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Arca

Des histoires d’arches stellaires, on en a lu des milles et des cents : « Le Navire-Étoile »de E.C. Tubb ; Tau Zéro de Poul Anderson ; Le Papillon des étoiles de Bernard Werber ; L’Incroyable odyssée de Guy Charmasson ; Croisière sans escale de Brian W. Aldiss ; La Ballade de Bêta 2 de Samuel R. Delany, ou encore L’Univers captif de Harry Harrison. Et bien d’autres encore, du meilleur au pire. Romain Benassaya pouvait-il encore ajouter une pierre à l’édifice ? Il s’y est essayé. De là à dire qu’il a renouvelé le thème pour son premier roman, il y a une douve…

Le contexte nous propose une Terre moribonde, une société à bout de souffle qui brûle la chandelle par les deux bouts, s’évertuant à terraformer Mars en y déportant massivement et en vain sa jeunesse par l’entremise de compagnies aussi avides que rivales. C’est dans ce contexte que Sorany Desvoeux, en mission sur un satellite de Saturne, y découvre autant qu’elle est choisie par lui l’artefact d’Encelade qui va offrir à l’humanité agonisante la perspective de coloniser une planète extrasolaire et, au-delà, celle d’une expansion galactique.

Dans la première partie d’exposition – la plus pénible –, alternent les chapitres à bord d’Arca, à l’approche du seuil – le franchissement de la vitesse de la lumière – alors que des tensions se font jour, et des chapitres situés dix ans plus tôt, quand Sorany Desvoeux découvre l’artefact. Durant la deuxième partie, l’intrigue se noue à bord tandis que les tensions s’exacerbent et que se manifeste le dernier élément à apparaître. On découvre aussi, encore en chapitres alternés, le passé de Frank Fervent, le deuxième rôle, et à travers lui ce qui se passe sur Mars. Dans l’ultime partie, les différentes pièces du puzzle achèveront de se mettre en place en vue de la conclusion tandis que l’on retrouvera Sorany Desvoeux dans une situation conférant à Arca un air de remake littéraire d’Interstellar. Même si déjà vu, cet aspect est plutôt du côté de ce qui est réussi dans ce roman.

Arca est donc une arche stellaire qui va franchir le mur de la lumière mais n’en subira pas moins des effets relativistes. L’auteur ne semble pas bien maîtriser cet aspect et, du coup, ne fait pas le choix qui s’impose – n’écrit pas Tau Zéro qui veut ! Les passagers, au nombre de trois mille six cents, ont été judicieusement choisis… par Bernard Werber ? Parce qu’à peine parti, les voilà se convertissant en masse à la nouvelle religion d’Enlil, technologie aidant, et déjà pris d’une furieuse envie de se foutre sur la gueule. On flirte là avec Le Papillon des étoiles (ce qui n’est pas un compliment, pour faire dans l’euphémisme). Le livre donne l’impression que les passagers sont beaucoup plus nombreux que le chiffre annoncé, à savoir, en somme, la population d’un gros village isolé où tout le monde ne devrait pas tarder à se connaître, au moins de vue… Ce qui n’est pas le cas, même du flic ! Nulle différence non plus entre équipage, passagers, futurs colons, qui a un rôle à bord et en aura un autre à l’arrivée, etc.

Bref, un premier roman qui souffre de gros défauts… mais qui y survit malgré tout. Non sans mal, certes, mais tout de même, jusqu’à mieux finir qu’il n’avait commencé. L’éditeur aurait dû faire remettre ce roman sur le métier, encore et encore… Peut-être cela a-t-il été fait, mais insuffisamment. Un éditeur plus exigeant aurait-il d’emblée refusé Arca ? Nul doute que ce livre aurait beaucoup gagné à davantage de direction d’ouvrage. Pour un coup d’essai, ce n’est pas un coup de maître. Il faudra revoir Romain Benassaya.

