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La machine à remonter les rêves

Après l'excellent Mission Alice, anthologie conçue autour de Lewis Carroll, après Les Ombres de Peter Pan, hommage au lutin malicieux créé par J. M. Barrie, Richard Comballot, ici aidé de Johan Heliot, salue le centenaire de la mort de Jules Verne avec ce choix de dix-huit récits. Son vaste univers est moins facile à cerner que celui de Carroll ou de Barrie puisqu'il concerne les voyages autant que les inventions extraordinaires ; on trouvera donc là aussi bien des uchronies que du steampunk ou des récits de science-fiction que Verne aurait pu écrire s'il avait vécu à une autre époque. La large palette de possibilités n'entraîne cependant pas une trop grande dispersion.

Dans le registre de l'aventure, Verne vit la plupart de ses voyages, cherchant le sphinx des glaces (« La Mystérieuse Antarctide » de Christian Vilà), contrant des personnages de ses œuvres : le Dr Ox (« On A Volé Le Pôle magnétique », d'Hervé Jubert), Wilhelm Storitz (« Le Retour de Wilhelm Storitz » de Daniel Walther), Phileas Fogg dans « Cuit dur » de Xavier Mauméjean, délirant récit multipliant les références, jusqu'à inclure la recherche d'un faucon solaire qui inspirera à Verne journaliste une aventure de Philippe Marelaut ! C'est aussi l'occasion d'aborder les thèmes que Verne n'a pas traités : les univers parallèles (« Eve, à tout jamais », de Michel Jeury qui signe là son retour à la S-F), les extraterrestres, le voyage dans le temps, la mécanique quantique (dans « Le Gouffre aux chimères » de Serge Lehman, un autre revenant, Verne est le père de la résurgence quantique) mais aussi l'élixir de mémoire qui aide le personnage du récit d'Ugo Bellagamba, s'inspirant du rayon vert, à retrouver un amour perdu (« Non-absinthe »). Les personnages les plus fréquents sont le capitaine Némo, devenu un conquérant de Mars (« 20000 lieues dans l'espace », de Jean-Pierre Vernay) et Wilhelm Storitz, dont le machiavélisme a été source d'inspiration. Outre l'invisibilité, il serait également capable, pour Michel Pagel, de voyager dans le temps (« Le Véritable Secret de Wilhelm Storitz »).

Parmi les personnages réels mis en scène, Hetzel est moins souvent évoqué qu'on ne pouvait le penser alors que le fils est beaucoup plus présent : à Michel Verne, qui a considérablement remanié certaines de ses œuvres, Jules écrit des lettres relatant des épisodes inconnus de sa vie ou des projets de roman. Parmi ses contemporains, son concurrent Wells est considéré comme un plagiaire (« La Guerre des mondes a bien eu lieu » de Pierre Stolze) auquel l'auteur lègue d'ailleurs les romans qu'il n'aura pas le temps d'écrire, Méliès et Nadar, dont les images magiques permettent de rendre réelle la fiction (« Magicis in Mobile » de Pierre Pevel) ou au contraire de retirer de l'âme aux personnages réels : Ardan, le personnage de Verne, anagramme de Nadar, est-il impressionnable sur la pellicule (« Blanc partout » de Michel Lamart) ?

La fascination qu'exerce son œuvre incite plusieurs auteurs à le ressusciter avec des aléas divers : Richard Canal le recrée à partir d'une machine analysant ses textes mais c'est Michel qui apparaît (« Le Dieu mécanique »), Jean-Pierre Hubert et Serge Ramez le clonent mais obtiennent soit le fils, soit le père et Hetzel, un père très priapique, d'ailleurs (« La Journée d'un écrivain français en 2889 ») ; quant au triste exemplaire de Jean-Jacques Girardot, il sert de guide aux élèves du futur (« Une Visite au pavillon Jules Verne »). Cette œuvre est si complète qu'elle est un univers en soi et que pour bien des auteurs, il s'est forcément mis à exister ; outre les nouvelles de Pevel et Lamart traitant du rapport entre le rêve et la réalité, les récits de Philippe Curval (où un personnage de « La Chasse au météore » s'introduit dans l'esprit de Verne pour changer ses écrits) et Jacques Barbéri (« La Machine à remonter les rêves ») exploitent des idées similaires, la plus belle étant sans conteste celle de Fabrice Colin qui peuple le néant de pensées : Michel Verne enferme le lecteur dans l'univers de son père où s'affrontent deux personnages, mélanges des héros de Verne et symbolisant le conflit irrésolu de l'auteur entre l'Imaginaire et la Science (« Intervention forcée en milieu crépusculaire »).

L'anthologie se clôt par une postface de François Angelier sur l'auteur et son œuvre et par une anecdote rapportée par Luc Dutour, dont on cherche l'intérêt.

À lire ces récits de bonne tenue, il est clair que, comme l'affirment Comballot et Heliot, Jules Verne n'a pas fini de faire rêver.

Millenium People

[Chronique portant sur Crash ! et Millenium People.]

À l'origine influencé par le surréalisme, James Graham Ballard est décidément l'auteur de science-fiction ayant le mieux cerné notre monde contemporain, mieux que n'importe quel auteur, au-delà des étiquettes et des genres. Depuis Crash ! et La Foire aux atrocités, ses romans se situent véritablement au cœur du réel.

Né à Shangaï en 1930, Ballard n'a jamais joué la carte des futurs ou espaces lointains. La séparation d'avec ses parents pendant son enfance explique peut-être ce parti pris : livré à lui-même dans Shangaï, interné dans un camp de prisonniers japonais à onze ans, en Mandchourie, c'est vivre un exotisme radical dans l'ici et maintenant ; L'Empire du soleil (disponible chez Folio), adapté à l'écran par Spielberg, relate de façon romanesque cette période dramatique, à la troisième personne. La distanciation par la fiction, déjà. Ballard ne s'embarque pas pour les étoiles, estimant le rêve mort sitôt après avoir commencé. Sa première période littéraire est catastrophiste, comme tout Britannique qui se respecte, avec notamment une tétralogie mettant successivement en scène les quatre éléments : Le Monde englouti, La Forêt de cristal, Le Vent de nulle part, Sécheresse. Les paysages surréalistes qu'il y décrit se rapprochent déjà des paysages intérieurs, oniriques, qui annoncent la période suivante, faite d'expériences narratives, de jeux d'écriture, décrivant par fragments les restes d'un mythe brisé où la conquête spatiale est abandonnée, où plages et hôtels déserts sont le signe de la lente déliquescence de la société, comme en témoignent maints titres de recueils de nouvelles : La Plage ultime, Vermillion Sands, Mythes d'un futur proche.

Crash !, en 1973, suit ce constat d'échec : le premier volume de la trilogie de béton (avec L'île de béton et I.G.H.) tente d'explorer la mythologie du monde moderne, sur fond de prolifération du béton et de prolongation technologique du corps. Prophétique par de maints aspects, le roman explore jusqu'au bout les obsessions contemporaines ; nul besoin de vernis S-F : celle-ci est passée dans la réalité et nous vivons dans une sorte de fiction permanente.

