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Les Perséides

Avant de réintégrer le froid appentis qu’il partage avec sa sœur Rachel que la folie emporte, le jeune Jacob joue aux échecs avec le bouquiniste de Finders, le dénommé Ziegler, qui lui offre un livre à chaque fois, des nouvelles de Wells. Il l’initie aussi à des règles atypiques où les bords de l’échiquier se poursuivent à l’opposé, comme s’il était fermé sur lui-même. Jacob se confie à Ziegler pour savoir s’il doit accepter que le déplaisant Taglieri embauche, à prix fort, sa sœur pour faire le ménage, sachant les vues que l’homme porte sur elle, sachant aussi qu’il ne pourra s’occuper toujours de Rachel, si incontrôlable. Il n’est pas sûr de comprendre la métaphore d’Abraham acceptant sans discuter de sacrifier son fils à Dieu, qui testait ainsi moins sa foi ou sa vertu que son allégeance. Dans « Les Champs d’Abraham », il est question de vol de corps ou de son commerce, de trahison et d’aveuglement, et encore de mondes étranges et d’inversion de point de vue. Quelle est l’histoire ? peut se demander le lecteur en cours de route tant Wilson a l’art de traiter de grands thèmes par le petit bout de la lorgnette et d’établir entre chaque motif de ses récits très denses des correspondances qui font sens à la toute fin.

De lorgnette, il en est question dans « Les Perséides », où un divorcé achète un télescope à une compétente vendeuse qui ne connaît pourtant rien à l’astronomie : elle a toujours eu peur de regarder dans l’objectif ce qui l’observerait en face. Sur le plan thématique, le récit tourne autour du paradoxe de Fermi et de la colonisation de nouveaux domaines de l’ordre de la culture davantage que du territoire, qu’on appellerait la gnososphère, d’autres niveaux de conscience accessibles par des hallucinogènes. Au niveau des rapports humains, le narrateur se voit reprocher son manque de présence ou d’implication, comme un guetteur chez les proto-hominidés se place à l’écart des autres… A nouveau, les divers éléments de ce récit très dense brassent de multiples thèmes dans un fascinant tourbillon.

Il en va de même lorsqu’il est question, au sein du défi que se lancent des universitaires, d’inventer une religion crédible. Si le narrateur projette de réaliser un plan de ville qui mêle la gnose et l’urbain, une forme d’occultisme qu’il nommerait paracartographie, il reste à s’interroger sur l’identité réelle du lanceur du défi initial, sur laquelle l’alerte Deirdre, une amie qui cultive du cannabis dans son antre. « La Ville dans la ville » semble reprendre les mêmes motifs mais les aligne différemment, et en tire de nouveaux concepts, aussi fascinants que les images d’un kaléïdoscope.

Ainsi, « L’Observatrice », où une adolescente tourmentée de cauchemardesques visions de créatures qui l’observent quand elle est seule, et placée un été chez son oncle astrophysicien, ami de Hubble, évoque à nouveau les questions de vie extraterrestre, de topologie de l’univers que l’observateur voit s’éloigner de lui de tous côtés. « On n’a pas besoin de comprendre pour regarder. On a besoin de regarder pour comprendre. » : ce bel aphorisme pourrait s’adapter à l’ensemble des nouvelles du recueil. Wilson apprend au lecteur à orienter son regard ou à exercer sa vigilance.

Dans « Protocoles d’usage », le narrateur séparé de sa femme, soigné pour troubles bipolaires, focalise aussi son attention dans la mauvaise direction. Le récit établit un intéressant parallèle entre les échanges chimiques dans le cerveau, que des molécules pharmaceutiques parviennent à modifier, et la communication dans la nature à base de substances chimiques et de phéromones chez les plantes et des animaux. La nature de l’observateur influe sur sa perception : si le chat ne considère pas l’humain comme un être supérieur, parce qu’il ne le voit pas accomplir des fonctions de base comme chasser et tuer, au sens où lui l’entend, nous ne serions pas plus capables de distinguer l’outil sophistiqué d’une entité supérieure d’un vulgaire caillou. Sur fond de tentative de séduction, « Ulysse voit la lune par la fenêtre de sa chambre », en jouant sur les faux-semblants, est un ironique clin d’œil au sentiment de supériorité. « Le Miroir de Platon » renvoie un reflet à peu près identique à un auteur égocentrique que les femmes finissent par quitter, à qui est donnée l’occasion de contempler sa véritable nature dans le miroir acheté pour lui par une admiratrice.