Sitrinjêta

Christian Léourier a les crocs. Après les campagnes et les forêts glaciales de Dur silence de la neige, paru presque simultanément chez les Moutons électriques, retour à l’espace. La Terre est un terrain de jeu trop petit pour l’auteur de « Lanmeur », habitué à voyager aux confins de galaxies lointaines, très lointaines…

Cette fois-ci, l’avenir de toutes les espèces pourrait bien reposer sur les épaules de Hénar Log Korson, aventurier terrien hâbleur et roublard, bientôt traqué par la moitié de l’univers pour avoir accepté de convoyer un vaisseau dans les soutes duquel repose une relique aux pouvoirs XXL. À ses côtés : Svaun, un pilote trans amateur de géométrie non euclidienne, et Ullinn, princesse ramenarde tout juste réveillée de son sommeil cryogénique. Quelques individus au pedigree louche viennent compléter la mauvaise troupe. La fine fleur des étoiles, quoi… L’affaire tourne rapidement au jeu de dupes entre les membres de l’équipage et le (ou les) commanditaire(s) de l’expédition, plusieurs factions extraterrestres rivales, ainsi qu’une administration galactique tatillonne : il s’avère que l’artefact suscite bien des convoitises et que tous, à des degrés divers, ont intérêt à ce qu’il parvienne à destination… mais quelle destination au juste ? Hénar se retrouve souvent forcé de sympathiser avec ses adversaires pour mieux louvoyer au milieu des complots et des retournements d’alliance, d’autant plus que le précieux chargement semble lié à tout un pan obscur de son histoire personnelle, qu’il a choisi sciemment d’oublier…

Sitrinjêta est un ouvrage composite qui emprunte autant à Star Wars qu’à La Faune de l’espace ou à Cobra Space Adventure (liste bien évidemment non exhaustive). Pour faire avancer l’action et accrocher le lecteur, l’ensemble repose moins sur la dynamique de groupe et la construction d’un univers (point fort de l’auteur) que sur les soubresauts d’une intrigue à triple fond qui semble se dérober à mesure qu’elle se dévoile. L’enchaînement des péripéties jusqu’au twist cosmogonique final est tellement bien huilé qu’il fait oublier toutes les fautes de goûts en matière de planètes, extraterrestres et vaisseaux trop peu exotiques ou de personnages tristement fades. Pour un Hénar convaincant en Han Solo du pauvre, combien de seconds couteaux à peine esquissés ?… Heureusement, à côté du chef scout de la bande, Ullinn apporte une dimension badass, façon SuckerPunch, assez rafraîchissante.

Quintessence du space opera populaire, les meilleures productions estampillées Fleuve Noir ne valaient que par la capacité de leurs auteurs à trouver des interstices entre le scénario, le casting et les scènes de batailles navales imposées où ils pouvaient glisser leur patte. S’inscrivant dans la même lignée, Sitrinjêta n’a pas à rougir ; Christian Léourier s’en sort même étonnement bien si l’on considère l’aspect casse-gueule du projet (un one-shot d’à peine trois cents pages) pour un auteur dont l’imaginaire n’aime rien tant qu’avoir les coudées franches afin d’exprimer toute sa richesse et sa force poétique (en témoigne le cycle de « Lamneur »). De fait, s’il n’échappe pas à un certain classicisme, le ton – et l’écriture – suffisent à rendre le livre éminemment sympathique et à le distinguer de la masse des blockbusters signés David Weber, Jack Campbell et consorts.

Refuge 3/9

Transfuge des éditions Mirobole, Nadège Agullo a rejoint Estelle Flory, Sébastien Wespiser et Sean Habig pour fonder sa propre maison au début de l’année 2016. Parmi les premières publications, on y retrouve naturellement une partie du catalogue de l’éditeur bordelais, à commencer par Anna Starobinets. L’auteure russe n’est pas une inconnue pour les lecteurs de Bifrost. On lui doit notamment le recueil Je suis la reine et le roman Le Vivant. Avec Refuge 3/9, titre plus ancien dans sa bibliographie, elle accouche d’un récit insolite qui, sans doute, désarçonnera plus d’un lecteur par son étrangeté – n’étant pas sans rappeler ENtreFER de Iain Banks.

Résumer l’intrigue de Refuge 3/9 relève d’un exercice de haute voltige qui au final ne contribuerait qu’à l’amoindrir. Que le lecteur potentiel sache tout de même qu’on y suit le périple d’une photographe transformée en clochard mourant, de Paris à la frontière russe, alors que le monde s’apprête à succomber à une apocalypse d’ampleur cosmique. On y côtoie également un garçon de sept ans, kidnappé dans un train fantôme par un mort-vivant qui l’emmène dans une isba perdue au fond d’une forêt sans fin. À moins qu’il n’ait été hospitalisé dans une clinique après une chute grave. Les faits nous glissent entre les mains comme une savonnette, et l’irruption de son père, transformé en araignée, et d’une ribambelle de créatures issues du folklore russe (l’Osseuse, la Dormeuse, l’Immortel, le Sylvain, le Paludéen pour n’en citer que quelques-unes) n’arrangent pas la situation.