Après un accident de voiture, le narrateur James Ballard se trouve face à la femme blessée dont il vient de tuer le mari. Ce choc développe chez lui une obsession pour la tôle froissée qui n'échappe pas à Vaughan qui l'enrôle dans ses morbides projets artistiques. Il reconstitue en effet les accidents automobiles célèbres, celui de James Dean par exemple, et exhibe ses cicatrices comme des trophées. Son rêve est de mourir dans un accident de voiture avec Elisabeth Taylor. Dès lors, la sexualité de Ballard se confond avec l'érotisme de l'objet automobile. Il participe aux fantasmes de Vaughan, voire les renforce, dans la mesure où ceux-ci seraient dépourvus de signification s'ils n'avaient pas un public. Les noces technologiques de la chair et du métal sont ici décrites avec une précision chirurgicale. Le désir est sans affect, le plaisir et la souffrance se confondent dans l'impact avec la Machine, les plaies et les cicatrices sont les nouvelles images sexuelles célébrant cette rencontre sauvage avec le symbole technologique de l'automobile, ses chromes étincelants, ses banquettes de vinyle tachées de sperme, ses tôles froissées perlées de sang.

Le récit ne prend jamais le parti d'inquiéter ni de condamner, il se contente de décrire, avec un hyperréalisme monomaniaque. Le récit est efficient, fonctionnel, à l'image de la machine et de la société contemporaine, sans âme, sans finalité. On éprouve un sentiment de béance à lire ce roman, un vertige devant la vacuité de cette énergie brute qui déborde le narrateur. Ballard parle de « logique perverse plus puissante que la raison » et revendique ce livre comme le premier roman pornographique fondé sur la technologie et aussi comme une apocalypse prémonitoire. Le temps lui a donné raison : dans sa préface à l'édition française, en 1974, il parlait déjà de « mise en garde contre ce monde brutal aux lueurs criardes qui nous sollicite de façon toujours plus pressante en marge du paysage technologique. » Tout le monde a encensé ce roman prophétique : Baudrillard y a vu le grand roman de l'ère de la simulation, des thèses lui ont été consacrées et l'adaptation à l'écran, somme toute tardive (1996 — mais il fallait attendre que le public des salles obscures soit prêt à accepter ce type de fiction) a achevé de faire de Crash ! un mythe contemporain. Ce n'est pas un hasard si l'œuvre fut adaptée par David Cronenberg, qui avait déjà filmé en 1983 l'impact de la technologie sur le corps humain avec Vidéodrome.

Millenium people, son dernier roman, ne fait que confirmer ce constat trentenaire. Après un détour par la littérature générale, Ballard est revenu en force dans la science-fiction avec Super-Cannes et La Face cachée du soleil, qui poursuivent sa description de la décadence lente de nos sociétés. Dans Millenium people, ce sont les bourgeois, classe très conservatrice, qui se révoltent : dans la coquette banlieue londonienne de la Marina de Chelsea, médecins et cadres supérieurs refusent de payer leur loyer, volent leur nourriture dans les supermarchés et saccagent leurs biens. Ce ras-le-bol de la société de consommation est justifié par la paupérisation de la classe moyenne qui perd ses repères en même temps qu'elle perd son train de vie. Comme l'observe l'auteur dans un entretien à Lire, « la consommation entraîne, tôt ou tard, l'insatisfaction. Et de l'insatisfaction naît l'ennui. Or, de l'ennui peut naître la révolte » (n°332, février 2005). Les « prolos en costume trois pièces » plastiquent donc les vidéothèques et incendient la Cinémathèque. Le pathétique et le grotesque se mêlent dans cette révolution qui serait réellement une farce dérisoire si des éléments extrémistes n'avaient joué aux terroristes.

Pour avoir perdu son ex-femme dans un attentat, le psychologue David Markham se lance sur la trace de ses auteurs. C'est ainsi qu'il intègre un mouvement clandestin dirigé par Richard Gould, un charismatique médecin bien décidé à dénoncer le vide de nos existences, à provoquer un sursaut salutaire. Comme dans Crash !, mais aussi Super-Cannes, un déséquilibré éclairé permet de voir au-delà de la surface des choses et l'enquêteur neutre, désireux de comprendre, est initié à la logique perverse des révolutionnaires. Ceux-ci n'ont même pas de véritable cible : « Nous n'aimons pas le genre de personnes que nous sommes devenues », clament-ils ; ils ne peuvent que s'attaquer à ce qu'ils ont adoré. Une fois de plus, le narrateur est en quête de sens : le spectre du 11 septembre et des attentats aveugles plane sur ce roman. La gratuité, la mort frappant au hasard effraie car elle renvoie à la vacuité de l'existence comme à la fragilité de la civilisation qu'un moindre grippement des rouages peut mettre à mal.

Cette fois, le détachement ballardien disparaît sous l'humour, très pince-sans-rire. La charge est féroce, la satire au vitriol. Le récit grinçant ne suscite pas moins le malaise, car si le diagnostic prête à rire, il n'existe aucun remède apparent. Tout le monde s'accorde à penser que nous multiplions les actions dépourvues de sens pour notre plus grand désarroi, mais personne ne sait plus quoi faire pour rendre le monde moins dangereux.

Pour Ballard, la S-F est morte depuis que l'homme a marché sur la lune. Il définit ce qu'il écrit comme de la fiction réaliste extrême. À y bien réfléchir, n'est-ce pas précisément une belle définition de la science-fiction ?

S-F ou pas, Millenium People est un roman aussi jubilatoire qu'enrichissant par sa réflexion sur les contradictions de nos sociétés et leur avenir. Quant à Crash !, non seulement il n'a pas pris une ride, mais sa relecture de nos jours le fait briller d'éclats nouveaux.

Crash !

[Chronique portant sur Crash ! et Millenium People.]

À l'origine influencé par le surréalisme, James Graham Ballard est décidément l'auteur de science-fiction ayant le mieux cerné notre monde contemporain, mieux que n'importe quel auteur, au-delà des étiquettes et des genres. Depuis Crash ! et La Foire aux atrocités, ses romans se situent véritablement au cœur du réel.

Né à Shangaï en 1930, Ballard n'a jamais joué la carte des futurs ou espaces lointains. La séparation d'avec ses parents pendant son enfance explique peut-être ce parti pris : livré à lui-même dans Shangaï, interné dans un camp de prisonniers japonais à onze ans, en Mandchourie, c'est vivre un exotisme radical dans l'ici et maintenant ; L'Empire du soleil (disponible chez Folio), adapté à l'écran par Spielberg, relate de façon romanesque cette période dramatique, à la troisième personne. La distanciation par la fiction, déjà. Ballard ne s'embarque pas pour les étoiles, estimant le rêve mort sitôt après avoir commencé. Sa première période littéraire est catastrophiste, comme tout Britannique qui se respecte, avec notamment une tétralogie mettant successivement en scène les quatre éléments : Le Monde englouti, La Forêt de cristal, Le Vent de nulle part, Sécheresse. Les paysages surréalistes qu'il y décrit se rapprochent déjà des paysages intérieurs, oniriques, qui annoncent la période suivante, faite d'expériences narratives, de jeux d'écriture, décrivant par fragments les restes d'un mythe brisé où la conquête spatiale est abandonnée, où plages et hôtels déserts sont le signe de la lente déliquescence de la société, comme en témoignent maints titres de recueils de nouvelles : La Plage ultime, Vermillion Sands, Mythes d'un futur proche.