Nous vivons dans la science-fiction de notre jeunesse du fait des stupéfiantes découvertes et progrès technologiques actuels, telle est la thèse du vieux bouquiniste Ziegler, qui possède dans ses rayons des romans de SF jamais écrits par leurs auteurs. Il offre à un suicidaire un ouvrage, Vous ne mourrez jamais, qui explique que parmi les infinités de possibilités d’univers alternatifs, il en existe une infinité où on a réchappé à toutes les fins, même de la Terre, thèse que son employée, Deirdre, a toujours trouvée stupide, car chaque survie devient plus improbable au fil du temps. « Divisé par l’infini » offre à nouveau des situations extraordinaires basées sur des spéculations vertigineuses.

La dernière nouvelle, d’un fantastique lovecraftien, semble faire suite au récit précédent puisqu’on y retrouve Deirdre, héritière de la librairie, qui héberge la fille d’une vieille connaissance, une adolescente attirée par les sciences, l’origine de la vie et les micro-bactéries trouvées dans une roche martienne. Elle-même, vieillissante, expulse de son ventre, contre toute attente, quelque chose de vivant, un Bébé perle, qu’elle cache dans sa cave.

On le voit, ces neuf nouvelles sont reliées entre elles par de subtiles correspondances qui ne se limitent pas à la librairie Finders ou à quelques personnages récurrents. Des parentés thématiques créent une chambre d’échos autour de spéculations sur la vie extraterrestre, les formes de communication, l’observateur et son sujet d’observation, lesquelles débouchent sur des histoires de science-fiction troublantes ou angoissantes, expressions d’interrogations fondamentales qui révèlent dans le même temps l’âme des protagonistes. En effet, leurs situations répètent des motifs personnels que les jeux de diffraction éclairent différemment, autour de la séparation et de la difficulté de communiquer, de la folie et de la perception de soi, comme autant d’intimes images fractales déclinées à l’infini. Ici, rien de gratuit : dans une postface précisant l’origine des nouvelles, dont trois écrites pour resserrer les liens qui les unissent toutes, Wilson pousse la sophistication jusqu’à créer des correspondances entre ses commentaires et les nouvelles — s’y reporter après chaque lecture s’avère assez savoureux. Ce que dit Ziegler à propos des livres qui flottent comme des bouchons de liège sur l’océan, entre les mondes, pourrait s’appliquer à ce recueil. Un jeu fascinant et hypnotique où l’art de Robert Charles Wilson est porté à son plus haut niveau.

Une bibliographie d’Alain Sprauel complète ce volume aux allures de roman.

La Lumière d'Orion

1366. En raison de ses excès, Nicolas Eymerich est destitué de ses charges de grand Inquisiteur d’Aragon et renvoyé chez lui, à Gérone. Au lieu de quoi, il se rend à Padoue où il découvre dans un palais des Carrare une fresque en cours d’exécution qui fait peser un soupçon d’hérésie. Plus irritable et odieux que jamais, il somme Pétrarque, le concepteur de la fresque, de s’expliquer. Les premiers éléments l’incitent à embarquer pour Constantinople avec frère Pedro Bagueny, élève inquisiteur que les manifestations démoniaques impressionnent. Pour ce faire, il s’inscrit frauduleusement à une croisade à laquelle participe aussi Amédée de Savoie, qui arbore un drapeau représentant la constellation d’Orion. En effet, Jean V Paléologue s’est converti au catholicisme afin de sauver Constantinople menacée par les Turcs. Actuellement prisonnier de Louis, roi de Hongrie, son épouse, l’impératrice Hé-lène Cantacuzène, cherche à se protéger par tous les moyens à sa disposition, même les moins orthodoxes. La ville, dans un état lamentable, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Hélène demande à Eymerich de les protéger contre la menace de géants hurlants qui, chaque matin, avancent dans la mer, toujours un peu plus près du palais. Fort de ses connaissances occultes et de son art de la déduction, l’inquisiteur, tel un Sherlock Holmes flanqué de frère Bagueny en guise de Dr Watson, dans un fabuleux combat final contre un impressionnant démon, met fin à l’hérésie qui en est à l’origine.

