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Jocaste

Seule maison à proposer aujourd'hui des textes inédits d'un auteur de S-F pourtant unanimement considéré comme l'un des plus importants du genre, Métailié est définitivement à ranger parmi les éditeurs de bon goût (ligne éditoriale et couvertures comprises). Aussi british que subtil, Brian Aldiss continue avec bonheur son exploration borderline et, à 81 printemps bien tassés, se fait manifestement plaisir en livrant un Jocaste aussi sardonique que léger. Vision très personnelle du mythe d'Œdipe Roi pourtant déjà raconté par un certain Sophocle, le Jocaste d'Aldiss louche du côté de Racine, rencontre le spectre de Jean Anouilh et n'oublie pas non plus Didier Lamaison.

Reprenons : Anouilh a fait Antigone en y ajoutant ses visions anachroniques d'une rare poésie ; Lamaison nous a offert un Œdipe-Roi décalé et adapté du mythe à la « Série noire » (eh oui), en faisant logiquement ressortir le côté thriller d'une histoire pourtant archi-connue. Et Racine ? Racine est finalement plus proche d'Aldiss que jamais. En s'intéressant aux femmes dans Phèdre, le très estimable Jean (je l'appelle Jean) parvient à nous rendre incroyablement présente l'absence de Thésée pendant plus d'un acte. Le drame y est sous-jacent, suinte du texte, et quand il arrive au bout d'un scénario haletant, le lecteur est aussi choqué que soulagé.

Même procédé chez Aldiss avec une histoire évidemment différente, mais tout aussi tragique. Ici, la star, c'est Jocaste, et non Phèdre. Jocaste qui couche avec son fils parricide sans le savoir, Jocaste qui doit supporter sa grand-mère Sémélé (sorte de vieille sorcière aussi pénible que douloureusement perspicace) tout en ignorant ostensiblement la Sphynge qui traîne dans le palais en pissant un peu partout (c'est mal élevé, les Sphynges). D'entrée, les repères s'envolent (repassez par la case Anouilh et revenez contents). C'est d'un monde antique qu'il s'agit, mais ses tenants et aboutissants sont si proches du notre que le décor n'a somme toute pas beaucoup d'importance. Preuve qu'Œdipe-Roi est un vrai chef-d'œuvre, d'ailleurs… Comment une histoire aussi simple aurait-elle pu traverser le temps si elle n'évoquait pas nos angoisses les plus intimes ?

Inutile ici de résumer l'intrigue de Jocaste. Il suffit juste de savoir que Brian Aldiss colle au texte de Sophocle, mais plus en sale gosse qu'en disciple. Des vides y sont comblés, des personnages y gagnent en importance (Jocaste, évidemment), d'autres disparaissent dans un nuage opaque de mauvais caractère (Oedipe, ah, tiens, comme le Thésée de Racine), mais le destin est ce qu'il est et l'oracle ne se trompe jamais. Tout est dit ? La preuve que non. Aldiss s'approprie le texte avec un enthousiasme, une légèreté et une intelligence qui fonctionnent impeccablement bien. Ni parodie, ni réécriture, Jocaste est un hommage qui, chose rare, s'affranchit des lourdeurs du genre et ré-éclaire l'original d'une lumière aussi bienfaisante que déconcertante. Respect.

La Cité d'en haut

[Critique commune à Science-fiction : une littérature du réel et La Cité d’en haut.]

Auteur, éditeur, anthologiste, André-François Ruaud fait partie des talents pluridisciplinaires de la science-fiction hexagonale. Bonne nouvelle pour les lecteurs et lectrices attiré(e)s par son travail éditorial au sein des très respectables Moutons électriques, les rayons des libraires proposent deux ouvrages récents, un roman et un essai.

Côté essai, c'est d'une histoire de la science-fiction qu'il s'agit, mais une histoire revisitée aux éditions Klincksieck (coécrite avec Raphaël Colson) au sein de la collection « 50 questions ». Cinquante questions, donc, pour évoquer tout un pan de la littérature, dans une perspective historique, certes, mais également (c'est bien là l'intérêt) d'un point de vue culturel, sociologique et même franchement humaniste. Si, à l'instar d'autres textes du même genre, on traite essentiellement de S-F européenne et américaine, la lecture de Science-fiction, une littérature du réel (tout est dans le titre) n'en reste pas moins aussi agréable qu'étonnante. Etonnante, car les deux auteurs n'hésitent pas à épicer leur imposante bibliographie de titres encore inédits en France, et ce malgré leur importance majeure au sein du genre (Delany, bien sûr, mais aussi Crowley, Engh et bien d'autres). Agréable, car l'agencement des questions est bien amené et le discours historique impeccablement mêlé aux descriptions strictement livresques. Subversive, iconoclaste, dérangeante, la S-F gagne au passage les lettres de noblesse que continuent à lui refuser les milieux éditoriaux bien-pensants. Véritable mine d'information, ce vaste panorama ne rebutera personne : les spécialistes y trouveront de nouvelles voies à explorer et les néophytes en apprécieront la concision, la construction et l'intelligence. À ce titre, Science-fiction une littérature du réel s'impose d'emblée comme le meilleur livre de sa catégorie. Tellement bien fichu qu'on se plaît à rêver d'une version richement illustrée.