Avec Refuge 3/9, Anna Starobinets a écrit un roman puissant et inquiétant. Le thriller y croise le conte fantastique et le roman catastrophe sur fond de surréalisme. L’auteure russe ne ménage en effet pas sa peine pour instiller l’angoisse et l’horreur, s’amusant à changer de registre sans transition au détour d’un chapitre ou même d’une page. Elle mêle l’effroi du fantastique à une atmosphère globalement anxiogène, multipliant les effets comiques, voire grotesques. Elle joue enfin avec les limites des genres, poussant le jeu jusqu’à bousculer les frontières entre le réel et la fiction. Le récit oscille ainsi entre le cauchemar éveillé, le road novel bizarre et la prophétie apocalyptique réalisée, mélangeant le délire des augures du Net aux motifs traditionnels des contes.

Bref, voici un roman étonnant, bien dans la veine du recueil Je suis la reine. De quoi aborder l’imaginaire russe contemporain avec l’univers d’un auteur qui s’impose d’emblée comme un incontournable. Assertion non négociable.

Le Prince-Marchand

Née sous les auspices du pulp et de la nouvelle, la science-fiction, du moins dans son acception américaine, a aussi donné lieu à d’immenses cycles prenant pour toile de fond le champ apparemment infini de l’espace. Des Histoires du futur bâties au rythme des récits, courts ou longs, qui en composent l’ossature, parfois arrangés a posteriori pour faire sens.

Édité jusque-là de manière lacunaire et désordonnée dans nos contrées, le cycle de « La Civilisation Technique » de Poul Anderson semblait un peu le parent pauvre de ces histoires popularisées par Robert Heinlein, Isaac Asimov ou Cordwainer Smith, pour ne citer que les plus connues. Sous la houlette de Jean-Daniel Brèque, les éditions du Bélial’ ont donc entrepris de restituer la continuité de cette geste du futur en commençant par les récits de sa première époque, ceux correspondant à « La Ligue polesotechnique », rebaptisée ici « Hanse Galactique ». Cinq volumes sont d’ores et déjà programmés, avec pour le présent titre une présentation de Jean-Daniel Brèque et une chronologie élaborée par Sandra Miesel, grande spécialiste de l’œuvre d’Anderson.

À tout seigneur tout honneur, Le Prince-Marchand se compose d’une nouvelle inédite (« Marge bénéficiaire ») et d’un roman (Un homme qui compte) déjà paru dans l’Hexagone sous le titre Le Peuple du vent. Publiés respectivement en 1956 et 1958, les deux textes relèvent d’une science-fiction lorgnant un tantinet vers le pulp et l’aventure. « Marge bénéficiaire » permet de découvrir le personnage haut en couleur de Nicholas van Rijn, confronté ici au corporatisme d’un syndicat et au protectionnisme d’une planète. Prince-marchand membre de la Ligue polesotechnique, le bonhomme apparaît d’emblée comme un parangon de roublardise qui n’accorde d’importance qu’à la libre entreprise. Volontiers hâbleur, pour ne pas dire insupportable, van Rijn a su mettre à profit l’éclatement de la structure étatique terrestre, après la Rupture de la conquête spatiale, pour développer des activités prospères dans le domaine du commerce des épices et des liqueurs* (*authentique). Si l’intrigue de la nouvelle ne casse pas trois pattes à un canard, elle constitue une bonne entrée en matière, mettant en valeur la rouerie du personnage, son appétit insatiable et sa gouaille inénarrable en matière de jurons fleuris.

Un homme qui compte paraît beaucoup plus consistant, du moins si l’on se fie à sa pagination. Pour le reste, c’est une nouvelle fois un récit d’aventure saupoudré d’une bonne pincée de dérision. Ayant quitté le confort de son bureau terrestre, Van Rijn a fait naufrage avec deux compagnons sur la planète Diomède. Les lieux sont habités par des créatures volantes dont la civilisation n’a pas évolué au-delà de l’âge de pierre, faute de ressources en métaux suffisante. L’accident ayant été provoqué par un sabotage, loin de toute implantation humaine, les secours ne risquent pas d’arriver dans l’immédiat. Un fait fâcheux car la faune et la flore de la planète ne sont pas comestibles pour un humain, et les autochtones semblent plus occupés à se faire la guerre qu’à venir en aide à autrui. Le prince-marchand peut néanmoins compter sur quelques provisions de bouche, sa ruse et ses talents d’orateur pour assurer sa survie.