Comme toujours chez Evangelisti, l’intrigue se déroule sur trois trames temporelles distinctes : d’une part une guerre future où des géants pilonnent les colonnes de Ninive, chaque faction utilisant des guerriers qui n’ont plus rien d’humain, d’autre part le projet de Frullifer d’envoyer, en direction de Bételgeuse, un rayon qui transformerait l’étoile en nova de façon à anéantir les adversaires de l’Union des Etats-Unis, armée issue de leur partition en trois blocs.

Ces deux intrigues restent assez minces, comme si Evangelisti s’en désintéressait, une fois établies les correspondances avec l’époque même d’Eymerich. Ce qui n’empêche pas l’auteur de mettre en parallèle les conflits religieux qui débouchent sur des schismes, et les moyens inhumains mis en œuvre pour s’assurer la victoire dans des guerres où les combattants n’ont plus rien d’humain. La partition future des Etats-Unis combattant les fedayins est un calque de la décomposition de l’empire byzantin attaqué par les Ottomans. La mécanique désormais bien rôdée semble toutefois tourner à vide, n’était l’ironie avec laquelle l’auteur développe les arguments des débats religieux opposant diverses chapelles. L’humour distancié, parfois burlesque, allège un récit fourmillant de détails historiques. Face à l’immense travail de reconstitution, un rafraîchissement préalable des connaissances sur la dynastie des Paléologue et des Cantacuzène n’est pas inutile pour s’adapter à la démarche immersive de Valerio Evangelisti.

Saluons au passage l’abnégation éditoriale des éditions la Volte qui ont mené, sous une élégante maquette, l’intégrale française de la saga de « Nicolas Eymerich », qu’un dixième opus clora bientôt — une entreprise sur laquelle plusieurs prédécesseurs s’étaient cassé les dents…

Aubes trompeuses

Il y a une petite mélodie Andrevon, ce qui ne surprend guère quand on songe que l’auteur se fait volontiers musicien. Même si on retrouve des thèmes récurrents dans toute l’œuvre, c’est dans ses nouvelles qu’il les explore avec une ardeur inébranlable. Rien de nouveau sous le soleil : il y a plus de quarante ans, son deuxième livre, après le premier roman, était déjà un recueil.

Aubes trompeuses réunit neuf textes issus des revues de genre (Faerie, Khimaira, Bifrost) et d’autres supports (Libération ou, ben tiens, Chorus, entre autres), publiés sur une douzaine d’années, hormis une antiquité de 1973 (dans une « nouvelle mouture », indique JPA) et un inédit. Comme souvent dans ses florilèges, la SF côtoie — et tutoie — le fantastique.

On voit un chanteur appelé « Jip » auprès de Brel, Brassens et ses autres idoles dans ce qui pourrait être une après-vie ; un TGV et ses passagers projetés dans un mouvement de balancier spatiotemporel qu’un van Vogt n’aurait pas renié ; un univers virtuel cataclysmique dissimulant… non, ce serait déflorer le texte ; l’agonie de l’humanité, ici dans les affres du post-pétrole, qui offre à la planète des lendemains peut-être plus radieux (une constante chez notre auteur, qu’on se souvienne de titres comme Le Désert du monde et Le Monde enfin) ; une fable à la Ballard, terrifiante de cocasserie apparente, sur la surpopulation ; et ainsi de suite.

Il y a une petite mélodie Andrevon, mais mieux vaut prévenir : elle tient souvent de la mélopée. Même si « le monde était frais et clair », il peut toujours s’agir d’une « aube trompeuse ». Toutefois, dans la grisaille ou la noirceur, il subsiste la couleur des sentiments, l’amour, l’amitié, voire — il faut chercher — l’espoir. Il y a surtout une belle maîtrise de la langue, une poésie réelle et, afin de chahuter quelque peu le bourgeois, une dose de cul quand la routine menace de s’installer.