Crash !, en 1973, suit ce constat d'échec : le premier volume de la trilogie de béton (avec L'île de béton et I.G.H.) tente d'explorer la mythologie du monde moderne, sur fond de prolifération du béton et de prolongation technologique du corps. Prophétique par de maints aspects, le roman explore jusqu'au bout les obsessions contemporaines ; nul besoin de vernis S-F : celle-ci est passée dans la réalité et nous vivons dans une sorte de fiction permanente.

Après un accident de voiture, le narrateur James Ballard se trouve face à la femme blessée dont il vient de tuer le mari. Ce choc développe chez lui une obsession pour la tôle froissée qui n'échappe pas à Vaughan qui l'enrôle dans ses morbides projets artistiques. Il reconstitue en effet les accidents automobiles célèbres, celui de James Dean par exemple, et exhibe ses cicatrices comme des trophées. Son rêve est de mourir dans un accident de voiture avec Elisabeth Taylor. Dès lors, la sexualité de Ballard se confond avec l'érotisme de l'objet automobile. Il participe aux fantasmes de Vaughan, voire les renforce, dans la mesure où ceux-ci seraient dépourvus de signification s'ils n'avaient pas un public. Les noces technologiques de la chair et du métal sont ici décrites avec une précision chirurgicale. Le désir est sans affect, le plaisir et la souffrance se confondent dans l'impact avec la Machine, les plaies et les cicatrices sont les nouvelles images sexuelles célébrant cette rencontre sauvage avec le symbole technologique de l'automobile, ses chromes étincelants, ses banquettes de vinyle tachées de sperme, ses tôles froissées perlées de sang.

Le récit ne prend jamais le parti d'inquiéter ni de condamner, il se contente de décrire, avec un hyperréalisme monomaniaque. Le récit est efficient, fonctionnel, à l'image de la machine et de la société contemporaine, sans âme, sans finalité. On éprouve un sentiment de béance à lire ce roman, un vertige devant la vacuité de cette énergie brute qui déborde le narrateur. Ballard parle de « logique perverse plus puissante que la raison » et revendique ce livre comme le premier roman pornographique fondé sur la technologie et aussi comme une apocalypse prémonitoire. Le temps lui a donné raison : dans sa préface à l'édition française, en 1974, il parlait déjà de « mise en garde contre ce monde brutal aux lueurs criardes qui nous sollicite de façon toujours plus pressante en marge du paysage technologique. » Tout le monde a encensé ce roman prophétique : Baudrillard y a vu le grand roman de l'ère de la simulation, des thèses lui ont été consacrées et l'adaptation à l'écran, somme toute tardive (1996 — mais il fallait attendre que le public des salles obscures soit prêt à accepter ce type de fiction) a achevé de faire de Crash ! un mythe contemporain. Ce n'est pas un hasard si l'œuvre fut adaptée par David Cronenberg, qui avait déjà filmé en 1983 l'impact de la technologie sur le corps humain avec Vidéodrome.

Millenium people, son dernier roman, ne fait que confirmer ce constat trentenaire. Après un détour par la littérature générale, Ballard est revenu en force dans la science-fiction avec Super-Cannes et La Face cachée du soleil, qui poursuivent sa description de la décadence lente de nos sociétés. Dans Millenium people, ce sont les bourgeois, classe très conservatrice, qui se révoltent : dans la coquette banlieue londonienne de la Marina de Chelsea, médecins et cadres supérieurs refusent de payer leur loyer, volent leur nourriture dans les supermarchés et saccagent leurs biens. Ce ras-le-bol de la société de consommation est justifié par la paupérisation de la classe moyenne qui perd ses repères en même temps qu'elle perd son train de vie. Comme l'observe l'auteur dans un entretien à Lire, « la consommation entraîne, tôt ou tard, l'insatisfaction. Et de l'insatisfaction naît l'ennui. Or, de l'ennui peut naître la révolte » (n°332, février 2005). Les « prolos en costume trois pièces » plastiquent donc les vidéothèques et incendient la Cinémathèque. Le pathétique et le grotesque se mêlent dans cette révolution qui serait réellement une farce dérisoire si des éléments extrémistes n'avaient joué aux terroristes.

Pour avoir perdu son ex-femme dans un attentat, le psychologue David Markham se lance sur la trace de ses auteurs. C'est ainsi qu'il intègre un mouvement clandestin dirigé par Richard Gould, un charismatique médecin bien décidé à dénoncer le vide de nos existences, à provoquer un sursaut salutaire. Comme dans Crash !, mais aussi Super-Cannes, un déséquilibré éclairé permet de voir au-delà de la surface des choses et l'enquêteur neutre, désireux de comprendre, est initié à la logique perverse des révolutionnaires. Ceux-ci n'ont même pas de véritable cible : « Nous n'aimons pas le genre de personnes que nous sommes devenues », clament-ils ; ils ne peuvent que s'attaquer à ce qu'ils ont adoré. Une fois de plus, le narrateur est en quête de sens : le spectre du 11 septembre et des attentats aveugles plane sur ce roman. La gratuité, la mort frappant au hasard effraie car elle renvoie à la vacuité de l'existence comme à la fragilité de la civilisation qu'un moindre grippement des rouages peut mettre à mal.

Cette fois, le détachement ballardien disparaît sous l'humour, très pince-sans-rire. La charge est féroce, la satire au vitriol. Le récit grinçant ne suscite pas moins le malaise, car si le diagnostic prête à rire, il n'existe aucun remède apparent. Tout le monde s'accorde à penser que nous multiplions les actions dépourvues de sens pour notre plus grand désarroi, mais personne ne sait plus quoi faire pour rendre le monde moins dangereux.

Pour Ballard, la S-F est morte depuis que l'homme a marché sur la lune. Il définit ce qu'il écrit comme de la fiction réaliste extrême. À y bien réfléchir, n'est-ce pas précisément une belle définition de la science-fiction ?

S-F ou pas, Millenium People est un roman aussi jubilatoire qu'enrichissant par sa réflexion sur les contradictions de nos sociétés et leur avenir. Quant à Crash !, non seulement il n'a pas pris une ride, mais sa relecture de nos jours le fait briller d'éclats nouveaux.

Market Forces

[Chronique commune à Carbone modifié, Anges déchus et Market Forces.]

« – Tu veux savoir comment on fait un Diplo ? Je vais te le dire. Ils prennent ta psyché, et ils grillent les mécanismes de limitation de violence. Les signaux de reconnaissance de soumission, les dynamiques de hiérarchie, les loyautés de groupe. Tout ça disparaît, un neurone à la fois… pour être remplacé par une volonté consciente de faire mal.

