Connexion

Actualités

La Belle aux bleus d’argent

Premier tome d'une série de fantasy humoristique, La Belle aux bleus d'argent met en scène Garrett, un privé qui travaille dans un monde peuplé de créatures de fantasy, elfes, trolls… et métis de ces différentes races. On le charge d'une mission : retrouver une femme, qu'un ami de Garrett a désignée comme sa seule héritière. Personne ne savait qu'ils entretenaient une relation suivie ; en outre, Garrett découvre qu'il s'agit d'une de ses anciennes compagnes. Il accepte donc de se charger de l'enquête, même si celle-ci comporte de nombreux risques, le moindre d'entre eux n'étant pas de pénétrer dans le Cantard, un territoire ravagé par la guerre entre les différentes espèces. Heureusement pour lui, Garrett sera secondé par un elfe noir et trois grolls — métis de trolls et d'humains, entre autres — athlétiques, ce qui lui permettra de se sortir de nombreuses mauvaises passes. Mais réussira-t-il à retrouver la disparue, dont le caractère semble s'être mystérieusement modifié depuis sa rupture avec le détective ?

De Glen Cook, on connaissait surtout sa série de La Compagnie Noire, chef-d'œuvre de la fantasy moderne, plongée sombre et cynique dans le monde militaire raconté par le médecin-chef d'une unité. Même si on en retrouve parfois le même ton dans La Belle aux bleus d'argent (notamment les scènes se déroulant dans le Cantard, très proche de l'univers où évoluent Toubib et les siens), on est ici dans un registre beaucoup plus léger. Il s'agit d'un récit d'aventures mené tambour battant, sans temps mort, sans passage introspectif comme il peut y en avoir dans La Compagnie, et conté avec drôlerie. Les personnages sont croqués avec bonhomie, et Glen Cook s'est amusé à injecter des clichés, tout en jouant avec. D'où, par exemple, cette idée d'êtres hybrides, qui pullulent littéralement, au détriment des êtres « pure race » qui sont finalement peu nombreux. Parmi les personnages, on retiendra notamment les grolls triplés, deux costauds imperturbables et quasiment muets, du nom de Doris et Marsha, et un nabot comme troisième larron.

Bref, l'humour de Glen Cook, déjà présent dans La Compagnie Noire mais contrebalancé par l'horreur de ce à quoi celle-ci était confrontée, se révèle ici dans toute son étendue. Pas une lecture impérissable, mais un bon moment de détente.

Poussière de lune

C'était fatal. Ça devait arriver. Il fallait bien qu'un jour ou l'autre la nouvelle génération d'auteurs de S-F britanniques assume la tradition. Qu'après des auteurs tels que John Wyndham ou Jim G. Ballard, après des romans comme Le Vent de Nulle Part, Les Furies ou Les Triffides, l'actuelle génération ajoute sa pierre à l'édifice et vienne compléter un corpus déjà riche de romans catastrophes.

 Mais imaginer de nouveaux cataclysmes n'est nullement chose aisée. En littérature, tout est déjà tombé sur le râble de cette pauvre humanité, de son fait ou non. De l'ouragan absolu à la révolte végétale, de l'invasion de guêpes à la montée des eaux… Et l'Amérique a adopté le genre à défaut du ton, tant en lettres qu'en images. Génocides (Disch), Shiva le Destructeur (G. Benford & W. Rotsler), La Mère des Tempêtes (Barnes). Au cinéma, le plus improbable est coutumier. Des astéroïdes qui pleuvent comme des missiles (Meteor, Armageddon, etc.), des guerres atomiques à foison, des invasions de tout et n'importe quoi, de l'inénarrable Independence Day aux araignées, escargots, tomates, et surtout des navets où la terre tremble comme si elle avait chopé la danse de Saint Guy !

Tremblements de Terre et méga volcans seront cette fois encore au programme, mais pour cause de nanotechnologie, alien, bien sûr… Du « tout en un » pour une belle apocalypse. Il s'agit d'être à la page.

L'examen d'une pierre lunaire qui était restée 30 années durant à prendre le moisi dans un buffet de la NASA, à Houston, initie la calamité. Quelques grammes répandus sur le basalte des vieux volcans éteints d'Ecosse et les voilà qui se réveillent, rongés jusqu'au magma. Vénus vient juste d'exploser, se transformant en un générateur de trous noirs et c'est ce qui guette la Terre. Au moins, c'est radical.

Baxter s'y entend à merveille avec les laboratoires et les fusées, l'astronautique. Après Voyage et Titan, la démonstration n'est plus à faire. Aller sur Mars, atteindre Titan avec les moyens actuels, retourner sur la Lune tout de suite ? Quand on veut, on peut. C'est une histoire de paire de couilles. De l'audace, de l'imagination, du risque. Parce que sur la Lune, on va y aller en décapotable !… Et il arrive à rendre tout cela plausible, crédible…

Les relations humaines atteignent par contre certains sommets. Baxter y fait preuve d'une impressionnante finesse et il aurait dû appeler son roman « La femme, son amant et le cocu sauvent le monde », parce que ce sont ces trois-là qui s'en vont terraformer la Lune… Dans le Soyouz — c'est que ce n'est pas très grand, un Soyouz — Geena dirige la mission à laquelle participe son ex-mari, Harry Meacher, géologue et héros patenté du sauvetage de l'humanité, et son amant russe. Liaison dont Meacher ignore tout. Il est bien connu que le cocu est toujours le dernier informé de sa situation. Aussi quand, dans la promiscuité du Soyouz, il tombe sur les deux tourtereaux en plein chantier, on sombre dans le vaudeville. Et tout ça ne sert strictement à rien. Meacher ayant intégré la libération de la femme, il s'en fout et ne manifeste aucune jalousie. Ça n'influe en rien sur l'intrigue, alors à quoi bon ? Pour rallonger davantage encore la sauce ? Pour « faire » S-F moderne avec des personnages qui « vivent » hors de l'intrigue ? Certains auteurs, Tchékhov ou Mansfield par exemple, s'entendent fort bien à dépeindre de manière réaliste les sentiments et états d'âmes en des moments ordinaires de la vie courante. Mais pourquoi inclure ce type d'éléments sous forme pachydermique dans un roman catastrophe ?