Changement de décor radical avec non pas un, mais deux textes de fiction rassemblés en un seul volume sous le titre La Cité d'en haut aux éditions Mnémos — le premier des deux étant la réédition d'un volume autonome paru en 1999 aux éditions du Bélial' sous le titre Des ombres sous la pluie, ce que Mnémos oublie bien naturellement de préciser, y compris dans la bibliographie de l'auteur au début du présent volume… Seul aux commandes, André-François Ruaud invite son lecteur au voyage. Un voyage pertinent et poétique, à l'exacte convergence de la fantasy et de la science-fiction. Parti pris fascinant de la part d'un auteur dont on connaît l'érudition : planter un décor qui a tout de la fantasy (un palais gigantesque sur les toits duquel est installée la Cité d'en haut, peuplée d'exilés — forcés de quitter le palais et maintenus à l'écart par un mystérieux champ de force — de centaures, d'hommes-chats et de tout un bestiaire qui résonne comme autant de clins d'œils) et lui donner une assise réaliste inscrite dans la tradition du planet opera (une dispora humaine pangalactique, la colonisation de la planète, la modification génétique de certains habitants, etc.). Héros idéal de ces deux courts romans, Ariel Doulémi symbolise à la perfection ce mariage rondement mené : jeune homme bien sous tout rapport, mais également vampire (pas au sens fantastique du terme), car modifié par les hommes-chats et pourvu de deux canines rétractiles dont il se sert pour identifier les liquides qu'il peut aspirer. De fait, au service de Madame Ha, il a l'occasion de se heurter à un complot qui sème plusieurs assassinats par empoisonnement tout en participant à une révolution sociale longtemps contenue. Descriptions longues et parfois fatigantes, certes, mais humour, souffle et véritable hommage à une littérature qui n'a jamais peur du merveilleux. Si La Cité d'en haut est un vrai thriller, c'est également un vrai bon bouquin à réserver aux lecteurs et lectrices avides de références (un des personnages s'appelle Rex Stout, et ce n'est qu'un exemple). Les fans de Richard Morgan n'apprécieront pas, même s'il y a des poursuites à vélo…

Science-fiction : une littérature du réel

[Critique commune à Science-fiction : une littérature du réel et La Cité d’en haut.]

Auteur, éditeur, anthologiste, André-François Ruaud fait partie des talents pluridisciplinaires de la science-fiction hexagonale. Bonne nouvelle pour les lecteurs et lectrices attiré(e)s par son travail éditorial au sein des très respectables Moutons électriques, les rayons des libraires proposent deux ouvrages récents, un roman et un essai.

Côté essai, c'est d'une histoire de la science-fiction qu'il s'agit, mais une histoire revisitée aux éditions Klincksieck (coécrite avec Raphaël Colson) au sein de la collection « 50 questions ». Cinquante questions, donc, pour évoquer tout un pan de la littérature, dans une perspective historique, certes, mais également (c'est bien là l'intérêt) d'un point de vue culturel, sociologique et même franchement humaniste. Si, à l'instar d'autres textes du même genre, on traite essentiellement de S-F européenne et américaine, la lecture de Science-fiction, une littérature du réel (tout est dans le titre) n'en reste pas moins aussi agréable qu'étonnante. Etonnante, car les deux auteurs n'hésitent pas à épicer leur imposante bibliographie de titres encore inédits en France, et ce malgré leur importance majeure au sein du genre (Delany, bien sûr, mais aussi Crowley, Engh et bien d'autres). Agréable, car l'agencement des questions est bien amené et le discours historique impeccablement mêlé aux descriptions strictement livresques. Subversive, iconoclaste, dérangeante, la S-F gagne au passage les lettres de noblesse que continuent à lui refuser les milieux éditoriaux bien-pensants. Véritable mine d'information, ce vaste panorama ne rebutera personne : les spécialistes y trouveront de nouvelles voies à explorer et les néophytes en apprécieront la concision, la construction et l'intelligence. À ce titre, Science-fiction une littérature du réel s'impose d'emblée comme le meilleur livre de sa catégorie. Tellement bien fichu qu'on se plaît à rêver d'une version richement illustrée.