Il m’a regardé en silence.

– Tu comprends ? Il aurait été plus facile pour moi de te tuer. Il a fallu que je me force pour arrêter. C’est ça un Diplo, Curtis. Un humain réassemblé, un artifice. »

Carbone modifié, pages 203-204.

Takeshi Kovacs faisait partie des Corps Diplomatiques avant de trouver la mort sur Harlan, une lointaine colonie terrestre. Et voilà qu’il se réveille à des années-lumière de la chambre où il s’est fait trouer la poitrine, sur Terre, dans la région de San Francisco, désormais appelée Bay City. Son esprit sauvegardé a été chargé dans le corps d’un policier corrompu du nom d’Elias Ryker. Après sa sortie de cuve, Kovacs fait connaissance avec Laurens Bancroft, le math (un humain vieux comme Mathusalem) qui vient de lui louer sa nouvelle et problématique enveloppe (tout le monde n’a pas de bons souvenirs de Ryker, et une certaine femme-flic en garde, elle, de trop bons). Bancroft a une enquête « obligatoire » pour Kovacs : le vieil homme s’est apparemment suicidé peu de temps auparavant, avant d’être ré-enveloppé ; mais il est plutôt convaincu qu’on l’a assassiné. Pour Tak, l’enquête ne sera pas de tout repos, surtout après avoir passé la nuit avec l’explosive Myriam Bancroft, femme légitime de son employeur et, en quelque sorte, propriétaire.

Rarement un livre aura accumulé autant de qualités et autant de défauts. Parmi les qualités, il y a le ton du narrateur, Kovacs, une tessiture coup de poing, ancrée dans le quotidien, une voix polardeuse qui, on le sait depuis très longtemps, habille comme un gant la littérature cyberpunk ou, comme c’est le cas ici, post-cyberpunk. Quand Richard Morgan décrit une scène de cul, ça ressemble bel et bien à une bonne bourre et à rien d’autre ; ses fusillades sont nerveuses et racées ; ses confrontations sentent le mépris, la haine étouffée, la rancœur ; l’amour n’est pas absent, même s’il s’accompagne d’un certain détachement et d’ébats sexuels apocalyptiques. Le XXVIe siècle décrit tout au long du roman est étonnamment crédible : archi-corrompu, misérable et consumériste, dominé par une caste d’immortels, rempli d’annonces publicitaires, de drogues, de bordels sordides, d’arènes de combat, de cliniques clandestines, de robots et d’hommes synthétiques de diverses catégories. À cause de ce mélange de polar hard-boiled et de S-F, on songe à Avance Rapide de Michael Marshall Smith, à Flingue sur fonds musical de Jonathan Lethem. Mais là où ces deux livres réussissaient à ne pas se perdre en chemin malgré les méandres volontiers amusés de leur tracé, Carbone modifié est inutilement long, boursouflé de flash-back qui, certes posent le décor et son background, permettent aussi de cerner l’infréquentable Takeshi Kovacs, mais surtout engluent une enquête qui s’annonçait pourtant passionnante.

C’est long, donc, farci de détails inutiles, de monologues pénibles (et la mise en page, en lignes interminables de caractères minuscules n’aide en rien à affronter le pavé, bien au contraire). C’est aussi trop pensé/monté/calibré pour le cinéma estival et le jeu vidéo qui en découlera. Et on ne peut que le regretter, car Richard Morgan recycle avec verve les bonnes idées de ceux qui l’ont précédé (Eric Brown, Greg Egan et Paul J. McAuley) et suscite sans faille la sympathie réflexe promise à tout auteur de science-fiction ayant visionné Blade Runner quelques fois de trop.

Carbone modifié, récompensé par le Philip K. Dick Award 2003, présenté par les éditions Bragelonne comme un livre exceptionnel, s’impose en fin de compte comme un roman exceptionnellement prometteur, ce n’est déjà pas si mal en ces temps où la science-fiction a tendance à disparaître des tables et rayonnages des libraires.

Dans Anges déchus (traduction platounette du très beau titre Broken Angels, les anges brisés), Takeshi Kovacs est de retour… Associé à un homme d’affaires accessoirement prêtre vaudou, à une archéologue traumatisée et à un aventurier nommé Schneider, l’ex-diplo va tenter de mettre la main sur une relique martienne, une sorte de stargate à la valeur inestimable.

Pour son deuxième volume des aventures de Tak, Richard Morgan ne louche plus sur Blade Runner, mais sur De l’or pour les braves, Le Bon, la brute et le truand et Rendez-vous avec Rama, le tout transformé en ratatouille space opera tout simplement ennuyeuse, et, pour tout arranger, massacrée à la traduction (nitrogen traduit nitrogène au lieu d’azote, wet dream traduit rêve humide au lieu de rêve érotique, etc.). Les promesses du premier volume n’ont pas été tenues. Vous pouvez passer, sans regret, malgré de bonnes scènes et quelques dialogues qui font mouche…

Changement de décor radical avec Market Forces. Richard Morgan se positionne différemment via une anticipation sociale là encore prometteuse. Mais patatras, les choses se corsent quand le lecteur se rend (assez vite) compte de la vraie nature du livre. Un pur produit de série B, efficace, radical, brutal et parfois passionnant, mais série B quand même… Le problème principal de Market forces se résume finalement à peu de choses : le thème méritait mieux. Mieux qu’une simple (et forcément simpliste) histoire de logique économique poussée à ses conséquences ultimes — le monde est mort, pourri. Les multinationales prospèrent et se battent (au sens le plus strict) pour la conquête de nouveaux marchés, les pays en reconstruction post-guerre civile étant justement les plus juteux de ces nouveaux horizons. Parfaitement intégré à cet univers ultra violent (et incroyablement peu crédible, ce qui fait tache), un homme (jeune, beau, musclé, intelligent, à la fois guerrier et cadre supérieur, cherchez l’erreur) prend place au sein d’une de ces sociétés, avant de gravir rapidement les échelons. Mais l’ascension ne se fait pas sans heurts, le héros ne tardant pas à se rendre compte que les jeux sont truqués et que, effectivement oui, son entreprise est vraiment méchante, voire même immorale, n’ayons pas peur des mots !

Enfoncer des portes ouvertes à ce point est plutôt divertissant pour qui aime le second degré, ça l’est moins quand on comprend que Morgan est sérieux. Là encore, le roman est impeccablement calibré pour le cinéma, après notamment un prologue d’anthologie qui voit un vigile de supermarché abattre un client râleur et sans le sou, aspergeant de cervelle la femme et les enfants dudit monsieur… Pour le reste, les situations feraient rire quiconque possède plus que des rudiments d’éducation politique, et on a l’impression d’avoir affaire à la fine analyse d’un gamin de 11 ans qui découvre soudainement que le capitalisme est un système oppressif dans son essence même… Rien de bien convaincant, donc, sauf pour les quelques producteurs à qui se destine en priorité le scénario. Pardon, le livre. Sinon, ça se passe bien, il y a des poursuites en voiture.

