Connexion

Actualités

L’Athée du Grenier

Samuel R. Delany qui appartenait à la Nouvelle Vague américaine, fut publié en France entre 1971 et 1984, puis disparut. Son énorme roman, Dhalgren (1975) ne trouva sous nos latitudes personne pour se risquer à le publier, ni Robert Louit, ni Gérard Klein, ni les éditions OPTA qui, tous, l’avait accueilli auparavant. Delany est un excellent styliste, ses livres sont complexes, voire carrément difficiles pour les plus récents. Delany est de « gauche » mais n’a rien à voir avec la gauche prolétarienne ni avec ce que les écrivains soviétiques non dissidents pouvaient bien alors écrire. Sa gauche était en avance de deux générations  : bobo, politiquement correcte, féministe, pro-gay, artiste, anti-raciste, et aurait pu être végane ou écologiste. Après la publication de « La Fosse aux étoiles » chez Denoël dans la collection « Étoile Double », il n’y eut plus rien jusqu’en 2006 et la publication de Hogg, roman hors genre proche de Vice Versa, chez Laurence Viallet. En 2008, Bragelonne sortit un gros omnibus : Les Chants des étoiles, rassemblant les space opera de Delany… En somme, 36 ans depuis le dernier inédit SF.

Et voici, en 2020, L’athée du Grenier. Eh bien, la disette va durer : ce n’est ni de la science-fiction ni même de l’imaginaire. C’est de la littérature mimétique. La novella est constitué d’une partie d’un journal apocryphe du génial philosophe et mathématicien allemand du XVIIe siècle, Wilhelm Gottfried Leibnitz, qui inventa la première machine à calculer et le calcul binaire. Ce journal raconte le séjour que Leibnitz fit pour affaires en Amsterdam en 1676 et le court voyage qu’il fit à La Haye durant ce temps pour rendre visite au philosophe juif Baruch Spinoza.

Les cinq premiers chapitres font état de son arrivée à Amsterdam et des préparatifs de son voyage à La Haye. Le chapitre 6 constitue le morceau de bravoure, racontant la rencontre avec Spinoza. Les derniers chapitres sont consacrés à son retour à Amsterdam et aux réflexions que lui ont inspirées la rencontre.

Contrairement aux assertions en quatrième de couverture, nulle tension ni suspense dans ce texte et la rencontre, si elle est discrète, n’est nullement secrète car il semble qu’en ces temps Spinoza n’ait guère été en odeur de sainteté et ses écrits pour le moins sujet à controverses, voire sulfureux. Les deux hommes évoquent leur monde et le « Rampjaar », cette année 1672 calamiteuse pour les Provinces Unies en guerre qui virent des cas de cannibalisme dans les campagnes ainsi que des questions plus triviales de la vie quotidienne.

Sur le chemin du retour, Leibnitz poursuit sa réflexion sur les selles, les latrines, le lavage des sous-vêtements, la domesticité et l’homosexualité, tout cela lié dans l’intimité. La question du lavage des dessous peut nous sembler pour le moins étrange mais au XVIIe siècle, ceux qui en portaient les faisaient laver par autrui, engendrant un rapport social des plus intimes qui mérite que l’on s’y interroge.

Dans ce journal apocryphe, Delany pastiche Leibnitz sans que je sache dire à quel point il y parvient. L’écriture recourt à des formes et tournures archaïques qui n’en rendent pas la lecture aisée. Écriture d’époque que Delany connait, mais jusqu’à quel point celle W. G. Leibnitz ? Il faudrait un expert du philosophe, ce que je ne suis nullement, pour le dire. De même, dans quelle mesure les questions évoquées ici auraient pu être celle de Leibnitz et Spinoza ou sont-elles celles de Delany, prêtées à ces personnages afin de leur conférer un relief particulier ?

L’article « Racisme & Science-Fiction » nous apprend que la science-fiction est un milieu raciste et accessoirement sexiste, où il y a bien trop de blancs et de mâles ; qu’il faudrait que ça change jusqu’à ce que les Afro-américains y représentent un taux d’environ 20% qui verra le déclenchement d’un conflit communautariste, celui-ci aboutissant à ce que les Afro-américains en viennent à avoir leurs propres congrès et conventions SF. Depuis la publication de l’article en 1998 aux USA, la SF a connu l’affaire des Sad Puppies (2013/2016), un groupe plutôt conservateur et non politiquement correct, en général décrit comme d’extrême droite, de suprémacistes blancs, militaristes et sexistes, qui firent campagne pour des listes de textes plus à leur goût. Delany insiste bien dans son article sur le fait que le racisme n’est pas ce que les Blancs veulent croire : ce ne sont pas que des violences, du mépris, des insultes, de la discrimination (ça l’est aussi). C’est que même les blancs qui prétendent ne pas vouloir être raciste le sont. Ainsi, placer à une table de dédicaces, Delany et Octavia Butler (écrivaine également noire), c’est du racisme, même si l’organisateur pensait bien faire. Si un blanc est amené à prendre toute décision administrative, organisationnelle, managériale ou autre concernant des personnes de couleur, il ne peut être que raciste. De même, si un blanc vote pour attribuer un prix à une œuvre de qualité d’un auteur afro-américain afin de donner de la visibilité au fait que la couleur de la peau n’est nullement un obstacle à la qualité, c’est encore du racisme…

Quant à l’interview, elle présente peu d’intérêt.