Changement de décor radical avec non pas un, mais deux textes de fiction rassemblés en un seul volume sous le titre La Cité d'en haut aux éditions Mnémos — le premier des deux étant la réédition d'un volume autonome paru en 1999 aux éditions du Bélial' sous le titre Des ombres sous la pluie, ce que Mnémos oublie bien naturellement de préciser, y compris dans la bibliographie de l'auteur au début du présent volume… Seul aux commandes, André-François Ruaud invite son lecteur au voyage. Un voyage pertinent et poétique, à l'exacte convergence de la fantasy et de la science-fiction. Parti pris fascinant de la part d'un auteur dont on connaît l'érudition : planter un décor qui a tout de la fantasy (un palais gigantesque sur les toits duquel est installée la Cité d'en haut, peuplée d'exilés — forcés de quitter le palais et maintenus à l'écart par un mystérieux champ de force — de centaures, d'hommes-chats et de tout un bestiaire qui résonne comme autant de clins d'œils) et lui donner une assise réaliste inscrite dans la tradition du planet opera (une dispora humaine pangalactique, la colonisation de la planète, la modification génétique de certains habitants, etc.). Héros idéal de ces deux courts romans, Ariel Doulémi symbolise à la perfection ce mariage rondement mené : jeune homme bien sous tout rapport, mais également vampire (pas au sens fantastique du terme), car modifié par les hommes-chats et pourvu de deux canines rétractiles dont il se sert pour identifier les liquides qu'il peut aspirer. De fait, au service de Madame Ha, il a l'occasion de se heurter à un complot qui sème plusieurs assassinats par empoisonnement tout en participant à une révolution sociale longtemps contenue. Descriptions longues et parfois fatigantes, certes, mais humour, souffle et véritable hommage à une littérature qui n'a jamais peur du merveilleux. Si La Cité d'en haut est un vrai thriller, c'est également un vrai bon bouquin à réserver aux lecteurs et lectrices avides de références (un des personnages s'appelle Rex Stout, et ce n'est qu'un exemple). Les fans de Richard Morgan n'apprécieront pas, même s'il y a des poursuites à vélo…

L’ami de la mort

[Chronique commune à L’ami de la mort et Le Cardinal Napellus.]

À l'inverse du bon Français qui s'étrangle d'horreur quand on en vient à évoquer l'intelligence de la littérature fantastique, l'Anglais et le Sud-américain n'ont aucune vergogne à classer parmi les chefs-d'œuvre des ouvrages aussi répugnants que La Tempête, Anaconda, Le Baiser de la femme-araignée et bien d'autres. Étonnante singularité culturelle qui autorise des plumes aussi brillantes, modernes et étonnantes que Borgès, Llosa, Manguel ou Taibo II à régulièrement défendre un genre non seulement fondateur d'une certaine modernité, mais littéralement inépuisable et, au bout du compte, infini. Décrite avec un tel épithète, la littérature de l'imaginaire ne pouvait que séduire Jorge Luis Borgès et son insatiable curiosité. On a tout écrit, ou presque, sur l'inventeur du réalisme magique (terme qui l'a toujours amusé), sur son immense influence littéraire, sur les nombreux territoires inexplorés qu'il a découverts avant de les offrir au monde, on a tout écrit, sans doute, mais la France est avare d'éloges dès qu'on évoque le vieux maître argentin. C'est une littérature de métèques, quand même. C'est également sardonique, drôle, décalé, érudit, subtil, bref, rien de bien vendeur quand on y réfléchit. Monstre sacré fêté sur toute la planète, Borgès bénéficie chez nous d'une célébrité de bon aloi dans les cercles initiés, mais guère plus. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'initiative d'un tout jeune éditeur italien de lui confier une collection, comme ça, pour le plaisir, ne suscite en France qu'un enthousiasme modéré. Résumons ; nous sommes au tout début des années 70 et le projet italien a de quoi plaire : rassembler, sous la direction de Borgès, de nombreux textes fantastiques réputés pour leur qualité et leur modernité, tous accompagnés d'une préface rédigée spécialement pour l'occasion. Très vite, le nom de la collection est trouvé : ce sera « La Bibliothèque de Babel » (référence transparente à une nouvelle toute kafkaïenne de Borgès). Liberté absolue, choix éditoriaux validés immédiatement après proposition, Borgès nage en plein bonheur quand la mort le fauche quelques années plus tard. Lui survivent ses propres chefs-d'œuvre, bien sûr, mais également cette curieuse collection dont les quelques quarante titres rencontreront en Italie (comme en Espagne ou en Angleterre) un succès à la hauteur du travail accompli. En France, la collection disparaît rapidement des rayonnages et seuls quelques titres seront traduits. Fin du premier acte.

