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L'Homme le plus doué du monde

En 1874, alors que Babbage est déjà mort avant de pouvoir donner vie à sa machine à différences, Edward Page Mitchell imagine ce qui sera le premier cyborg de la littérature dans « L’Homme le plus doué du monde ». Cet auteur écrira aussi sur une machine à voyager dans le temps (« The Clock That Went Backward », 1881), et sur un homme invisible (« The Cristal Man », 1881 également) avant même que Wells ne rende populaire les deux. Inutile donc de souligner à quel point nous sommes en présence d’un visionnaire.

Tout commence à Baden, lieu de villégiature visité par Fisher, un ami du narrateur. Suite à un malentendu, on prend celui-ci pour un médecin et on le mène auprès d’un baron russe qui éveillera sa curiosité… Et c’est déjà là qu’il faut arrêter la description de cette courte nouvelle dont il reste peu à découvrir quand on nous annonce d’emblée qu’il y sera question d’intelligence artificielle.

Pour tout dire, ce récit met quelque temps à démarrer et peine à captiver l’attention du lecteur, même si sa brièveté permet de ne pas trop lui tenir rigueur de son aridité. Cependant, ce n’est pas pour ses qualités littéraires qu’il nous intéressera, mais bien pour son rôle dans la construction des thématiques de base de la science-fiction ; d’où le caractère assez indispensable de sa lecture pour le curieux souhaitant revenir aux sources de la figure de l’homme-machine et des préoccupations philosophiques que son existence peut poser.

Toutefois, la dimension fondatrice du texte qu’il propose n’est pas le seul atout de ce tout petit livre particulièrement soigné. Sous une couverture veloutée se cachent également un portfolio de photos en rapport avec le thème de la nouvelle, ainsi qu’une postface rédigée par le traducteur, Jean-Noël Lafargue. Dommage qu’une attention similaire n’ait pas été portée au texte même, qui comporte un peu trop de coquilles pour qu’on puisse passer dessus sans ciller…

Au final, voici un récit certes moyen mais précurseur, et, de ce fait, assurément fréquentable pour qui s’intéresse à l’histoire de la science-fiction.

Delirium

Philippe Druillet est un fou, un barbare, un malade, un mal-né, quelqu’un qui aurait voulu naître prince ou mécène, mais qui est né fils de concierge. Non, pire : son père était une ordure de la pire espèce. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Victor Druillet était un fasciste, un vrai ; du temps de la guerre d’Espagne, il fut personnellement responsable de la capture de réfugiés républicains en France, qu’il renvoya chez Franco après les avoir torturés ; du temps de la collaboration, il dirigeait la Milice dans le Gers ; après le Débarquement, il est parti avec femme et enfant à Sigmaringen, où il s’est lié d’amitié avec Céline ; puis il s’est réfugié en Espagne, où on l’a accueilli à bras ouverts et où il a vécu jusqu’à sa mort. Sa veuve, condamnée à mort par contumace après la Libération, est revenue en France une fois amnistiée pour y vivoter misérablement, et ce n’est qu’à l’adolescence que le jeune Philippe a découvert la vérité sur les idoles que vénérait sa famille. Le choc fut rude.

Mais je ne vais pas vous raconter le livre ; vous n’avez qu’à le lire. Vous y découvrirez une confession bouleversante qui vous prendra aux tripes et vous permettra aussi, en filigrane, de mesurer le chemin parcouru en une cinquantaine d’années par ce qu’il faut bien appeler « notre » culture, celle de la SF, du fantastique, du bizarre, du marginal, de l’imaginaire. Il est tentant de faire le parallèle entre le destin de Druillet, qui de moins-que-rien est devenu artiste confirmé du seul fait de son acharnement au travail — et aussi de son immense ouverture d’esprit, il faut bien le dire, et de son absence totale de préjugés —, et le profond changement de statut de la BD, qui de loisir pour débiles est devenue une partie de la culture dominante.

À ce titre, les observations émaillant le texte sur les conditions de travail du dessinateur, sur la place de la BD dans la culture française des années 1950 et 1960, sont éloquentes. Jeune lecteur de Bifrost qui vas dévorer ce bouquin, tu croiras peut-être que Druillet exagère, qu’il en fait trop. Non. J’y étais ; il dit vrai. Mais on retiendra surtout de ce Delirium, qui mérite bien son sous-titre, « Autoportrait », le témoignage bouleversant d’un être blessé par la vie — « blessé » ? il a failli y passer, oui —, qui s’est abîmé dans plusieurs trous noirs et a toujours su en émerger, plus fort, plus généreux, plus sage. Un témoignage qui ne laisse pas indemne.