Avec sa couverture, elle aussi due à notre homme, mettant en situation un emblème de sa ville, Grenoble, ce volume, sous sa modestie apparente, montre le talent protéiforme d’un de nos écrivains les plus précieux — au meilleur sens du terme.

Dernières Nouvelles de Majipoor

Ce titre français ambigu, bien trouvé, a quelque chose de programmatique — il s’agit en effet des récits les plus récents que Robert Silverberg a consacrés à sa planète géante, et il y a toutes les chances pour que ce soient les derniers, tant l’Américain se montre peu productif dans le domaine de la fiction alors qu’il approche des quatre-vingts ans.

La nouvelle a toujours été le point fort de Silverberg. Son intégrale raisonnée, disponible chez J’ai Lu en quatre fort volumes composés par Jacques Chambon et l’auteur, le prouve à l’envi. Des sept textes ici réunis, deux méritent l’appellation de « court roman » (la « novella » des anglophones), à mon avis le format sur lequel il a connu ses plus grandes réussites — ce qui, quand on sait la qualité de bon nombre de ses romans, n’est pas peu dire.

Même s’il paraît moins échafaudé que le précédent recueil de la saga, le superbe Chroniques de Majipoor, où les recherches d’un personnage dans des archives servaient de fil rouge, Dernières nouvelles… a tout de l’astucieux jeu de miroirs, tant les textes se répondent et se renforcent. Un lai du poète Furvain qui, par un concours de circonstances, se découvre un vrai talent pour écrire plus que des vers de mirlitons (« Le Livre des changements », et, oui, on peut y voir une nouvelle mise en abîme de la métamorphose de Silverberg, de faiseur habile en écrivain majeur), devient bien des millénaires plus tard la base de recherches archéologiques (« La Tombe du pontife Dvorn »). Au passage, Furvain rêve d’un personnage, une sorte de guide et de muse, dénommé Valentin, qui pour lui n’a jamais existé (mais qui, nous, lecteurs, le savons, existera), Valentin, par qui la saga de Majipoor a commencé, et qui la clôt dans une ultime et belle aventure, « Le Septième sanctuaire ». Entre-temps des textes plus légers, dans une veine vancéenne, auront apporté des respirations tantôt farceuses (« Heures sombres au marché de minuit »), tantôt intimes (« L’Apprenti en sorcellerie »).

Saluons le travail des trois traducteurs (dont le plus prolixe, Eric Holstein) qui ont su restituer à merveille le style classique mais riche de cet esthète qu’est Silverberg. En tout cas, si ce livre constitue le point final du grand-œuvre qu’est la saga de « Majipoor », on n’aurait su rêver meilleure conclusion que ce septuor rehaussé par une couverture où Valentin (on suppose) semble arborer les traits de son créateur inspiré.

Le Meilleur des mondes possibles

Il faut certes creuser dans la masse de romansdezombisquidépotent, mais la collection « Eclipse », ex-maison d’édition du même nom, publie non sans un certain flair une bonne partie des livres de SF les plus ambitieux d’aujourd’hui. Je pense notamment à Jack Glass, d’Adam Roberts, à Osama, de Lavie Tidhar, et au présent ouvrage, dû à une auteure des Barbades.

Comme, une fois n’est pas coutume, le quatrième de couverture est à la fois juste et concis, je le cite sans vergogne : « Autrefois la race la plus avancée de la galaxie, les Sadiris ont été exterminés et leur monde natal détruit. Pour préserver leur espèce de l’extinction, les derniers survivants, en majorité des mâles, doivent s’organiser. Sur Cygnus Béta, des conseillers sadiris partent à la recherche des descendants d’une ancienne diaspora de leur peuple, dans l’espoir de trouver des femelles génétiquement compatibles afin de sauvegarder la société et le mode de vie sadiris. »