La novella ne concerne pas notre club ni les lecteurs de l’imaginaire. Elle présentera de l’intérêt à qui se passionne pour le XVIIe siècle, sa littérature, à sa pensée et à ses penseurs.

Gnomon

Gnomon : « qui est dans la connaissance ». Le titre dit l’ambition de l’auteur : accomplir une œuvre totale. Et il y a de ça dans ce pavé découpé en deux tomes qui pèsent au total près de mille pages, brassant et accumulant les thèmes sans jamais perdre de vue, malgré des digressions multiples, sa proposition initiale. Car Gnomon est d’abord un roman policier, un bon polar cyberpunk qui sort à jets savamment orchestrés d’une plume que se disputent Agatha Christie, Georges Orwell et Jean Baudrillard : un « Masque » pour amateurs de cadavres exquis et d’énigmes technophiles qui ne livrent leur vérité qu’à l’ultime rebondissement d’une enquête allant, entre duplicités et faux-semblants, rêve et réalité truquée, train d’enfer dans un Londres futuriste voué au bien commun, à la sécurité, à la transparence.

C’est que le paysage sociétal de la perfide Albion a bien changé. Exit la monarchie constitutionnelle parlementaire. À la place, le Système, sorte de logiciel de gouvernance, a remis le citoyen au centre de la vie politique et institutionnelle en l’incitant (comprendre : en l’obligeant) à consacrer un certain temps de cerveau disponible à voter sur tous les sujets, majeurs ou insignifiants, qui permettent le fonctionnement normal de la nation ainsi que de faire prospérer une certaine idée de liberté et de la justice.

Tout cela sous la surveillance constante du Témoin. Émanation du Big Brother d’Orwell, le Témoin est cette interface omnisciente qui utilise la totalité des ressources en caméras, objets connectés et données numériques de Grande-Bretagne pour épier la population, punir ou (mieux) prévenir les crimes, et souvent même coacher les individus à leur demande. Sous sa couverture de polar, Gnomon est aussi un grand roman d’espionnage à la John Le Carré, où l’espion est la société elle-même.

Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pourtant, quelques citoyens suspects ne s’épanouissent guère dans cet idéal de démocratie directe pilotée par les algorithmes, et se font un malin plaisir à dissimuler leurs activités subversives aux yeux – pourtant kaléidoscopiques – des autorités. Reste que le Témoin, pour adoucir les mœurs et normaliser les comportements, dispose d’une méthode d’interrogatoire sous forme de lecture mentale, d’où les indociles ressortent légèrement reprogrammés, plus doux que des agneaux. Enfin, quand l’animal humain se révèle vraiment trop sauvage ou trop étrange, « les inspecteurs sont là, médiateurs-procurateurs de l’État de surveillance ».

Mais voilà qu’advient l’improbable : la dissidente Diana Hunter, auteur de livres devenus introuvables et objet de culte auprès d’une petite communauté d’érudits et de libres penseurs, meurt au cours d’une séance de lecture mentale. L’inspectrice d’investigation Mielikki Neith, secondée par le Témoin lui-même (dans le rôle d’un Dr Watson électronique), se voit priée par le Système de découvrir au plus vite la cause de cette défaillance, d’identifier les vices de procédure, voire d’en désigner les responsables éventuels, et surtout d’expliquer comment Hunter, avant de se débrancher, a pu faire échec à la question du Témoin. Celui-ci est censé être parfait ; s’il n’est plus infaillible ou même compromis, alors tout l’édifice menace de s’effondrer…

En s’injectant dans le cerveau la mémoire de la victime, afin de revivre la séance d’interrogatoire fatale, Mielikki ne soupçonne pas un instant que son enquête, et peut-être même son existence, viennent de lui échapper. Car au lieu de lire les souvenirs de l’écrivaine, c’est à ceux d’un requin grec de la finance qu’elle se trouve confrontée, avant de devoir revivre tour à tour l’histoire d’une alchimiste éplorée du bas-empire romain, d’un peintre éthiopien réfugié à Londres, et d’un être aussi mystérieux que tout-puissant, toutes personnalités présentant de troublantes similitudes mais derrière lesquelles la véritable Diana Hunter reste insaisissable. Au fil d’une traque labyrinthique, conduite comme une descente aux Enfers et scandée par les appels de plus en plus pressants de ces vies imaginaires qui se répondent comme des miroirs, l’inspectrice va progressivement perdre ses dernières illusions et se rapprocher d’un noyau d’indicible.