Janvier 2006, alors que l'essentiel du secteur s'accorde à trouver que le fantastique se vend tout simplement mal, alors que les collections décèdent les unes après les autres et que la rentabilité devient le maître mot d'éditeurs transformés en gestionnaires, FMR et Panama s'associent pour ressusciter « La Bibliothèque de Babel », avec pour ambition de rééditer les titres parus en France à l'époque, mais aussi en traduisant les inédits. Louable initiative qui bénéficie certes de la marque Borgès, aujourd'hui mieux connu et plus respecté, mais qui n'en reste pas moins suicidaire. Cerise sur le gâteau, chaque titre est repris en fac-similé avec la couverture d'origine. Stupeur, vingt ans après : les visuels fonctionnent remarquablement bien et envoient Manchu, Sorel et autres hystériques de la hache ou du turbolaser aux oubliettes de l'histoire. Résultat : de beaux livres, soignés, élégants, aussi agréables à regarder qu'à lire. Car, ne nous leurrons pas, le plaisir est à l'intérieur. Et question choix éditorial, on peut faire confiance à Jorge Luis Borgès. Avant la parution en septembre prochain d'œuvres de London, Saki, Dunsany ou encore Kafka, FMR et Panama fidélisent d'entrée leur lectorat en proposant deux magnifiques textes de Meyrink (rassemblés en un seul volume) et une merveilleuse novella romantique de Pedro Alarcon (un espagnol rigoureusement inconnu en France, qui lui a préféré dans le genre un certain Potocki). Au-delà de la matière étonnamment prolifique que les spécialistes y trouveront dans leur exégèse de Borgès, ces deux opus proposent (mais est-ce si étonnant ?) une vision du monde évidemment labyrinthique, évidemment décalée, évidemment inquiétante, et une mise en abîme remarquable de précision. Les lecteurs et lectrices apprécieront au passage l'intelligence des scénarios qui sont des modèles de narration aussi simples qu'imparables.

Du côté de Meyrink, c'est le texte « Le Cardinal Lapellus » qui est finalement retenu en ouverture. Sombre histoire de quelques hommes rassemblés dans un château manifestement sous l'emprise d'une malédiction (joliment symbolisée par une fleur vénéneuse), la nouvelle fait mouche avec une efficacité qui n'est pas sans rappeler Lovecraft (un auteur admiré et, fait généralement peu connu, parfois traduit par Borgès pour des revues éphémères). Une manière de boucler la boucle, Lovecraft ayant lui-même évoqué Meyrink au cours de sa très volumineuse correspondance.

Du côté de Pedro Alarcon, L'Ami de la mort est d'une facture archi classique qui rappelle aussi bien le Ruy Blas d'Hugo que le Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki. Banal récit d'un jeune homme qui fait un pacte avec la mort pour grimper les échelons du pouvoir à la cour et obtenir les faveurs de sa bien-aimée (une fille de noble, forcément inaccessible pour un page comme lui), le texte promène agréablement son lecteur avant de lui asséner une bonne paire de claques en repartant à zéro. Boum badaboum, voilà un joli château par terre et un lecteur assommé par une histoire très XIXe, certes, mais stupéfiante de modernité.

Vrai plaisir de lecture, découverte d'un pan du fantastique qu'on aurait oublié sans la surprenante initiative des éditions Panama et FMR, cette « Bibliothèque de Babel » est une réussite totale. Pas besoin d'être un inconditionnel de Borgès pour apprécier la rigueur des textes, l'intelligence du propos et une technique narrative qui force le respect. On a ici affaire à un concentré de grande littérature. En attendant les autres et avant que les raisons du compte en banque ne mettent un terme à ce petit bonheur éditorial, précipitez-vous sur ces deux bijoux, vous n'en reviendrez pas.

Le Cardinal Napellus

[Chronique commune à L’ami de la mort et Le Cardinal Napellus.]