La Voie du dragon

Daniel Abraham est un habitué des pseudonymes. Lui qui publie ses romans de fantasy urbaine sous le nom de M. L. Hanover et cosigne ses space-operas James S. A. Corey (à paraître prochainement chez Actes Sud), le voici affublé d’une nouvelle identité, conçue tout spécialement pour la France : Daniel Hanover. L’échec commercial de sa précédente série au Fleuve Noir, la pourtant formidable « Cités de lumière », n’y est sans doute pas étranger. Mais après tout qu’importe le pseudo pourvu qu’on ait l’ivresse. Et de ce point de vue, ce premier tome s’avère fort prometteur.

À première vue, « La Dague et la fortune » se déroule dans un cadre plus classique que son prédécesseur, celui d’une fantasy médiévale où la magie n’occupe que peu de place, si ce n’est dans les légendes. Voilà des siècles que les derniers dragons ont disparu, et que treize races plus ou moins humaines d’apparence se partagent le bout de monde où se déroule l’action.

Le récit se focalise alternativement sur quatre personnages : Cithrin bel Sarcour, orpheline et pupille de la banque médéanne, qui, au moment où la ville de Vanaï semble sur le point d’être conquise par une cité rivale, reçoit pour mission de convoyer en toute discrétion une partie des richesses de la banque vers une autre de ses succursales ; Marcus Walter, autrefois glorieux combattant, qui accepte d’escorter Cithrin et va bientôt s’attacher à cette jeune femme qui lui rappelle ce qu’aurait pu devenir sa propre fille si elle n’avait pas été tuée dans des conditions tragiques bien des années plus tôt ; Geder Palliako, un jeune noble davantage intéressé par les livres anciens que par les prouesses sur les champs de bataille et qui, après une suite d’évènements dramatiques, va cesser d’être méprisé par ses pairs pour devenir l’un des hommes les plus puissants et les plus en vue du royaume ; enfin Dawson Kalliam, ami d’enfance et fidèle allié du roi Siméon, témoin direct des manigances qui se déroulent à la cour de ce dernier et menacent de déstabiliser toute la région.

Par bien des points, La Voie du dragon, premier volet de la série, a des allures de prologue. Le roman est relativement pauvre en action, Daniel Hanover consacrant l’essentiel de son attention à étoffer ces personnages, dont on devine sans mal qu’ils auront un rôle crucial à jouer dans la suite des évènements, et s’attache à dessiner par petites touches l’univers qui est le leur et qui, au terme de ce premier tome, n’aura révélé qu’une infime partie de ses mystères. La lenteur du récit n’est pas synonyme d’ennui pour autant, tant on s’attache aux protagonistes et à leurs mésaventures, qu’il s’agisse des recherches incessantes de Geder Palliako pour mettre à jour les vestiges d’une civilisation disparue, ou du jeu dangereux de Cithrin pour s’imposer dans un domaine où les requins abondent. Dans la façon dont Daniel Hanover mène son récit en collant au plus près de ses héros, il n’est pas interdit à la lecture de La Voie du dragon de penser au « Trône de Fer », et les lecteurs appréciant la saga de George R. R. Martin seraient bien avisés de se pencher sur cette série.

Odyssées

Décidément, les éditions Bragelonne aiment Arthur C. Clarke. Après avoir inscrit une partie de sa production romanesque au catalogue Milady, elles publient aujourd’hui Odyssées, un pavé de plus de mille pages réunissant l’intégralité de ses nouvelles, soit une centaine de textes parus sur une période de soixante ans.

Le premier intérêt d’un tel travail éditorial est de mettre en lumière l’évolution de l’auteur au fil du temps ainsi que les grandes tendances de son œuvre. La passion initiale de Clarke aura été la conquête de l’espace, qu’il n’a jamais cessé de mettre en scène, de la manière la plus variée et la plus réaliste possible. De la vie à bord d’une station spatiale à l’exploration des autres planètes du système solaire et au-delà, l’auteur s’est évertué à convaincre ses contemporains de la faisabilité d’un tel challenge, mais aussi de sa nécessité. Car au-delà des aspects techniques de cette conquête, elle pose la question de la place de l’homme dans l’univers. Et ce sont justement les questionnements métaphysiques de Clarke qui donnent naissance à ses meilleures nouvelles, parmi lesquelles « La Sentinelle », texte dont l’idée centrale sera reprise dans 2001, Odyssée de l’espace, ou « L’Eternel Retour », dont le récit se déroule sur des dizaines de millions d’années.