Autre délayage, les nombreuses scènes, inspirées d'une syntaxe cinématographique, où apparaissent des personnages aussitôt vus, aussitôt morts, sans rapport avec l'intrigue. Il s'agit bien sûr de faire dans le larmoyant afin que l'on pleure dans les chaumières à la manière hollywoodienne. Dans le même ordre d'idée, par manque de chance, Jane, la nouvelle femme de Meacher, se fait irradier par l'explosion d'une centrale nucléaire en quittant Edimbourg…

Outre qu'il est infesté de coquilles, voilà encore un livre frappé d'obésité romanesque et contaminé par une sirupeuse sentimentalité à deux balles qui aurait tout gagné à maigrir de moitié, à se focaliser sur la catastrophe et la mission spatiale. Il y a des écrivains — la plupart en fait — qui sont plus doués que Baxter pour mettre en scène des rapports humains et on sait où les trouver, si c'est ce que l'on souhaite lire. Baxter sait par contre nous faire croire que l'on pourrait retourner sur la Lune sur le champ si seulement on le voulait et il sait rendre cela vraisemblable comme peu. Si on lit de la hard science ou du roman catastrophe, c'est peut-être pour le voir déployer son talent là où il en a. Ce n'est pas parce qu'il y parle de volcanisme que l'auteur doit se laisser enterrer sous les scories… On passe.

Noirs Complots

Pour ce sujet hétéroclite, Pierre Lagrange a réuni une belle brochette d'auteurs qui ne l'est pas moins. Des auteurs de S-F qui n'en écrivent plus guère (Andrevon et Walther), d'autres déjà bien établis (Dunyach et Wagner) et un nouveau (Héliot) ; des journalistes du Figaro (Leroy, D'estienne D'Orve, Lapaque et Delcroix) ; un ancien pilier du Fleuve Noir « Espionnage » (Alain Page) ; un créateur du « Poulpe » (Quadruppani) ; un spécialiste de la littérature de genre (François Rivière) ; un journaliste scientifique (De Pracontal) ; un ténor de la littérature générale qui ne répugne pas à bouffer au râtelier des genres (Martin Winckler) et Maurice G. Dantec. De l'hétéroclisme en veux-tu en voilà ; des complots à foison.

Les premiers, les Nazis sont allés sur la Lune grâce à la soucoupe V7 mise au point par Wernher von Braun qui la livra ensuite aux Américains pour négocier son passage à l'Ouest où elle s'est écrasée deux ans plus tard, en 47, près d'une petite localité nommée Roswell (Johan Héliot — « Opération Münchhausen »).

Jolie mise en abîme du complot, « Le Mensonge est ici » dénonce la série X-files comme un complot destiné à faire croire au véritable agent Mulder qu'elle est une action de propagande de la CIA en vue de la nouvelle croisade irakienne de W, alors que c'est un complot extraterrestre. Le meilleur texte de l'anthologie, celui où l'on s'amuse le plus (Martin Winckler — « Le Mensonge est ici »).

« Abattez Karl Marx » est de la pure S-F et hors sujet. C'est un paradoxe temporel digne du Galaxie des années 50 (Jérôme Leroy — « Abattez Carl Marx ! »).

Après le Village, le bistrot de la plage où l'on parque les comploteurs sur le retour. Bonjour chez vous (Serge Quadruppani — « Matinée tranquille au café de l'oncle Peppino »)…

N'importe qui ayant le minimum de culture scientifique peut réfuter les objections élevées par les tenants de la théorie qui veut que l'on n'ait jamais marché sur la Lune (voire que la Lune n'existe pas). Et ça, c'est bien la preuve de l'existence d'un complot. S'ils ont les compétences de monter un canular qu'on est incapable de réfuter bien qu'en connaissance de cause, c'est que ce sont des extraterrestres ! CQFD. Cela justifie qu'on se la joue American Psycho (Michel De Pracontal — « Vous avez demandez la Lune ? »)…

Le Petit Gregory ne serait pas mort ou la théorie du complot familial (François Rivière — « Un Ange vous parle »).

Le 11 septembre 2001 ne pouvait ni ne devait davantage échapper au traitement conspirationniste que le symbole phallique du capital triomphant à un attentat. Attentat qui ne doit rien à Ben Laden et tout à Dick Cheney. À mi-chemin entre la version officielle et la thèse de Thierry Meyssan. L'Attentat était fictif (Jean-Pierre Andrevon — « Incertain 11 septembre »)…

La France a aussi connu ses heures sombres et ses noirs complots, en 58 par exemple (Sébastien Lapaque — « Le Jeu de l'Hombre »)…

Bien avant Chris Carter (créateur d'X-Files), Orson Welles s'est aussi évertué à dissimuler l'invasion des martiens (Jean-Claude Dunyach — « Le Jour où Orson Welles a vraiment sauvé le monde »)…

Les Beatles devaient aussi être d'un complot. Agent de l'Intelligence Service, ils ont vu Paul travailler pour les Rouges et ont enregistré avec lui un album secret en Inde, The Marxist Album, avant son assassinat. Deux espions assassins de Beatles essaient de mettre la main sur ses fameuses bandes qui pourraient passer à l'Est (Olivier Delcroix — « Le Beatles Gate »)…

Dieu aussi est dans les coups de Jarnac. Il complote contre vous, se fait passer pour le Père Noël qui est une ordure. Censé être drôle, c'est plat (Nicolas D'estienne D'Orve — « Plaisir d'offrir »).

Les avenirs radieux se construisent sur des catacombes. La Paix Universelle comme les autres. Au nom du Christ, elle se fera sur l'éradication des vampires dont bien sûr Jésus était. Huis clos en cave avec amour. Franchement réussi (Alain Page — « Les Vents pires de l'Orient »).