À l'inverse du bon Français qui s'étrangle d'horreur quand on en vient à évoquer l'intelligence de la littérature fantastique, l'Anglais et le Sud-américain n'ont aucune vergogne à classer parmi les chefs-d'œuvre des ouvrages aussi répugnants que La Tempête, Anaconda, Le Baiser de la femme-araignée et bien d'autres. Étonnante singularité culturelle qui autorise des plumes aussi brillantes, modernes et étonnantes que Borgès, Llosa, Manguel ou Taibo II à régulièrement défendre un genre non seulement fondateur d'une certaine modernité, mais littéralement inépuisable et, au bout du compte, infini. Décrite avec un tel épithète, la littérature de l'imaginaire ne pouvait que séduire Jorge Luis Borgès et son insatiable curiosité. On a tout écrit, ou presque, sur l'inventeur du réalisme magique (terme qui l'a toujours amusé), sur son immense influence littéraire, sur les nombreux territoires inexplorés qu'il a découverts avant de les offrir au monde, on a tout écrit, sans doute, mais la France est avare d'éloges dès qu'on évoque le vieux maître argentin. C'est une littérature de métèques, quand même. C'est également sardonique, drôle, décalé, érudit, subtil, bref, rien de bien vendeur quand on y réfléchit. Monstre sacré fêté sur toute la planète, Borgès bénéficie chez nous d'une célébrité de bon aloi dans les cercles initiés, mais guère plus. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'initiative d'un tout jeune éditeur italien de lui confier une collection, comme ça, pour le plaisir, ne suscite en France qu'un enthousiasme modéré. Résumons ; nous sommes au tout début des années 70 et le projet italien a de quoi plaire : rassembler, sous la direction de Borgès, de nombreux textes fantastiques réputés pour leur qualité et leur modernité, tous accompagnés d'une préface rédigée spécialement pour l'occasion. Très vite, le nom de la collection est trouvé : ce sera « La Bibliothèque de Babel » (référence transparente à une nouvelle toute kafkaïenne de Borgès). Liberté absolue, choix éditoriaux validés immédiatement après proposition, Borgès nage en plein bonheur quand la mort le fauche quelques années plus tard. Lui survivent ses propres chefs-d'œuvre, bien sûr, mais également cette curieuse collection dont les quelques quarante titres rencontreront en Italie (comme en Espagne ou en Angleterre) un succès à la hauteur du travail accompli. En France, la collection disparaît rapidement des rayonnages et seuls quelques titres seront traduits. Fin du premier acte.

Janvier 2006, alors que l'essentiel du secteur s'accorde à trouver que le fantastique se vend tout simplement mal, alors que les collections décèdent les unes après les autres et que la rentabilité devient le maître mot d'éditeurs transformés en gestionnaires, FMR et Panama s'associent pour ressusciter « La Bibliothèque de Babel », avec pour ambition de rééditer les titres parus en France à l'époque, mais aussi en traduisant les inédits. Louable initiative qui bénéficie certes de la marque Borgès, aujourd'hui mieux connu et plus respecté, mais qui n'en reste pas moins suicidaire. Cerise sur le gâteau, chaque titre est repris en fac-similé avec la couverture d'origine. Stupeur, vingt ans après : les visuels fonctionnent remarquablement bien et envoient Manchu, Sorel et autres hystériques de la hache ou du turbolaser aux oubliettes de l'histoire. Résultat : de beaux livres, soignés, élégants, aussi agréables à regarder qu'à lire. Car, ne nous leurrons pas, le plaisir est à l'intérieur. Et question choix éditorial, on peut faire confiance à Jorge Luis Borgès. Avant la parution en septembre prochain d'œuvres de London, Saki, Dunsany ou encore Kafka, FMR et Panama fidélisent d'entrée leur lectorat en proposant deux magnifiques textes de Meyrink (rassemblés en un seul volume) et une merveilleuse novella romantique de Pedro Alarcon (un espagnol rigoureusement inconnu en France, qui lui a préféré dans le genre un certain Potocki). Au-delà de la matière étonnamment prolifique que les spécialistes y trouveront dans leur exégèse de Borgès, ces deux opus proposent (mais est-ce si étonnant ?) une vision du monde évidemment labyrinthique, évidemment décalée, évidemment inquiétante, et une mise en abîme remarquable de précision. Les lecteurs et lectrices apprécieront au passage l'intelligence des scénarios qui sont des modèles de narration aussi simples qu'imparables.

Du côté de Meyrink, c'est le texte « Le Cardinal Lapellus » qui est finalement retenu en ouverture. Sombre histoire de quelques hommes rassemblés dans un château manifestement sous l'emprise d'une malédiction (joliment symbolisée par une fleur vénéneuse), la nouvelle fait mouche avec une efficacité qui n'est pas sans rappeler Lovecraft (un auteur admiré et, fait généralement peu connu, parfois traduit par Borgès pour des revues éphémères). Une manière de boucler la boucle, Lovecraft ayant lui-même évoqué Meyrink au cours de sa très volumineuse correspondance.