Sur une trame sans surprise, Poul Anderson s’amuse des codes du pulp tout en faisant œuvre de démiurge en créant ex nihilo un monde et ses créatures. Passés les lieux communs du genre, il prend garde de respecter une certaine cohérence, imaginant une planète crédible au regard des hypothèses scientifiques qui président à son élaboration. Le résultat oscille ainsi entre la pochade et le planet opera, mais l’intrigue n’est pas sans rappeler aussi celles d’autres récits où le héros précipite l’histoire d’une civilisation en mettant ses talents de tacticien et de politicien au service d’une faction. Sans dresser une liste exhaustive, on pense notamment à Padway, le personnage créé par Sprague de Camp dans De peur que les ténèbres. La comparaison s’arrête toutefois là, car Un homme qui compte bénéficie d’un personnage principal bien moins terne. Difficile en effet de résister aux réparties tonitruantes de van Rijn, à sa totale absence de scrupules et au décalage introduit par chacune de ses apparitions. On sent que Poul Anderson s’amuse beaucoup, même si on peut lui reprocher le didactisme de l’explication finale.

En dépit de ce léger bémol, Un homme qui compte se révèle une lecture plaisante et sans prétention. Un divertissement honnête, à la tonalité surannée, dont on attend déjà la suite, un deuxième volume totalement inédit qui devrait s’intituler Aux comptoirs du cosmos. De quoi peut-être remettre en perspective ce volet inaugural.

Images fantômes

La vocation de Cass Neary reste un mystère, même pour elle-même. Devenue photographe pour tenter de fixer sur la pellicule les visions indicibles qui impressionnaient sa rétine durant son enfance, et dont elle était la seule à percevoir les étranges motifs, elle a connu ensuite une brève notoriété dans le milieu punk new-yorkais. Depuis, plus d’une vingtaine d’années s’est écoulée. Cass a renoncé à la photographie, mais pas à ses diverses addictions. Alcool et drogue ont adouci son existence et fait le vide autour d’elle. Aussi, lorsque Phil, une vague relation de l’époque où elle écumait les clubs new-yorkais, lui propose d’interviewer Aphrodite Kamestos, une figure de la contre-culture des années 60 à laquelle elle voue un culte, elle ne réfléchit pas longtemps, quitte à braver le climat du Maine au mois de novembre pour rejoindre l’île où l’artiste vit en recluse depuis des décennies. Elle ressort son vieux Konica, chausse des santiags et revêt son blouson de moto élimé, faisant route vers ce bout du monde, une flasque de Jack Daniel’s dans la boîte à gants, histoire de se donner du courage.

La parution dans l’Hexagone d’un roman d’Elizabeth Hand est une excellente nouvelle, d’autant plus que depuis la traduction de L’Ensorceleuse (un chef-d’œuvre, assertion non négociable – disponible en poche chez Folio « SF »), l’amateur en était réduit à la portion congrue, ou du moins devait se contenter de la version originale. On ne peut donc que se féliciter de l’initiative de la maison sœur des éditions Sonatine qui, en publiant Images fantômes, permet au néophyte comme au connaisseur de s’immerger dans une œuvre foutrement addictive.

Comme le laisse deviner le titre américain (Generation Loss), un terme technique en photographie ou vidéo pour désigner une perte de qualité de l’image à force de copies répétées, l’auteure se focalise, non sans une certaine nostalgie, sur deux époques marquées par l’anticonformisme, deux périodes brèves et denses dont l’énergie créatrice, à force de ressassements mortifères, s’est finalement dispersée.

Images fantômes apparaît un peu comme le Armageddon Rag d’Elizabeth Hand. L’auteure y fête les noces macabres de l’underground et de la contre-culture, lorgnant juste de façon subliminale du côté du fantastique. Elle y dévoile une galerie de personnages insolites et inquiétants, s’attachant à révéler les zones d’ombre des avant-gardes déviantes dont ils sont issus. Au fil de son séjour dans l’île de Paswegas, Cass la féroce bascule de l’autre côté de l’objectif, appréhendant le monde et ses arcanes selon un angle de vue où le sublime confine au macabre. Une perspective faussée et meurtrière que n’aurait pas désavoué Charles Manson. Le décor hivernal et sauvage des côtes du Maine se prête idéalement à sa quête. Elizabeth Hand confère aux forêts de pins, aux rivages rocheux recouverts de varech, aux plages de sable abandonnées par les estivants et jusqu’à la mer menaçante, une réelle substance, offrant ainsi un contrepoint tangible aux tourments de Cass. La photographe se révèle le véritable point fort du roman. Écorchée vive, prête à tout pour obtenir une réponse, au risque de se faire voler son âme, à l’instar de ces croyances indiennes qui réprouvaient la photographie, elle guide le lecteur sur les voies de la transgression jusqu’à un dénouement pouvant paraître hélas un peu faible au regard des prémisses.