Thomas Day & Patat

Anges déchus

[Chronique commune à Carbone modifié, Anges déchus et Market Forces.]

« – Tu veux savoir comment on fait un Diplo ? Je vais te le dire. Ils prennent ta psyché, et ils grillent les mécanismes de limitation de violence. Les signaux de reconnaissance de soumission, les dynamiques de hiérarchie, les loyautés de groupe. Tout ça disparaît, un neurone à la fois… pour être remplacé par une volonté consciente de faire mal.

Il m’a regardé en silence.

– Tu comprends ? Il aurait été plus facile pour moi de te tuer. Il a fallu que je me force pour arrêter. C’est ça un Diplo, Curtis. Un humain réassemblé, un artifice. »

Carbone modifié, pages 203-204.

Takeshi Kovacs faisait partie des Corps Diplomatiques avant de trouver la mort sur Harlan, une lointaine colonie terrestre. Et voilà qu’il se réveille à des années-lumière de la chambre où il s’est fait trouer la poitrine, sur Terre, dans la région de San Francisco, désormais appelée Bay City. Son esprit sauvegardé a été chargé dans le corps d’un policier corrompu du nom d’Elias Ryker. Après sa sortie de cuve, Kovacs fait connaissance avec Laurens Bancroft, le math (un humain vieux comme Mathusalem) qui vient de lui louer sa nouvelle et problématique enveloppe (tout le monde n’a pas de bons souvenirs de Ryker, et une certaine femme-flic en garde, elle, de trop bons). Bancroft a une enquête « obligatoire » pour Kovacs : le vieil homme s’est apparemment suicidé peu de temps auparavant, avant d’être ré-enveloppé ; mais il est plutôt convaincu qu’on l’a assassiné. Pour Tak, l’enquête ne sera pas de tout repos, surtout après avoir passé la nuit avec l’explosive Myriam Bancroft, femme légitime de son employeur et, en quelque sorte, propriétaire.

Rarement un livre aura accumulé autant de qualités et autant de défauts. Parmi les qualités, il y a le ton du narrateur, Kovacs, une tessiture coup de poing, ancrée dans le quotidien, une voix polardeuse qui, on le sait depuis très longtemps, habille comme un gant la littérature cyberpunk ou, comme c’est le cas ici, post-cyberpunk. Quand Richard Morgan décrit une scène de cul, ça ressemble bel et bien à une bonne bourre et à rien d’autre ; ses fusillades sont nerveuses et racées ; ses confrontations sentent le mépris, la haine étouffée, la rancœur ; l’amour n’est pas absent, même s’il s’accompagne d’un certain détachement et d’ébats sexuels apocalyptiques. Le XXVIe siècle décrit tout au long du roman est étonnamment crédible : archi-corrompu, misérable et consumériste, dominé par une caste d’immortels, rempli d’annonces publicitaires, de drogues, de bordels sordides, d’arènes de combat, de cliniques clandestines, de robots et d’hommes synthétiques de diverses catégories. À cause de ce mélange de polar hard-boiled et de S-F, on songe à Avance Rapide de Michael Marshall Smith, à Flingue sur fonds musical de Jonathan Lethem. Mais là où ces deux livres réussissaient à ne pas se perdre en chemin malgré les méandres volontiers amusés de leur tracé, Carbone modifié est inutilement long, boursouflé de flash-back qui, certes posent le décor et son background, permettent aussi de cerner l’infréquentable Takeshi Kovacs, mais surtout engluent une enquête qui s’annonçait pourtant passionnante.

C’est long, donc, farci de détails inutiles, de monologues pénibles (et la mise en page, en lignes interminables de caractères minuscules n’aide en rien à affronter le pavé, bien au contraire). C’est aussi trop pensé/monté/calibré pour le cinéma estival et le jeu vidéo qui en découlera. Et on ne peut que le regretter, car Richard Morgan recycle avec verve les bonnes idées de ceux qui l’ont précédé (Eric Brown, Greg Egan et Paul J. McAuley) et suscite sans faille la sympathie réflexe promise à tout auteur de science-fiction ayant visionné Blade Runner quelques fois de trop.

Carbone modifié, récompensé par le Philip K. Dick Award 2003, présenté par les éditions Bragelonne comme un livre exceptionnel, s’impose en fin de compte comme un roman exceptionnellement prometteur, ce n’est déjà pas si mal en ces temps où la science-fiction a tendance à disparaître des tables et rayonnages des libraires.

Dans Anges déchus (traduction platounette du très beau titre Broken Angels, les anges brisés), Takeshi Kovacs est de retour… Associé à un homme d’affaires accessoirement prêtre vaudou, à une archéologue traumatisée et à un aventurier nommé Schneider, l’ex-diplo va tenter de mettre la main sur une relique martienne, une sorte de stargate à la valeur inestimable.

Pour son deuxième volume des aventures de Tak, Richard Morgan ne louche plus sur Blade Runner, mais sur De l’or pour les braves, Le Bon, la brute et le truand et Rendez-vous avec Rama, le tout transformé en ratatouille space opera tout simplement ennuyeuse, et, pour tout arranger, massacrée à la traduction (nitrogen traduit nitrogène au lieu d’azote, wet dream traduit rêve humide au lieu de rêve érotique, etc.). Les promesses du premier volume n’ont pas été tenues. Vous pouvez passer, sans regret, malgré de bonnes scènes et quelques dialogues qui font mouche…

Changement de décor radical avec Market Forces. Richard Morgan se positionne différemment via une anticipation sociale là encore prometteuse. Mais patatras, les choses se corsent quand le lecteur se rend (assez vite) compte de la vraie nature du livre. Un pur produit de série B, efficace, radical, brutal et parfois passionnant, mais série B quand même… Le problème principal de Market forces se résume finalement à peu de choses : le thème méritait mieux. Mieux qu’une simple (et forcément simpliste) histoire de logique économique poussée à ses conséquences ultimes — le monde est mort, pourri. Les multinationales prospèrent et se battent (au sens le plus strict) pour la conquête de nouveaux marchés, les pays en reconstruction post-guerre civile étant justement les plus juteux de ces nouveaux horizons. Parfaitement intégré à cet univers ultra violent (et incroyablement peu crédible, ce qui fait tache), un homme (jeune, beau, musclé, intelligent, à la fois guerrier et cadre supérieur, cherchez l’erreur) prend place au sein d’une de ces sociétés, avant de gravir rapidement les échelons. Mais l’ascension ne se fait pas sans heurts, le héros ne tardant pas à se rendre compte que les jeux sont truqués et que, effectivement oui, son entreprise est vraiment méchante, voire même immorale, n’ayons pas peur des mots !

Enfoncer des portes ouvertes à ce point est plutôt divertissant pour qui aime le second degré, ça l’est moins quand on comprend que Morgan est sérieux. Là encore, le roman est impeccablement calibré pour le cinéma, après notamment un prologue d’anthologie qui voit un vigile de supermarché abattre un client râleur et sans le sou, aspergeant de cervelle la femme et les enfants dudit monsieur… Pour le reste, les situations feraient rire quiconque possède plus que des rudiments d’éducation politique, et on a l’impression d’avoir affaire à la fine analyse d’un gamin de 11 ans qui découvre soudainement que le capitalisme est un système oppressif dans son essence même… Rien de bien convaincant, donc, sauf pour les quelques producteurs à qui se destine en priorité le scénario. Pardon, le livre. Sinon, ça se passe bien, il y a des poursuites en voiture.

Thomas Day & Patat

Carbone modifié

[Chronique commune à Carbone modifié, Anges déchus et Market Forces.]

« – Tu veux savoir comment on fait un Diplo ? Je vais te le dire. Ils prennent ta psyché, et ils grillent les mécanismes de limitation de violence. Les signaux de reconnaissance de soumission, les dynamiques de hiérarchie, les loyautés de groupe. Tout ça disparaît, un neurone à la fois… pour être remplacé par une volonté consciente de faire mal.

Il m’a regardé en silence.

– Tu comprends ? Il aurait été plus facile pour moi de te tuer. Il a fallu que je me force pour arrêter. C’est ça un Diplo, Curtis. Un humain réassemblé, un artifice. »

Carbone modifié, pages 203-204.

Takeshi Kovacs faisait partie des Corps Diplomatiques avant de trouver la mort sur Harlan, une lointaine colonie terrestre. Et voilà qu’il se réveille à des années-lumière de la chambre où il s’est fait trouer la poitrine, sur Terre, dans la région de San Francisco, désormais appelée Bay City. Son esprit sauvegardé a été chargé dans le corps d’un policier corrompu du nom d’Elias Ryker. Après sa sortie de cuve, Kovacs fait connaissance avec Laurens Bancroft, le math (un humain vieux comme Mathusalem) qui vient de lui louer sa nouvelle et problématique enveloppe (tout le monde n’a pas de bons souvenirs de Ryker, et une certaine femme-flic en garde, elle, de trop bons). Bancroft a une enquête « obligatoire » pour Kovacs : le vieil homme s’est apparemment suicidé peu de temps auparavant, avant d’être ré-enveloppé ; mais il est plutôt convaincu qu’on l’a assassiné. Pour Tak, l’enquête ne sera pas de tout repos, surtout après avoir passé la nuit avec l’explosive Myriam Bancroft, femme légitime de son employeur et, en quelque sorte, propriétaire.

Rarement un livre aura accumulé autant de qualités et autant de défauts. Parmi les qualités, il y a le ton du narrateur, Kovacs, une tessiture coup de poing, ancrée dans le quotidien, une voix polardeuse qui, on le sait depuis très longtemps, habille comme un gant la littérature cyberpunk ou, comme c’est le cas ici, post-cyberpunk. Quand Richard Morgan décrit une scène de cul, ça ressemble bel et bien à une bonne bourre et à rien d’autre ; ses fusillades sont nerveuses et racées ; ses confrontations sentent le mépris, la haine étouffée, la rancœur ; l’amour n’est pas absent, même s’il s’accompagne d’un certain détachement et d’ébats sexuels apocalyptiques. Le XXVIe siècle décrit tout au long du roman est étonnamment crédible : archi-corrompu, misérable et consumériste, dominé par une caste d’immortels, rempli d’annonces publicitaires, de drogues, de bordels sordides, d’arènes de combat, de cliniques clandestines, de robots et d’hommes synthétiques de diverses catégories. À cause de ce mélange de polar hard-boiled et de S-F, on songe à Avance Rapide de Michael Marshall Smith, à Flingue sur fonds musical de Jonathan Lethem. Mais là où ces deux livres réussissaient à ne pas se perdre en chemin malgré les méandres volontiers amusés de leur tracé, Carbone modifié est inutilement long, boursouflé de flash-back qui, certes posent le décor et son background, permettent aussi de cerner l’infréquentable Takeshi Kovacs, mais surtout engluent une enquête qui s’annonçait pourtant passionnante.

C’est long, donc, farci de détails inutiles, de monologues pénibles (et la mise en page, en lignes interminables de caractères minuscules n’aide en rien à affronter le pavé, bien au contraire). C’est aussi trop pensé/monté/calibré pour le cinéma estival et le jeu vidéo qui en découlera. Et on ne peut que le regretter, car Richard Morgan recycle avec verve les bonnes idées de ceux qui l’ont précédé (Eric Brown, Greg Egan et Paul J. McAuley) et suscite sans faille la sympathie réflexe promise à tout auteur de science-fiction ayant visionné Blade Runner quelques fois de trop.

Carbone modifié, récompensé par le Philip K. Dick Award 2003, présenté par les éditions Bragelonne comme un livre exceptionnel, s’impose en fin de compte comme un roman exceptionnellement prometteur, ce n’est déjà pas si mal en ces temps où la science-fiction a tendance à disparaître des tables et rayonnages des libraires.

Dans Anges déchus (traduction platounette du très beau titre Broken Angels, les anges brisés), Takeshi Kovacs est de retour… Associé à un homme d’affaires accessoirement prêtre vaudou, à une archéologue traumatisée et à un aventurier nommé Schneider, l’ex-diplo va tenter de mettre la main sur une relique martienne, une sorte de stargate à la valeur inestimable.

Pour son deuxième volume des aventures de Tak, Richard Morgan ne louche plus sur Blade Runner, mais sur De l’or pour les braves, Le Bon, la brute et le truand et Rendez-vous avec Rama, le tout transformé en ratatouille space opera tout simplement ennuyeuse, et, pour tout arranger, massacrée à la traduction (nitrogen traduit nitrogène au lieu d’azote, wet dream traduit rêve humide au lieu de rêve érotique, etc.). Les promesses du premier volume n’ont pas été tenues. Vous pouvez passer, sans regret, malgré de bonnes scènes et quelques dialogues qui font mouche…

Changement de décor radical avec Market Forces. Richard Morgan se positionne différemment via une anticipation sociale là encore prometteuse. Mais patatras, les choses se corsent quand le lecteur se rend (assez vite) compte de la vraie nature du livre. Un pur produit de série B, efficace, radical, brutal et parfois passionnant, mais série B quand même… Le problème principal de Market forces se résume finalement à peu de choses : le thème méritait mieux. Mieux qu’une simple (et forcément simpliste) histoire de logique économique poussée à ses conséquences ultimes — le monde est mort, pourri. Les multinationales prospèrent et se battent (au sens le plus strict) pour la conquête de nouveaux marchés, les pays en reconstruction post-guerre civile étant justement les plus juteux de ces nouveaux horizons. Parfaitement intégré à cet univers ultra violent (et incroyablement peu crédible, ce qui fait tache), un homme (jeune, beau, musclé, intelligent, à la fois guerrier et cadre supérieur, cherchez l’erreur) prend place au sein d’une de ces sociétés, avant de gravir rapidement les échelons. Mais l’ascension ne se fait pas sans heurts, le héros ne tardant pas à se rendre compte que les jeux sont truqués et que, effectivement oui, son entreprise est vraiment méchante, voire même immorale, n’ayons pas peur des mots !

Enfoncer des portes ouvertes à ce point est plutôt divertissant pour qui aime le second degré, ça l’est moins quand on comprend que Morgan est sérieux. Là encore, le roman est impeccablement calibré pour le cinéma, après notamment un prologue d’anthologie qui voit un vigile de supermarché abattre un client râleur et sans le sou, aspergeant de cervelle la femme et les enfants dudit monsieur… Pour le reste, les situations feraient rire quiconque possède plus que des rudiments d’éducation politique, et on a l’impression d’avoir affaire à la fine analyse d’un gamin de 11 ans qui découvre soudainement que le capitalisme est un système oppressif dans son essence même… Rien de bien convaincant, donc, sauf pour les quelques producteurs à qui se destine en priorité le scénario. Pardon, le livre. Sinon, ça se passe bien, il y a des poursuites en voiture.

Thomas Day & Patat

Autoportrait en vert

« Me revient alors l’inquiétant souvenir d’une femme en vert, au temps de l’école maternelle. Cette grande femme brutale et carrée nous promet à tous la prison si nous mangeons trop lentement, si nous salissons nos vêtements, si nous ne levons pas les yeux vers les siens. Elle a les yeux verts, elle leur assortit ses longues jupes à carreaux et ses chandails à col roulé. Elle faisait planer dans l’école une atmosphère d’épouvante. Elle emporte quelques enfants vers un couloir sombre en jurant qu’au bout se trouve la prison, et des cris de terreur résonnent tandis que s’éloignent la femme massive et ses petits prisonniers coincés sous ses manches vertes. On ne revoit jamais les enfants. » (Page 15.)

Objet littéraire non identifiable, histoire de fantôme(s) dans une France des années 2002-2003 où l’eau monte, où les gens ne sont plus ceux qu’ils étaient et où on compte un nombre visiblement anormal de bananiers, Autoportrait en vert est une réussite stylistique indéniable, un de ces livres meublés de quotidien inquiétant que l’on a envie de définir comme « kafkaïens ». Autoportrait en vert n’est peut-être pas le meilleur ouvrage pour aborder l’univers décalé de Marie Ndiaye (notamment très remarquée en 1996 suite à la parution de son excellent roman La Sorcière aux éditions de Minuit), néanmoins voilà un texte foncièrement déconcertant, à la confluence brutale de la « grande » littérature et des littératures de l’imaginaire. Si Henry James avait vécu de nos jours, il aurait probablement écrit Autoportrait en vert ou quelque chose d’approchant. Et par la grâce du commentaire de Patrick Kéchichian du Monde, je me permets de mettre un point final à cette notule : « C’est d’un doigt de fée que Marie Ndiaye désigne le désastre. »

Autoportrait en vert

« Me revient alors l’inquiétant souvenir d’une femme en vert, au temps de l’école maternelle. Cette grande femme brutale et carrée nous promet à tous la prison si nous mangeons trop lentement, si nous salissons nos vêtements, si nous ne levons pas les yeux vers les siens. Elle a les yeux verts, elle leur assortit ses longues jupes à carreaux et ses chandails à col roulé. Elle faisait planer dans l’école une atmosphère d’épouvante. Elle emporte quelques enfants vers un couloir sombre en jurant qu’au bout se trouve la prison, et des cris de terreur résonnent tandis que s’éloignent la femme massive et ses petits prisonniers coincés sous ses manches vertes. On ne revoit jamais les enfants. » (Page 15.)

Objet littéraire non identifiable, histoire de fantôme(s) dans une France des années 2002-2003 où l’eau monte, où les gens ne sont plus ceux qu’ils étaient et où on compte un nombre visiblement anormal de bananiers, Autoportrait en vert est une réussite stylistique indéniable, un de ces livres meublés de quotidien inquiétant que l’on a envie de définir comme « kafkaïens ». Autoportrait en vert n’est peut-être pas le meilleur ouvrage pour aborder l’univers décalé de Marie Ndiaye (notamment très remarquée en 1996 suite à la parution de son excellent roman La Sorcière aux éditions de Minuit), néanmoins voilà un texte foncièrement déconcertant, à la confluence brutale de la « grande » littérature et des littératures de l’imaginaire. Si Henry James avait vécu de nos jours, il aurait probablement écrit Autoportrait en vert ou quelque chose d’approchant. Et par la grâce du commentaire de Patrick Kéchichian du Monde, je me permets de mettre un point final à cette notule : « C’est d’un doigt de fée que Marie Ndiaye désigne le désastre. »

Le Phénix vert

« Pour Mellone la dryade, la vie s'annonçait paisible : son arbre, ses abeilles, un jour sans doute, un enfant après une nuit passée dans l'Arbre divin. Mais la forêt bruisse soudain d'une terrible nouvelle : Énée, le tueur de femmes, le parjure, le monstre assoiffé de sang, vient de débarquer sur les côtes. Comme toutes ses sœurs, Mellone a juré devant sa reine la perte de l'envahisseur… » Voilà un début de quatrième de couverture qui pose tout à fait l'histoire du Phénix vert, à une exception près, Mellone est une sacrée coquine qui est fort attirée par ceux qu'elle devrait haïr : Enée, le père, et son fils, Phénix, qui pour le malheur de tous a tué par erreur le centaure Caracole en le confondant avec un daim.

J'avais découvert Thomas Burnett Swann en lisant son inoubliable novella « Le Manoir des roses » (version roman à paraître au Bélial') ; puis je l'avais redécouvert avec sa fort recommandable Trilogie du minotaure (le Bélial' — récemment réédité en poche chez Folio « SF »). Le Phénix vert rappelle beaucoup cette dernière œuvre ; il s'agit d'une jolie fantasy, cruelle, un brin érotique (mais aucunement pornographique), mettant en scène les Hommes, toujours prêts à tuer et chasser, et nombre de créatures du folklore méditerranéen : dryades, faunes, centaures, harpies… Le roman (pages 7 à 166) est suivi d'une novella, d'un article de l'auteur et d'une postface d'André-François Ruaud (le tout de très bonne tenue). À noter la jolie traduction de Patrick Marcel, qui rend très bien le style doré et argenté de ce grand monsieur de la fantasy américaine qu'était Thomas Burnett Swann (malheureusement décédé en 1976). Remarquons pour finir que l'objet-livre est inattendu mais plutôt séduisant (à dire vrai, trop pour être commercial) ; ce qui est de plus en plus rare de nos jours…

Enchanteur.

Fiction T1

Le moins que je puisse confesser, pour commencer cette recension que j'espère la plus sincère et la plus complète possible, c'est que j'ai été plutôt étonné et très déçu quand j'ai ouvert l'enveloppe des Moutons électriques éditeur qui contenait le nouveau Fiction, c'est à dire l'exemplaire number one de la résurrection de la plus mythique des revues d'imaginaire du paysage français. En quelques secondes à peine, nombre d'adjectifs me sont venus à l'esprit : marron, carré, austère, anti-commercial, hideux… Rien de très positif, d'autant plus que la carte kraft utilisée pour la couverture me rappelait furieusement celle de la littérature blanche chez Denoël (à juste titre, c'est exactement la même) et que le motif d'engrenages de la première de couverture n'avait de cesse de m'évoquer la propagande marxiste-léniniste de la fin des années vingt, ce qui est pour le moins peu flatteur (mais qui a dû pas mal faire marrer Fritz Lang, le papa de Métropolis, où qu'il se trouve). Mais bon, quand on achète une boîte de foie gras, on ne mange pas l'emballage métallique… Ouvrons donc l'objet, si vous le voulez bien, et intéressons-nous — aaaargh ! — à la mise en page intérieure. Une ligne veuve page 5, des lignes trop longues pour les fictions, des marges trop étroites, des caractères parfois trop petits (pour mes yeux de trentenaire DVDphage), des photos « sans rapport avec l'objet » pour illustrer les textes, des dialogues où les guillemets s'ouvrent et se ferment n'importe comment… Bon, ça ressemble plus à une revue d'architecture des années cinquante qu'à une revue de SF/fantasy moderne… La Poste se serait-elle fourvoyée, acheminant jusqu'à ma boîte aux lettres par mégarde « Intérieurs postmodernes ; pour en finir avec les appartements haussmanniens » à la place de Fiction ? Rapidement, l'introduction, fort bonne au demeurant, empêche tout doute de planer.

« … Nous désirons que Fiction soit une revue ouverte, qui publie certes de la science-fiction et de la fantasy, mais aussi du fantastique, de l'étrange, de l'inquiétant, de l'insolite et beaucoup d'autres textes plus ou moins classables. En tâchant d'éviter l'orthodoxie et l'intégrisme qui, comme le crime, ne paient jamais. Parce que l'orthodoxie est mauvaise conseillère, parce que l'intégrisme est le censeur des plaisirs. » pages 6-7.

Après cette profession de foi, tout à fait sympathique et par moments brillante, je me suis plongé dans le premier texte du volume : « Jusqu'à la pleine lune » de Sean McMullen, un auteur qui jusque-là avait eu tendance à me hérisser le poil, et qui, à ma grande surprise, s'en sort ici admirablement bien en nous proposant une histoire d'amour entre une jeune femme préhistorique tombée d'on ne sait où, Els, et un linguiste espagnol engagée pour communiquer avec elle. Très bon texte, très bonne traduction de Laurent Queyssi. Suivent trois vignettes de Jim Dedieu (un pseudo de David Calvo ?) dont le seul intérêt est la résonance toute burroughsienne de leur rhétorique, ainsi que deux nouvelles francophones et souterraines de Roland Fuentès et Alex Nikolavitch qui, à mon humble avis, sont certes bien écrites mais ne racontent absolument rien de palpitant. Avec « Création » de Jeffrey Ford, on change complètement de registre, pour s'intéresser à un enfant qui se crée de toutes pièces un homme d'argile, une sorte de golem des bois. Le texte est plaisant, évoquant « The Fetch » de Robert Holdstock et certains textes d'Elizabeth Hand, mais il n'y a pas de quoi sauter au plafond, surtout si on regarde d'un peu trop près la traduction qui nous est proposée, un travail à géométrie variable signé Thierry Chantraine. Après Jeffrey Ford, arrive le gros morceau de ce numéro de Fiction : un faux dossier Ursula K. Le Guin, composé de deux nouvelles de l'autrice californienne, d'un article de Margaret Atwood et d'un hommage d’Ellen Kushner. N'étant pas un grand fan d'Ursula Le Guin, c'est avec appréhension pour le moins que j'attaque ces textes d'ethno-SF… Pas de surprises en ce qui me concerne, ils sont d'un ennui phénoménal, et de plus traduits au casse-noix par une jeune femme qui n'est pas tombée d'un arbre-à-style. Bon, à ce stade de ma lecture, je suis à peu près convaincu que cette revue ne s'adresse pas à moi, mais plutôt aux lecteurs restés bloqués sur la S-F des années soixante/soixante-dix. Et ce n'est pas la nouvelle bavarde et très Gay&Lesbian de Ellen Kushner qui ravive ma curiosité. Ni le faux dossier Jules Verne, dans lequel la nouvelle intello-chiante de Juan-Miguel Aguilera se lit sans plaisir ni déplaisir. Mais le pire reste à venir, en l'occurrence le texte interminablo-comico-chiant de Jean-Jacques Régnier et le truc mal raconté et incompréhensible de Marie-Pierre Najman, où il est question de clodos-extraterrestres qui sont en fait des clodos-faunes lyonnais. Le meilleur texte du volume se trouve sur la fin, « Presque chez soi » de Terry Bisson ; une très belle novelette où l'on suit le voyage en avion de fortune de trois gamins jusqu'à une ville qui ressemble beaucoup à la leur, mais qui n'est pas la leur (une fois de plus un texte extrêmement chargé de nostalgie ; on n'a de cesse de penser au Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry). La dernière fiction du numéro est un des fameux contes siluriens de Steven Utley, en l'occurrence un faux article sur l'existence d'un rocher couvert de graffitis situé sur le « site principal des expéditions paléozoïques ». Certains trouveront cet Objet Littéraire Non Identifiable génial ; il me semble surtout verbeux et vain, tout en étant d'une stupéfiante originalité.

On l'aura compris, ici les fictions n'ont pas pour but d'être de « dangereuses visions », rien n'est choisi/publié pour vous foutre les tripes à l'air (à part quelques concepts sociaux très forts noyés dans les textes de Le Guin) et, par voie de conséquence, les deux belles nouvelles humanistes de Terry Bisson et Sean McMullen ne trouvent aucun contrepoint.

Pour tout arranger, le premier numéro de ce Fiction « New Deal » se finit de la pire façon qui soit, avec un article de Francis Valéry qui aurait pu être passionnant si ledit Francis Valéry ne parasitait pas sans cesse ses « critiques littéraires » par des relents d'aigreur éditoriale destinés à nous faire croire, entre autre, que CyberDreams a eu un rôle majeur dans la pénible survie de la science-fiction en France. Quand on se souvient de ce qu'était CyberDreams et quand on connaît les ventes réelles de ladite et défunte revue, on ne peut que ricaner.

Si Fiction renaît dans la continuité, de Fiction évidemment, de Yellow Submarine avec la novella de Jean-Jacques Régnier, de CyberDreams et Ténèbres par l'entremise de l'article (à la fois passionnant et grotesque) de Francis Valéry, reste qu'au-delà de cet héritage qui me semble plus handicapant qu'autre chose, ce nouveau premier numéro échoue à livrer un texte choc, de ceux dont on se souvient toute sa vie. Poussés par leur fibre nostalgique, les aficionados quarantenaires suivront sans doute le mouvement, mais il est à craindre que le gros des lecteurs actuels de SF/fantasy — qui veut de l'aventure et de l'action (réalité du marché, s'il en est) — reste à la porte, celle-ci étant désespérément marron, peu engageante.

« I see a brown door and I want it painted black… »

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