Cygniens, Sadiris et autres, dans ce futur lointain, sont tous des rameaux issus d’un tronc commun humain — ou du même ensemencement qui a donné naissance, entre autres, à l’humanité. Cela n’exclut pas, vu leur développement séparé, une grande diversité des cultures. C’est là que le roman de Karen Lord brille le plus. La confrontation entre Dllenahkh, le chef de la mission sadirie, Delarua, la biotechnicienne cygnienne qui lui sert d’assistante, et divers autres personnages des deux ethnies qui, malgré leur volonté de coopération, font face à des chausse-trappes culturelles, fonde le ressort narratif principal de l’intrigue. Son cadre, mouvant, c’est une théorie de colonies planétaires, elles-mêmes très diversifiées, qui posent chacune des problèmes spécifiques, tantôt pittoresques, tantôt tragiques : l’une d’elles a ainsi renoué avec l’esclavage. D’une société néo-féodale à la recréation d’une cour féérique, de festivités mondaines à une catastrophe souterraine, les épisodes s’enchaînent, les malentendus surgissent, les solutions s’esquissent, et l’amour pointe le bout de son nez.

Ce livre n’est sans doute pas pour tout le monde. La structure du roman peut paraître un peu répétitive, il y a quelques longueurs et la traduction de Jean-Marc Ligny semble engoncée dans les premiers chapitres avant de trouver le ton (et le bon). Par ailleurs, le côté romantique est très poussé, les bons sentiments l’emportent, mais je l’avoue, c’est l’absence de cynisme, le refus du recours systématique au conflit, l’ode à la compréhension mutuelle qui m’ont justement con-vaincu et, en fin de compte, séduit. On pense, pour la forme, à du Le Guin (le caractère ethnologique, la réflexion sur le genre — Christine B., passez votre chemin !) relevé d’un peu de Vance (dans le récit de voyage), mais s’il y a un écrivain auquel Le Meilleur des mondes possibles fait penser, c’est surtout à Roland C. Wagner. Ces comparaisons sont sans doute injustes, cependant : Karen Lord possède un talent bien à elle, déjà salué par divers prix et nominations. Espérons qu’on la lise de nouveau sous nos latitudes sans trop attendre : The Galaxy Game (tout un programme…) sort ces temps-ci aux Etats-Unis.

Capitaine Fuck

Capitaine Fuck. Rien que le titre peut faire rêver tellement il dégouline de panache et autres potentialités réjouissantes. Les rares pages trouvées concernant Philippe Tagli sur internet attisent elles aussi la curiosité : l’auteur est avant tout un photographe doué. Son art montre les banlieues telles qu’on ne les voit jamais de l’extérieur. Il illustre ses clichés de poèmes en prose plutôt bien assortis et dispense un discours à la fois respectable et éclairant sur la vie en cité. En connaissance de cause puisque lui-même y réside. Mais voilà.

Sitôt une trentaine de pages tournées, le capitaine Fuck, héros dépressif de l’espace et des banlieues, chargé à bloc de cigarettes mentholées et de THC, perd la totalité de son capital sympathie. Son combat aux côtés des « Forces du Freedom » contre les « forces d’Ordre et de Valeur » et leurs divisions « BAC » échoue à capturer l’attention. Ses aventures cousues de fil blanc épuisent le lecteur de répétitions, de digressions et de clins d’œil avariés. Au point qu’on en vient à se demander si l’ouvrage n’a pas été rédigé sous l’emprise d’une drogue un peu trop puissante après un visionnage halluciné de quelques épisodes d’Albator entrecoupés de news sur LCI. Dommage. On devine la transposition, on sent le cri qui vient du cœur et on voit le tout se noyer dans un chaos sans fin, absolument hors de contrôle.

On s’agace par ici : « Il récupéra des Muslims de l’espace qui s’affrontaient à des juifs, eux aussi de l’espace, depuis toujours. » (sic)

On se fâche par là : « L’escadrille de jet de combat aux têtes cramées ravagées de vitesse dans laquelle planait Capitaine Fuck avant le commandement de son cuirassé, s’était fait déchirer. » (sic aussi)

Au fil des pages, la langue française est maltraitée de toutes les manières possibles : ponctuation écartelée, grammaire découpée en rondelles, orthographe sacrifiée — on se gardera d’énumérer l’ensemble des sévices subis. « Il la prit longuement comme une feuille de papillon, savourant son léger souffle, la violence de l’orgasme mutante, ce n’était plus pour lui. » Oui, ça, on avait remarqué. Merci.