Dans le même ordre d’idées, la rencontre avec l’Autre occupe une place prépondérante dans l’œuvre d’Arthur C. Clarke, et il est rare qu’elle dégénère en conflit. Au contraire, l’écrivain n’a de cesse de mettre en scène la collaboration entre des espèces que tout oppose à priori, comme dans « Une Aube nouvelle » ou « Rencontre à l’Aube », pour ne citer que les plus connus. À l’inverse de toute une école de science-fiction dans les années 50, l’extraterrestre chez Clarke est bien plus volontiers une source de fascination, voire de beauté, que d’effroi.

Odyssées permet également de revenir aux sources de l’œuvre romanesque de l’auteur. Certaines nouvelles ont par la suite été directement incorporées au sein de romans, d’autres contiennent en germe les idées qu’il développera plus tard. Ainsi, bien avant de visiter Rama, ses personnages se retrouvaient face à des artefacts dont la conception défie l’entendement, qu’il s’agisse d’un gigantesque mur coupant un monde en deux (« Le Mur des ténèbres », 1949) ou d’une lune qui s’avère être un vaisseau spatial (« Jupiter Cinq », 1953).

Ceci dit, toutes les nouvelles au sommaire d’Odyssées ne sont pas bonnes. Un bon nombre d’entre elles ne sont au mieux qu’anecdotiques, notamment toutes celles prenant pour cadre le White Hart, ce pub où se réunissent écrivains et scientifiques pour se raconter d’improbables histoires d’inventions plus farfelues les unes que les autres. De même, parmi les textes qui étaient restés inédits jusqu’à ce jour, on cherchera en vain un chef-d’œuvre oublié. Le plus intéressant est sans doute « Le Continuum du fil », qui date de 1998 et qui reprend en la modernisant une idée que Clarke développait dans sa toute première nouvelle, parue soixante ans plus tôt, mais le crédit de ce récit revient avant tout à Stephen Baxter, qui le co-signe.

Au final, à la lecture de ces mille et quelques pages, il ressort et se confirme qu’Arthur C. Clarke ne figurait sans doute pas parmi les meilleurs nouvellistes du domaine, mais qu’il était et demeure encore aujourd’hui l’une des figures majeures de la science-fiction.

Le Casse du continuum

Une fois par an environ, la collection « Folio SF » nous fait encore la bonne surprise de publier une œuvre inédite, et cette année le créneau a été confié à Léo Henry, auteur décidemment très présent en ce début d’année, qui a profité de cette opportunité pour s’amuser avec les stéréotypes du genre, ou plutôt des genres, puisque Le Casse du continuum emprunte autant aux codes de la science-fiction d’aventure qu’à ceux du polar. Le cadre dans lequel se déroule ce récit n’a en effet rien d’original : un empire terrien qui s’étend aux quatre coins de la galaxie (dans laquelle on ne trouvera hélas pas la queue / le tentacule / l’appendice d’un extraterrestre), où l’opulence la plus insolente côtoie la misère la plus crasse, et où l’on se bat dans l’espace à grands coups de rayons laser. L’intrigue, quant à elle, relève du polar le plus classique : une équipe de sept individus, chacun étant le meilleur dans son domaine respectif (un cambrioleur, une mercenaire, une experte en explosifs, une call-girl, etc.) est réunie pour réaliser un coup a priori impossible : s’introduire dans le saint des saints, au cœur même de l’ordinateur qui gère les activités humaines à travers tout l’empire. Avec à la clé pour les différents protagonistes la promesse de voir tous leurs vœux exaucés, bien entendu.

Inutile donc de chercher la moindre idée novatrice dans ce roman, ni de pointer ses quelques invraisemblances, son intérêt se trouve ailleurs, en premier lieu dans le rythme effréné que Léo Henry donne à son récit d’un bout à l’autre. Pas le temps de s’ennuyer, péripéties, rebondissements, trahisons et retournements de situation s’enchaînent sans le moindre temps mort.