Gnomon est un roman hénaurme, un voyage dans l’imaginaire nourri par une vaste érudition, qui menace souvent de s’effondrer sous le poids de ses références littéraires et cinématographiques, mais parvient de justesse à les incorporer pour maintenir un certain équilibre. Au-delà des Foucault, Jung, Dick, Gibson, on confesse avoir beaucoup pensé à certains livres de Dantec, dont Gnomon partage les boursouflures et un certain verbiage, mais aussi cette façon radicale de sublimer les genres : de la science-fiction à la science de la fiction, le verbe de l’apocatastase – c’est-à-dire du recommencement – rejoint le mot de la fin dans une malicieuse parabole où est réaffirmé le pouvoir de la littérature.

La fille feu follet

On ouvre parfois de petits livres, qui se referment sur l’impression, simple, évidente, d’avoir lu une œuvre testamentaire au sens où peut s’entendre tout récit écrit par un auteur au crépuscule de sa carrière et de sa vie. La Fille feu follet est de ceux-là, même s’il n’est pas le dernier ouvrage d’Ursula Le Guin (ce qui ne compte guère si l’on admet que l’essentiel de son œuvre, à l’époque de la rédaction, était derrière elle). Cette impression trouve peut-être son origine dans les deux derniers paragraphes du livre, la conclusion d’une histoire modeste où la destinée d’un personnage recroise, de manière métaphorique, celle de l’auteur qui en a fini avec un travail, avec l’écriture tout court. Les catalogues des éditeurs sont remplis de sagas qui n’en finissent pas ; rares sont les écrivains qui savent nourrir la modestie jusqu’à atteindre l’universel en à peine cinquante pages.

Capturée à la suite d’un raid, deux fillettes devenues esclaves, Modh et Mal, découvrent l’univers de la Cité avec ses règles et ses croyances, la division tripartite entre Couronne, peuple-Poussière et Racines, inspirée des travaux de Georges Dumézil sur les sociétés indo-européennes. La Couronne possède la terre et fournit à la Cité ses chefs et ses prêtres. Elle prospère grâce au travail des Racines, des marchands, artisans ou fonctionnaires. La Couronne et les Racines règnent sur la masse esclavagée du Peuple-poussière. Ce système fondamentalement injuste repose toutefois sur une loi qui interdit de se marier au sein de sa propre classe. Un homme de la Couronne ne peut épouser qu’une femme du peuple-Poussière, mais il lui faut céder une partie de sa fortune pour la racheter à son propriétaire. Si la fille est belle, l’union coûtera d’autant plus cher. D’où ces incursions fréquentes en terres nomades, où les filles sont jolies et gratuites – rapts vécus par les jeunes nobles à la fois comme une épreuve initiatique et un investissement. Une fois nubiles et rééduquées, elles pourront rapporter gros. Ainsi se font et défont les alliances dans la Cité, et les femmes-Poussière, à leur insu, sont les pièces majeures de l’échiquier des puissants.

Bela Ten Belen appartient à une vieille famille de la Couronne. Modh devient sa femme. L’un est comme le fils d’un dieu, il veut restaurer le lustre familial amoindri par un mariage ruineux. L’autre, fille de personne, esclave, convertie aux règles de la Cité par la force, favorite du harem puis épouse fidèle, obéissante au destin consenti mais jamais servile. L’amour qu’elle éprouve pour son mari n’a d’égal que celui qu’elle voue à Mal, sa fragile petite sœur, convoitée par d’autres familles. Mais peut-on partager un sentiment sans partage ? Le texte dit l’absolu de ce sentiment dont on ne peut sortir que par le haut, par la mort ou le renoncement. Car au-dessus de l’absolue fidélité, de l’absolue loyauté que les amants ont l’un pour l’autre, il y a la fidélité au rang. Les liens du mariage n’abolissent pas l’appartenance de classe. Chacun sa place. Pour celui qui s’en écarte, il n’y a d’autre choix que la trahison ou l’abandon.

Le récit est complété de brefs essais, de poèmes et d’une interview (un brin décalée) de l’autrice par Terry Bisson, d’un intérêt inégal. Si le premier essai (« Lire sans s’endormir », sur la lecture et l’évolution du monde de l’édition) se lit sans déplaisir, le reste m’a paru très dispensable. Et puis aussi, quel lien avec la nouvelle ? Les titres de cette jeune collection « Rechute » gagneraient peut-être à se doter d’un paratexte. Quoiqu’il en soit, la seule nouvelle-titre procure un plaisir de lecture indéniable.

Léonid doit mourir

Né des œuvres d’un père criminel, exécuté dans les caves de la Loubianka, et d’une mère morte en couches, Léonid débute dans la vie sous des auspices funestes. Interné parmi les enfants attardés, oublié de tous en dépit de ses cris de soiffard, il a heureusement de la ressource à revendre, de l’intelligence à dispenser et une énergie vitale surnaturelle acquise aux tréfonds de la matrice de sa génitrice alors qu’il n’était qu’un embryon accroché à la paroi utérine. Il a aussi la haine pour cette comédie humaine dont il perçoit les effusions pathétiques par le truchement de sa mère. Bref, Léonid est un phénomène.