Et voilà qu'une société secrète mitonne l'apocalypse depuis quelques siècles, l'avènement du chaos, bien gore et sanguinolent à souhait, grand spectacle de Grand Guignol avec un peu de cul bien cru bien glauque. Bien, quoi ! Du Walther (Daniel Walther — « Le Protocole des mages de Lyon »).

Et pour conclure, une mise en scène de Jimmy (Guieu), auteur soucoupiste bien connu, réputé croire à un complot extraterrestre. Vu à travers les yeux d'un fan septique qui s'interroge et gamberge. Private joke à l'adresse du milieu S-F et conclusion habile pour cette anthologie (Roland C. Wagner — « La Chanson de Jimmy »).

Peut-être l'exercice n'était-il pas aussi facile qu'il y paraît de prime abord. Il y a beaucoup d'extraterrestres et de marches lunaires dans ces textes, mais finalement peu ont osé aborder l'histoire consensuelle selon un angle conspirationniste et Andrevon seul a osé défaire le 11 septembre 2001, par exemple…

Quant à l'entretien avec Maurice G. Dantec, il relève d'un triste baragouin pseudo intello dont on aurait pu se passer avec bonheur. Il ne vaut que par les questions de Pierre Lagrange, auxquelles Dantec ne comprenait rien (sic.) et dont il ressort qu'il croit à un complot autour de Roswell tout en se révélant incapable d'argumenter.

Penser le complot aurait mérité mieux que les affligeantes élucubrations de Dantec. La pratique du secret est incompatible avec la démocratie. On vit dans un monde en grande partie intelligible et il appartient à chacun de faire l'effort de s'interroger sur les zones d'ombres qui peuvent subsister en appliquant le principe du rasoir d'Occam. Les zones d'ombres ne doivent pas devenir l'arbre masquant la forêt. Voilà qui devrait apporter un contrepoint au sabir de Maurice G. Dantec, qui se laisse emporter dans une conception délirante et paranoïaque de la réalité.

Demeure une anthologie moyenne, dénuée de chef-d'œuvre mais au sujet séduisant.

Lord Gamma

Ceux qui auraient espéré se retrouver hors des sentiers battus pour cette première traduction de l'Allemand Michael Marrak s'en verront bien marris. Au contraire. On va pouvoir le juger à l'aune de ses pairs, notamment de Robert Charles Wilson.

Lord Gamma s'inscrit dans la mouvance post-cyberpunk, aux côtés d'un film comme Matrix, ou d'un roman comme Darwinia, en dépit de décors différents. Si le tableau initial avec sa route, son désert, ses robots et ses bunkers où des clones qui se croient les survivants de l'apocalypse nucléaire vivent cloîtrés rappelle le Philip K. Dick de La Vérité avant-dernière, la remise en cause de la réalité est désormais moins radicale que chez le californien. Il subsiste toujours un fond de réalité, une vérité première — ou dernière — à laquelle se raccrocher et qui correspond à la quête d'authenticité très en vogue aujourd'hui. À l'instar de Wilson, Marrak n'y échappe pas. Le but du roman est d'ailleurs de la retrouver, de la restaurer. En fait, on pourrait dire que ce roman est anti-dickien ; la trajectoire de Stan Terkasy suit une courbe inverse de ce que l'on trouverait chez Dick. D'emblée, l'univers qui lui est proposé est appréhendé comme divergent de la réalité consensuelle ; petit à petit, il va devoir le maîtriser pour restaurer cette dernière là où un personnage de Dick verrait la réalité se dissoudre progressivement jusqu'à sombrer dans un total relativisme. Homme d'action, Stan n'est pas non plus le portrait type de l'anti-héros dickien effacé qui perd pied, métaphore de l'aliénation contemporaine. Pas très scrupuleux, pas vraiment en conformité avec ce que l'on apprendra de son passé qui n'aurait nullement déparé chez Dick, et bien que dépassé par le contexte où il évolue, Stan ne cesse de lutter pour comprendre et reconquérir la maîtrise de son univers. Le refus de Gamma de lui exposer la situation, ne lui fournissant que des bribes d'information nécessaires à faire ce qu'il attend de lui, est un procédé par lequel Marrak retarde la conclusion.

Stan passe son temps à rouler en Pontiac sur une route perpétuellement déclive et rectiligne d'un bunker au suivant, guidé par Radio Gamma, pour y enlever sa femme, Prill, lui essayer une clé cérébrale avant de la flinguer clone après clone. Il sait que la réalité qu'il connaît n'est pas conforme à ce que croient les résidents des bunkers. Il sait qu'il n'y a pas eu de guerre atomique. Il ignore les desseins de Radio Gamma mais comprend que ceux-ci contrarient les Lords qui dirigent les bunkers.

Ça se complique encore quand, pour récupérer un des clones de Prill, il doit descendre dans Babalone, un univers virtuel peuplé des fantasmes de ceux qui le traversent. Là, il triomphe au mépris des règles.

Parallèlement à cette principale ligne narrative, le lecteur en a deux autres à suivre. Dans la première, Naos, on voit un clone de Stan au prise avec un avion — celui où lui et Prill avaient pris place en compagnie de tous les autres modèles de clones — qui émerge progressivement du néant. L'autre, Isadom, montre Prill évoluant au sein du Sublime — forme quasi divine, bien qu'engendrée par l'homme.

Où la chute de Darwinia s'avérait trop mince et insuffisante, celle de Lord Gamma se révèle pachydermique. L'exposition des tenants et des aboutissants d'une hypercivilisation a toujours été une gageure pour les auteurs de science-fiction décidés à la mettre en scène. Il y a toujours difficulté à représenter ce que l'on est incapable de concevoir. Soit, comme Wilson, il faut largement « shunter » le concept, soit on le noie de lourdeurs comme ici, ce qui ne se fait qu'au détriment de l'action et de la fluidité du récit. Michael Marrak réussit à entraîner son lecteur dans la démarche de Stan pour comprendre le monde où il se retrouve. C'est un moteur puissant pour le récit qui lui permet même de surmonter les lourdeurs finales. L'action est rapide dans les deux premiers tiers du roman, les interrogations foisonnantes et jamais le texte ne paraît s'essouffler.