Du côté de Pedro Alarcon, L'Ami de la mort est d'une facture archi classique qui rappelle aussi bien le Ruy Blas d'Hugo que le Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki. Banal récit d'un jeune homme qui fait un pacte avec la mort pour grimper les échelons du pouvoir à la cour et obtenir les faveurs de sa bien-aimée (une fille de noble, forcément inaccessible pour un page comme lui), le texte promène agréablement son lecteur avant de lui asséner une bonne paire de claques en repartant à zéro. Boum badaboum, voilà un joli château par terre et un lecteur assommé par une histoire très XIXe, certes, mais stupéfiante de modernité.

Vrai plaisir de lecture, découverte d'un pan du fantastique qu'on aurait oublié sans la surprenante initiative des éditions Panama et FMR, cette « Bibliothèque de Babel » est une réussite totale. Pas besoin d'être un inconditionnel de Borgès pour apprécier la rigueur des textes, l'intelligence du propos et une technique narrative qui force le respect. On a ici affaire à un concentré de grande littérature. En attendant les autres et avant que les raisons du compte en banque ne mettent un terme à ce petit bonheur éditorial, précipitez-vous sur ces deux bijoux, vous n'en reviendrez pas.

De l’avenir, faisons table rase

Impeccablement traduit par Michèle Charrier (et le mot est faible), De l’avenir faisons table rase fait partie de ces romans poing-dans-la-gueule dont Jack Womack a le secret. L’auteur y fait preuve d’une acuité aussi douloureuse que réaliste et nous offre une histoire à mettre en parallèle avec le déjà très inquiétant Journal de nuit, en son temps publié en « PdF ». Loin des USA à tendances fascisantes, De l’avenir faisons table rase est une plongée hallucinante (mais pas hallucinée, bien au contraire) dans ce qu’il est convenu d’appeler le chaos post-soviétique. Pas très éloigné du satirique La Flèche jaune de Viktor Pelevine (en Denoël « & d’ailleurs », ah tiens), le texte de Womack n’a pourtant rien d’un roman swiftien. Ici, on saigne, on dégueule, on crève, on picole, on tue. Et on le fait salement. Ecrite en 1996, en pleine période Boris Ieltsine, l’histoire pourrait se résumer à une cuite et à l’inévitable gueule de bois subséquente. Tout sourit à Max Borodine. Homme d’affaire aussi véreux qu’élégant, aussi cynique qu’avisé (il possède plusieurs banques, c’est dire), l’homme vit très agréablement dans un monde qui a tout du pandémonium. Raisonnablement farci de dollars, qu’il distribue généreusement pour graisser la machine et obtenir ce qu’il désire, Borodine règne sur un petit monde qui ne sort jamais sans escorte dûment armée (Kalachnikov oblige). Femme belle et avisée en affaire, maîtresse outrageusement sexuelle chipée à un client encore plus malhonnête, entreprise bien tenue, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Borodine n’était affublé d’un frère aussi stupide que dépensier. Dernière lubie (que Max devra bien finir par éponger), la création d’un parc à thème sobrement nommé Sovietland, dans lequel le visiteur pourra s’immerger allègrement dans les merveilles du monde soviétique (personnel désagréable, paysage d’usines, discours, prisons, etc. — que du bonheur). Mais un frère débile léger, ça n’est somme toute pas si grave, surtout quand un client (le mari de la maîtresse, ah zut) indélicat vous embarque dans un deal qui implique la mafia géorgienne. La vraie. Celle qui ne plaisante pas vraiment et qui ne sourit qu’au moment où elle vous égorge. Bref, pour Max Borodine, la vie peut vite se transformer en cauchemar. Une descente aux enfers qui ressemble à la Russie en général et qui achève de montrer que le monde s’est déjà écroulé.

Evidemment drôle, évidemment délirant, De l’avenir faisons table rase est surtout terrifiant. Situations ubuesques, horreur maîtrisée (et d’autant plus inquiétante), terreur banale et quotidienne, la vision moscovite de Womack est à tomber par terre. Un livre qui a tendance à calmer tout net son lecteur, mais qui ne sort pas non plus des codes du « roman noir » le plus classique. Ici, c’est surtout la forme qui décoiffe et qui fait oublier un fond finalement assez prévisible. Mais ne boudons pas notre plaisir. De l’avenir faisons table rase est un livre tout simplement épatant. De quoi donner des idées quant à l’éventuelle réédition des œuvres les plus marquantes de Womack. Qu’attend-on ?

