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Noirez Rosny

La nouvelle Faire des algues de Jérome Noirez parue dans le Bifrost 64 est finaliste du prix Rosny Aîné. A cette occasion, téléchargez gratuitement la nouvelle en PDF !

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Bifrost 67 parution

Le Bifrost 67 spécial George R. R. Martin est désormais disponible en version papier et numérique, sur belial.fr et dans toutes les bonnes librairies !

Le Volcryn

[Critique commune à Skin Trade et Le Volcryn.]

En mai 2010, d'abord, puis en février 2012, les éditions ActuSF ont eu la bonne idée, commercialement parlant, de publier deux novellas de George R. R. Martin, Le Volcryn d'abord, puis Skin Trade.

Le premier texte, Le Volcryn (qu'on nous assure révisé par Ayerdhal — on frémit à l'idée de ce que ça devait être à l'origine, parce qu'en l'état, c'est loin d'être glorieux…) est un huis-clos, un survival horror dans un vaisseau lancé à la rencontre d'une énigmatique civilisation extraterrestre. Cette novella datant de 1980, et qui a connu une adaptation cinématographique de bien triste réputation, s’avère très étrange : incroyablement datée par certains aspects (on pense à des classiques de Robert Heinlein, notamment), et assez moderne par ailleurs. Il y est pas mal question de psychanalyse et (donc) de sexe. De nos jours, après Alien au cinéma, Vision aveugle en librairie, il est très difficile de trouver beaucoup d'intérêt à ce jeu de massacre poussif dont les ressorts scénaristiques sont usés depuis au moins deux, sinon trois décennies. Ni l'écriture ni la construction de ce Volcryn n'évoquent le George R. R. Martin des grandes heures, et l'aventure ressemble avant tout à un de ces sympathiques films d'horreur de série B où une bande d'ados se fait trucider, un par un, œuvre d'un inconnu qui, au final, se révèle pas si inconnu que ça. Lisible, sans aucun doute, mais déjà sans grande originalité au moment de sa prime parution, Le Volcryn est anecdotique, surtout si on le compare à « Une chanson pour Lya » ou « Les Rois des sables », qui font sensiblement la même longueur. Quant au choix du titre français : tout faux… il spoile la révélation finale et passe à côté des véritables enjeux du texte promettant un « premier contact » que l'auteur évite, ou presque.

Relevant purement et simplement de la littérature de divertissement, Skin Trade se révèle tout de suite plus intéressant, même si l'ensemble est un colosse aux pieds d'argile ne résistant guère à une étude attentive de son scénario (sans parler de la fin, qui, justement, n'en est pas une, le curseur narratif semble s'être arrêté aux deux tiers de l'histoire). Mais peu importe, le plaisir est ailleurs.

Willie, agent de recouvrement et loup-garou tueur d'écureuils, apprend la mort violente de son amie Joan, handicapée, mais loup-garou elle aussi (louve-garou ?). Il engage alors une de ses connaissances, Randi, pour mener l'enquête. Mais la détective privée a un lourd secret : son père policier a été mutilé par une bête féroce sur laquelle il a vidé son chargeur sans succès…

Skin Trade est un pulp (ce que n'a visiblement pas bien compris la traductrice), un pulp sincère, malin, plein de clichés contournés, assumés, détournés. Comme dit précédemment, cette lecture ne tient pas des masses d’un point de vue scénaristique, mais qu’importe, on se laisse prendre par l'aventure qui évoque un classique du genre : le sous-estimé Wolfen de Whitley Strieber (auteur qui n'a pas écrit que des idioties sur les enlèvements extraterrestres). Skin Trade aurait pu être un bon roman de série B. Allons plus loin : ça aurait dû être un vrai roman. En l'état, ce n'est qu'un chouette divertissement inabouti.

[Lire l'avis de Bertand Bonnet dans le Bifrost n°60.]

Skin Trade

[Critique commune à Skin Trade et Le Volcryn.]