L’autre réussite du Casse du continuum, ce sont ses personnages, auxquels on s’attache assez vite, le romancier leur ayant donné ce qu’il faut d’épaisseur, voire, pour certains d’entre eux, d’étrangeté. C’est le cas en particulier de Kaboom, fillette dynamiteuse accompagnée d’un couple de parents-androïdes qui lui servent de couverture, ou du Rétrominot, un gamin dont la perception du temps pour le moins singulière va jeter ses compagnons (et occasionnellement le lecteur) dans un abyme de perplexité.

Alors certes, Le Casse… n’est sans doute pas ce que Léo Henry a écrit de mieux. Le roman n’a ni l’ambition ni l’originalité de ses précédentes œuvres. C’est un livre qui n’a d’autre prétention que de distraire, et qui y parvient on ne peut mieux, comme un épisode de Firefly écrit par Donald Westlake ; on aurait bien tort de bouder son plaisir.

Le Mystère du hareng saur

Sixième tome de la brillante série « Thursday Next » de Jasper Fforde, Le Mystère du hareng saur nous propose une nouvelle virée dans le Monde des Livres, cette fois concrétisé géographiquement sous la forme d’un archipel en terre creuse suite à la Refonte, en compagnie de l’inégalable Thursday Next.

Ou presque… Le problème, en effet, c’est que, ainsi que le titre original l’annonce d’emblée [One of Our Thursdays is Missing], la fameuse héroïne et enquêtrice de la Jurifiction a disparu. Bien évidemment, au moment où tout le monde a besoin d’elle… Aussi notre narratrice sera-t-elle la Thursday Next de fiction, version édulcorée vaguement baba-cool de l’originale, à sa demande : elle voulait que la série comporte moins de sexe et de violence. Mais, du coup, elle a perdu des lecteurs… Ce qui laisse du temps libre à la Thursday Next de fiction, entre deux interprétations peu enthousiastes des cinq volumes de la série (généralement épuisés), et lui permet ainsi de jouer à son tour à l’investigatrice. Mais elle est loin d’être aussi compétente que son modèle, et c’est sans doute pour cette raison qu’on lui confie une enquête sur le crash d’un livre inconnu, dont on a retrouvé des éléments épars un peu partout (y compris, chose horrible, dans le Complotisme). Reste que ce n’est pas pour autant la dernière des buses, et elle subodore à juste titre qu’il y a quelque chose de bien plus grave là-dessous, quelque chose qui pourrait bien avoir un rapport avec la disparition de la véritable Thursday Next, supposée participer dans quelques jours à des pourparlers de paix dans l’épineuse affaire opposant le Roman Grivois et son leader Speedy Cagoule, à ses voisins de la Littérature Féminine et du Dogme… Point de départ d’une odyssée farfelue dans le pittoresque Monde des Livres, avec même un détour par le monde réel (pour le principe).

Pas de doute : même si l’auteur de la série est régulièrement qualifié de « nègre », nous sommes bien en présence d’un roman de Jasper Fforde, et son ton inimitable fait bientôt les délices du lecteur (malgré quelques gags lourdingues et jeux de mots laids qui ne ressortent pas très bien à la traduction et peuvent laisser perplexe, voire inquiet, dans un premier temps). Le Mystère du Hareng saur est (presque) toujours remarquablement drôle, bourré à en déborder d’allusions et références réjouissantes, et tellement riche en bonnes idées inattendues qu’il en devient vertigineux. La Refonte a ainsi eu des effets très bénéfiques, et c’est avec un plaisir intact que l’on arpente cette fois l’île de la Fiction (carte en début de roman, à elle seule déjà riche en gags). L’astuce est toujours de la partie, que ce soit dans la trame complexe de thriller politico-psychologique qui sous-tend le roman, ou dans les considérations sur les livres en général et sur la série « Thursday Next » en particulier (l’auteur s’amusant beaucoup tout en jetant une sorte de regard nostalgique sur sa création). Si le roman prend son temps pour déployer pleinement son intrigue, les idées géniales filent par contre à la vitesse de l’absurde, pour notre plus grand bonheur (et nos plus grandes migraines à l’occasion). Et, osons le dire : un livre dans lequel un taxi tombe inopinément dans un champ de mimes est nécessairement bon.