Danseurs de lumière

Tristan est un tri-récidiviste. Pour lui, point de salut. Hormis s'engager dans les forces armées pour aller porter le combat sur la propre planète des Meds, sorte de méduses géantes ayant envahi la Terre. D'ailleurs, le lavage de cerveau que lui inflige l'armée ne lui laisse guère d'alternative. Et, comme il se doit, une fois arrivé sur Médusa, Tristan réalise qu'on ne lui a offert qu'un billet aller. La mission est une mission suicide…

Frédérique Lorient est une nouvelle voix chez « Autres Mondes », une voix qui, dès les premières lignes, sait se faire entendre, projetant le lecteur contre les murs d'une prison aux murs blancs sans prendre de gants. Déroute, doute, torture, acceptation forcée, tout l'éventail des manipulations mentales y passe. Une entrée en matière éprouvante, mais efficace !

À l'instar des dialogues, d'ailleurs, dont le côté « parler jeune » pourrait agacer mais prend vite sens, tant ils aident à l'identification et font glisser le lecteur dans la peau de Tristan aussi bien que dans celle de tous les autres protagonistes.

Et après le voyage agité, c'est à des rencontres que nous convie l'auteur. Rencontres avec les siens, mais aussi l'ennemi désigné. Sauf que, bien sûr, tout n'est pas si simple. En quoi nos actes sont-ils justes ? L'ennemi, parce qu'il est ennemi, est-il pour autant mauvais ? Après tout, n'est-ce pas une question de point de vue ? Un problème d'individu plus que de race, de nation, de planète ? Autant d'interrogations fondamentales, essentielles, qui sont ici abordées au fil des pages avec force et justesse, tout en émettant simplement un léger bémol à l'encontre d'une fin un peu trop ouverte.

Avec ce Danseurs de lumière, trente-huitième livraison de la collection « Autres mondes », Frédérique Lorient a su mettre ses mots sur les principes mêmes de ladite collection : « Une littérature de sens et d'émotions. »

Blanche et l’œil du grand Khan

Après avoir tutoyé la triple contrainte de l'enfer au beau milieu de la Commune et des bombardements prussiens (cf. critique in Bifrost n°39), Blanche Paichain retrouve son Paris d'après-guerre de 1871. Malheureusement, c'est pour y découvrir son amie emprisonnée pour complicité avec les Communards, mais aussi afin de suivre la piste d'une bague aux pouvoirs fabuleux : l'œil du Grand Khan ! Un chemin à la croisée du surnaturel et du risque absolu, à la recherche de l'Hydre aux multiples têtes…

Hervé Jubert fait grandir son héroïne, qui est désormais bien loin de l'adolescente du premier roman. Elle est maintenant femme, prête au mariage mais toujours titillée par le goût de l'aventure. Cette fois, l'auteur la plonge dans les méandres du crime organisé, la confiant aux mains des maîtres de la Cour des miracles, la menant dans les profondeurs de Paris comme dans celles de l'âme humaine. Car c'est à un voyage au sein de l'extraordinaire, sis au milieu de la normalité, que nous invite Hervé Jubert. Ses personnages sont toujours aussi truculents, particulièrement le policier Loiseau à l'appétit gargantuesque, qui nous installe à toutes les bonnes tables du Paris de la fin du XIXe siècle. Mais les « méchants » ont aussi leurs doses de surprises et de couleurs chamarrées.

À dire vrai, on ne ressort pas indemne d'un voyage dans le paysage littéraire de l'auteur, qui nous guide par le bout du nez dans son Paris qu'il affectionne particulièrement (depuis Gaillac, d'ailleurs !) afin de mieux nous y perdre. Impossible de prendre son destin en main, Jubert le fait à votre place. La balade est déconcertante, encore une fois, mais on ne peut lâcher les personnages : ce serait un outrage aux bonnes mœurs de la fiction.

Bref un ouvrage envoûtant, qui souligne une fois de plus le redoutable talent de l'auteur. Laissez le charme agir, vous ne le regretterez pas.

Coalescence

De nos jours. À la mort de son père, George Poole, informaticien londonien, apprend qu'il aurait eu une sœur jumelle. Cherchant à résoudre ce secret familial, sur lequel sa sœur aînée, Regina, expatriée aux Etats-Unis, refuse de se répandre, il se lance sur la piste de l'Ordre de Sainte Marie Reine des Vierges, une institution basée à Rome, spécialisée dans la généalogie, aidé par Peter, un ancien camarade d'école qui élabore des idées bizarres sur la nature de l'univers, la mécanique quantique ou sur l'Anomalie de Kuiper, l'étrange lumière récemment apparue dans la ceinture d'astéroïdes.