En mai 2010, d'abord, puis en février 2012, les éditions ActuSF ont eu la bonne idée, commercialement parlant, de publier deux novellas de George R. R. Martin, Le Volcryn d'abord, puis Skin Trade.

Le premier texte, Le Volcryn (qu'on nous assure révisé par Ayerdhal — on frémit à l'idée de ce que ça devait être à l'origine, parce qu'en l'état, c'est loin d'être glorieux…) est un huis-clos, un survival horror dans un vaisseau lancé à la rencontre d'une énigmatique civilisation extraterrestre. Cette novella datant de 1980, et qui a connu une adaptation cinématographique de bien triste réputation, s’avère très étrange : incroyablement datée par certains aspects (on pense à des classiques de Robert Heinlein, notamment), et assez moderne par ailleurs. Il y est pas mal question de psychanalyse et (donc) de sexe. De nos jours, après Alien au cinéma, Vision aveugle en librairie, il est très difficile de trouver beaucoup d'intérêt à ce jeu de massacre poussif dont les ressorts scénaristiques sont usés depuis au moins deux, sinon trois décennies. Ni l'écriture ni la construction de ce Volcryn n'évoquent le George R. R. Martin des grandes heures, et l'aventure ressemble avant tout à un de ces sympathiques films d'horreur de série B où une bande d'ados se fait trucider, un par un, œuvre d'un inconnu qui, au final, se révèle pas si inconnu que ça. Lisible, sans aucun doute, mais déjà sans grande originalité au moment de sa prime parution, Le Volcryn est anecdotique, surtout si on le compare à « Une chanson pour Lya » ou « Les Rois des sables », qui font sensiblement la même longueur. Quant au choix du titre français : tout faux… il spoile la révélation finale et passe à côté des véritables enjeux du texte promettant un « premier contact » que l'auteur évite, ou presque.

Relevant purement et simplement de la littérature de divertissement, Skin Trade se révèle tout de suite plus intéressant, même si l'ensemble est un colosse aux pieds d'argile ne résistant guère à une étude attentive de son scénario (sans parler de la fin, qui, justement, n'en est pas une, le curseur narratif semble s'être arrêté aux deux tiers de l'histoire). Mais peu importe, le plaisir est ailleurs.

Willie, agent de recouvrement et loup-garou tueur d'écureuils, apprend la mort violente de son amie Joan, handicapée, mais loup-garou elle aussi (louve-garou ?). Il engage alors une de ses connaissances, Randi, pour mener l'enquête. Mais la détective privée a un lourd secret : son père policier a été mutilé par une bête féroce sur laquelle il a vidé son chargeur sans succès…

Skin Trade est un pulp (ce que n'a visiblement pas bien compris la traductrice), un pulp sincère, malin, plein de clichés contournés, assumés, détournés. Comme dit précédemment, cette lecture ne tient pas des masses d’un point de vue scénaristique, mais qu’importe, on se laisse prendre par l'aventure qui évoque un classique du genre : le sous-estimé Wolfen de Whitley Strieber (auteur qui n'a pas écrit que des idioties sur les enlèvements extraterrestres). Skin Trade aurait pu être un bon roman de série B. Allons plus loin : ça aurait dû être un vrai roman. En l'état, ce n'est qu'un chouette divertissement inabouti.

Le Voyage de Haviland Tuf

Haviland Tuf est un monstre. Du moins par son apparence physique : deux mètres cinquante, obèse, albinos, chauve et glabre. Il ne se sépare jamais de ses chats. Rusé et madré, doté d’un intellect supérieur, il s’exprime toujours avec préciosité, non sans une bonne dose d’humour pince-sans-rire. Et parce qu’il détient l’Arche, un vaisseau de trente kilomètres de long et mille ans d’âge susceptible de modifier (voire de détruire) un écosystème planétaire grâce aux myriades d’espèces dont il emporte des cultures cellulaires que Tuf peut cloner, élever et manipuler à volonté, il possède aussi une puissance quasi-divine.