Mais est-il à la hauteur de ses illustres prédécesseurs ? Peut-être pas… Si Le Mystère du Hareng saur se lit avec beaucoup de plaisir, et si l’on est toujours aussi béat d’admiration devant certaines trouvailles de Jasper Fforde, le fait est que l’ombre de L’Affaire Jane Eyre et de ses suites plane sur cet ultime volet. Or l’auteur avait placé la barre très haut, ce n’est rien de le dire, et ici, parfois, il rate son envol… L’intrigue, pour être astucieuse, est ainsi plus ou moins palpitante, et on a tôt fait, à vrai dire, de la considérer comme un accessoire pour se concentrer sur les aspects les plus brillants du roman : cette inventivité constante et foisonnante. On se désintéresserait presque du sort de la véritable Thursday Next, on ne prête qu’une attention distraite à l’affaire du Roman Grivois… Aussi le livre peut-il avoir un certain aspect décousu, consistant plus en une folle suite de gags sans queue ni tête qu’en un authentique récit bien organisé du début à la fin. Cette anarchie, quoique très réjouissante, assurément, peut aussi décevoir un tantinet pour qui s’était attendu à quelque chose d’aussi proche de la perfection que les précédents volumes.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : si cet ultime roman est un peu faiblard sur l’échelle des « Thursday Next », il n’en reste pas moins tout à fait réjouissant, et sans aucun doute largement au-dessus du lot. On n’en fera pas une lecture aussi indispensable que L’Affaire Jane Eyre et ses séquelles, mais les amateurs de la série devraient néanmoins s’y retrouver dans l’ensemble, ne serait-ce que pour se plonger à nouveau dans ce tourbillon d’idées géniales mettant en abîme la littérature en général et la fiction en particulier. Autant dire que la concurrence est inexistante…

Imaro, l'intégrale

Les éditions Mnémos ont eu l’excellente idée de rassembler pour la première fois — après un parcours éditorial complexe — en un fort beau volume les quatre livres (deux fix-up et deux « vrais » romans, formant ensemble une saga complète) consacrés par Charles Saunders à son personnage d’Imaro. Un fort beau volume, oui, indéniablement ; mais très dense, le texte étant fortement tassé, ce qui peut faire un peu souffrir les yeux… On n’enverra cependant pas la facture des soins ophtalmo aux éditions Mnémos, car la lecture de cette intégrale, malgré ce tout petit souci technique, s’avère un régal de bout en bout. Autant le dire de suite, en effet : Imaro est un superbe personnage, probablement le seul digne successeur du Conan de Robert E. Howard (influence primordiale dont l’auteur ne se cache certes pas), avec le Kane de Karl Edward Wagner.

Imaro est à bien des égards un produit de son temps, un héritier des mouvements pour les droits civiques afro-américains et probablement plus encore des Black Panthers. Mais il n’a rien perdu de sa force aujourd’hui. « Conçu pour être le Noir qui botte le cul de Tarzan », le héros de Charles Saunders témoigne d’une entreprise colérique visant à « décoloniser » la fantasy systématiquement blanche. Pour ce faire, l’auteur, dans la droite lignée de Robert E. Howard et de son Age Hyborien, a créé « son » Afrique, imaginaire mais truffée de références transparentes, le Nyumbani. Un cadre magnifiquement détaillé, propice aux aventures épiques, que va arpenter de long en large le colosse Imaro, de son Tamburure natal au Naama qui verra sa quête s’achever.

Imaro est le « fils d’aucun père ». Sa mère est contrainte de l’abandonner à sa tribu des Ilyassai alors qu’il n’a que cinq pluies. Mais elle laisse un guerrier derrière elle… Une épée qui devra être forgée dans la douleur. L’apprentissage est rude, auprès des Ilyassai qui le rejettent comme un bâtard. Mais cela endurcit le caractère d’Imaro, qui grandit sous les quolibets et le mépris pour devenir un géant au destin le dépassant amplement. Car Imaro, à bien des égards, est un « élu » ; et il quittera bientôt les Ilyassai, qui ne l’ont jamais accepté, pour parcourir le Nyumbani à la recherche de son identité et partout combattre les sorciers du Naama à la botte des terribles Mashataan.

Si c’est bien dans la lignée d’Howard que se situent ses premières aventures, sous forme de nouvelles très efficaces et débordant d’action, sa quête prendra sur le tard des accents que l’on pourrait juger tolkiéniens… Mais avec toujours ce même souffle épique qui emporte le lecteur ravi, et ce rythme frénétique qui n’avait sans doute pas trouvé d’égal depuis les meilleurs récits de Conan. Et il faut encore y ajouter un sens du détail anthropologique (qui a son revers, dans un « glossaire » fort complexe se traduisant dans le texte par une abondance d’italiques) absolument fascinant, dans la lignée des meilleurs récits de Jack Vance et d’Ursula Le Guin.