Face à un tel livre cependant, il faut s'interroger sur la possibilité pour un lecteur novice d'entrer en S-F par le biais de Lord Gamma. À force que les générations successives d'écrivains de S-F créent de nouvelles strates à leur genre, celui-ci en devient un concept global si élaboré qu'il cesse d'être accessible à tout un chacun et se circonscrit à un public d'initiés qui lui se régale, certes, mais confine le genre dans un ghetto peut-être plus profond et à terme plus risqué pour la S-F qu'on ne le pense de prime abord.

Si ce livre n'apportera pas grand-chose en matière de connaissance du monde et des gens, si toute sa problématique est plus que lointaine et diffuse, il n'en reste pas moins un divertissement de S-F de tout premier choix.

Les Enchantements d’Ambremer

Début du siècle dernier, le Paris de la Belle Époque revu et corrigé par la magie… Contaminé par l'Outre Monde, celui des fées, dragons et licornes… Un univers sympathique mais menacé.

Louis Denizard Hyppolyte Griffont, mage du Cercle de Cyan et personnage principal, va se retrouver au cœur d'un faisceau d'événements majeurs. Emprunter un livre pour une amie et enquêter sur un tricheur de carte recourant à la magie vont le propulser dans les intrigues qui menacent le trône d'Ambremer, le royaume magique. Des aventures où il retrouvera sa femme, Isabel de Saint Gil, aventurière et cambrioleuse, espionne à ses heures…

Inutile de vous conter ici par le menu le roman dont l'intérêt tient dans les péripéties et autres rebondissements enchaînés avec un zeste d'humour.

Pierre Pevel, dont le Cycle du Sang (signé Jacq) fut ici chroniqué naguère par mes soins, se veut l'héritier des feuilletonistes du XIXe, Zévaco, Ponson Du Terrail et surtout Alexandre Dumas en qui il voit un maître. Griffont se joindra volontiers aux Pardaillan, Rocambole, Arsène Lupin et compagnie. En terme d'écriture, Pevel gagne son pari haut la main ; l'action se déroule toute seule, sans temps mort même si l'on n'assiste à aucune course poursuite en De Dion Bouton. Par contre se pose la question de savoir si l'introduction massive de fantasy dans le récit ne le boutera pas hors de la tradition du roman-feuilleton à laquelle il aspire. Ces éléments ne priveront-ils pas ce livre de la reconnaissance des amateurs nostalgiques des feuilletonistes ? Ce serait dommage…

Au chapitre des défauts, il faut reconnaître que l'intrigue de base, les rivalités pour la couronne d'Ambremer qui agitent l'Outre Monde et constituent la trame de fond du récit, sont très convenues. Au-delà des menaces sur le trône de la reine des fées que fait planer sa maléfique sœur jumelle, du thème manichéen ô combien rebattu du double maléfique, l'habillage est bien plus plaisant. La fin souffre aussi, et cruellement, d'un excès de conventions « fantasystes », avec des bons à la merci des méchants qui triomphent et le deus ex machina qui sauve la mise in extremis. Mais insistons sur le fait que ce sont les péripéties qui font de ce roman une indéniable réussite.

Dans la tradition du roman feuilleton, Les Enchantements d'Ambremer est un pur divertissement où la fluidité de l'écriture concourt à un réel plaisir.

La Maison muette

Les éditions Métailié réservent parfois de bonnes surprises pour les adeptes de la littérature « bizarre », décalée ou même franchement expérimentale. Après les très réussis Pizzeria Inferno de Serio et Le Faiseur d’histoire de Gray, on découvre le premier roman d’un jeune poète écossais (sous une couverture élégante et sobre), résolument orienté vers la description clinique de la folie et de l’horreur. De S-F, il n’est donc pas question, ni même de fantastique, mais La Maison muette est un roman suffisamment en marge pour se passer d’étiquette et entrer pleinement dans la « littérature de l’imaginaire ».

Par bien des aspects, le texte de Burnside rappelle Enfer clos de Claude Ecken (aux éditions du Bélial’). On y suit l’évolution et l’installation du délire comme inquiétante quotidienneté. Mais là où le roman d’Ecken se positionne à l’extérieur et reste principalement descriptif, Burnside raconte son histoire à la première personne, livrant ainsi une intimité des plus dérangeante avec son héros. Le procédé est utilisé avec brio par Robert Merle dans La Mort est mon métier, terrible roman racontant la vie du directeur du camp d’Auschwitz, où le lecteur horrifié se surprend à comprendre le point de vue du narrateur. On ne pouvait trouver plus belle dénonciation de la mécanique de l’horreur, de sa fausse fatalité, et de la somme de petites lâchetés individuelles qui la fabriquent. Burnside ne dénonce rien dans La Maison muette, mais son roman évite heureusement le piège de la gratuité et de la vacuité, grâce à son excellente tenue littéraire (la traduction est d’ailleurs impeccable), la mise en place progressive de la folie et l’observation clinique de la logique interne d’un malade mental. Dès lors, le trouble est total, gênant et presque malsain, dans la mesure où il est difficile de ne pas s’identifier  au  personnage principal. La Maison muette est donc une réussite, doublée d’un vrai plaisir de lecture, Burnside maîtrisant évidemment l’anglais avec une précision et une simplicité toute chirurgicale. Pas d’effets, pas de « truc » narratif visant à maintenir le suspense, aucun procédé classique, juste un esprit mis à nu et raconté sans jugement ni morale. Le récit est d’ailleurs amoral et non immoral, la morale n’étant jamais combattue ni dénigrée, mais tout simplement (et c’est le plus terrible) inexistante.