À sa manière, Angelina Lébédiéva est aussi un phénomène. L’ancienne femme de guerre, ex-sniper de l’Armée rouge et héroïne de la Grande Guerre patriotique jouit d’une santé de fer dans le corps décati d’une octogénaire. Tout le contraire des hommes auxquels elle s’attache et dont elle pressent la mort prématurée avant qu’elle ne survienne. Refusant les outrages de la vieillesse, elle n’aspire qu’à un élixir de jouvence afin de retrouver la peau de pèche de sa jeunesse.

Un peu passé sous les radars de la critique de genre, Dmitri Lipskerov est l’auteur de trois romans parus en France. D’abord publié aux éditions du Revif, les droits de son œuvre ont été cédés ensuite à Agullo pour sa collection « Fiction », lui conférant une plus grande audience. Écrivain remarqué de la Russie contemporaine, le bonhomme n’hésite pas en effet à flirter avec le fantastique comme le firent en leur temps Gogol et Boulgakov. Léonid doit mourir relève de cette tradition, permettant à Lipskerov de brosser un tableau caustique de sa terre natale. Entre URSS et Russie post-soviétique, il ausculte ainsi d’un œil goguenard, voire sarcastique, ses contemporains et la société russe. Un pays en proie aux spectres du KGB, à la pénurie, la pauvreté, la débrouille, la corruption et l’absurdité de l’existence. Rien de neuf sous le soleil de l’Est. Entre quête métaphysique et érotique, l’auteur dresse une série de portraits saisissants de drôlerie, ricanant de la médiocrité des rêves de grandeur des uns comme des autres. En dépit de la désillusion imprégnant les vies de Léonid et Angelina, Dmitri Lipskerov ne peut s’empêcher de montrer un peu de tendresse pour ces existences incomplètes, ployant sous le joug du destin, de l’Histoire et de la fatalité, laissant percer quelques fulgurances d’une cruelle lucidité.

Léonid doit mourir est donc une fable truculente, un récit picaresque dont la beauté baroque et la drôlerie tragique nous submergent sans coup férir. Assurément, voici une œuvre à découvrir.

Émissaire des morts

Andrea Cort se considère comme un monstre. Objet de fascination et de répulsion aux yeux de sa propre espèce, depuis sa plus sanglante enfance, elle l’est aussi pour les interlocuteurs extraterrestres avec lesquels l’Homsap est amenée à entrer en contact. Liée par un contrat ressemblant davantage à une forme de servitude à vie, elle sert les intérêts du Corps diplomatique, accomplissant la mission délicate d’aplanir les angles avec les autres êtres sentients lorsqu’un humain se rend coupable de crime. Le plus souvent, on lui demande de déterminer ses mobiles ou de trouver son auteur en procédant à une enquête indépendante. Autant dire un travail délicat, où la vérité est souvent suspendue à la compréhension des mœurs étrangères et aux ressorts plus tortueux de la politique. La Confédération humaine doit en effet maintenir l’illusion de l’unité si elle veut continuer à peser dans le concert des nations extraterrestres, du moins sans avoir recours à l’argument hasardeux de la guerre. Elle doit prouver qu’elle est capable de régler sans compromission les problèmes causés par ses ressortissants, en dépit d’une histoire humaine troublée et d’un contexte présent non exempt de chicaneries et de cruauté. Bref, Andrea est un outil, utile mais évidemment sacrifiable, dont l’efficience n’a jusqu’à présent jamais fait défaut, y compris dans les cas les plus épineux.

Émissaires des morts se compose de quatre novellas et du roman donnant son titre à ce fort volume de plus de sept cents pages. Comme le précise Gilles Dumay en avant-propos, le sommaire résulte plus d’un choix éditorial que d’un calcul commercial. Il s’agit en effet de restituer l’évolution psychologique d’Andrea Cort, dont la personnalité constitue l’un des points forts du récit. La représentante du Procureur général du Corps diplomatique se dévoile en effet progressivement au fil d’enquêtes imaginées par Adam-Troy Castro avec plus ou moins de bonheur. Si l’on peut juger anecdotiques« Les Lâches n’ont pas de secret » ou« Une défense infaillible », « Avec du sang sur les mains » et « Démons invisibles » se révèlent très stimulants du point de vue de l’intrigue et de l’exo-psychologie. Mention spéciale sur ce dernier point au second texte, où l’auteur déjoue avec brio un problème apparemment insoluble d’incommunicabilité. En dépit de son aspect classique, tant du point de vue policier que du point de vue science-fictif, Émissaires des morts ne manque cependant pas de fraîcheur, apportant un petit coup de jeune à des motifs old school que n’auraient pas désavoué des auteurs de l’âge d’or américain comme Poul Anderson. Dans un univers dominé par la libre entreprise, la loi du plus fort et la concurrence acharnée, y compris avec les extraterrestres, l’ironie empreinte d’amertume d’Andrea fait écho au traumatisme qu’elle a vécu, ne faisant finalement pas d’elle l’être le plus monstrueux du lot. Bien au contraire, son point de vue apparaît comme un coup de pied mental salutaire, où la science-fiction semble être un outil pour mieux interroger le présent. En cela, Émissaires des morts peut être lu comme un roman noir où l’enquête se mue progressivement en quête plus personnelle, la collecte des faits cédant la place à l’introspection. Une enquête qui ne néglige pas l’aspect science-fictif, proposant quelques belles figures d’altérité radicale, notamment avec les Catarkhiens et les Brachiens, mais aussi, sous couvert des poncifs habituels du space opera, quelques passionnantes réflexions, peut-être un tantinet sur-explicatives, notamment sur le libre-arbitre et la perception de la réalité.