En dépit de ce bémol, saluons cependant les éditions Super 8 pour leur choix assumé, en espérant lire Available Dark et Hard Light, les deux séquelles de ce roman.

Arslan

Entre la Guerre du Vietnam et la prise d’otages de Téhéran, le roman de M. J. Engh s’inscrit dans une période de doute et de revers pour les États-Unis, au point de susciter l’inquiétude de ses habitants quant à la capacité de l’Oncle Sam à les défendre. Sur ce contexte, l’auteure américaine vient greffer l’intrigue de son roman, donnant corps au cauchemar d’une Amérique en proie à l’occupation, dépouillée de son destin de nation promise à un grand avenir.

La lecture d’Arslan réactive une figure de la mémoire collective. Celle incarnée par Gengis Khan ou Tamerlan, voire Attila. Autrement dit, le conquérant asiatique, le barbare dont la réputation de cruauté précède les ravages accomplis par ses armées et dont l’irruption sonne le glas de la civilisation. Du fin fond d’une Amérique rurale et chrétienne, Franklin Bond observe de loin l’irrésistible conquête de la Terre par un obscur dictateur asiatique issu d’un État tampon, entre Chine et URSS. Par un coup de bluff que l’on ne déflorera pas ici mais qui demande à avoir la suspension d’incrédulité bien accrochée, Arslan impose son autorité sur le gouvernement des États-Unis après avoir conquis l’Europe et l’Asie. Accompagné de sa « horde » de vétérans, il prend ses quartiers à Kraftville où habite Bond, ne tardant pas à mettre la petite ville en coupe réglée. D'emblée, le personnage fascine le directeur du collège. D’abord par sa banalité. Jeune, charismatique, sûr de lui, intelligent, le bonhomme se montre également implacable, imposant par le meurtre et la terreur son autorité. Mais sa banalité ne cache pas longtemps son goût pour le mal. Dès son arrivée, il viole une jeune fille et un garçon de 12 ans, avant de révéler un appétit sexuel dévoyé. Pourtant, Arslan n’est pas le barbare intégral. Il n’est pas davantage un psychopathe ou un mégalomane. Il a une vision, un plan pour sauver l’humanité d’elle-même, plan qu’il s’applique à mettre en œuvre sur une période de vingt années sous le regard de Franklin Bond, son seul opposant, et de Hunt Morgan, la victime consentante de son sadisme.

Autant le dire tout de suite, Arslan relève plus de l’allégorie que du roman de politique-fiction. Il ne faut pas chercher en effet une once de rationalité dans le plan du dictateur et dans la façon dont il conquiert le monde. M. J. Engh préfère focaliser son attention sur un trio de personnages dont on suit l’évolution au fil des aller et retour du conquérant dans la communauté de Kraftville. Franklin Bond tient tête au dictateur, optant pourtant pour la collaboration afin d’éviter le pire pour sa communauté. Ceci ne l’empêche pas d’entretenir un double-jeu, organisant en coulisse un réseau de résistance. La personnalité de Hunt apparaît beaucoup plus complexe. Violé par Arslan à l’âge de 12 ans, le jeune garçon éprouve des sentiments ambigus envers son bourreau. Partagé entre la haine et l’amour, il attache ses pas à ceux du dictateur pour conserver sa dignité. Quant à Arslan, loin de rester un tyran tout au long du roman, il programme sa propre disparition, confiant son sort aux mains de ceux qu’il a opprimés.

Image du monde et des États-Unis en réduction, le microcosme de la petite ville permet à l’auteure de mettre en scène l’occupation de son propre pays par une force étrangère, dévoilant une comédie humaine guère éloignée de celle vécue par les Européens pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre résistance et collaboration, les concitoyens de M. J. Engh s’y révèlent d’une mesquinerie et d’une veulerie assez détestable.

Si l’on se fie à ses seuls éléments, Arslan se rattache donc davantage au mainstream, proposant un point de vue amoral qui agace, voire dérange. En auscultant les zones d’ombre de la psyché, le roman de M. J. Engh confine à une certaine universalité qui n’est pas sans susciter quelques échos, encore à notre époque. Bref, voici de quoi réfléchir et débattre.