Installé dans une lecture sourde et dérangeante, on suit le parcours mental d’un homme apparemment normal, mais obsédé par une idée qui le poussera au pire : Quelle est la nature du langage ? Quel moyen de communication peut développer un être coupé de toute parole et élevé dans un environnement non-communiquant ? Le cas des enfants sauvages illustre le problème, mais les comptes-rendus semblent incomplets ou franchement farfelus. Le narrateur franchit alors la ligne en tentant lui-même l’expérience sur ses deux enfants, mis au monde dans le plus grand secret et enfermés dans une cave sans aucun contact avec la parole humaine. Avant d’en arriver là, le narrateur raconte son enfance, ses difficultés de communication avec son père, sa relation privilégiée avec sa mère, sa pratique de la dissection sur des animaux vivants (après avoir reçu comme cadeau un coffret de chirurgien), ainsi que ses relations sexuelles avec Karen et Lillian, deux femmes qui occupent une place centrale dans le roman. L’autobiographie est tout sauf classique, les souvenirs se mêlant au présent, tout en évitant le ridicule de l’explication (« il est méchant parce qu’il tue des animaux »). Aucune justification n’est donnée, aucune « raison » avancée, la chose allant d’elle-même et ne nécessitant pas de précision supplémentaire. L’univers mental du narrateur n’est donc pas jugé, mais décrit et vécu de l’intérieur. C’est au lecteur de se faire une opinion, seul face à cette lente montée vers l’abominable. La Maison muette implique donc un certain engagement et une réflexion saine sur la nature de la folie, de l’autorité paternelle, de la recherche scientifique et de la communication. Sombre, inquiétant, horrifique, malsain et révoltant, le roman n’est pourtant pas complaisant, d’où sa valeur indéniable, malgré parfois (et c’est son seul défaut) un certain manque de crédibilité dans les situations décrites.

Roman monstre, texte à part d’une grande originalité, La Maison muette ouvre le débat et suscitera sans doute beaucoup de réactions.

Ilium

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Simmons est attendu au tournant avec Ilium, premier opus d'un diptyque dont la séquelle s'intitule tout naturellement Olympos. On n'est pas responsable du carton éditorial que l'on sait avec Hypérion sans en assumer les conséquences. Fera mieux ? Fera pas mieux ?

Écrivain talentueux et polymorphe, Dan Simmons a eu l'intelligence de laisser filer quelques années entre son cycle fétiche et son retour à la S-F. Les amateurs de polar ont pu en lire un ou deux (médiocres, admettons-le), et Simmons s'est même offert le luxe d'écrire son propre hommage à Hemingway avec Les Forbans de Cuba, roman qui mettait en scène le vieux maître lui-même, très occupé à chasser les éventuels sous-marins nazis hantant les fonds du Golfe du Mexique.

En France, on redécouvrait chez Folio « SF » les excellentes nouvelles composant Le Styx coule à l'envers (dont la dernière, « À la recherche de Kelly Dahl », confine tout simplement au chef-d'œuvre), et l'édition définitive en « Lunes d'encre » (Denoël) de L'Échiquier du mal, texte fantastique traditionnel du plus bel effet.

Avec Ilium, prévu en 2004 chez Laffont, Simmons confirme qu'il est un grand raconteur d'histoires, mais se perd parfois en chemin en confrontant des éléments trop disparates pour être véritablement crédibles.

Au départ, il y a cette folle idée : reprendre le thème de l'Iliade et le décliner à la sauce S-F. En parallèle, on trouve les interrogations de l'auteur sur l'évolution humaine à très (mais alors très) long terme. La prospective de l'auteur rappelle celle d'Hypérion (notamment le principe des « faxnods », calqués sur les « farcasters », qui permet de se rendre d'un lieu à l'autre instantanément, et qui n'est pas non plus sans conséquences funestes), mais développe également des thèmes qu'on avait déjà pu voir chez Sterling (cf. Schismatrice + en Folio « SF ») ou, plus récemment, l'Écossais Ken MacLeod (La Division Cassini en J'ai Lu « Millénaires »). Ainsi, Simmons décrit une histoire « possible » étalée sur quelques dizaines de siècles. L'âge perdu que nous vivons aujourd'hui, l'avènement des post-humains qui trafiquent un peu trop l'ADN (chouette, repeuplons donc la terre de dinosaures) et la manipulation quantique de trous de vers. Badabling ! il fallait bien que ça foire quelque part, et voilà nos post-humains qui quittent la Terre pour s'installer en orbite dans des anneaux confortables, avant de foutre définitivement le camp on ne sait où. En parallèle, les intelligences artificielles semi organiques (baptisées Moravecs) disséminées sur les lunes de Jupiter ont eu le temps d'évoluer à part, formant une société agréable et industrieuse, forte de quelques membres dont les banques de données regorgent de documents sur ces bons vieux humains dont ils n'ont plus franchement de nouvelles. Enfin, si la terre n'est pas dépeuplée complètement, on ne trouve plus que quelques dizaines de milliers d'humains « traditionnels », mais tellement bourrés de nanotechnologies diverses et variées qu'ils en ont oublié l'écriture, et plus généralement Histoire, Technique, Géographie et, bien entendu, Révolte. Ils vivent d'ailleurs sous la bienveillante surveillance des Voynix, bestioles métalliques à mi-chemin entre la sentinelle et le serviteur, manifestement extraterrestres, dont l'origine exacte n'est pas claire. Bref, difficile d'inclure en plus un panthéon grec au complet, installé sur le mont Olympe, mais sur une Mars terraformée et non sur la Terre (il existe bel et bien un gigantesque volcan sur Mars judicieusement nommée Olympe, que voulez-vous, c'est comme ça). Vous suivez ?

Reprenons.