L’action est le maître-mot d’ « Imaro ». Les combats les plus violents ponctuent le récit avec la régularité d’une horloge. Pourtant, le lecteur ne se lasse pas, et continue de se passionner pour les exploits sans cesse plus fous du colosse noir ; qu’il affronte des animaux, des hommes ou des monstres très howardiens (et donc passablement lovecraftiens), Imaro multiplie les prouesses, tel le héros plus grand que nature qu’il est par définition. Toutefois, si les cultures africaines et afro-américaines sont le berceau du héros de Charles Saunders, on pourra légitimement lui trouver aussi une certaine dimension christique (si ce n’est qu’il n’est pas vraiment du genre à tendre l’autre joue…), voire des accents grecs tant son parcours relève de l’épopée tragique. Imaro est en effet destiné à connaître la souffrance à chaque étape de sa vie, et sa quête d’identité et de liberté s’avère semée d’embûches. Personnage aussi fort que poignant, il se révèle bien plus complexe qu’une simple montagne de muscles massacrant à tour de bras.

L’originalité, en dehors de ce superbe cadre « africain », n’est probablement pas la principale qualité d’ « Imaro ». Mais peu importe : il s’agit là d’une fantasy haut de gamme, d’un divertissement de choix qui écrase la pseudo-concurrence. De quoi fournir des heures d’évasion exotique. Un régal qui vaut bien toutes les louanges.

Histoire Zéro

Il est bien loin, le temps de la trilogie de « Neuromancien » ; William Gibson s’était déjà rapproché de notre époque avec sa trilogie suivante, dite du « Pont », et ses romans ultérieurs ne font que confirmer cette évolution, en s’attardant sur notre époque pour en analyser les tenants et aboutissants sans plus guère utiliser de prétexte SF. En dehors de quelques éléments sur le tard, Histoire zéro ne relève en effet pas vraiment de la science-fiction (pas au sens strict, du moins), mais il continue cependant d’interroger le monde selon une grille de lecture bel et bien héritée du cyberpunk. Ce qui, disons-le, est à la fois passionnant et un brin frustrant pour qui a découvert l’auteur avec ses premiers romans. Il est en tout cas certain que ce n’est pas avec Histoire zéro, qui vient clore une nouvelle trilogie entamée avec Identification des schémas, et poursuivie avec Code source, que l’on pourra apprécier au mieux la production SF de l’auteur… même si, comme le dit une critique reprise en quatrième de couverture, Gibson donne ici « à lire le présent comme si c’était le futur ». Une évolution certes pas innocente, et qui a pu lancer des pistes de recherches intéressantes dans les deux précédents romans, consacrés aux marques et aux sous-cultures, mais Histoire zéro, en poursuivant sur cette problématique, pousse le bouchon très loin… et sans doute trop. Jusqu’à l’absurde, en fait, en prenant pour sujet-prétexte (un McGuffin, assurément) ce que l’on peut concevoir de plus superficiel au monde : la mode.

Le roman alterne entre les points de vue de l’ancienne chanteuse de rock Hollis Henry et du paumé ex-camé Milgrim, deux des « héros » de Code source. Ils sont à nouveau amenés à travailler pour le curieux magnat Hubertus Bigend, qui a foi en leurs capacités respectives. Ainsi les lance-t-il sur les traces d’une mystérieuse marque (ou anti-marque ?) de jeans, appelée les Chiens de Gabriel, avec potentiellement de juteux marchés militaires à la clé. Ce qui fait l’originalité des Chiens, en effet, outre leur finition impeccable, c’est l’absence quasi totale de communication les concernant ; ils n’ont pas pignon sur rue, et personne ou presque ne sait de qui il s’agit (même si le lecteur se fait rapidement sa petite idée…) : « une ligne de vêtements connue pour ne pas être célèbre »… Nos deux investigateurs se lancent de fait dans la plus futile des quêtes, dans un milieu brillant par sa vacuité. L’histoire, dès lors ? Eh bien, il n’y en a pas vraiment, comme le titre le laisse assez entendre… Il s’agit bien d’une Histoire zéro. Ce qui, en soi, ne pose pas vraiment problème, n’en déplaise à certains critiques amateurs de bon (mauvais) mots ; à vrai dire, il y a même quelque chose de fascinant dans cette étude approfondie du néant…