Avant de passer notre chemin après une pause un peu trop longue en ces contrées peu reluisantes, on s’interrogera sur le sérieux des éditions Baleine qui osent proposer un torchon pareil dans un format de poche (17,8 x 11 x 3,2) pour le prix incroyable de 20 euros…

Fuck !

Chambre 507

Malgré leurs couleurs criardes très seventies (orange et jaune, nom de Zeus !), les ouvrages des éditions Super 8 savent attirer le geek qui sommeille en chacun de nous : titres mystérieux, quatrièmes de couverture aguicheurs et thèmes dans le vent des films et séries qui ont bercé nos heures perdues. Chambre 507 ne déroge pas à la règle.

L’institut psychiatrique de Brinkvale, construit dans le trou titanesque d’une carrière de New-York en 1875, abrite les pires fous dangereux qu’on ne peut laisser à proximité des gentils citoyens de la ville (un peu comme l’asile d’Arkham où sont enfermés les ennemis de Batman, en fait). Le jeune art-thérapeute Zachary Taylor y exerce son métier avec passion. Ses résultats probants poussent son supérieur hiérarchique à lui confier un dossier délicat : celui de Martin Grace, accusé des meurtres d’une douzaine de personnes à qui il avait prédit qu’elles allaient mourir. Zachary devra déterminer si Grace, devenu aveugle après cette série d’homicides, est mentalement apte à comparaître devant une cour de justice ou s’il doit finir ses jours à moisir au fond d’une cellule capitonnée.

Les séances d’examen tournent vite au jeu du chat et de la souris (un peu comme dans Le Silence des agneaux, mais on ne va pas insister…), néanmoins Zachary acquiert rapidement la conviction que l’homme enfermé dans la chambre 507 n’est ni coupable de ce dont on l’accuse, ni celui qu’il prétend être.

Malgré son manque d’originalité, Chambre 507 se lit rapidement et non sans quelques moments agréables. Les personnages stéréotypés sont aussi attachants que jetables : leurs petits tics et caractéristiques amusent mais ne suffisent pas à leur donner une réelle profondeur. L’histoire se déroule tambour battant en développant nombre d’intrigues secondaires qui aident la tension à se maintenir de page en page. Ce qui nous amène au défaut majeur de cet ouvrage : la fin.

Les auteurs ont pris parti de rester sur la mince ligne séparant le thriller réaliste du récit fantastique en n’élucidant pas ne serait-ce que le tiers des questions qu’ils ont soulevées dans leur bouquin. Une fois reposé, Chambre 507 laisse le goût d’un épisode pilote dont on n’a aucune chance de connaître la suite (paru en 2009 aux Etats-Unis, une suite semble maintenant peu probable). Est-ce un hasard si la chaîne câblée américaine Starz en a acheté les droits ? Toujours est-il qu’on attend légitimement plus d’un roman que du scenario d’un épisode de série télévisée. Fût-il le premier.

Chambre 507 n’a finalement qu’une qualité : parfaitement dispensable, il se lit comme il s’oublie. Le cœur léger.

NB : Pas de bon point pour les éditions Super 8, qui ont escamoté illustrations et documents de la version originale. Pas très geek, tout ça…

Le Château des millions d'années

« Que pouvait bien observer cet homme assis au sommet du temple érigé jadis en notre honneur ?

Nous sondâmes son esprit.

Un chasseur, un prédateur froid et implacable à même de tuer sans une once de remords. »

Imaginez. Dominer l’antique cité maya de Cancuen, espionner en Irak, en Lybie, au Japon, voguer au large de la côte italienne, convoyer les premiers éléments de l’une des plus grandes découvertes de l’humanité : des vestiges technologiques d’une civilisation inconnue ayant vécu sur Terre. Tout en étant du mauvais côté.