Simmons sait raconter une histoire et distille savamment un récit à trois voix, alternant les chapitres au moment culminant. Le procédé n'est pas vraiment nouveau, mais il a le mérite de tenir le lecteur en haleine et d'être efficace. Pour le reste, résumer Ilium est un exercice douteux que l'on tentera ici avec beaucoup de difficultés. Ilium commence donc lors du siège de Troie, alors que la guerre s'enlise depuis neuf ans et que l'entrée d'Achille dans la bataille précipitera la mort d'Hector et la prise de la ville. Goguenards, suprêmes d'arrogance et de mépris, les dieux grecs se livrent au délicat jeu d'échec par humains interposés (qui se soucie du sang des mortels ?), tout en pratiquant leurs sports favoris : intrigues, coups bas et trahisons formant l'ordinaire d'une vie immortelle de dieu moyen. La surprise, c'est que ces braves gens sont décrits avec humour et minutie. Leur présence et leurs dialogues sont incroyablement crédibles, et Simmons en profite pour casser le mythe en nous exposant sans pudeur les moyens techniques qui les font justement passer pour des dieux auprès de ces pauvres humains ignorants (téléportation quantique, chariots tirés par des chevaux holographiques, champs de force, nanotechnologie etc.). Leurs frasques sont vues à travers les yeux de Thomas Hockenberry, érudit spécialiste d'Homère de la fin du XXe siècle, ressuscité (re-créé ?) par Zeus en personne et doté de moyens hallucinants (morphing, téléportation) pour observer le siège de la ville et vérifier que l'Histoire correspond bien à celle raconté plus tard par Homère. Oui, l'Olympe est sur Mars, et re-oui, Hockenberry fait régulièrement l'aller-retour entre la Terre et la planète rouge (via la téléportation quantique, on le saura), mais ça n'est pas dérangeant, tant cette partie d'Ilium est réussie. On suit avec intérêt le dégoût croissant d'Hockenberry à l'égard de ces saloperies d'immortels obscènes, puis sa révolte et son combat. Les scènes de bataille entre achéens et troyens sont littéralement hallucinantes, pleines de bruit et de fureur, très éloignées des habituelles descriptions glorieuses de la guerre. On y est, ça saigne, ça pue, ça meurt et c'est sale, autant le savoir…

En parallèle, Simmons raconte la lente prise de conscience des Moravecs à l'égard de la situation martienne. En gros, on se rend compte que la planète a été terraformée en un temps record (à peine quelques dizaines de milliers d'années), et que les relevés scientifiques attestent d'une anormale quantité de bordel quantique autour du mont Olympe. Il est donc grand temps d'y envoyer une petite expédition, histoire de découvrir de quoi il retourne. C'est la deuxième très grande réussite d'Ilium : rendre avec humour et humanité les interrogations des deux Moravecs échoués sur Mars (après le très bref échec de leur mission), l'un éclopé à mort et l'autre à peu près entier. Leurs dialogues sur Proust et Shakespeare valent à eux seuls le détour, et Simmons prend manifestement beaucoup de plaisir à décrire ces deux personnages sympathiques et essentiels.

Malheureusement, le troisième récit enchevêtré est plutôt boiteux. Cela se passe sur Terre, chez ces « Old style Humans » nanotechnologisés jusqu'aux dents, et si la description de leur vie quotidienne est intéressante, la quête de plusieurs d'entre eux prend des allures de fatras anachronique décevant. On y croise une sorte de Juif (en l'occurrence, une juive) Errant, un Ulysse 31 équipé d'un presque sabre laser, un vieillard dont l'obsession est de se rendre sur les anneaux orbitaux pour y gagner quelques années de vie supplémentaire, et un jeune homme qui n'en a pas grand-chose à foutre (entre autres). C'est donc cette partie qui se révèle la plus faible, un point d'autant plus douloureux que les nombreuses questions que se posent les lecteurs au fil des pages trouveront leur réponse ici même. Bref, on reste dubitatif et l'on se prend à rêver que Simmons ait autant peaufiné ces personnages que les Moravecs ou Thomas Hockenberry.

Pas de panique toutefois, Ilium reste un texte de très haute tenue, même s'il n'atteint jamais la stature poétique d'Hypérion. La bonne surprise d'Ilium, c'est que Simmons s'essaie à l'humour avec une ironie mordante qui n'est pas sans rappeler celle de Banks. Et comme l'animal manie la plume avec talent, légèreté et précision, on se dit que le temps risque d'être bien long avant la sortie d'Olympos… D'autant que, comme de juste, Ilium se termine exactement « at the turn of the tide ».

Harry Potter et l'Ordre du Phénix

Il agace, il énerve, il séduit, il suscite moult réactions pas toujours flatteuses, mais il poursuit son petit bonhomme de chemin millionnaire en se fichant du reste… S'il est possible (et même assez sain) de critiquer l'effet marketing de Harry Potter (au point que les plus jeunes ignorent même qu'au départ, il y a un livre et non une boîte de céréales), de râler contre les films, les poupées, les porte-clés et autres morceaux de la vraie croix, les bouquins, eux, sont remarquablement inattaquables. Bien fichus, bien racontés, drôles et malins, on ne peut décemment leur reprocher grand-chose, à part une certaine niaiserie (d'ailleurs décroissante) trop souvent présente dans la littérature pour enfants (passez par la case Pullman pour trouver l'exception qui confirme la règle).

Au menu de ce Harry Potter tome 5 longtemps attendu, 1000 pages de lutte contre le bien et le mal, avec une tendance jouissive à l'injustice. Eh oui, les gens sont méchants et, bien souvent, ce sont eux qui gagnent à la fin… Autant pour la niaiserie évoquée plus haut, et tant mieux pour la profondeur (et l'intelligence) du récit.