Entre enquête et quête intime, roman noir et science-fiction, Émissaires des morts déploie une palette d’arguments en mesure de séduire l’amateur de science-fiction, mais aussi le lecteur attiré par un questionnement flirtant avec la philosophie et la politique. De quoi réjouir les tenants d’une science-fiction divertissante axée sur les images autant que les idées.

Le Crépuscule de la Hanse

Notre patience est enfin récompensée avec la parution décalée, pour cause de pandémie, du dernier volet du cycle de la « Hanse galactique ». Depuis la sortie du Prince-Marchand en 2016, David Falkayn, Adzel et Chee Lan ont vécu bien des aventures au service de leur mentor gargantuesque, le prince-marchand Nicholas van Rjin. Hélas, l’atmosphère n’est plus au franc optimisme et l’avant-propos du traducteur et maître d’œuvre Jean-Daniel Brèque n’est pas superflu pour replacer les divers éléments de ce contexte funeste. Les événements semblent en effet se précipiter autour de la planète Mirkheim, entrevue dans la nouvelle « L’Étoile-guide », et point focal de toutes les attentions belliqueuses de ce coin de la galaxie. De façon inattendue, le danger prend la forme des Baburites, une race de sophontes hydropneumates (respirant de l’hydrogène). En principe guère intéressés par des mondes incompatibles avec leur biologie, ils bénéficient pourtant de l’aide d’oxypneumates (créatures respirant de l’oxygène) dans leur volonté d’expansion hégémonique. De quoi secouer la fausse quiétude du Commonwealth et mettre davantage à jour les tensions animant la Ligue polesotechnique. De quoi aussi faire sortir de sa retraite le directeur de la Compagnie solaire des épices et liqueurs et son trio de mousquetaires. Mais les héros sont désormais fatigués, ou du moins pas très loin de se ranger des familles. Falkayn a épousé la petite-fille de van Rijn et n’aspire plus qu’à une vie tranquille avec femme et enfants. Quant au maître-marchand, il vocifère toujours autant, entre deux plats d’anguilles, pendant que Chee Lan et Adzel vaquent chacun de leur côté à leurs projets personnels. Entre coups fourrés et regard désabusé sur l’histoire telle qu’elle va mal, ils vont rempiler pour une ultime mission, soldant leurs comptes définitivement, ou du moins pour un temps, avec les fossoyeurs de leur rêve de liberté.

On peut appréhender une œuvre au regard de ses différentes parties ou selon le tableau d’ensemble qu’elle compose. Dans la première acception, le cycle de la « Hanse galactique » forme une série divertissante où prévaut un sense of wonder indéniable. Poul Anderson propose ainsi une suite de nouvelles et de romans animés par des archétypes bigger than life, dont la faconde exubérante et la droiture ne sont jamais prises en défaut, même au plus fort des tractations roublardes d’Old Nick. Mais, à la lecture de l’ensemble, le cycle prend une toute autre dimension, celle de la tragédie dont la postface inédite de Poul Anderson dévoile la genèse et les soubassements politiques. Si l’auteur n’apprécie guère l’État, du moins sa tendance à la bureaucratie, avide de réglementations contraignantes ou sensible à la corruption, il n’aime pas davantage le capitalisme dans sa version monopolistique qui voit la libre-entreprise succomber sous le coup des ententes illicites. Bref, il prêche pour la liberté et la concurrence non faussée, seules vertus aptes à ses yeux à préserver la paix et le progrès. En cela, il reste donc très américain. Le cycle de la « Hanse galactique » peut cependant être lu aussi comme une tentative pour extraire une morale de l’Histoire, certes un tantinet inspirée par la Guerre froide. Élaborée à l’aune des réflexions de John K. Hord et d’Arnold Toynbee sur l’essor et la chute des civilisations, l’œuvre de l’auteur américain apparaît comme une mise en récit de son amour pour les idées, donnant matière à réfléchir à ses lecteurs.

Avec Le Crépuscule de la Hanse, Poul Anderson semble vouloir tourner la page, dans tous les sens du terme, donnant l’impression de clore un cycle, du moins provisoirement, avant de voguer vers d’autres aventures. Et si le tombé du rideau n’étaient finalement que le prélude d’un nouvel âge, plus ouvert à la liberté ? Tant que l’entropie prête vie à l’intelligence et à la camaraderie, on peut y croire.