Chaque « chapitre » de ce roman est en fait une nouvelle ou un récit qui permet de suivre ce personnage au long de sa nouvelle carrière. En effet, quand on fait sa connaissance, Tuf, à bord de son Corne d’abondance d’excellentes marchandises à bas prix, n’est qu’un négociant interstellaire itinérant dont les revers de fortune le poussent à convoyer un groupe disparate (des chercheurs, un androïde, des mercenaires) qui compte s’emparer d’une épave mythique. Bien sûr, ces alliés de circonstance ont tous leur idée de ce qu’il conviendrait d’en faire : sur place, les conflits d’intérêt vont s’exacerber, à tel point que Tuf, bien qu’en apparence peu armé pour l’emporter, va hériter du butin, l’Arche, plus ou moins en ordre de marche.

Dès lors, il se bombarde « ingénieur écologue » et voyage d’un système à l’autre pour proposer ses services et tirer son épingle financière du jeu. Il devra débrouiller diverses situations épineuses, d’autant plus que ses objectifs ne vont pas toujours dans le sens des missions qu’on lui confie, et surtout résoudre, au fil de trois « stations » dans son pèlerinage, le double problème que pose S’uthlam, une planète affligée d’un souci récurrent de surpopulation et auprès de laquelle il a contracté une énorme dette afin de faire réparer son nouveau vaisseau.

Tuf a accompagné George R. R. Martin pendant une dizaine d’années — les textes qui composent le livre ont paru de 1976 à 1985, pour l’essentiel dans Analog. Il s’agit d’un des pendants les plus clairement vancéens de son œuvre : au-delà de la couleur locale, de la nature du protagoniste, du style des dialogues et du caractère épisodique de la narration, l’auteur infuse dans ces aventures un certain nombre de considérations (sur la cruauté gratuite, le rôle de la religion, la responsabilité personnelle), si bien qu’on se retrouve dans une vraie fable dont les ressorts mythiques sont constamment soulignés par de nombreuses allusions bibliques. Signalons que Martin semble assez mécréant, d’ailleurs…

Outre l’ingéniosité et le caractère alerte des récits, malgré un côté un peu répétitif par instants (le seul vrai défaut de ce livre, dû en partie à sa conception), il convient de noter leur noirceur sous-jacente, qui va croissant, jusqu’à une fin plutôt sombre. C’est dire que les habitués, par exemple, du Trône de fer, ne devraient pas, malgré la différence de genres, se retrouver en terre inconnue. Et voyons : un personnage à l’aspect « différent », forcé de recourir à la ruse plus qu’à la force brute, poussé par le sort et par ses propres machi-nations vers une position de pouvoir cependant fragile, pouvoir dont il use pour le « bien » dans un univers chaotique menacé par la guerre, ça ne vous rappelle vraiment rien ? Oui, Haviland Tuf — sous ses dehors de Blofeld, l’ennemi de James Bond — est bien un cousin lointain de Tyrion Lannister…

[Lire aussi l'avis de Laurent Leleu dans le Bifrost n°46.]

Armageddon Rag

Années 80. Jamie Lynch, impresario-phare et sans scrupule des années 70, est retrouvé chez lui, le cœur arraché, étendu sur une affiche du Nazgûl. La scène rappelle une chanson de ce groupe mythique, qu’interprétait Hobbit, le leader, lorsqu’il s’est fait descendre en 1971, lors du concert de West Mesa. Sandy Blair, ex-contestataire devenu romancier insatisfait, est contacté par le magazine Hedgehog afin d’écrire un article. Sandy a été viré du Hog en 1976, quand la revue underground a dégénéré en publication branchouille. L’auteur accepte, motivé par une curiosité portant à la fois sur le meurtre et le devenir de sa génération, y voyant aussi la possibilité d’écrire « un roman inspiré de la réalité, comme De sang-froid ». Blair embarque à bord de sa superbe Mazda afin de retrouver Gopher, Di Maggio et Faxon, les membres survivants du Nazgûl. Très vite, cette recherche se double d’une quête personnelle, puisque Sandy va croiser ses anciens compagnons de lutte qui, comme lui, ont subi les effets du temps. Entre l’enquête factuelle, les réminiscences nostalgiques et la lucidité au goût amer, le journaliste va très vite comprendre qu’Edan Morse, millionnaire qui jadis finançait de dangereux groupuscules révolutionnaires sous divers pseudonymes, cherche à reformer le Nazgûl au complet.