Mais on ne se fera pas d’illusions pour autant, même dans un monde où tout est factice : Histoire zéro, avec tout son potentiel, est un roman raté. Gibson pousse en effet le vice très loin, et si son roman n’est pas totalement exempt de qualités — il est à coup sûr bien pensé, et les personnages d’Hollis et (surtout) de Milgrim sont bien campés et plutôt attachants —, il n’en reste pas moins qu’on s’y ennuie profondément. Il a même quelque chose d’un pensum… notamment du fait de sa longueur indubitablement excessive. Avec cette thématique, William Gibson tenait probablement le matériau d’une très bonne nouvelle ou novella ; en l’étirant artificiellement sur 550 pages, il met trop en lumière son dispositif, son propos, et lasse bien vite. La forme ne rattrapant pas le fond — Gibson n’a jamais vraiment eu de chance avec ses traducteurs —, ne subsiste plus de cette Histoire zéro qu’un profond ennui. Faux roman de science-fiction empruntant l’allure et les méthodes d’un faux thriller, ce dernier roman de William Gibson se révèle ainsi une triste déception, un livre qui, malgré une intelligence indéniable, laisse le lecteur, au mieux, parfaitement froid et indifférent.

Harmonie

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Harmonie, par la force des choses dernier roman de l’auteur qui se faisait appeler Project Itoh, a été couronné de multiples prix au Japon, et a aussi obtenu le Prix spécial du Jury aux Philip K. Dick Awards 2010. Et autant le dire de suite, c’était bien légitime. On s’étonnera d’autant plus qu’il n’ait pas encore rencontré davantage d’écho en France, alors que c’est à n’en pas douter une des publications les plus alléchantes d’ « Eclipse », éditeur depuis peu devenu collection dans le giron de Panini.

Nous sommes dans la seconde moitié du XXIe siècle. Après les terribles affrontements du Maelström, qui ont bien failli conduire l’humanité à l’extinction, s’est mise en place une étonnante utopie sous la houlette des admédistrations, aidées par les progrès de la recherche médicale et de la nanotechnologie. La vie humaine est désormais placée au centre des préoccupations, considérée comme un bien de la société. Les WatchMe implantés en tout un chacun, et les conseils médicaux qui vont de pair, assurent l’existence prolongée d’une humanité sans excès de graisse (ni déficit, d’ailleurs), sans maladies, du rhume au cancer, sans vices non plus (l’alcool et le tabac ont été violemment condamnés, et la caféine est sur le point d’y passer). Un cauchemar blanc, aseptisé, d’une froideur clinique, où la compassion et la bienveillance étouffent. Le « vivisme », cet avatar moderne d’hygiénisme nazillon mêlé de bien-pensance, en plaçant la vie au premier plan, a créé une société invivable.

<souvenir>

Quand Tuan Kirie était adolescente, elle avait pour meilleures amies, outre l’effacée Cian, l’intrigante et suprêmement intelligente Miach Mihie. Celle-ci s’était lancée dans une guerre impitoyable contre le vivisme, qui a débouché sur la tentative de suicide conjointe des trois jeunes filles. Seule Miach y est passée.

</souvenir>

Maintenant, Tuan travaille pour l’Hélix, une branche de l’OMS… qui sème la guerre à force de bonnes intentions. Mais Tuan n’écume pas les champs de bataille par compassion : ce qui l’intéresse, c’est l’alcool et le tabac. Contrainte cependant de rentrer au Japon du fait de ses entorses à la moralité publique, elle assiste bientôt au suicide de son amie d’enfance Cian. Mais Cian n’est pas la seule à être enfin passée à l’acte : au même moment, partout dans le monde, ce sont plus de six mille personnes qui ont tenté de se donner la mort, et près de la moitié y sont parvenues.

Malgré son implication personnelle — ou justement, pour cette raison —, Tuan enquête. Car ce suicide collectif inattendu, atteinte suprême aux objectifs des admédistrations, semble bien être l’œuvre d’une faction terroriste… Et notre héroïne va ainsi découvrir les dessous de la société viviste.

<déclaration>

Harmonie est un roman brillant.

</déclaration>

Project Itoh nous dépeint ici une société terriblement crédible, et d’une horreur impressionnante sous ses façades de bienveillance et de santé. Le cauchemar blanc du vivisme ne manque pas de nous renvoyer à certaines dérives contemporaines, et c’est bien l’évolution de notre société qui est ici questionnée ; la société occidentale comme la société japonaise, d’ailleurs : à cet égard, on ne peut s’empêcher de penser par moments, notamment dans les premières pages du roman, vibrantes de colère et d’absurdité, à certaines œuvres nippones telles que Les Bébés de la consigne automatique ou Battle Royale, pour rester dans le genre. Mais Project Itoh ne se contente pas d’attaquer les fondations et de démolir (même s’il fait cela très bien) ; en allant jusqu’au bout de la logique viviste, c’est, au-delà de la société, l’homme qui est finalement interrogé, d’une manière très subtile bien que radicalement matérialiste — Greg Egan n’est pas loin (on pense à la superbe nouvelle « Des raisons d’être heureux », dans Radieux), notamment dans la fascinante conclusion.

Pour autant, Harmonie n’est pas sans défauts.

<liste: item>

<i: La plume est franchement médiocre, les deux niveaux de traduction (japonais, puis anglais, puis français) n'ayant sans doute rien arrangé.>

<i: L'intrigue de techno-thriller est parfois un peu lourde.>

<i: Les souvenirs impliquant Miach sont d'ailleurs plus intéressants que la trame principale.>

</liste>

Mais cela n’enlève rien à l’essentiel : roman riche et indéniablement intelligent, Harmonie emporte sans peine l’adhésion. Aussi peut-on fermer les yeux sur ces quelques menues faiblesses, et reconnaître en l’ultime roman de Project Itoh un remarquable livre de science-fiction, à même de faire réfléchir le lecteur sans pontifier pour autant. C’est une denrée assez rare en ce moment ; on aurait d’autant plus tort de s’en priver.

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</etml>

Le sang que l'on verse

« Mon nom est Etréham, je vais avoir dix-neuf ans et je suis le meilleur guerrier de tout l’empire pryaméen. J’ai appris seul à combattre et tuer. Ce talent mortel, mon art, coule en moi tel un feu enivrant. »

À l’issue d’une bataille qui a viré au carnage et a coûté la vie à son meilleur ami, lâchement assassiné, Etréham s’effondre, ivre de fatigue. À son réveil, il fait la connaissance de l’intrigante et divine Asa. Elle lui propose le plus grand des défis, un ultime combat : tuer son père Mérydès, le plus puissant des dieux, qui est allé jusqu’à s’autoproclamer Dieu Unique. Débute alors la quête funeste d’Etréham…

Le Sang que l’on verse est le premier roman de Yann de Saint-Rat (un pseudo ?), trentenaire dont on ne sait pas grand-chose, outre le fait qu’il aime les mangas, les comics, le cinéma et les jeux vidéo. Un roman certes bien construit, mais qui met longtemps à se mettre en marche, souffre de lourdeurs et de trop nombreuses répétitions.

Si l’auteur connaît bien les codes de la fantasy, il ne les réinvente jamais. Ce qui n’empêche pas l’intrigue, de prime abord cousue de fil blanc (quête, initiation, mentor, combat, opposition bien/mal...), de se développer par la suite de manière assez inattendue ; les dernières pages, apocalyptiques, s’avèrent même assez surprenantes.

Etréham évoque, comme il se doit, les héros de David Gemmell ou les 300 Spartiates de Zack Snyder. Les combats sont titanesques, tout en démesure ; les amateurs en auront pour leur argent. Cependant, le héros pâtit d’un défaut majeur : pion manipulé et ballotté par des forces qui le dépassent, il aurait mérité d’être moins naïf, davantage fouillé et beaucoup plus charismatique. En l’état, il souffre de la comparaison avec les autres personnages : la sauvage et arrogante Eyll, l’ambigu Mésume et la manipulatrice Asa.

Au final, bien que non exempt de défauts, Le Sang que l’on verse est un roman agréable doté de quelques bonnes idées. On saluera donc le travail de Mnémos, qui continue de nous faire découvrir de nouveaux auteurs, ce qui n’est pas si évident en ces temps crispés, et si celui-ci n’a pas le panache d’un Jean-Philippe Jaworski, on ne manquera pas de jeter un coup d’œil à son prochain récit…

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