Aucune terre n’est promise

Lior Tirosh écrit de la fantasy pour trouver refuge dans un ailleurs moins dur ou du moins loin de la souffrance d’une existence tragique. Un père tyrannique, un frère mort en héros et une mère décédée du cancer après avoir divorcé, il a finalement cédé à l’exil, poussé dehors, à l’extérieur, loin de la Palestine voulue par les pères fondateurs en Afrique. Mais, si l’imagination n’est qu’une illusion et l’évasion qu’un pis-aller fragile face au caractère concret et désenchanté du monde, quelle réalité Lior cherche-t-il à fuir exactement ? Il semble en effet doté d’une faculté singulière et inexplicable, suscitant la convoitise de puissances occultes dont les desseins ne semblent guère animés des meilleures intentions. Un phénomène affectant jusqu’à sa mémoire et ne paraissant pas sans conséquence sur le(s) cheminement(s) historique(s).

Fondé sur un épisode méconnu de l’histoire du sionisme, plus précisément le projet avorté d’implantation d’un État juif sous autorité britannique, entre Kenya et Ouganda, Aucune terre n’est promise nous emmène dans une ligne historique alternative, adoptant le pas de côté cher à l’uchronie et à la science-fiction. Un décalage salutaire, voire un dépaysement salvateur, permettant de reconsidérer notre propre monde et notre histoire avec un autre regard. Un point de vue différent, libéré des rhétoriques partisanes, permettant de prendre la mesure de la duplicité d’une humanité prompte à s’aveugler pour ménager un illusoire confort intellectuel. Mais, peut-être les choses sont-elles un tantinet plus compliquées. Lavie Tidhar s’y entend bien à brouiller les pistes ou flouter les contours d’une réalité consensuelle pour le moins fluctuante, jouant des références à la Kabbale et à la physique quantique pour déployer un faisceau d’univers multiples. L’auteur interroge ainsi sa propre judéité, mettant sur la sellette la fondation d’Israël, cette nation de parias issus de la diaspora qui progressivement a épousé les méthodes de ses oppresseurs, incarnant non plus un idéal mais un coup de force permanent. Qu’importe les intentions ou la pureté du projet initial semble dire l’auteur, le seul invariant commun aux multiples itérations des possibles reste l’injustice, prélude aux désastres présents et à venir. En cela, Aucune terre n’est promise se révèle politique, dans la meilleure acception du terme. Mais le réduire strictement à cet aspect serait négliger les qualités d’un roman subtil et nuancé, traversé par des fulgurances magnifiques et un sentiment d’échec tragique. Un gâchis frappé au coin de la fatalité.

Avec Aucune terre n’est promise, Lavie Tidhar ne prône pas la haine de soi. Bien au contraire, il dresse un constat d’une douloureuse lucidité, à l’adresse de ceux ne parvenant pas à se résoudre à l’inacceptable, mais restant conscient du peu de poids de leur existence face au mouvement inexorable de l’Histoire, telle que les hommes l’écrivent. Bref, un roman indispensable.

La Sirène d’Isé

C’est l’histoire d’une vaste demeure, la fondation des Descenderies, ancien sanatorium transformé en asile, au bout des landes, à la pointe sud de la baie d’Umwelt. Le professeur Rimwald dirige cet institut où les jeunes phtisiques ont été remplacées par les folies les plus diverses. Pour les traiter, le professeur a élaboré une thérapie par le choc, mise en œuvre au sein d’un dédale végétale et angoissant, et dont le rythme secret repose sur le « Petit Labyrinthe harmonique » de Jean-Sébastien Bach (BWV 591). La nature qui environne cet asile est également inquiétante : la falaise sur laquelle se trouvent les Descenderies est grignotée peu à peu par la mer. Régulièrement, l’une des pensionnaires disparaît dans les flots. L’une d’elles, tout particulièrement, a retenu l’attention du docteur : la belle Leeloo, au babil d’oiseau, qui a mystérieusement donné naissance à un enfant sourd, Malgorne. Après la disparition de sa mère, l’enfant qui grandit au sein de l’asile deviendra le jardinier du labyrinthe. Au pied de la falaise, devant un cadavre de rhytine qui rappelle à tous la légende des sirènes, il va croiser la belle Peirdre et son intrigante amie. De là, par cercles de plus en plus larges, les destinées vont se croiser, jusqu’à se catalyser dans un orage magnifique dont la foudre percera les tympans.

Que le Bifrostien ne s’y trompe pas : c’est du fantastique le plus ténu, tellement qu’on pourrait se dire qu’il n’y en a pas. Car le fantastique, c’est une connivence devant une question qui ne se résout pas : il se partage, au moins avec le lecteur qui sert de point d’ancrage dans le réel. Pour ainsi dire, rien de tel ici : chaque personnage est un monde propre à lui seul, un Umwelt (environnement, en allemand), et incarne le mystère de ce qu’un autre peut percevoir du réel qu’on partage avec lui. La surdité de Malgorne en est le meilleur exemple : que reste-t-il de la lumière quand elle baigne un monde totalement silencieux ? Comment saisit-on les rythmes et leurs secrètes concordances avec notre psyché quand la musique se tait ? Que peut être le temps quand l’horloge reste mutique ? Plutôt que d’insister sur l’étrangeté fantastique de la perception d’autrui, le roman nous invite à la comprendre, tant et si bien qu’à la fin, une femme échouée sur les récifs, le bas du corps pris dans les algues ne nous apparaît plus vraiment comme la sirène tant espérée dont la rhytine était la préfiguration.

La langue, très française par son usage des abstraits, y est belle, ciselée et un peu âpre, et pour cette raison trouve l’harmonie juste pour ces personnages pris dans leur handicap ou leur folie, douce ou moins douce. Une certaine distance demeure, recherchée sans aucun doute, qui atténue la tentation du romantisme ou de la sensualité que Hubert Haddad sait manier ailleurs avec talent. Poussez donc la grille des Descenderies et venez y faire résonner votre Umwelt au cœur du labyrinthe : vous y (re)trouverez bien quelque chose ou quelqu’un.

L’Enfant de la prochaine aurore

Futur proche. Cedar Hawk Songmaker est une femme d’une vingtaine d’années. En dépit de ses prénoms et nom, plus native que nature, Cedar est une enfant adoptée. Ses parents adoptifs, végans et progressistes à tous points de vue, lui ont donné ces prénoms pour ne pas la « couper » de ses racines amérindiennes. De façon amusante, son nom de naissance est Mary Potts, comme sa mère et sa grand-mère biologiques Ojibwe. Les deux femmes – et le reste de la famille – vivent dans une réserve. Et au début du roman, Cedar va les rencontrer pour la première fois. Au début aussi, elle est enceinte. Au début enfin, le monde est en train de « finir », quoi que ça puisse signifier ici. Le roman est le journal à la première personne que Cedar écrit pour son bébé à naître. On y suit les tribulations de la jeune femme dans un monde où le changement climatique se poursuit et où, surtout, l’évolution s’est changée en dévolution, les animaux mettant au monde des versions très antérieures d’eux-mêmes dans l’échelle darwinienne et, apparemment, la plupart des femmes aussi. Un monde où elle doit se cacher car son ventre fait l’objet de convoitises… En effet, le chaos causé par la dévolution a été l’occasion pour l’Église et une partie de l’armée de prendre le contrôle du pays et d’y instaurer un régime totalitaire avec surveillance, délation, milice, abolition des libertés publiques. Cerise sur le gâteau, on y pratique un contrôle rigoureux des femmes enceintes, à la recherche de la perle rare portant un enfant standard et/ou d’utérus fonctionnels dans lesquels implanter des embryons d’avant. Si Cedar est attrapée, elle sera conduite dans l’un des nouveaux centres de reproduction, vers quel destin pour elle et son futur bébé ? Il lui faudra lutter, avec l’aide de ses deux familles, pour tenter d’échapper à un sort sans doute funeste. L’Enfant de la prochaine aurore est le récit de ces événements.

Succès critique aux USA pour ce roman qui coche toutes les cases du bingo. C’est l’histoire d’une femme, d’une future mère, d’une grossesse. Ça parle du contrôle étatique sur la reproduction. Ça évoque – d’assez loin – La Servante écarlate. Ça parle surveillance et dictature. Ça se passe en partie dans une réserve indienne, parmi des habitants qui, chaos aidant, reprennent possession de leurs terres. Ça parle – un peu — changement climatique. Il y a même un Underground Railroad et un(e) pseudo Big Brother : la Mère.

Hélas, la mayonnaise ne prend pas. Partant d’un postulat qui demande une énorme suspension d’incrédulité, Erdirch écrit un roman qui ne développe vraiment ni son effondrement ni son totalitarisme. Pourquoi ? Depuis quand  ? Comment exactement ? Autant de questions qui ne sont pas vraiment traitées ; tout est vu à travers les yeux de Cedar, qui ne sait pas grand-chose. De fait, le world-building est étique, et l’ignorance de Defred, qui allait avec sa claustration, ne passe pas ici. Le ton aussi est un point faible. Naïve et émerveillée par sa grossesse au point de paraître illuminée, Cedar délivre des tombereaux de mièvrerie qui alternent volontiers avec des passages pompeux – historiques, biologiques ou théologiques, car le roman, écrit par la catholique Louise Erdrich, décrit une Cedar convertie au catholicisme et abonde de références et de questionnements touchant à l’Incarnation. Problème : même si l’autrice se place deux fois sous le patronage d’Hildegarde de Bingen, c’est plutôt aux très jeunes extases de Sainte Thérèse de Lisieux qu’elle fait penser. On oscille alors entre ennui et consternation, puis incrédulité face à une citation de Teilhard de Chardin, par exemple. Sans compter que les intuitions illuminées de Cedar sont peu claires et font très journal intime. Il n’y a rien d’inspirant à en tirer.

Que reste-t-il alors ? Difficile de dire si Erdrich a voulu décrire une sainte en devenir ou montrer l’effet euphorisant de la grossesse à un monde qui en a fait sa grande aventure. Quoi qu’il en soit, le résultat est à la fois frustrant – jusqu’à la fin même – et impossible à prendre au sérieux tant Cedar joue jusqu’à la nausée son rôle exaspérant de ravi de la crèche.

Trois saisons en enfer

2025. Le Caire. Il y a deux ans que l’Égypte a été envahie en un clin d’œil par l’armée des Chevaliers de Malte. Armée sans État ou État sans territoire, les Chevaliers de Malte, une troupe aguerrie, bien équipée, de combattants issus du monde entier, prirent sans coup férir l’Égypte ; puis la vie a repris. Le point de départ est improbable mais on l’accepte, on est dans l’Imaginaire. Réédition en pire de l’humiliation des Six Jours, l’assaut a fait de l’Égypte un pays occupé où occupants, collabos et résistants s’entrereniflent sous le regard d’une population résignée à n’importe quelle situation. Les pénuries se sont encore aggravées, la prostitution a été légalisée, les violences gratuites, les agressions sexuelles, et la consommation de stupéfiants explosent. Oublié le hashish, voici le Karbon, une nouveauté faite de l’Égypte même et dont l’effet, très dickien, est de plonger l’esprit du consommateur dans l’inconscience et l’oubli alors même que son corps continue de fonctionner comme si de rien n’était – fonctionner, paraître normal, sans savoir et sans mémoriser ; c’est, sur commande, le retrait hors de soi que pratiquent les prostituées. Au Caire, le colonel Otared, ancien flic et vrai sniper de la Résistance, remplit depuis deux ans une mission ambiguë : abattre à distance occupants et collabos, mais aussi parfois simples passants. Il y développe une certitude : les Égyptiens vivent en enfer, ils souhaitent la mort qui seule pourra peut-être les en sortir. Puis sa mission change, il s’agit de commettre des meurtres de masse pour que la population se retourne contre l’occupant. Et la certitude d’Otared sera amplifiée et validée.

Autre temps : 2011. Alors que le « printemps arabe » se déploie en Égypte au prix de morts sans nombre, un couple recueille une petite fille dont les parents ont disparu. Lors d’une lancinante descente aux enfers, de morgue en morgue cairotes, ils cherchent le cadavre du père de la petite fille, alors qu’elle et bien d’autres enfants développent une affection étrange qui les isole du monde en bouchant littéralement tous leurs organes sensoriels. Les enfants ne veulent plus voir ni entendre ni sentir ni savoir l’enfer.

Autre temps : 1063. Misère et malheur sont déjà centraux dans la vie des Égyptiens.

Dans Trois saisons en enfer, Rabie dit, hurle plutôt, le malheur de l’Égypte. Un pays où toute tentative de démocratie et de dignité est littéralement abattue dans une violence et une indifférence qui évoquent les suicides de lemmings. Un pays régulièrement occupé, de Rome aux Britanniques en passant par les Mamelouks, un pays toujours plus pauvre qu’il ne devrait l’être, un pays où la corruption règne et où la police n’est que le bras armé d’autocrates insensibles, un pays que depuis toujours l’armée soutient comme la corde soutient le pendu. Voilà pourquoi l’armée détruite est marginalisée dans la résistance, voilà pourquoi aussi c’est la police qui en est le cœur, car lorsqu’il s’agit de mener la guérilla urbaine contre son propre peuple, quand il s’agit de l’assassiner en masse, sans état d’âme et même en ricanant, son savoir-faire – ordurier – est inégalé. Et puis, l’occupation passée, l’armée reprendra le pouvoir. L’armée est le pneuma de l’Égypte.

Rabie l’exprime dans une narration qui devient progressivement de plus en plus folle, de moins en moins réaliste, de plus en plus égocentrée, qui dit la folie et le désespoir, et que la couverture – bien choisie – rend à merveille. On y croise quelques scènes très réussies, lyriques, tragiques, émouvantes, ou larger than life. Mais, problème, le roman n’est rien d’autre qu’une montée aux extrêmes ; après un début très dur, la spirale n’arrête jamais, jusqu’à provoquer l’ennui. Pour le peuple égyptien mithridatisé, il n’y a pas d’autre sens que l’éternel retour, l’indifférence engourdie, le nihilisme libérateur, la mort comme échappatoire. Une fois qu’on l’a compris – et Rabie l’assène –, il n’y aura plus rien d’autre alors que les pages et les mots continuent de se dérouler. Combien de fois trouve-t-on le mot Enfer dans le roman ? Des centaines sûrement, des milliers peut-être. Jusqu’à la nausée du lecteur.

Et là où Utopia (dystopie cairote aussi) coupait le souffle, là où Images de la fin du monde suscitait une empathie navrée, Trois saisons en enfer ne fait qu’accumuler, répéter, ressasser, jusqu’à une indigestion agacée qui tient la compassion à distance.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712  

Ça vient de paraître

De l’espace et du temps

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 113
PayPlug