Watership Down

Peu après l’extraordinaire Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan (critique dans Bifrost no 82), les éditions Monsieur Toussaint Louverture nous offrent un deuxième livre d’importance, bien rare en France depuis sa première traduction en 1976, et pourtant largement diffusé dans le monde entier avec plus de cinquante millions d’exemplaires vendus : Watership down, du britannique et quasi-centenaire Richard Adams.

C’est une véritable épopée, au ras glorieux des pâquerettes, dont il est question : les héros en sont deux frères lapins, le rusé Hazel et le prophétique Fyveer. Ce dernier sent peser sur la garenne un danger imminent. Tous deux essaient de convaincre le maître Padishâ de faire déménager en urgence toute la communauté. Peine perdue. Hazel décide alors de faire confiance à la vision de son frère et réussit à constituer un petit groupe qui réalise l’impensable : quitter la garenne pour partir à l’aventure, vers une terre inconnue plus paisible. Il leur faudra faire preuve de plus d’audace, de courage, de ténacité qu’ils ne s’en sont jamais sentis capables. Ils devront traverser les épreuves, surmonter les blessures, mépriser la mort pour faire renaître ailleurs une nouvelle garenne…

Trop humains, ces lapins ? Que nenni ! Car Adams n’oublie jamais que ce ne sont que des bêtes, avec leur mode de vie, leurs règles sociales, leurs sentiments propres, leur ignorance totale de toute technique (sinon celle de creuser !), leur rapport au temps et à la nature ou bien encore à l’amour. C’est là un des principaux charmes pour le lecteur, qui se sent dépaysé dans la peau de ces héros qui figurent quelque état primordial de la civilisation, un peu comme ces hommes mis en scène dans les grandes épopées occidentales ou orientales. C’est donc sans surprise que dans ce roman on retrouvera métamorphosés Ulysse, bien sûr, et ses voyages (notamment au pays des Lotophages), Énée exilé de Troie et qui peine à s’installer dans le Latium (leur principal ennemi, le général Stachys, n’a rien à envier à Turnus), ou bien encore Gilgamesh… Tout comme ces héros, nos lapins sont passionnés de récits légendaires, surtout la geste du mythique lapin Shraavilshâ, roi de la ruse, qui ne recule devant rien, pas même devant une bonne vieille catabase. Pour notre bonheur de voir s’enchâsser les histoires, les amis se narrent ses aventures au fil des leurs et redoublent ainsi la trame épique du livre. C’est d’ailleurs un trait propre à l’écriture d’Adams que de jouer sans cesse avec habileté sur cette profondeur littéraire, notamment en plaçant en exergue de chaque chapitre un court extrait emprunté à des registres fort divers, de Platon à Walter de La Mare. Et comme tout vrai démiurge, il va jusqu’à créer la langue de ses héros, le Lapine, dont il parsème ses pages.

Watership down est un grand récit d’aventure qui se dévore et qui plus d’une fois vous mettra sfar, comme disent nos chers léporidés. Mais pas que… Bien évidemment, ces petits êtres fragiles nous délivrent quelques vérités sur notre humaine condition, la politique, l’écologie, bien qu’Adams se soit toujours défendu de faire une œuvre engagée. À vous de voir. Et pour poursuivre l’aventure, les plus mordus iront lire en anglais les textes de The Tales of Watership Down (1996), toujours inédits en français…

Lesabéndio

Sous une élégante et sobre couverture d’un violet métallisé traversée par un astéroïde noir, paraît aujourd’hui la première traduction française d’un roman de science-fiction intrigant, fantaisiste et spéculatif : Lesabéndio, de l’écrivain allemand Paul Scheerbart (1863-1915). Félicitons-nous que ce texte, publié pour la première fois en 1913, et qui connaît légitimement un intérêt renouvelé depuis sa traduction anglo-saxonne en 2012, soit enfin accessible au lecteur français non germanophone : il saura surprendre et charmer, et surtout nous faire découvrir une œuvre importante de la science-fiction du XXe siècle.

