettre en scène des personnages réels et raconter la naissance, suite au traumatisme de la Grande Guerre, de certains des mythes de notre époque.

De fait, ce roman très ambitieux est globalement raté : le rapprochement des quatre voix ne crée aucune dynamique romanesque, on a l’impression d’une série d’extraits juxtaposés qui feraient entendre un discours un peu trop subtil pour l’oreille du lecteur, sans jamais trop savoir où nous porte le récit.

Si l’œuvre est imparfaite, elle comporte toutefois de beaux morceaux : l’évocation du monde universitaire anglais des années 1920 avec ses règles rigides et ses révoltes à venir. Les doutes, la personnalité ambiguë et la mise en scène par lui-même (et par un journaliste américain) de la légende de celui qu’on appelle déjà Lawrence d’Arabie. La vie de famille singulière de ce futur grand moraliste de Jack Lewis, qui entre dans le foyer et dans le lit de la mère de son ami disparu, ou bien les choix entre poésie, vie de famille, université et épicerie du futur mythographe, Robert Graves.

Pour se concentrer sur Tolkien, le jeune homme mis en scène par le roman (il a 28 ans) est un beau personnage, hanté par l’indicible douleur de la guerre et de la perte, comprenant que c’est dans le travail de ses poèmes écrits à l’hôpital après sa blessure (« La Chute de Gondolin ») que se trouvera le salut de son esprit. Wu Ming 4 propose là une belle figure de créateur en devenir, qui se croit obligé de choisir entre son travail universitaire « sérieux » pour subvenir à la vie de sa famille, et une œuvre dont il pense qu’il n’y a rien à espérer, un jeune homme amoureux et aimé de son épouse Edith, savourant le plaisir des promenades dans le paysage campagnard de l’Oxforshire, et triste à mourir de devoir partir enseigner dans la grise ville de Leeds.

L’auteur semble s’être abondamment documenté sur ses personnages et leur cadre de vie. Pourquoi ne pas nous avoir livré quatre essais biographiques ? Qu’apporte ici la fiction ? Je n’ai pas su le distinguer, et c’est là mon plus grand regret concernant ce livre plutôt bien écrit, attachant, mais qui m’a laissé au bord du chemin.

Le Commando des immortels

Il n’est pas usurpé de dire que J.R.R. Tolkien a créé l’un des univers de fiction les plus connus au monde. Mais Tolkien lui-même aurait-il fait un bon personnage de fiction ? C’est en tout cas ce que pense Christophe Lambert, qui met en scène le professeur d’Oxford dans une intéressante tentative de marier la fantasy, l’uchronie et le roman de guerre.

Peu de temps après Pearl Harbor, les Américains sont toujours englués dans le conflit en plein Pacifique. La Birmanie, point clé de la guerre dans la région, est sur le point d’être conquise par les Japonais, nettement plus à leur aise dans la jungle que les soldats étasuniens. L’état-major américain a alors une idée innovante : pourquoi ne pas demander aux elfes de les aider ? Car dans ce monde, et c’est là qu’arrivent tout à la fois la fantasy et l’aspect uchronique, les elfes existent et, qui plus est, vivent dans une sorte de réserve, Sylvaniel, comme de si nombreux Amérindiens sur le continent nord-américain. Après négociations, les elfes acceptent, mais à une seule condition : que Tolkien, alors en pleine rédaction du « Seigneur des Anneaux », fasse partie de l’expédition…