En 1939, Friedrich Saxhäuser est probablement le meilleur agent du SD Ausland, les services secrets de la SS dirigée par Heydrich sous la haute autorité d’Himmler. Ses états de services sont exemplaires mais, surtout, Saxhäuser s’est toujours trouvé acteur de l’Histoire à l’endroit où elle s’écrivait : héros de Verdun en 1916, il sauve Hitler lors du putsch de 1923, entre autres. Ces faits d’armes et une fréquentation précoce et assidue des brasseries où l’on cause fort lui permettent d’obtenir la confiance du maître de l’ordre noir et du Führer en personne, dont il lui arrive de recevoir des ordres directs.

Agent double, Saxhäuser nage dans les eaux troubles des luttes intestines du pouvoir nazi à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. Il détient maintenant des informations à même de donner un avantage décisif à un IIIe Reich barbare auquel il ne croit plus et dont sa conscience aimerait bien se dégager. Jalousé de ses pairs, étroitement surveillé par sa hiérarchie, traqué par les futurs Alliés, Saxhäuser ne tardera pas à attirer l’attention des propriétaires de sa découverte. Mais qui sont-ils ?

Il apparaît que les éditions du Bélial’ ont mis la main sur un très gros morceau avec la tétralogie « Origines » dont Le Château des millions d’années est le premier volume. Le héros, Friedrich Saxhäuser, qui tient autant de T.E. Lawrence que du James Bond de Ian Fleming est ici mis en scène avec un réalisme digne de Destination Danger. Au fil des pages, la curiosité du lecteur ne cesse d’être aiguillonnée par les ingrédients qui ont fait le succès de séries comme X-Files ou Lost. Mystères, conspirations, flashbacks permanents et action effrénée s’imbriquent les uns aux autres comme un puzzle qu’on devine déjà gigantesque.

Mais ce qui place Stéphane Przybylski réellement au-dessus de la mêlée, c’est son aptitude à digérer ses influences pour créer son propre univers, à parfaitement maîtriser le contexte historique pour insuffler la vie à ses personnages (les cadres du parti nazi n’ont jamais eu l’air aussi vivant depuis 1945), à structurer habilement son roman de sorte à ne pas laisser son lecteur reprendre son souffle sur ces 380 pages qu’on aurait espérées plus nombreuses. Ce n’est pas donné à tout le monde…

Le Bélial’ a eu la bonne idée de commencer à diffuser Le Château… sous forme de feuilleton numérique, mais le chroniqueur doit avouer, non sans une certaine angoisse, qu’il lui tarde déjà de lire le second volume, Le Marteau de Thor, prévu pour février 2016.

Un conseil : foncez !

Damnés

Ces derniers temps, quand on commence à parler de Chuck Palahniuk en société, la dernière vanne à la mode est d’affirmer qu’il n’a plus rien écrit d’intéressant depuis 200X (remplacer le X par un entier compris entre 2 à 9). La trilogie qui débute avec Damnés semble bien destinée à prouver le contraire.

« Satan, es-tu ? C’est moi, Madison. Je viens juste d’arriver ici, en Enfer, mais ce n’est pas ma faute, à moins que je ne sois réellement morte d’une overdose de marijuana. »

C’est par ce clin d’œil avisé à Judy Blume (célèbre écrivain pour enfants et adolescents éditée dans nos contrées par l’Ecole des Loisirs) que la petite Madison, 13 ans, commence à se présenter au Prince des Ténèbres, par prière interposée. Il faut dire qu’avec les parents qu’elle a eus et la drôle de vie qu’elle a menée sur Terre, cette adolescente n’a pas froid aux yeux. Sa mère, star d’Hollywood, passait son temps libre à gérer le petit personnel de ses nombreuses résidences par vidéosurveillance et à refiler des comprimés de Xanax à sa fille comme de simples friandises. Son père, important homme d’affaires, lui ramenait de ses voyages des petits frères et des petites sœurs comme autant d’animaux de compagnie. De quoi être blasé dès le plus jeune âge.

Mais la voilà, « grosse et morte » dans l’une des innombrables cellules qui bordent les interminables couloirs de l’Enfer… Madison ne tardera pas à faire la connaissance de ses voisins et à s’échapper, avec leur complicité, pour aller visiter ce nouvel environnement où les démons dévorent les damnés au hasard et où l’on se doit de travailler dans l’un de ces deux secteurs d’ave-nir : le porno ou le télémarketing. Autant dire que pour cette « accroc à l’espoir », enfin libérée de cette épée de Damoclès qu’est la mort, le moment est venu d’un nouveau départ pour une afterlife pleine de surprises.

Jouant de références aussi hétéroclites que La Divine comédie de Dante et le Breakfast Club de John Hughes, Chuck Palahniuk n’hésite pas à grossir le trait à l’extrême dans cette satyre débridée qui frappe là où ça fait mal. Le côté grand-guignolesque pourra sans doute perturber plus d’un lecteur, mais on ne peut s’empêcher de penser, au fil des pages, à un Lewis Caroll observant le XXIe siècle ou, soyons fous, à un Jean de La Fontaine sous acide. Enfin, Damned possède une qualité propre aux grandes fables : leur rémanence dans l’esprit du lecteur une fois le livre refermé. Damnés est une œuvre bien plus subtile qu’il n’y paraît au premier abord. Le fait que Palahniuk l’ait écrit au chevet de sa mère mourante n’y est sans doute pas pour rien.

La trilogie se poursuivra avec sa vision du Purgatoire (Doomed, sorti aux Etats-unis en octobre 2014) puis du Paradis (dont la sortie tarde à être programmée). Vivement qu’on ait la vue d’ensemble.

Wild Cards T1

1983 est une année doublement charnière pour George R. R. Martin.

De son propre aveu, les faibles ventes de son quatrième roman, Armageddon Rag, mettent en péril sa carrière de romancier et l’incitent à exploiter ses dons de narrateur à Hollywood. Il écrira notamment pour la seconde saison de Twilight Zone (bof), et pour la série La Belle et la Bête (bof, bof, bof).

Dans un même temps, son ami Victor Milan lui offre Superworld, un jeu de rôle orienté « super-héros » qui déclenchera une véritable frénésie à Albuquerque, « une orgie ludique qui a duré deux ans » dont le père de « Game of Thrones » finit par s’affranchir en se disant à lui-même : « Il doit y avoir moyen de gagner un peu d’argent avec ça. »

C’est dans ce contexte assez particulier qu’est né le concept de « Wild Cards », univers partagé et uchronique qui fera l’objet de plus d’une vingtaine d’opus mélangeant recueils et romans.

Mis au point par une faction aristocratique de la planète Takis pour en éliminer une autre, le virus Wild Card modifie le génotype takisien de manière absolument imprévisible. Les Takisiens, méfiants quant à la versatilité de leur invention, décident de tester leur arme sur la planète Terre car les humains leur sont génétiquement identiques (si, si !). La venue sur notre planète du Dr Tachyon, bien décidé à empêcher ce test grandeur nature, n’y changera rien : la population sera amputée à hauteur de quatre-vingt-dix pour cent et le devant de la scène progressivement accaparé par une horde de mutants que l’on distinguera en deux catégories : les As, pour qui l’apparition de pouvoirs n’a pas affecté l’intégrité physique, et les Jokers, qui n’ont plus grand-chose d’humain.

Sur un quatrième de couverture, ce background s’avère particulièrement alléchant. Une fois lancé dans le livre, il en est autrement : les quelques idées originales, et peu nombreuses, sont submergées par des avalanches de stéréotypes absolument éculés, un manque d’humour disqualifiant, une grisaille globale qui rogne toute notion d’évasion sans pour autant apporter la profondeur qui pourrait la justifier. La palme de la déception sera sans doute attribuée à Roger Zelazny, qui, au lieu de rendre poignante la nouvelle « Le Dormeur », comme elle aurait mérité de l’être, se contentera de jouer les utilités en une cinquantaine de pages moroses et atones.

Ce premier volume de « Wild Cards » est initialement paru en 1987 aux USA — une époque où l’industrie des comics, de son côté, produisait certains de ses plus grands graphic novels (The Death of Captain Marvel, The Dark Knight Returns ou encore God Loves, Man Kills). Il ne soutient absolument pas la comparaison et tombera moult fois, sans l’ombre d’un doute, des mains les plus motivées. Aucun intérêt.

Grégory Drake

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