En 25 chapitres d’une petite dizaine de pages, Scheerbart met en scène la quête métaphysique des habitants de l’astéroïde Pallas, sous la direction d’un rêveur inspiré du nom de Lesabéndio. Les Pallasiens mènent une vie douce sur leur astre-tonneau, composé d’un cratère au nord et d’un autre au sud. Ils peuvent y étirer leur long corps malléable, aux nombreux membres, pourvu d’ailes dans le dos qui les font voler avec grâce dans le cirque rocheux du cratère nord, à moins qu’ils ne choisissent de se déplacer sur l’un des nombreux rubans-rouleaux qui relient les sommets de leur petit monde. Le soir venu, ils assistent aux étranges concerts d’un des leurs ayant disposé au centre de l’astre d’immenses toiles qui vibrent au passage du vent. Ils se retirent ensuite sur l’un des grands champs de champignons dont ils se nourrissent en les absorbant par la peau, tout en fumant l’herbe à bulle qui leur pousse sur l’épiderme. Leur principale préoccupation est la pratique des arts. Jusqu’à ce qu’un jour cet esprit curieux nommé Lesabéndio décide de savoir ce que peut cacher le nuage qui éclaire Pallas la journée avant de s’obscurcir tous les soirs en descendant vers le fond de la vallée. Il se met en tête de convaincre les autres Pallasiens de construire une tour gigantesque, d’une dizaine de lieues de haut, pour aller percer ce secret. C’est un bouleversement majeur pour la société pallasienne, qui doit accepter de faire passer au second plan ses activités purement artistiques pour se dédier à une mission dont le but lui échappe, mais qui concerne profondément sa condition et son avenir. Sous la conduite de Lesabéndio, les Pallasiens entreprennent l’immense chantier qui fait d’eux, bon gré mal gré, de subtils architectes, en espérant que leur guide pourra les faire profiter de son initiation…

Voilà résumé à gros traits un roman dont la lente fantaisie se déploie avec ampleur et magnétisme au fil de scènes de voyages fabuleux dans les astres, de discussions métaphysiques sur le sens de l’existence, les moyens d’accéder au savoir et au bonheur, la place à accorder aux arts et aux progrès d’une civilisation. Vastes problèmes servis par une imagination foisonnante et jamais abordés de façon dogmatique, Scheerbart étant lui-même un être pluriel, tout à la fois artiste, rêveur, penseur, architecte, utopiste, persuadé comme seul un poète peut l’être que la solution à nos problèmes est sous nos yeux et que nous ne la voyons pas. Sans doute est-ce pour cela qu’il consacra si longtemps ses forces à créer un mouvement perpétuel qui bouleverserait profondément l’humanité, comme on peut le lire dans Perpetuum mobile. L’histoire d’une invention (Zones sensibles, 2014), et qu’on ne saurait trop recommander, après la lecture de son roman chef-d’œuvre.

Station Eleven

Toronto, bientôt. Victime d’un infarctus, le célèbre acteur Arthur Leander s’effondre sur scène en pleine représentation du Roi Lear. En dépit des efforts de Jeevan, un secouriste présent dans le public, il meurt sous les yeux de Kirsten – 8 ans, sa partenaire dans la pièce –, « échappant » ainsi à la pandémie de grippe qui, dès le lendemain, embrase la planète et tue en peu de semaines presque toute l’humanité. Vingt ans après, dans un monde en ruines, La Symphonie Itinérante – groupe de survivants à la fois troupe de théâtre et orchestre – parcourt le Michigan en jouant de communauté en communauté. Entre un monde qui se souvient, un monde qui oublie, un monde qui ignore et un monde qui sombre, difficile de rester humain. La culture peut y aider. C’est en tout cas le crédo de la troupe : « Parce que survivre ne suffit pas. » Une troupe dont Kirsten fait partie. Et là, on sent venir le problème. Oscillant entre les trente années précédant la catastrophe et les vingt années qui la suivent, le roman – vendu comme post-apo’ – compte au moins autant de pages pré-grippe que post-grippe.

Pré-grippe : la vie et l’œuvre de Leander. Ses débuts, son succès, ses mariages, ses divorces, Hollywood, la presse people, les paparazzis, etc. Qu’en tire-t-on ? Quelques banalités sur l’importance de ne pas vivre une vie non désirée, de devenir qui on est, et d’atteindre enfin à la simplicité comme épiphanie.

Post-grippe : on est bien après les évènements. Si quelques nuisibles trainent encore, les troubles sont finis. Cheminant au milieu des vestiges d’une civilisation que les plus jeunes n’ont pas connue, la troupe connait le danger mais rien qu’elle ne peut gérer. Ses problèmes normaux, le roman le dit, sont ceux de tout groupe humain : jalousie, médisance, énervement. Et puis il y a ce Musée de la Civilisation, installé, paraît-il, à l’aéroport de Severn City, vers lequel se dirige la Symphonie et d’où viendrait, c’est surprenant, l’inquiétant prophète qui la poursuit.

Prix Arthur C. Clarke 2015, Station Eleven bénéficie d’une très bonne presse. Rien d’étonnant tant c’est romanesque au mauvais sens du terme. Enchevêtrement de destins qui se croisent avant et après la catastrophe (si on aime Molière et ses retrouvailles improbables, on adorera), passage de témoin par le biais d’objets transmis et retransmis par-delà les années de personnage en personnage, univers familier et clinquant avant, monde jamais stressant après, histoires d’amour qui finissent mal, importance de bien choisir sa voie sans se perdre en chemin, rédemption par la parentalité, fut-elle de substitution, rien ne manque. De personnages sans nom (le gros de la troupe) en situations émotionnellement convenues, le roman offre un plat voyage en terre inconnue qui ne risque jamais de déstabiliser le lecteur. Même les pages dans lesquelles la civilisation s’éteint un morceau après l’autre, qui devraient nous terroriser, sont plus stressantes dans La Terre demeure de George R. Stewart, et bien plus émouvantes dans le Bone Clocks de David Mitchell ; d’autant qu’à la fin on sent bien que les choses vont finir par s’arranger.

Si j’avais dû offrir un post-apo’ à ma grand-mère, qui n’aimait ni le sexe ni la violence et lisait assidûment Jours de France, je lui aurais offert Station Eleven.

Un pont sur la brume

Nouvel « Heure-lumière » avec Un pont sur la brume, une bien jolie novella de Kij Johnson, entre SF et fantasy. Nebula 2011 et Hugo 2012, Un pont sur la brume, par son ambiance crépusculaire lotek éveille, dans un cadre très différent, le type de sensations qu’amenait la lecture des Soldats de la mer.

Procheville, une petite bourgade dans un empire sans nom que survolent deux lunes la nuit, est séparée de Loinville, sa localité jumelle, par un fleuve de brume de quatre cents mètres de large qui coupe l’empire en deux avant de se jeter dans l’Océan de brume. Depuis toujours il faut prendre le bac pour aller d’une rive à l’autre car aucun pont n’existe. Bacs et barques de pêche naviguent donc bien sur l’étrange matière – que ce soit pour faire la traversée ou pour aller capturer les gros poissons dont on tire une chair savoureuse et la peau qui recouvrira les coques et les protègera de la corrosivité de la brume –, mais si pêcher près des rives n’est pas très risqué, traverser s’avère dangereux car la brume est imprévisible, caustique, et abrite, dit-on, des géants dans ses profondeurs. C’est pour cela qu’arrive à Procheville l’architecte Kit Meinem. L’empire l’envoie construire un pont sur la brume.

La novella est une histoire de construction périlleuse qui peut rappeler la belle BD La Voie ferrée au-dessus des nuages de Li Kunwu. Mais c’est surtout l’histoire d’un homme qui, de lieu en lieu, amène le changement puis part avant d’en voir les effets. Créant un passage rapide et sûr entre l’Est et l’Ouest de l’empire, Kit les solidarisera et, inévitablement, augmentera leurs échanges, tant économiques que culturels. Positif, donc. Mais pour les habitants des deux bourgades, qui vivent de la traversée, Kit est la destruction créatrice de Schumpeter personnifiée. Débarquant avec sa science et le capital de l’État dans une petite communauté où, comme dans le Japon médiéval, on n’a même pas de nom si ce n’est celui de sa profession, rendant continu un chemin qui, jusqu’alors, était discontinu car on ne traversait que quand on « sentait » la brume, dans un mélange d’expérience et de mystique peu rationnelle, Kit détruira, sans même le vouloir, les modes de vie traditionnels en apportant l’innovation. C’est sa proximité puis son amour pour la passeuse Rasali Bac qui l’amènera, pour la première fois de sa vie, à s’interroger sur les effets de son travail et à évaluer sa responsabilité personnelle. Non manichéen, le récit montre que les modes de vie traditionnels ne sont pas forcément des trésors à préserver, qu’ils peuvent être durs ou cruels, qu’on peut vivre le changement comme un déchirement ou une perte mais aussi comme l’occasion de s’extraire de la tradition et d’aller au-delà de la colline pour voir ce qui s’y trouve. Texte subtil qui peut se lire autant comme aventure personnelle que comme allégorie politique, Un pont sur la brume (titre VO : The Man Who Bridged the Mist) est une belle novella d’une auteure trop peu traduite.

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