Le lecteur curieux doit au passage s'attarder sur la « méthode narrative Rowling » : Quand on aborde une série, on peut choisir de décrire des personnages qui ne vieillissent pas (Le club des cinq, par exemple), ou bien opter pour le principe plus délicat (mais sans doute plus adulte) qui consiste à faire évoluer son héros au fil des pages. Ainsi, Rowling traite un livre par année scolaire, avec les changements physiques et psychologiques qui en découlent. Premier de la série, Harry Potter à l'école des sorciers (audacieuse traduction de Harry Potter and the philosopher's stone) raconte la première année au collège de Poudlard d'un certain Harry (11 ans). Il y fait la connaissance d'Hermione, de Ron et d'autres excellents seconds rôles (un point fondamental dans tout roman), dans un cadre amusant et merveilleux. Rowling a eu l'idée géniale de décrire un enseignement magique dans un contexte quasi universitaire cohérent, avec tout un bestiaire emprunté aussi bien aux sagas islandaises qu'à Tolkien, en passant par le célébrissime Beowulf. Rien de bien renversant dans ce premier tome, si ce n'est une mise en place du décor, avec un « 300 pages » millimétré, un début, une fin et une morale. Le pied. Harry est encore un petit garçon, et la simplicité du récit correspond assez bien au profil du héros.

Harry Potter et la chambre des secrets, le tome 2 de la série, reprend le même principe, mais le pimente (et l'augmente) avec un scénario plus tortueux et une psychologie des personnages plus fouillée. Harry est un peu plus vieux, et donc plus à même d'apprendre toutes sortes de choses sur ses parents disparus, tout en se positionnant plus intelligemment dans la vie. Dès lors, la suite est parfaitement logique : les choses vont se compliquer et s'étoffer. Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban est une véritable prouesse scénaristique et le premier « vraiment adulte » de la série. Rowling se lâche niveau pagination et se permet absolument tout ce qu'elle veut (avec un tel compte en banque, qui ne le ferait pas ?) en ajoutant des voyages dans le temps, des coups de théâtre, des méchants qui n'en sont pas, tout en développant le personnage du professeur Rogue (Snape, en anglais), magnifiquement interlope et sans doute l'une des meilleures trouvailles de la série. Encore plus ambitieux, voire démesuré, Harry Potter et la coupe de feu inaugure les futurs pavés de 800 pages qui ne manqueront pas de clore l'ensemble. Harry (alors âgé de 14 ans) y découvre la mort, l'injustice et la folie, tandis que son statut de héros est brusquement remis en cause avec lucidité. C'est un changement majeur, de par la taille du roman d'abord, mais également dans les rapports avec l'autre sexe qu'entretiennent Harry, Ron et Hermione. 14 ans est l'âge de la transformation et Rowling ne se plante pas le moins du monde.

Aujourd'hui âgé de 15 ans, Harry Potter revient avec un cinquième tome dans la lignée du précédent. Gros, épais et terriblement lisible (dur à lâcher, en quelque sorte), Harry Potter et l'ordre du phénix raconte (pour résumer) l'aveuglement du ministère de la magie face au retour de Voldemort (le Sauron local). Harry s'y montre assez désagréable, voire inique, mais c'est un corollaire logique de l'adolescence. Il découvre également l'amertume de l'amour, en accumulant échecs après échecs avec la très jolie Cho (elle l'embrasse, quand même, mais c'est à peu près la seule concession érotique de Rowling). On pourrait s'attendre à quelque chose de plus dur, mais la série des Harry Potter reste tout de même réservée aux enfants, et il est peu probable que l'auteur suive réellement le développement normal d'un gamin de 11 à 18 ans. Tout au plus peut-elle pimenter ses aventures en densifiant la problématique. Le pari est tenu, dans la mesure où ce tome 5 est lu avec autant de plaisir par les adultes que par les enfants.

Au final, toutefois, pas grand-chose de neuf. À la fin du tome 4, Voldemort revient mais le ministère de la magie refuse d'y croire. À la fin du tome 5, Voldemort est de retour et le ministère y croit. Voilà. Simpliste ? Oui et non. D'abord parce que la longueur du pavé ne peut qu'être salutaire aux petits (c'est assez merveilleux de penser que des mômes ne s'effraient aucunement de l'épaisseur de la chose, et en redemandent…), ensuite parce que Rowling prend son temps (trop, sans doute), ce qui lui permet de travailler encore un peu plus ses personnages. Divertissant, intelligent et évidemment pour enfants, Harry Potter tome 5 reste un livre à lire. Quant à la série dans son ensemble, on l'a vu, elle implique une difficulté et une profondeur croissante, singeant l'évolution des enfants qui lisent Harry Potter au fur et à mesure. Reste que ce principe fonctionne pour peu qu'on se limite évidemment à un livre par an.

La Cité pastel

Édité partiellement à droite et à gauche dans des collections aujourd'hui disparues (sous des couvertures d'ailleurs répugnantes, pour ceux qui auraient la malchance de les apercevoir un jour), le cycle de Viriconium est enfin accessible dans son intégralité via la collection Folio « SF », qui avait déjà remis Harrison au goût du jour avec l'intéressant La Mécanique du centaure. Space-opera curieux, déjanté et résolument anti-manichéen, ce roman n'a pas vraiment fait l'unanimité, mais c'est surtout son manque de conformisme et son style méandreux qui avaient choqué. Avec La Cité pastel, M. John Harrison trouve l'occasion d'intéresser de nouveaux lecteurs (et de nouveaux moyens de se faire insulter), en proposant un cycle (court, rassurez-vous) qui n'est évidemment pas sans rappeler l'œuvre d'un certain Moorcock. La quatrième de couverture annonce clairement la couleur en parlant de « fantasy post-apocalyptique », dans la mesure où les faits ont lieu dans un lointain futur qui a connu moult gloires, apogées, décadences et effondrements chaotiques. Dernier empire en date, Viriconium est menacé par une reine nordique rebelle, prétendante au trône de la cité Pastel. Tegeus-Cromis, l'un des dernier Methvens encore debout (ces chevaliers et seigneurs de guerre qui assuraient la prospérité du royaume à l'époque du père de la reine actuelle), décide de sortir d'une retraite pourtant bien méritée. Il s'entoure des derniers de son ordre et part à la rencontre des armées de la Reine du nord. Mais ce qu'il trouvera risque de menacer les fondements mêmes du monde tel qu'il l'a toujours connu…