Ceci n’est que le point de départ du roman, dont la majeure partie se déroule en Asie, à mesure que l’écrivain anglais, d’habitude si casanier, se retrouve plongé en plein conflit, avec un crescendo de tracasseries (conditions précaires, stress permanent…) qui culminent dans des affrontements sanglants avec l’ennemi. Tout ça y est dépeint de manière très réaliste, notamment par le truchement de protagonistes bien campés, des militaires américains ou anglais rodés aux elfes que rien ne semble perturber, en passant par une très bonne trouvaille, un métis humain-elfe qui peine à se situer dans cet univers. Lambert a fait des études de cinéma, et cela se sent dans sa façon de tenir la caméra, de convoquer les grands codes du film de guerre, dans son montage intelligent, dosage équilibré d’action et de scènes plus intimistes, comme celle du village, havre de calme au milieu du déluge de balles. Le livre se pose ainsi en un enchaînement de péripéties, jusqu’à ce qu’un autre niveau de lecture commence à se superposer : l’auteur y développe sa théorie selon laquelle les mythes sont tous issus du même creuset, et qu’on trouvera fatalement des similarités entre deux croyances de peuples très dissemblables. De roman de guerre, le livre évolue alors vers un registre plus aventurier, souvent trépidant, au sein duquel les clins d’œil au « Seigneur des Anneaux » se multiplient, du passage sous la montagne à la fameuse scène du Balrog sur le pont, constituant par là même une mise en abyme de la thématique de l’origine commune de tous les mythes, davantage ludique que démonstrative.

Œuvre au final nettement plus fine que son postulat initial (« Tolkien rencontre les elfes ») ne le laissait envisager, livre à plusieurs niveaux de lecture, Le Commando des immortels se révèle un excellent roman, de ceux qui confirment que Lambert est l’un des plus intéressants auteurs français actuels.

 

[La critique d'Olivier Girard in Bifrost 52.]

Lettres

La correspondance occupait une place importante dans l’activité de J.R.R. Tolkien, qui écrivit de nombreuses lettres, parfois fort longues, permettant — même s’il n’appréciait guère cette approche — d’éclairer sous un nouveau jour la genèse et le sens de son œuvre fictionnelle. Cette édition des Lettres de Tolkien en est une démonstration pour le moins frappante ; son existence en édition de poche a d’ailleurs de quoi surprendre, mais témoigne assurément de la popularité de l’auteur, comme du désir finalement très commun d’en apprendre davantage sur la Terre du Milieu.

Pourtant, la sélection ici opérée par le biographe de Tolkien, Humphrey Carpenter, avec l’assistance de son fils Christopher, éditeur de ses œuvres posthumes, est tout d’abord extrêmement frustrante : on ne trouve en effet quasiment rien avant 1937… Manquent dès lors bon nombre de lettres qui auraient pu être passionnantes, tant en ce qui concerne la vie de Tolkien (notamment son mariage, ou encore son expérience de la Première Guerre mondiale, sans parler bien sûr de ses études et du début de sa carrière de professeur ; on ne trouve par ailleurs que deux lettres adressées à son grand ami C.S. Lewis) que son œuvre (ainsi, quasiment rien sur les états les plus anciens du Silmarillion, sous la forme des Contes perdus, etc.) : le livre débute véritablement, non sur la composition de Bilbo le Hobbit, qui reste assez mystérieuse, mais sur le processus qui a conduit à sa publication… et l’on ne peut s’empêcher de ressentir ici comme un manque. Aussi, disons-le : c’est surtout la composition et la publication du « Seigneur des Anneaux » qui font l’objet des nombreux courriers ici compilés. Il y a là un parti pris que l’on peut juger dommageable… mais il est certain que le lecteur de Tolkien y découvrira néanmoins bien des choses intéressantes. Et l’on voit, derrière ces lettres, la volonté farouche de l’auteur de parvenir un jour à publier son « grand œuvre », le « Légendaire » dont « Le Seigneur des Anneaux » constitue la suite et la fin (bien plus que Bilbo le Hobbit), au moins sous la forme abrégée du Silmarillion… ce qui, hélas, n’arrivera pas de son vivant.

Cela dit, l’étude du processus de maturation du « Seigneur des Anneaux » qu’autorisent ces Lettres est tout à fait passionnante. On retiendra notamment les lettres adressées durant la Deuxième Guerre mondiale à son fils Christopher, en Afrique du Sud, qui témoignent des difficultés rencontrées par l’auteur devant cette œuvre qui a pris des proportions monstrueuses. Ses rapports avec son éditeur — et avec son fils Rayner Unwin — sont de même très intéressants. Puis, le roman en-fin publié rencontrant un succès inattendu, on aura droit à de longues lettres à des fans (dans un premier temps tout du moins, Tolkien finira par se lasser des importuns…) détaillant tel ou tel point de son œuvre et de son univers.

Cette « littérature intime » est aussi, bien sûr, l’occasion de se faire une idée de la personnalité de l’auteur. Une personnalité complexe, comme de juste. La profonde humilité de Tolkien frappe dans ses lettres les plus anciennes ; elle tranche avec l’orgueil teinté de lassitude qui caractérise bien davantage les lettres les plus tardives, lesquelles dessinent le portrait d’un auteur sans doute guère commode, prompt à s’agacer de la médiocrité, très exigeant, et volontiers porté sur le « pédantisme », ainsi qu’il le reconnaît lui-même…

On trouve par ailleurs de nombreuses lettres permettant d’aborder la pensée de l’auteur, notamment en matière de théologie (Tolkien était fervent catholique, et a écrit de longues lettres sur la question), moins pour ce qui est de la politique (on notera cependant, de la part de cet homme par ailleurs très conservateur, de beaux éclats, comme les superbes lettres concernant la volonté de traduire Bilbo le Hobbit en allemand en 1938, quand l’éditeur eut le malheur de demander à Tolkien s’il était « aryen »… Sa réponse « de philologue » ne laisse certainement pas indifférent !).

Tolkien était rétif à la biographie et à la « déconstruction » des œuvres. Il n’appréciait guère que l’on se livre ainsi à l’étude de sa personne, notamment, pour dénicher les « sources » du « Seigneur des Anneaux », ou déterminer son éventuel contenu allégorique. L’idée d’une édition de ses Lettres l’aurait sans doute laissé sceptique, au mieux… Pourtant, c’est là une mine d’informations pour l’amateur. Si cette édition, pour les raisons mentionnées plus haut, a quelque chose de terriblement frustrant, ce gros volume de correspondance est donc une lecture de choix pour qui s’intéresse à la personnalité du « subcréateur » de la Terre du Milieu, ainsi qu’à la genèse et au « sens » de son œuvre sans pareille.

Les Monstres et les Critiques

Avant d’être l’auteur de Bilbo le Hobbit et du « Seigneur des Anneaux », ainsi que du « Légendaire » qui leur sert de toile de fond et ne devait être publié qu’à titre posthume, J.R.R. Tolkien était un professeur de philologie à Oxford. Ce recueil d’essais destinés dans l’ensemble à un large public (les plus pointus restent dans les publications universitaires) offre une occasion sans pareille de faire le lien entre ces deux activités de l’auteur, et éclaire sous un nouveau jour la production de fictions tolkiéniennes. On ne peut en effet s’empêcher de lire ici Tolkien à la lumière de ce que l’on en sait par ailleurs ; et, si le public de ces conférences n’en était sans doute pas conscient alors, il est clair pour qui a lu ses fictions que Tolkien, tout en menant à bien ses activités universitaires, trouve ici la matière d’un plaidoyer en faveur de son approche de la littérature d’Imaginaire.

Le volume s’ouvre sur la très importante conférence de 1936 qui lui donne son titre, et qui devait constituer un tournant dans l’exégèse de Beowulf, le fameux poème anglo-saxon. Tolkien y rejette la tentation de ne se servir de cette œuvre qu’à titre de source historique, ou de n’y voir qu’une allégorie. Il montre le « sérieux » des Monstres, et insiste sur la valeur du poème en lui-même, non seulement sur le plan de la forme, mais aussi du fond. Une lecture critique d’un genre nouveau, donc, et qui éclaire tout particulièrement les intentions de Tolkien dans sa propre production de fictions. Suit « Traduire Beowulf », qui s’intéresse aux difficultés inhérentes au rendu du poème allitératif dans un anglais moderne (on notera que la propre traduction dudit Beowulf par Tolkien vient de paraître en anglais).

Dans « Sire Gauvain et le Chevalier vert », conférence à propos d’un fameux récit arthurien, on retrouve des préoccupations assez similaires. Tolkien s’intéresse ici surtout à la question morale au cœur du texte, celle du péché et de la confession, vue au travers d’une sorte de « hiérarchie des normes » ; ce qui n’a sans doute rien d’étonnant de la part d’un fervent catholique, mais nous rappelle à bon droit que cette dimension religieuse est essentielle dans « Le Seigneur des Anneaux ».

Suit une nouvelle traduction de « Du conte de fées » (texte que l’on trouve également dans Faërie). La dimension de plaidoyer n’a sans doute jamais été aussi forte que dans cette très importante conférence, qui s’intéresse notamment aux notions chères à l’auteur de « sub-création » et d’« eucatastrophe », là encore fondamentales pour la lecture de l’œuvre fictionnelle tolkiénienne (a fortiori dans une perspective chrétienne), de même que son affirmation longuement argumentée que le « conte de fées » n’est pas en tant que tel destiné aux enfants.

On passe ensuite à des essais consacrés à la question des langues, réelles ou imaginaires (or l’on sait aujourd’hui que la création de langues imaginaires fut pour Tolkien un préalable à la constitution de son « Légendaire »). « L’Anglais et le gallois » s’intéresse au premier versant, et au goût pour la forme ; on s’attardera cependant davantage sur « Un vice secret », conférence en forme de confession, sur la création, à la fois ludique et sérieuse, de langues imaginaires, dont Tolkien donne des exemples à la fin (avec notamment un poème sur Eärendel).

Le volume se clôt, enfin, sur le « Discours d’adieu à l’université d’Oxford », qui s’intéresse notamment à la dénomination « langue et littérature anglaises ».

Fort bien construit — les essais s’enchaînent d’une manière qui fait sens —, Les Monstres et les critiques et autres essais est un ouvrage remarquable à tout point de vue. Il permet d’apprécier les différentes facettes de l’activité tolkienienne, et au final les rassemble en une même entreprise, à la fois érudite et ludique, de subcréation de langues et d’univers dans une perspective morale. Le « sérieux » de la fantasy y est affirmé avec talent, de même que son caractère « adulte ». Outil indispensable à l’analyse de l’œuvre du maître, Les Monstres et les critiques… est donc une lecture de choix pour qui s’intéresse aux soubassements théoriques des romans de hobbits et du « Légendaire ».

Faërie et autres textes

Cette nouvelle édition de Faërie, plus hétéroclite que l’originale, comprend deux textes évoqués par ailleurs dans ce guide de lecture : nous ne reviendrons donc pas ici sur l’essai « Du conte de fées » qui justifie son titre, repris dans une nouvelle traduction dans Les Monstres et les critiques, et pas davantage sur Les Aventures de Tom Bombadil. Restent deux poèmes et trois contes.

« Le Retour de Beorhtnoth » est un poème dramatique en vers allitératifs, adapté en son temps pour une version radiophonique, et qui constitue en quelque sorte une « suite » au poème vieil-anglais « La Bataille de Mal-don ». Ce dialogue entre deux serviteurs d’un roi qui a péri avec son armée en raison de son orgueil mal placé (ce qui justifie une longue « postface » de Tolkien, le texte ayant d’abord été publié comme un essai) traite ainsi de manière critique des notions de chevalerie et de courage, d’honneur et de guerre, et entre en résonance avec d’autres œuvres tolkieniennes (on pense notamment à ses essais sur Beowulf et Sire Gauvain et le Chevalier vert, mais il est sans doute également possible d’établir des liens avec, par exemple, le personnage de Boromir dans « Le Seigneur des Anneaux »).

« Mythopoeia », très différent, se présente comme l’adresse de « celui qui aime les mythes » (Tolkien) à « celui qui ne les aime pas » (C.S. Lewis), car « ils ne sont que des mensonges […] quoique soufflés dans du Vermeil ». Ce poème passablement complexe éclaire (dans une certaine mesure…) les relations entre les deux amis et auteurs.

Les trois contes en prose de ce recueil, qui illustrent les conceptions exposées dans « Du conte de fées », sont de même très divers. Le plus intéressant est probablement « Feuille, de Niggle », jolie allégorie (de la part d’un auteur qui ne prisait pourtant guère le genre) fortement teintée de connotations chrétiennes et de références autobiographiques, traitant de l’art, de la sub-création et de la mort, par le biais du peintre « Fignoleur », qui s’acharne à représenter des feuilles dans le plus grand détail, mais peine pour rendre un arbre dans son ensemble…

« Le Fermier Gilles de Ham », conte fondateur du « Petit Royaume » (en Angleterre), est autrement plus léger. Ce texte plein d’humour — à vrai dire limite parodique — évoque un simple paysan qui, ayant chassé un géant par un coup de chance, se voit auréolé d’une réputation de héros le conduisant à lutter contre un dragon… Mais le bonhomme a de la ressource. Un aperçu, sans doute, de ce que Tolkien aurait pu faire en dehors du « Légendaire ».

Reste enfin « Smith de Grand Wootton », sans doute le récit le plus classique des trois, puisqu’il s’agit d’une variation sur le thème de l’homme marqué par la Faërie, qui passe sa vie à errer du monde des mortels à celui des fées.

De toute évidence, nous ne sommes pas là en présence du meilleur Tolkien, tant la distance est grande entre ces œuvres courtes et « simples », et la démesure du « Légendaire » et des romans de hobbits qui font la singularité de l’auteur. C’est néanmoins une lecture fort agréable, qui permet d’entrevoir d’autres facettes de la production tolkiénienne, tant en vers qu’en prose.

La Légende de Sigurd et Gudrun

Disons le tout de suite, La Légende de Sigurd et Gudrún n’a que peu de rapport avec la Terre du Milieu, du moins peu de rapport direct, car à bien y regarder, ces deux lais tirés des Eddas, à l’instar du Kalevala et de Beowulf, apparaissent comme la matrice du Silmarillion. Rédigés comme un hommage aux Eddas, les deux poèmes comportent plus de cinq cents strophes de huit pieds (strophe fornyrdislag), respectant la métrique des vers allitératifs de l’Edda poétique. Ils reprennent en particulier des éléments de la légende nordique la plus célèbre, la Völsunga Saga, plus connue dans nos contrées sous sa version wagnerisée de L’Anneau des Nibelungen. Pourtant, il n’y a que peu de rapport entre ce texte archaïque mêlant des éléments historiques, légendaires et mythiques, et l’interprétation nationaliste et grandiloquente du compositeur allemand.

J.R.R. Tolkien opte pour un retour aux sources, celles des Eddas. A la manière des conteurs médiévaux, il tente d’unifier le corpus hétérogène et lacunaire à sa disposition pour établir une sorte de continuité entre l’histoire des Völsung, celle de Gudrún et de sa famille les Niflung (les Nibelungen). A l’instar des récits de la matière de Bretagne, de Rome et de France, il souhaite également par son hommage promouvoir une sorte de matière nordique, cette Grande Histoire des peuples du Nord appelée à ses yeux à devenir, pour l’Angleterre, l’équivalent de la légende de Troie. Un vœu pieux puisque ces deux lais n’ont pas dépassé le stade du manuscrit, restant essentiellement un exercice d’érudition destiné à un public bien informé. Un fait dont est conscient Christopher Tolkien puisque l’ouvrage est accompagné d’un paratexte copieux se composant d’un avant-propos, de deux introductions, de commentaires et de glossaires censés contextualiser et éclairer le propos des deux poèmes. Il faut avouer que tout ceci est utile, car contrairement à la matière de Bretagne, la Völsunga Saga n’est pas devenue une référence de la culture populaire aussi connue que le Roi Arthur, Merlin et Lancelot.

Si la lecture de La Légende de Sigurd et Gudrún ne paraît pas essentielle, a fortiori si l’on n’est pas passionné par les mythes nordiques, l’ouvrage apporte cependant des éléments de compréhension fort intéressants sur la genèse du Silmarillion et de la Terre du Milieu. En livrant sa propre version de la Saga des Völsung, J.R.R. Tolkien forge quelques-uns des thèmes et motifs qui traversent sa propre œuvre. En effet, comment ne pas voir dans l’histoire de Sigurd, meurtrier du dragon Fáfnir, comme un écho de la Geste des Enfants de Húrin ? Comment ne pas faire un parallèle entre la malédiction de l’or d’Andvarid et celle de l’anneau unique dans « Le Seigneur des Anneaux » ? Comment ne pas voir dans les interventions régulières d’Odin, une manifestation des Valar, voire du plus célèbre des Istari, Gandalf ?

A se demander si finalement, l’esprit de La Légende de Sigurd et Gudrún ne perdure pas à travers la Terre du Milieu.

La Chute d'Arthur

La passion de J.R.R. Tolkien pour la versification allitérative et pour les poèmes écrits de cette manière apparaît sans doute comme l’une des principales sources d’inspiration de son œuvre. Ces légendes nordiques, qu’elles relèvent des registres héroïque, mythologique et poétique, jouent un rôle primordial dans la genèse de la Terre du Milieu.

Longtemps remisé parmi les brouillons et notes de Tolkien père, resté à l’état d’ébauche sans cesse modifiée, le manuscrit de La Chute d’Arthur a bénéficié des succès du Hobbit et du « Seigneur des Anneaux » pour resurgir dans une édition commentée, profitant au passage d’un travail de contextualisation bienvenu. A l’instar de la Légende de Sigurd et Gudrún, le texte appartient à la fois à l’historiographie littéraire et à la poésie. J.R.R. Tolkien s’efforce d’y transposer en anglais moderne la métrique du vers allitératif du XIVe siècle. Ecrit dans les années 1930, le poème reste inachevé. Un fait que déplore Christopher Tolkien, car il se dégage de l’œuvre de son père une puissance épique indéniable, comparable en cela aux chansons de geste, que seule une lecture à haute voix rend perceptible.

Le récit de la chute d’Arthur est bien connu des spécialistes. Relatés à la fois chez les auteurs pseudos-historiques (l’Historia Regum Brittanniae de Goeffroy de Monmouth et le Roman de Brut de Wace) et littéraires (réduisons la liste au plus connu, Le Morte d’Arthur de Sir Thomas Malory), la mort du roi breton et l’échec de son utopie chevaleresque nous en disent finalement plus long sur l’état d’esprit et la géopolitique des XIIe et XIVe siècles que sur le personnage lui-même. Les différentes versions imprègnent par leurs motifs et récurrences notre représentation du souverain et de son histoire. A ce titre, son avatar cinématographique le plus convaincant demeure toujours Excalibur, film crépusculaire aux accents wagnériens de John Boorman.

En composant La Chute d’Arthur, Tolkien s’inscrit donc dans la tradition arthurienne, celle de la matière de Bretagne, où les auteurs successifs ont écrit et réécrit la même histoire, lui ajoutant des personnages et des épisodes supplémentaires, pour créer une sorte d’univers de fantasy avant la lettre. Il s’efforce d’en refaçonner la légende et lui confère sa propre senefiance (pour faire simple, on traduira le terme par celui de symbole à portée morale), tout en élaguant les passages qu’il juge superflus.

Loué pour son travail par R.W. Chambers, Tolkien n’a malheureusement pas achevé sa tâche. Sur ce point, Christopher Tolkien se cantonne aux supputations. Il préfère livrer quelques pistes, tirées des brouillons et notes de son père, sur la poursuite du récit, établissant des comparaisons avec les textes médiévaux afin d’ouvrir les perspectives sur ses choix probables. Mais surtout, il s’attache à montrer les liens qu’entretiennent les différentes écritures du Silmarillion avec le récit de La Chute d’Arthur. Dans la « Quenta », Tol Eressëa rappelle en effet l’île d’Avalon, à la fois pays de cocagne et « paradis terrestre ». Et le voyage de Lancelot vers l’Ouest, en quête de son roi en sa dernière demeure, annonce celui d’Eärendil jusqu’au Valinor. En cela, La Chute d’Arthur s’impose comme une pièce non négligeable de la longue gestation de la Terre du Milieu. Et s’il apparaît destiné avant tout à un public féru d’érudition, le travail de Christopher Tolkien est à tous points de vue passionnant puisqu’il nous ouvre les portes des coulisses d’une des œuvres majeures du XXe siècle.

Contes et légendes inachevés

Les Contes et légendes inachevés, publiés quelque temps après Le Silmarillion, et toujours sous les auspices de Christopher Tolkien, sont d’une certaine manière un volume de transition entre les précédents livres tolkieniens consacrés à la Terre du Milieu, et la vaste entreprise érudite de « L’Histoire de la Terre du Milieu » qui devait lui succéder. Les récits compilés dans ce tome, et pour l’essentiel distingués selon l’Age auxquels ils renvoient, sont certes relativement tardifs, dans la mesure où ils ont été écrits après l’achèvement du « Seigneur des Anneaux », et, s’ils ne sont pas « finis », bon nombre ont néanmoins un caractère narratif prononcé. Mais leur nature fragmentaire, leur diversité, leur sens du détail extrêmement pointilleux, sans même parler des commentaires et no-tes érudits de Christopher Tolkien, parfois envahissants, les rapprochent bel et bien de l’exégèse tolkiénienne la plus avancée.

Qualitativement, c’est probablement le Premier Age qui se montre le plus intéressant, même si le moins « surprenant », avec deux longs textes consacrés aux cousins Tuor et Túrin qui, bien qu’inachevés (le premier s’interrompt brusquement à l’arrivée de Tuor à Gondolin, tandis que le second est coupé en deux par une lacune assez conséquente), se montrent à la fois riches et palpitants, apportant des compléments bienvenus à ces histoires évoquées dans Le Silmarillion (de façon assez lapidaire pour ce qui est du premier conte, d’ailleurs).

Le Deuxième Age, logiquement, s’intéresse surtout à l’histoire de Númenor, dont on ne connaissait peu ou prou que la submersion, contée dans Le Silmarillion. Nous avons droit ici à une description géographique de l’île cadeau des Valar, ainsi qu’à une généalogie des rois descendant d’Elros, documents fort intéressants qui permettent de mieux saisir le contexte et les enjeux de la pièce maîtresse de cette partie, « Aldarion et Erendis. La Femme du navigateur », très beau conte évoquant la triste histoire d’un roi amoureux de la mer, et de son épouse délaissée. Reste encore « L’Histoire de Galadriel et Celeborn, et d’Amroth, roi de Lórien », ensemble de fragments transversaux, pointus et contradictoires ; on est submergé d’informations au travers du commentaire de Christopher Tolkien dans cette « histoire » qui n’en est pas une et n’intéressera vraisemblablement que les exégètes les plus fanatiques.

Pour ce qui est du Troisième Age, outre le beau récit « Cirion et Eorl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan », touchant et majestueux même si le passage essentiel — l’arrivée d’Eorl et de ses troupes sur les champs du Celebrant — est hélas absent, on trouvera surtout des documents venant apporter des précisions sur les romans « de hobbits », parfois surprenantes (dans « L’Expédition d’Erebor », notamment, où Tolkien essaye — tant bien que mal ? — de trouver une justification à l’insistance de Gandalf pour que Bilbo intègre la troupe des Nains de Thorin). On est ici frappé par le sens du détail de Tolkien dans l’élaboration de son univers, par la richesse presque étouffante, en somme, de l’arrière-plan de son « monde secondaire », dont l’histoire et la géographie (entre autres !) sont mûrement réfléchies.

Reste enfin une quatrième partie plus hétéroclite encore et qui ne fait que renforcer cette impression de méticulosité, avec trois textes consacrés aux Drúedain (surtout au Premier Age), aux Istari (le plus intéressant probablement, il vient en tout cas apporter nombre d’informations sur Gandalf et ses pairs) et aux Palantíri.

Les Contes et légendes inachevés sont par nature frustrants, et parfois d’un abord relativement difficile. Ces fragments n’ont bien entendu d’intérêt que pour les lecteurs du Hobbit, du « Seigneur des Anneaux » et du Silmarillion. Ils n’en constituent pas moins une plongée passionnante, pour qui est prêt à tenter l’effort, dans un univers d’une richesse inégalée, dont ils constituent un témoignage pour le moins impressionnant.

Les Enfants de Hurin

Dans les mois qui précédèrent sa sortie en fanfare, Les Enfants de Húrin sut vraiment attiser la curiosité des amateurs de Tolkien, anciens ou plus récents. Dans le prolongement du succès des longs métrages de Peter Jackson, et contrairement à certaines publications « fragmentaires », ce texte a pour lui de constituer une histoire complète et facile à résumer.

Si les habitués de Tolkien connaissaient déjà bien les grandes lignes de l’histoire de Túrin et Nienor, résumée dans Le Silmarillion, celle-ci peut se prévaloir d’être immédiatement accessible pour le néophyte : en effet, quoi de plus vendeur qu’une histoire d’amour tragique ? Néanmoins, présenter ce texte de la sorte serait toutefois réducteur. Les Enfants de Húrin, ce n’est pas cela (pas que cela, en tout cas), aux yeux de son créateur, qui entama cette histoire en 1918 sans jamais l’achever. On retrouve dans ce roman complété par Christopher Tolkien le talent de conteur du père de ce dernier dès les premières lignes du récit, ainsi que son goût pour la grande histoire. Les Enfants de Húrin se déroule longtemps avant « Le Seigneur des Anneaux », avant même que les hobbits ne fassent leur apparition en Terre du Milieu. C’est même une légende pour Frodo et les autres. Mais le ton est bien là.

Le récit se définit aussi par une noirceur nettement plus palpable que dans l’ouvrage le plus connu de l’auteur.

Certes, à l’image de son ultime chapitre, « Le Seigneur des Anneaux » se révèle loin d’être aussi rieur et positif qu’on peut l’imaginer en se livrant à une lecture superficielle ou en se contentant des films de Peter Jackson. La fausse trilogie contient une mélancolie et une amertume qui accompagnent le lecteur longtemps après avoir laissé Sam Gamegie chez lui, à Cul-de-Sac. Quiconque s’est penché ne serait-ce que sur Le Silmarillion a pu découvrir son lot d’histoires dramatiques et de destins terribles — Feänor, Húrin lui-même… —, souvent bien plus épiques encore que les aventures de la Communauté de l’Anneau. Au Premier Age, les Dieux arpentent la Terre du Milieu et leur sang coule.

Ici, la machination du Grand Ver Glaurung, l’amnésie du personnage de Nienor et son ultime décision, se révèlent d’autant plus frappants, car le lecteur a cette fois eu le temps de s’attacher au couple qu’elle forme avec Túrin. Nous ne sommes plus dans la retranscription d’événements passés sous la plume d’un chroniqueur, mais nous vivons cette histoire avec ceux-là même qui en subissent les terribles épreuves (dès le chapitre 2, on se retrouve au cœur de la Bataille des Larmes Innombrables). Si les différents tomes de « L’Histoire de la Terre du Milieu » et, dans un degré moindre, Le Silmarillion, sont souvent présentés comme à réserver à celles et ceux qui veulent vraiment pousser très loin le curseur encyclopédique de leurs connaissances, Les Enfants de Húrin se lit comme un roman plus classique, qui démontre que l’œuvre de Tolkien en dehors du « Seigneur des Anneaux » ne se limite pas à Bilbo, aux Aventures de Tom Bombadil ou aux Lettres du Père Noël.

Les Enfants de Húrin est avant tout une grande histoire poignante qui nous conduit au cœur du Premier Age et des légendes du Beleriand, au plus près de certaines figures les plus marquantes créées par Tolkien. Ce roman constitue indéniablement l’une des pièces maîtresses de l’œuvre de J.R.R. Tolkien. Et à choisir, pour le lecteur cherchant à percer les mystères du Premier Age, c’est une porte d’entrée sans doute plus aisée à franchir que Le Silmarillion.

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