Sous la domination romaine, Regina, fille de dignitaires occupant la Bretagne, voit son univers se délabrer : sa famille dispersée ou décimée en peu de temps, elle est hébergée par la famille de son esclave affranchie, laquelle essuie à son tour des revers et fuit devant les invasions barbares. Malgré la série de malheurs qui l'accablent, Regina, au fort instinct de survie, se fraie un chemin dans la vie, jusqu'à intégrer, à Rome, une communauté féminine, qu'elle va faire évoluer pour assurer à sa descendance un havre de paix. Dans les catacombes transformées en abri inviolable, les femmes de l'Ordre de Sainte Marie prospèrent à l'écart de la folie du monde.

De nos jours encore, Lucia, élevée dans l'Ordre, est effrayée par le destin qui l'attend car elle est capable, au contraire de ses sœurs stériles, de concevoir des enfants d'une façon non orthodoxe.

Ces trois récits entrelacés forment une fascinante intrigue qui permet à Stephen Baxter de se pencher, une fois de plus, sur le thème de l'évolution. Ici, il développe le concept d'émergence en étudiant la façon dont un agrégat d'actions isolées, une coalescence, se transforme en structure : c'est l'embouteillage automobile résultant de décisions individuelles prises dans l'ignorance, c'est la ville adoptant sa physionomie avec ses rues commerçantes et ses quartiers insalubres, ou encore une mosaïque d'activités comme le transport de marchandises, les services de voirie ou de sécurité débouchant sur un système autonome, une société qui perdure malgré les actions des dirigeants à leur tête. C'est la ruche, où l'individu, dont le rôle est permutable, n'a pas de vision globale du système. Par sa perfection même, cette eusocialité figée est une impasse évolutive.

La démonstration qu'en fait Baxter à travers son roman est aussi implacable que vertigineuse. Il la poursuit même vingt mille ans dans l'avenir, dans une conclusion opposant l'Expansion à la Coalescence. Et par une de ces acrobaties intellectuelles dont il a le secret, l'auteur parvient à relier son propos à la manipulation de l'espace-temps par un générateur de trou noir et à l'Anomalie de Kuiper qui pourrait bien se révéler être une menace pour l'évolution de l'humanité… dans un volume à venir.

On a du mal à apparenter ce roman à de la science-fiction tant l'essentiel du récit, alternativement conté sur le mode du thriller ou de l'épopée romanesque, est faible en éléments permettant de le reconnaître pour tel. Les révélations entraînant ces puissantes spéculations n'interviennent qu'en fin de volume, après que Poole est parvenu au terme de sa passionnante enquête et que le récit de Regina, superbe reconstitution historique de la décadence romaine, s'achève, et juste avant de conclure de façon magistrale ce fascinant opus. Baxter est si stimulant intellectuellement que personne n'a plus honte, grâce à lui, de lire de la science-fiction ; on aurait plutôt honte d'avouer qu'on n'a pas encore lu Baxter. Magistral.

Cellulaire

En déplacement à Boston, Clayton Ridell, dessinateur de BD, vient juste de signer un contrat qui arrangera peut-être ses relations avec son épouse lorsque l'enfer se déchaîne autour de lui : toutes les personnes utilisant leur portable sont saisies de folie meurtrière. Avec deux compagnons d'infortune, Tom, un homme mûr, et Alice, une jeune fille, il fuit la ville désorganisée. La catastrophe ne serait que temporaire si les victimes du téléphone portable se comportaient en zombies classiques. Mais ils acquièrent des pouvoirs, dont celui de télépathie, et se regroupent en bandes quadrillant le territoire. Les rescapés n'ont d'autre choix que de se laisser regrouper dans les zones qu'ils leur allouent. Pour avoir éliminé un regroupement de zombies du temps où la résistance semblait encore possible, le groupe qui s'est constitué autour du trio de base est traité comme des pestiférés. Un espoir subsiste cependant pour annuler le programme qui, via les portable, a instauré ce cauchemar…

Référence avouée aux films de Romero comme à Je suis une légende de Matheson, King montre habilement avec quelle rapidité la société peut s'effondrer à présent que le monde entier est interconnecté. Il sait instaurer avec le talent qu'on lui connaît un sentiment d'oppression ponctué de fortes scènes d'action, mais on reste cependant sur sa faim car, à aucun moment, on ne délivre d'explication sur le phénomène nommé l'Impulsion, sur son origine ou ses causes, pas plus qu'on n'informe le lecteur de la situation dans le reste du monde. Ces manques deviennent toujours plus criants à mesure que progresse l'intrigue et provoquent la déception quand, en fin de récit, on comprend qu'ils ne seront pas comblés. Bref, un roman singulièrement inabouti, qui surprend de la part d'un conteur comme Stephen King.

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