Avec un style qui doit beaucoup à Moorcock (mais un excellent Moorcock, comparable à celui de l'extraordinaire nouvelle « Incursion au Cambodge », incluse dans le recueil Déjeuner d'affaire avec l'Antéchrist en « Lunes d'encre »), Harrison dépeint un monde crédible et inquiétant. L'écriture est étrange, parfois alourdie d'interminables descriptions, mais toujours efficace dans l'ambiance. On retrouve ici la manière de raconter propre à Harrison, qui faisait déjà le plaisir de La Mécanique du centaure, mais dans un genre plus sombre et plus dense. Les scènes de bataille sont hallucinantes, et les perspectives d'avenir de l'humanité angoissantes (c'est un euphémisme). Anti-héros sombre et solitaire, tegeus-Cromis (on l'écrit comme ça, que voulez-vous) rejoint les héros moorcockiens (moorcockesques ?) dans une sorte de spleen existentiel permanent qui n'est pas sans poésie. Pour le reste, le mariage de la fantasy « chevaleresque » (en un sens) et des vieilles technologies oubliées (exosquelettes, dirigeables et robots poussiéreux) fonctionnant toujours aussi bien, ce n'est pas le lecteur qui s'en plaindra. À noter que le texte central est entouré de plusieurs nouvelles déroutantes, se déroulant dans le même univers. Pas nécessaires au premier coup d'œil, ces textes peuvent se lire dans un deuxième temps avec plus d'attention. Bref, si tout se met en place dans cette Cité pastel, on attend beaucoup des tomes suivants (le cycle de Viriconium se compose de trois tomes au total — tous devraient être parus au moment où vous lisez ces lignes). Quoi qu'en pense le lecteur (on aime ou pas la fantasy post-apocalyptique), cela confirme néanmoins le talent de M. John Harrison, injustement méconnu sous nos longitudes. Souhaitons que cette plus large diffusion lui redonne la place qu'il mérite.

Ariosto Furioso

Publié en 1981 en « Présence du futur », ce curieux roman est aujourd'hui réédité en Folio « SF », pour le plus grand bonheur des amateurs d'une science-fiction littéraire exigeante, dans sa forme comme dans son fond1. Pourtant, l'idée est délicate, et l'absence de monstres tentaculaires peut en rebuter plus d'un. De « S-F » d'ailleurs, il n'est presque pas question, tant le monde de Yarbro est subtil et léger.

Nous sommes en 1533, et comme chacun sait, l'Italie est une grande nation qui vient juste de réaliser son unité. Cette Italia Federata (conçue comme une république rassemblant des royaumes) est dirigée par un Médicis, Damanio, qui a pour proche ami et quasi-conseiller Lodovico Ariosto, poète fameux et (accessoirement) auteur du chef-d'œuvre Orlando Furioso. Dans cette cour pourrie de machinations infâmes et de traîtrises odieuses (entre cardinaux sodomites, papes assoiffés de pouvoir, ministres corrompus et autres sympathiques personnages), Damanio trace tant bien que mal son chemin, sacrifiant vie personnelle et santé à sa tâche : consolider la théorie et la praxis d'une unité italienne en proie à la cupidité et à la stupidité sans borne des baronets qui la composent. Et la route est longue. Témoin impuissant de cette lente décomposition, Lodovico Ariosto est pris dans un conflit silencieux d'une grande subtilité. Qui manipule qui ? Qui menace qui ? À qui peut-on faire confiance, si tant est que ce mot ait une quelconque signification au milieu de toutes ces manigances. Histoire de s'évader des intrigues de cour, le poète compose une nouvelle fantasia, imaginant un monde dans lequel l'Italia Federata a conquis le nouveau monde, en bonne intelligence avec les peuples indiens. Et dans ce pays rêvé, Ariosto le grand héros, monté sur un hippogriffe et flanqué d'une épée luisante, s'en va livrer bataille au puissant sorcier Anatrecacciatore pour sauver le monde. Et il y a du boulot… Rallier les nations réticentes, convaincre les peureux, prouver sa valeur et se montrer grand général, les monstrueux « guerriers de grès et de glace » (contre lesquels il va bien falloir se battre) étant tout sauf enthousiasmants.

L'intérêt principal d'Ariosto Furioso, c'est qu'il met en scène une réalité historique légèrement détournée, d'où une crédibilité dérangeante aussi bien en Realta qu'en Fantasia. L'histoire n'est que prétexte à description, mais le lecteur sent bien que la chute s'approche, donnant au texte un sens du suspens à l'opposé des clichés du genre et d'une remarquable efficacité. Le sentiment dominant reste l'attente. De plus en plus oppressante, de plus en plus sourde. L'attente de la future bataille contre le sorcier dans la fantasia, l'attente d'un dénouement forcément tragique dans la realta.

Littérairement pointu, drôle par son sens du deuxième degré (l'honneur d'Ariosto et ses manières ridicules de grand héros mythique sont à mourir de rire), sérieux par les deux mondes décrits, Ariosto Furioso fait partie de ces textes « à part » qui méritent une bonne place dans une bibliothèque S-F digne de ce nom. Avec modestie et talent, Yarbro nous rappelle que la science-fiction n'est pas qu'affaire de conflit galactique, mais peut aussi se montrer plus légère et résolument différente. Ariosto Furioso n'échappe pas à certaines longueurs (que le chemin vers le dénouement est long, et que la chute est… brutale), mais le charme suranné qui s'en dégage est un vrai plaisir de lecture. Quant aux dernières pages, elles sont tout simplement bouleversantes. Fin, divertissant et très malin, Ariosto Furioso est une réussite. C'est sans doute l'occasion de redécouvrir une plume féminine quasi absente des rayonnages français.

Notes :
On appréciera au passage la retenue dont a fait preuve le traducteur, Jean Bonnefoy, habituellement abonné aux centaines de « notes du traducteur » principalement dédiées à lui-même. Rien de tout cela ici. Bravo, Jean. (NdA.)

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug