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Tétraméron

Jeune fille au sortir de l’enfance, Soledad part en excursion avec son école dans un ermitage. Isolée parmi ses camarades, avec la tenace impression d’être invisible, elle se perd dans l’ancien bâtiment et aboutit dans une pièce obscure où siègent quatre personnes silencieuses aux regards envoûtants ou hostiles. Assises autour d’une table, elles entraînent la jeune intruse dans un ballet verbal où se mêlent angoisse et érotisme, hermétisme et clins d’œil malicieux. Chacun à son tour, les deux hommes puis les deux femmes vont prendre la parole et raconter chacun deux histoires. Au terme de cette « cérémonie », Soledad se trouvera confrontée à un choix capital.

Récit initiatique (la jeune fille deviendra femme), Tétraméron se présente comme un livre à clefs, multiples, pas toujours claires, ouvrant des boites ouvragées. Dès les premières pages, le narrateur s’adresse au lecteur, le prend à témoin, le met en position d’acteur. Tout est en place pour un spectacle captivant. José Carlos Somoza se propose alors de nous confronter à nos peurs, nos pensées dérangeantes, nos vices refoulés. Il commence par l’atome, ennemi de l’humanité, et poursuit par le sexe. Très présent dans cet ouvrage, il apparaît souvent de façon provocante — à travers le personnage principal, notamment, une jeune fille de douze ans, habillée en écolière, qui se dénude au fur et à mesure de l’histoire. Mais on y trouve aussi des sacrifices humains, sanglants, douloureux. Et aussi le Mal, dans toute sa cruauté. De quoi satisfaire tout le monde en somme, remuer et déstabiliser.

Lorgnant très explicitement du côté du Décaméron de Boccace ou de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, José Carlos Somoza nous offre hélas un récit décevant. Loin de ses modèles, entraînants et riches, le Tétraméron reste superficiel, voire artificiel. Les tabous exposés dans les contes ont déjà été traités tant de fois, les péchés mis en lumière ont déjà été ressassés par tant d’écrivains, bons ou mauvais, tant de réalisateurs, talentueux ou pompeux ! Pourquoi se lancer dans ce sillon ? D’autant que la forme courte des nouvelles enchâssées dans un récit semble moins bien réussir à l’auteur espagnol que les romans au long cours. Sa plume est toujours pointue, acérée, mais les histoires peinent à décoller. Pas de rythme, un symbolisme tellement obscur, parfois, qu’il en perd tout intérêt. La bien mauvaise mayonnaise que voilà…

De grands regrets, donc, surtout au regard du talent de José Carlos Somoza, conteur hors pair, créateur d’univers oniriques et fous où l’on aime se perdre. Pourvu qu’il nous revienne rapidement avec toute sa puissance littéraire, et on oubliera tout aussi vite cette tentative avortée.

Parapluie

Trois périodes se télescopent dans Parapluie. Dans les années 70, Zachary Busner, jeune psychiatre au Friern Hospital, administre de la L-DOPA, substance proche du LSD, à des patients atteints d’encéphalite léthargique, dont une vieille femme, Audrey Death (ou Deer, ou Deeth, ou De’Ath) enfermée ici depuis cinquante ans, ce qui les tire de leur état catatonique. Le récit de cette dernière fait revivre le Londres du début du siècle, de 1905 à la Grande Guerre, à laquelle elle et ses deux frères, Stanley et Albert, participent chacun à leur manière. Busner, âgé, de nos jours, revient sur cette histoire vieille de quarante ans, l’incompréhensible évolution du traitement mais aussi son implication personnelle, et tente d’en tirer les leçons.

Le récit se base sur les faits relatés dans L’éveil, le roman que le neurologue Oliver Sacks a tiré de sa propre expérience, adapté au cinéma avec Robert de Niro et Robin Williams, mais aussi au théâtre par Harold Pinter, et qui a en partie inspiré Neil Gaiman pour la BD Sandman. On sait Will Self, dont la folie est le thème récurrent, admirateur de Sacks et de son écriture riche en détails, centrée sur la perception, cherchant à décrire de l’intérieur les maladies neurologiques ; « Zach » Busner, déjà croisé dans Les Grands Singes et ailleurs, comme le rappelle d’entrée de jeu une rengaine (I am a ape man), en est une référence transparente.

Cette volonté de description intime est exactement ce que réalise Will Self dans ce récit déroutant où tout, les descriptions objectives et les narrations à la première personne de quatre protagonistes, les sensations et les errements de la pensée, sont placés sur le même plan, sans rien délivrer pour permettre au lecteur de se raccrocher à un détail qui faciliterait sa compréhension.

Autant le dire d’emblée : il faut s’accrocher à la lecture. Nous sommes aux limites du roman, et même de la lisibilité. Baigné dans ce flux ininterrompu de conscience, on ne peut avancer dans le récit qu’en acceptant de se laisser porter par le flot de phrases parfois inachevées, à la syntaxe torturée, irriguée de pensées parasites, traversées de mots valises, d’onomatopées, et de termes phonétiquement orthographiés pour imiter un accent ou des phrasés particuliers (« Cruchoé — chette quintechenche de petit bourgeois »). Ininterrompu, car un même paragraphe peut s’étaler jusque sur vingt pages ; on passe d’un narrateur à l’autre au sein de la même phrase, sans forcément signaler ce basculement par un indice. L’éveil ne concerne pas que les patients bénéficiaires de la L-DOPA, mais le lecteur, qui se trouve dans la situation d’un nouveau-né entendant des sons, langage, cris et bruits de fond, sans possibilité de les comprendre, jusqu’à ce que cette bouillie finisse par faire sens. Dans une interview, Self explique que le refus du narrateur impersonnel critiqué par Ballard, dont il est un disciple, le recours au subjectivisme de Joyce, est une réaction davantage émotionnelle que « théorico-littéraire ». Elle n’en est pas moins radicale ici, même s’il reconnaît n’avoir pas totalement abouti dans son entreprise.

L’éveil, c’est aussi celui de la société technologique : Audrey raconte le Londres s’ouvrant à la modernité, avec le téléphone et le métro, lequel poussera bientôt son père conducteur d’omnibus hippomobile au chômage, avec une certaine liberté de mœurs, aussi, le militantisme des suffragettes. Mais on découvre très vite les maux qu’engendre la technique avec le passage à la guerre industrielle. L’effort de guerre provoquait chez les « munitionnettes », aussi surnommées « canaris » en raison de leurs mains jaunes qui enfonçaient l’explosif dans les têtes d’obus, des tremblements et des crises d’épilepsie. On trouve de terribles pages sur la condition des soldats coincés dans les tranchées. La stupeur et les tremblements accompagnent ces débordements. L’encéphalite léthargique, qui se propagea bien sous forme épidémique entre 1915 et 1922, reçut d’ailleurs le nom de maladie du sommeil européenne, ce qui fait dire à Zach que le responsable de cette propagation n’était pas la densité de la population, mais celle de la mécanisation et de la technologie. Accusées de dénaturer la conscience humaine et d’affecter la mémoire, Self a cherché à transcrire leur impact dans ses personnages, rejetés hors du temps jusqu’à ce qu’une molécule les y ramène avec des effets inattendus. C’est aussi à une réflexion sur le temps que se livre Will Self autour de cette maladie de la conscience, qui fait de la léthargique une fascinante voyageuse temporelle.

Ce premier tome d’une trilogie centrée sur le danger de la technologie occidentale sera suivi de Shark, autour d’Hiroshima, et de Téléphone, qui se situera en Irak. Sans relever à proprement parler du champ de la science-fiction, Parapluie contient suffisamment d’éléments insolites et de notations scientifiques (comparant par exemple le long corridor qu’arpentent les malades à un « accélérateur de particules linéaires humaines ») pour mériter qu’on s’y attarde. Malgré les difficultés de lecture inhérentes à cette déconstruction de la narration, on y trouve de très belles pages et d’intelligentes réflexions. Un livre brillant.

J

Port-Reuben, petite ville trop tranquille d’une Angleterre future… Ailinn, jeune femme sans histoire, orpheline, tombe amoureuse de Kevern Cohen, tourneur sur bois. Drôle de bonhomme, ce Kevern, tourmenté par son ascendance incestueuse, et qui a l’étrange habitude de porter ses doigts à ses lèvres closes dès lors qu’il s’agit de prononcer la dixième lettre de l’alphabet. Dans le passé, une catastrophe a eu lieu, peut-être : ce qui s’est produit, si cela s’est produit. Des gens ont — auraient — disparu, en masse. Personne n’en parle, mais en dépit des précautions oratoires, tout le monde sait que cela s’est effectivement passé. L’une des conséquences de ce désastre humain a été l’Opération Ismaël, dont le résultat a vu tous les individus survivants baptisés de noms bien particuliers : Cohen certes, mais aussi Rosenthal et Gutkind ou encore Rabinowitz. Au milieu de tout cela, Ailinn et Kervern, donc, que l’on surveille de près, et que l’on pousse à tomber dans les bras l’un de l’autre. Dans quel but ? Y aurait-il un lien avec leurs lignages mystérieux ?

Les amateurs d’uchronies à la Fatherland ou Le Cercle de Farthing, les afficionadios du post-apo’ (il est bel et bien indiqué postapocalyptique sur la quatrième de couverture : ce n’est pas faux, mais il ne faut surtout pas s’attendre à du Mad Max) ou ceux qui se font des délices des dystopies en seront pour leurs frais : J se tient bien en marge des mauvais genres. L’intrigue louvoie, oscille entre paranoïa, anticipation, romance et roman policier, mais échoue à convaincre dans chacun des genres abordés, et en définitive, J peine tout simplement à passionner. La révélation quant à la nature de la catastrophe, le lecteur s’en doute très (trop) rapidement. Les personnages s’avèrent peu aptes à éveiller quelque sympathie, et le contexte, ce qui s’est produit, si cela s’est produit, demeure par trop succinct. Pourquoi, comment : cela demeure inexpliqué, et nuit à la crédibilité du roman.

Sur le fond (attention spoilers), J est inattaquable pourtant : Howard Jacobson, auteur dont les romans mettent en scène des personnages juifs se questionnant sur leur judéité (chez Calmann-Lévy, notamment), propose avec celui-ci une réflexion sur l’antisémitisme, le passé, la mémoire, la culpabilité, dans le cadre d’une Solution finale ayant réussi. Sur la forme, malheureusement, J se plante, peu satisfaisant sur le pur plan romanesque tout autant que peu crédible. Bref, dans un genre similaire, on (re)lira plus volontiers Le Complot contre l’Amérique de Philip Roth.

Vilnius Poker

Dans le cahier critique du précédent Bifrost, nous disions à propos de LoveStar que les romans islandais à paraître en français ne sont pas légion, et que ceux à relever des genres qui nous intéressent le sont encore moins. Une remarque tout aussi valable pour le présent Vilnius Poker de Ri?ardas Gavelis, récit venu tout droit de Lituanie — le titre laisse à ce sujet peu d’équivoque — mais qui ne relève de l’Imaginaire que par la bande. On ne pourra que louer ces éditeurs qui vont creuser les veines des littératures de genre au-delà du seul monde anglophone…

Selon la légende, Vilnius aurait été fondée au XIVe siècle après que le grand-duc de Lituanie, Gediminas, se fut assoupi au pied d’une colline : le souverain aurait rêvé d’un loup de fer aux hurlements puissants. Un prêtre païen expliqua au grand-duc que ce rêve lui enjoignait d’édifier en ce lieu, à la confluence de la Vilnia et de la Néris, une capitale, laquelle acquerrait une grande renommée. Par la suite, cependant, dans le monde de l’éveil, la ville va basculer sous l’influence de la Pologne voisine, avant d’être intégrée à l’Empire russe. Si la Lituanie acquiert une brève indépendance entre 1918 et 1940, Vilnius demeure en territoire polonais. Après son intégration forcée au sein de l’URSS, ce pays balte n’acquiert finalement son indépendance qu’en 1990. Voilà pour le rappel historique, pas forcément inutile pour appréhender Vilnius Poker, roman qui s’inscrit en plein dans l’histoire complexe de la Lituanie.

Vilnius Poker suit l’itinéraire de Vytautas Vargalys. Dernier membre de sa lignée, rescapé du goulag, il travaille désormais en tant que bibliothécaire et se désole de voir son pays croupir sous Leur joug. Ils sont partout : Ils, ceux que Vytautas appelle les « kanuk’ai », dont le but est de « kanuk’er » le monde. C’est-à-dire asservir les peuples et engourdir les esprits. Envers et contre tout, Vytautas, dont la paranoïa est une seconde nature, veut protéger son amour, la belle Lolita — mais n’est-il pas déjà trop tard ?

Roman polyphonique, Vilnius Poker est narré tour à tour par Vytautas (pour l’essentiel du texte) puis par ses proches (plus brièvement). Il y a Martynas, fasciné par le concept d’homo lithuanicus contre celui d’homo sovieticus, qui revient sur le passé de son ami. Il y a Stefa, d’origine polono-biélorusse et qui peine à s’intégrer à Vilnius. Et il y a Gediminas, le meilleur ami de Vytautas, qui a fini réincarné en chien — drôle de destin pour celui qui porte le prénom du grand-duc… Mais en définitive, le personnage central du roman n’est autre que Vilnius elle-même, « la frontière où s’affrontent l’expansionnisme russe et l’esprit européen », où « chaque maison, chaque intersection est à la fois le tableau de la vie d’antan et celui de la catalepsie contemporaine », ville que Vytautas qualifie pourtant de « nécropole mentale ».

Vytautas, Gediminas : rien d’étonnant à ce que les protagonistes portent les prénoms des deux souverains les plus prestigieux de la Lituanie. Vilnius Poker se veut le roman d’une nation qui a courbé l’échine pendant des siècles et qui continuait de le faire au moment de la rédaction dudit texte. Volontiers sarcastique, le portrait est à charge contre les Lituaniens, dont l’auteur fustige avec ironie la passivité et le fatalisme.

Premier roman de Ri?ardas Gavelis, publié en 1989, Vilnius Poker s’avère d’une lecture intense et ardue. L’intrigue y est minimale, le fantastique se situe à la toute marge, et éprouver un minimum d’intérêt pour la Lituanie semble un prérequis. Mais on tient là un grand roman, transcendant les genres. Pourvu que Monsieur Toussaint Louverture continue à nous proposer des livres de cet acabit.

Les Groseilles de novembre

Que son précédent roman traduit, L'Homme qui Savait la Langue des Serpents, également au Tripode, ait remporté le Grand Prix de l'Imaginaire 2014 dans la catégorie du meilleur roman étranger fait qu'Andrus Kivirahk n'est plus tout à fait inconnu sous nos latitudes. Selon l'éditeur, Les Groseilles de Novembre serait considéré en Estonie comme son meilleur roman…

La présentation de l'ouvrage qui se réfère volontiers au précédent donne à penser qu'il ne sont guère différents, peut-être est-ce là le plus gros reproche que l'on pourra leur adresser. « Lire Kivirahk, c'est à chaque fois entrer dans un monde proprement extraordinaire. L'Homme qui savait la Langue des Serpents nous avait habitué à l'idée d'une époque où il était encore possible d'épouser des ours, d'avoir pour meilleur ami une vipère royale ou encore de voler dans les airs à l'aide d'ossements humains. » La quatrième de couverture nous annonce simplement « Le destin de l'homme n'est pas facile. On vit. On Meurt. Puis on se change en démon. » Ce sont des choses qui arrivent…

Les Groseilles de Novembre entonne le même air comme une suite de variations sur ce fantastique bien particulier. Fantastique ou fantasy d'ailleurs ? On est là en plein sur une frontière entre deux genres qui n'a jamais trop fait débat. On est en Estonie. Dans le village qui semble hors du temps, comme s'il était unique ou presque, à une époque avant la télé et la bagnole, pré-soviétique évidement… Ça pourrait bien être notre monde à l'époque des barons baltes mais c'est un monde où le fantastique fait irruption à tous les coins de rue, au sens propre. Il est omniprésent à un point tel que cette Estonie là glisse dans les territoires du merveilleux sans que nul n'y trouve à redire. Ce roman est une chronique des événements du mois de novembre au jour le jour. Un journal, donc. Mais sans auteur. Comme si le lecteur, sous une forme invisible, avait pu assister lui-même aux événements. Il n'y aura ni début ni fin. C'est comme si vous vous étiez coupé une portion du saucisson du temps avant de la trancher.

En ce premier jour de novembre, Jaan, le valet de ferme de Koera Kaarel, est bien mal en point, en proie à de violentes convulsions abdominales. On s'en est allé quérir Sander, le ganger, un sorte de guérisseur qui demande au malade « Ça sentait la rose ? Qu'est-ce qui t'as pris de le manger, alors ? Est-ce que tu broutes les fleurs en été ? Comme une vache ? » Parce que le bougre à qui il manque un bon quart d'heure de cuisson a bouffé du savon dans le garde-manger du manoir. Le ton est donné. Drôle. Souvent à se tordre…

Il faut dire que piller le manoir de ce vieux baron allemand qui n'y voit goutte et que du feu, tout particulièrement son garde-manger, avant de se voler les uns les autres le fruit de ces larcins est le grand sport local auquel tout un chacun s'adonne avec la ferveur la plus compulsive. Tous ces madrés paysans préfèrent recourir à leur kratt pour commettre leurs forfaits afin de rester chez eux à surveiller leur butin qui sans ça aurait tendance à s'envoler fissa. Le kratt est une créature folklorique confectionnée avec des rebuts de ferme : sceau, vieux balais, tonneaux, branches etc. que l'on anime en allant acheter une âme au diable à la Croisée des Chemins. À la nuit tombée, vous pouvez les voir parcourant le ciel avec le feu aux fesses comme par un effet de postcombustion allant dérober ici ou là ceci ou cela. Il suffit toutefois que la victime tapât du pied gauche pour que le pinocchio volant chût du haut des airs. Ainsi en va-t-il au village où les contrats en bonne et due forme avec le Malin qui ne l'est pas tant que ça sont paraphés par ces roués paysans avec le jus des groseilles du titre plutôt qu'avec leur sang…

Et vous en avez comme ça, à foison… un mois complet !

Le roman est très drôle dans son ensemble bien qu'il glisse vers la fin sur une tonalité douce-amère qui s'enchaîne très logiquement avec les péripéties précédentes… Les Groseilles de Novembre est incontestablement un livre très original des plus amusants qui sort allègrement des sentiers battus de la fantasy. Tous les événements ne sont pas empreints de surnaturel quand bien même souvent est-ce le cas. Ainsi, quand deux petits vieux pas plus honnêtes mais moins malins que les autres villageois trouvent enfin, par miracle, le trésor enfoui qu'ils ont espéré toute leur vie, ils n'ont de cesse de l'enterrer aussitôt ailleurs de crainte qu'on ne le leur vole…

Voici donc une excellente occasion de lire en s'amusant un livre des plus désopilants qui, bien que plus drôle, n'est quand même pas aussi bon que le recueil de Karen Russell mais dont il serait néanmoins bien dommage de se priver. Andrus Kivirahk pourrait bien combler les amateurs de feu Terry Pratchett…

Bohane, sombre cité

En 2053, quelque part en Irlande, Logan Hartnett, chef des Fancys, la bande qui a la mainmise sur la ville (imaginaire) de Bohane depuis plusieurs années,voit resurgir du passé son vieux rival, Le Gant, l’ancien amant de son épouse Immaculata. Le quinquagénaire doit aussi faire face à une révolte larvée d’une bande adverse sur fond de violence, de prostitution généralisée et de trafic de drogues systématique. Et derrière tout cela veille la mère du protagoniste, Girly, quatre-vingt-dix ans, aussi coriace que le fils.

Bohane, sombre cité évoque tant bien que mal un futur qui n’est finalement qu’un prétexte pour poser le décor d’une cité fantasmée. Kevin Barry ne se cache pas des influences multiples qui traversent le roman. On ne peut s’empêcher en effet de penser aux lourds échos de Gangs of New York de Scorsese, ou au mélange sulfureux d’un Sin City première mouture. Et il faut reconnaître qu’une certaine force d’évocation sert le propos d’une histoire qui se parcourt sans déplaisir, un personnage dominant par sa présence tous les autres – même si ce n’est pas difficile, nous le verrons plus loin –, celui de la mère.

Restent les tics d’écriture agaçants de l’auteur, le style télégraphique dont il saupoudre parfois ses paragraphes, comme s’il voulait s’en débarrasser ; le choix scénaristique consistant à ne dévoiler l’identité du narrateur qu’au deux tiers du récit, nous mettant longtemps dans l’inconfort d’interpellations répétées que l’on situe finalement mal dans le temps et l’action du roman ; ce même choix scénaristique n’apportant rien à l’intrigue ; le parti pris facile de Kevin Barry de s’économiser certaines scènes d’envergure par le biais d’un compte rendu indirect, celui d’un témoin, seule la foire d’Août (et sa chèvre…) lui paraissant digne d’un développement ; le trop grand accent mis sur l’apparence extérieure de chacun des protagonistes, trahissant au bout du compte un curieux retrait de l’écrivain, une distance un peu floue vis-à-vis de ceux qui peuplent son texte ; partant, le manque d’épaisseur de la plupart des personnages, et peut-être de l’histoire elle-même ; enfin, ce choix inutile de placer la ville de Bohane dans un futur qui n’est pas crédible un seul instant, qui ne vit pas, parce qu’il ne détermine en rien les enjeux du livre, ni ne les caractérise. N’est pas écrivain de science-fiction qui veut.

Le communiqué joint à l’exemplaire du service de presse mentionnait dans un bel ovale tracé à l’encre rouge : premier roman.

Il était en effet préférable de le préciser.

La Ménagerie de papier

Ken Liu a fait irruption en 2011 dans le gotha de la SF mondiale avec la nouvelle éponyme de l’intriguant recueil que nous propose le Bélial’ sous la houlette de Ellen Herzfeld et Dominique Martel : « La Ménagerie de papier » a raflé rien moins que le Prix Hugo et le prix Nebula de la meilleure nouvelle de science-fiction, et le World Fantasy Award pour la meilleure nouvelle de fantasy.

Fantasy, science-fiction ? C’est peu dire que Ken Liu se plaît à brouiller les pistes dès qu’on tente de l’enfermer dans une étiquette, jusqu’à s’inventer ironiquement un genre nouveau, le silkpunk, pour qualifier le mélange artistique de ses deux cultures, chinoise et américaine, l’alliage d’humour, d’harmonie et de dureté de plusieurs de ses nouvelles. Pour autant, même lorsqu’il s’amuse à filer l’improbable métaphore de la voile solaire comme jeu de go géant (« Mono no aware », également prix Hugo), ses textes sont au cordeau, les boulons de sa littérature bien serrés, et c’est en traducteur de hard SF qu’on le retrouve, avec The Three-Body Problem de Cixin Liu, finaliste cette année des prix Nebula et Hugo du meilleur roman.

Après leur travail remarqué sur Greg Egan, les éditions du Bélial’ et Quarante-Deux nous offrent donc ici une nouvelle aventure littéraire ambitieuse, à la rencontre d’un auteur qui pourrait bien être en train d’ouvrir à la science-fiction des territoires nouveaux. Pour le lecteur, le point commun entre Liu et Egan est sans doute leur capacité à soulever des vertiges métaphysiques là où on ne les attend pas. Mais si, pour Egan, il s’agit d’un jeu intellectuel, de postures variant d’une histoire à l’autre, les dix-neuf histoires de La Ménagerie de papier déclinent autant de variations cohérentes d’un même regard très personnel sur le monde, quelque part entre Philip K. Dick, Albert Camus et une Sylvie Lainé qui aurait renié sa tendresse envers l’humain. « Nous passons nos vies à nous raconter des histoires sur nous-mêmes, explique Ken Liu en préface. C’est ainsi que nous rendons tolérable l’existence dans cet univers froid, insensible, hasardeux. »

Les personnages de Ken Liu sont presque tous intelligents, souvent compétents, et pourtant piégés dans l’absurde déterminisme de relations humaines impossibles, comme l’adolescent de « La Ménagerie de papier », trop américain pour savoir respecter les magies de sa mère chinoise presque illettrée ; comme la créatrice de « Les Algorithme de l’amour », qui voit s’estomper la différence entre ses sentiments et les ersatz qu’expriment les poupées qu’elle programme ; ou encore comme la jeune ethnologue de « La Forme de la pensée », qui doit renoncer à la communauté humaine pour se pénétrer d’une culture étrangère. Ses histoires d’amour finissent mal, en général. D’autres textes renouvellent la thématique de l’immortalité (« Trajectoire »« Les Vagues ») ou le rapport occidental aux religions, comme dans « L’Erreur d’un seul bit », qui joue brillamment de l’irréductible incompatibilité entre une authentique expérience mystique et son analyse rationnelle, ou de façon plus légère dans la conversation désinvolte entre une jeune chinoise et le dieu des Juifs dans « Le Golem au GMS ».

Alors, pourquoi ne pas aller se perdre dans les méandres de ce très beau recueil, ne pas se laisser porter en souplesse d’une arche générationnelle de pure SF aux mésaventures d’un buffle en origami dont les pattes de papier auraient trop pataugé dans la sauce de soja ? L’inventivité et la poésie de Ken Liu le méritent, le dépaysement est assuré et – qui sait ? – il pourrait bien remettre en cause au passage quelques-unes de nos trop confortables certitudes sur la science-fiction. Revigorant !

Mausolée

Dans notre 72e livraison, nous disions tout le bien que nous pensions de Point Zéro, premier roman d’Antoine Tracqui, gros techno thriller qui envoyait du lourd. Un peu de moins de deux ans plus tard, en voici la suite : Mausolée.

1978. Le steamer Mary D. Hume s’échoue à Gold Beach, Oregon. La cause du naufrage, le capitaine, pas très sobre au moment des faits, préfère la taire, tant elle dépasse son entendement. 2020. Deux ans après les événements narrés dans Point Zéro, l’équipe de la Hard Rescue – ces spécialistes ès sauvetages impossibles – s’est mise au vert, mais Kendall Kjölsrud, le multi-milliardaire plus que centenaire à la tête de l’une des entreprises les plus puissantes du globe, sonne le rappel. Direction l’Oregon, pour exhumer l’objet à l’origine de l’échouement de la Mary D. Hume : un navire venu tout droit… de la Chine Antique. La fine équipe se retrouve bientôt lancée sur les traces de Qin Shi Huangdi, le premier empereur chinois, dont le mausolée funéraire ne se situerait nulle part ailleurs qu’aux USA. Despote habité par la quête de l’immortalité, Qin Shi Huangdi avait lancé une expédition en direction d’hypothétiques îles à l’est de la Chine, expédition dont aucun membre n’est jamais revenu. Mais n’est-ce pas absurde de supposer que l’empereur en aurait fait partie ? Du côté de la Corée du Nord, devenue récemment la Nation de la Loi sous la férule d’un dictateur propre à faire passer Kim Jong-un pour un aimable Bisounours, les choses se corsent : le tyran, persuadé d’être la réincarnation de Qin Shi Huangdi, est prêt à déchaîner l’enfer sur Terre pour asseoir sa suprématie sur son voisin chinois…

Mausolée reprend les choses là où elles en étaient restées avec Point Zéro, avec les mêmes qualités – et, par corollaire, les mêmes défauts. Des personnages bigger than life formant une dream team du tonnerre ; des méchants aussi vicieux qu’increvables ; un vieux sage (Kendall Kjölsrud) affligé du syndrome « Gandalf » : barbu omniscient qui distille ses révélations au compte-gouttes et qui n’est jamais là quand sa présence est requise ; une action qui ne faiblit pas un seul instant, au travers de scènes de baston hypertrophiée ; une mécanique de scénario huilée à l’excès. Le roman suit une structure similaire à celle de Point Zéro : l’action va crescendo jusqu’à une apocalyptique troisième partie ; la quatrième et dernière partie est plus posée et finit de renouer les fils de l’intrigue, avant un épilogue qui, forcément, appelle une suite. Là où Mausolée pèche encore, c’est par sa longueur : les neuf cents ( !) et quelque pages, interminables, laissent peu de place à la subtilité et au développement des personnages, qui demeurent quasi monolithiques, privilégiant l’hénaurme et les cliffhangers à répétitions. Les notes de bas de page abondent, attestant du sérieux d’Antoine Tracqui quant à la documentation mais hachant la lecture.

Il n’empêche : dans le genre du thriller dopé, Mausolée fonctionne aussi bien que Point Zéro. Généreux dans l’action, le roman n’est pas non plus avare de « sense of wonder », même si on regrettera l’absence d’un petit supplément d’âme. Peut-être pour la suite ?

Des monstres littéraires

Un certain François, individu dont la seule caractéristique notable est la voix si particulière, quitte la France pour Montevideo. Il laisse derrière lui un recueil de dix-sept textes étranges : le présent Des monstres littéraires. Dans ces dix-sept nouvelles (dix-huit si l’on compte l’introduction du narrateur), il est tour à tour question d’un homme affligé d’une maladie qui le fait se dissoudre dans l’eau ; d’un éditeur désœuvré qui écrit sur des vitres la description de ces mêmes vitres, prélude à son grand œuvre romanesque ; d’un autre encore qui cherche jusqu’à la folie l’origine d’une histoire qu’il croit avoir lue quelque part ; d’une poétesse dont l’œuvre consiste en six poèmes et pas un de plus ; d’un contemporain de Kafka ayant écrit une suite à La Métamorphose… Pas de vampires ou de loups-garous à chercher dans ce recueil. Encore que… Le titre provient du texte précisément titré« Des monstres littéraires », une réflexion sur Dra-cula : « On peut admirer le comte Dracula, non parce qu’il vit au-delà de la mort (…), mais parce qu’il ne cherche plus de sens, il cherche du sang. Il cherche ce qui le fera exister encore. Il ne cherche pas à rendre compte de sa condition. (…) Nous qui sommes des monstres littéraires, nous n’existons pas. Nous cherchons la signification. Que nous ne trouvons pas. »

Plaçant son recueil sous le haut patronage, souvent écrasant, d’Enrique Vila-Matas, Jorge Luis Borges et Franz Kafka, Jérôme Orsoni explore les liens entre vie, écriture et littérature, avec érudition et un soupçon d’humour désabusé. Le fantastique y est présent, souvent discret, à la marge, dans la droite lignée des auteurs cités plus haut. Dans des textes alternant les formes (récits, essais, poésies, commentaires), on retrouve des livres fictifs, des jeux de miroirs, des situations du quotidien où sourd une inquiétante étrangeté. Et bon nombre d’écrivains factices – les monstres, ne seraient-ce finalement pas eux ? Des jeux littéraires centrés sur la seule littérature : pourquoi pas, quoique l’exercice s’avère in fine un peu vain. Les amateurs de curiosités littéraires apprécieront (mais à dix-neuf euros la plaquette, il y a de quoi rechigner).

Lune noire

Un beau jour (ou était-ce une nuit ?), l’humanité se met à souffrir d’insomnie généralisée, avant de bientôt perdre le sommeil de manière définitive. Seules de rares personnes continuent à s’endormir régulièrement. Les insomniaques, eux, évoluent peu à peu : le manque de repos les rend tout d’abord apathiques, puis impacte leur tempérament. Ils se détachent du monde, ne lui trouvent plus aucun intérêt, se mettent à déambuler sans raison et deviennent même agressifs envers ceux ayant conservé la faculté de s’assoupir. La société s’en ressent inévitablement : avec ces hordes de désœuvrés, elle ne peut que péricliter. Même si les gens continuent à aller travailler, car ils restent conscients, ils n’ont plus les bons réflexes de vie en société et laissent les choses se dégrader peu à peu…

On aura bien sûr reconnu derrière la trame de ce livre un décalque du roman de zombie. Les éveillés de Lune noire constituent une horde de créatures qui errent sans but, agressant les individus « sains » dès qu’ils les croisent, y compris les membres de leur propre famille (ce qui nous vaut quelques scènes assez flippantes – Lila attachant ses parents au piano pendant la nuit afin qu’ils évitent de la menacer, par exemple). Ce qui n’ôte rien à l’originalité du récit, car la ressemblance s’arrête là : les créatures restent des êtres humains à part entière, doués de raison, même si celle-ci s’effiloche au fil du temps. Dès lors, contrairement aux zombies, la possibilité que les « contaminés » puissent parcourir le chemin en sens inverse, redevenir normaux, persiste. Ce qui rend d’autant plus poignante la tentative de l’un des protagonistes, Biggs, de mimer le sommeil dans l’espoir que sa femme réapprenne à dormir, d’autant qu’on comprend vite combien ladite tentative est vouée à l’échec. On pourrait croire la situation des « normaux » moins dramatique. Ce n’est pas le cas, naturellement : au-delà de leur lutte quotidienne pour survivre, ces derniers conservent la possibilité de rêver… et de cauchemarder, comme en témoigne cet hallucinant chapitre 8 au cours duquel Biggs voit déferler des vagues de souvenirs plus ou moins frelatés.

Kenneth Calhoun ne tente pas d’expliquer l’origine de l’épidémie, et on lui en sait gré : il obtient de fait une impression d’étrangeté et d’indétermination qui prend tout son sens au regard du mal dont souffrent ses personnages. Lune noire se conçoit comme un roman d’atmosphère qui privilégie l’ambiance aux événements. Et c’est sur ce point précis que le livre achoppe pour l’essentiel : il manque d’enjeu, et pas qu’un peu. L’auteur a choisi de décrire la vie de quatre ou cinq protagonistes. Si la quête de Biggs pour retrouver sa femme présente un intérêt certain, on est au mieux indifférent, au pire lassé par les autres destins. La palme sans doute au duo Chase/Jordan, le premier étant obnubilé par son idée de retrouver la femme qu’il aime, et qu’il n’a su satisfaire (d’où, au passage, sa quête quasi sacrée de Viagra pour le jour où il la retrouvera) ; on a beaucoup de mal à s’intéresser à leurs péripéties, et l’engourdissement gagne au fil des pages – peut-être le but recherché par l’auteur, compte tenu de sa thématique ?

Reste un premier roman à l’atmosphère étonnante, doté d’un postulat de départ original mais imparfaitement abouti, en premier lieu dans son choix des trajectoires individuelles censées nous faire mieux comprendre l’impact sociétal d’un arrêt progressif de notre capacité à dormir.

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