Initialement paru en 1983, réédité aujourd’hui sous une couverture efficace de Clément Chassagnard, Armageddon Rag est tout sauf un roman nostalgique que l’on rangerait dans une armoire en bois de santal, posé sur une blouse indienne parfumée au patchouli. Si son thème apparent est, pour faire simple, le Flower Power, il ne pouvait être écrit qu’en pleine ère Reagan. Décennie qui a véritablement changé le monde puisqu’elle a instauré pour longtemps l’ère de l’ultralibéralisme. Il y a bien eu victoire de l’Amérique, seulement ce n’est pas celle que d’aucuns préparaient / espéraient. Les pages 211 et suivantes dressent ainsi un constat froid et argumenté d’une génération pour qui tout et trop souriait : « Les années soixante ? Nous étions à côté de nos pompes, des enfants gâtés qui parlaient à tort et à travers, sans rien savoir sur le monde et la façon dont il fonctionne. » Et parce qu’il n’est pas englué dans une mièvrerie nostalghippique, coincé dans la bulle du Yesterday, le roman taille aussi un costume, à épaulettes et manches relevées, aux années 80. A ce titre, Le Dernier magicien de Megan Lindholm, publié trois ans plus tard, parvient exactement aux mêmes effets dans sa description du paupérisme de Seattle et des séquelles du Viêt-Nam. Là où, par contre, des fictions proches formellement d’Armageddon Rag, comme « Whatever » de Richard Christian Matheson, publié dans son recueil Dystopia, ou « Planet of Sound » de Laurent Queyssi et Jim Dedieu paru dans Comme un automate dément programmé à la mi-temps, offrent un rendu séduisant, mais sans véritable objet.

En effet, George R. R. Martin se refuse à décrire une simple forme, quelle qu’en soit sa séduction. Deux détails que l’on pourrait tenir pour secondaires dans la narration illustrent parfaitement cette approche. Tout d’abord la Mazda du héros, à la carrosserie passée au polish, qui acquiert une identité au fur et à mesure que le bordel de boîtiers à cassettes et d’emballages de nourriture envahit l’intérieur. L’automobile devient alors DayDream, compagne d’une road-story. Et puis le triste devenir du magazine Hedgehog, anciennement revue de contre-culture qui s’est transformé en papier toilette glacé, à l’image des bien réels Interview et Rolling Stone. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que l’un de leurs rejetons à peine viable, Chronic’Art, ait vomi le roman de Martin. Le romancier parle pour dire le rien d’une époque, quand le mag’ tendance franchouille parle pour ne rien dire, et quelque part le sait. La crise qu’évoque Armageddon Rag ne touche ainsi pas les seuls Américains. De nos jours, Warren Ellis parvient à la même conclusion dans Artères souterraines, roman moyen mais qui affirme avec justesse qu’il n’y a plus d’underground possible, de contre-culture puisque tout est donné, à plat et dans le plus complet relativisme, sur le Net. Ou, pour le dire avec Martin : « Sandy avait su autrefois différencier les bons des méchants. A présent, tous étaient identiques à ses yeux. »

Cela, pour l’analyse. Mais il y a aussi l’énergie pure qui monte au fil de la lecture, jusqu’aux explosions des deux derniers concerts, décrits chacun sur plus de vingt pages, aux débordements évoquant le théâtre grec antique, qui nécessitait l’intervention des rhabdouques, service d’ordre de l’époque. Les scènes de public déchaîné annoncent la fureur du Trône de fer.

Une légère réserve toutefois concernant la traduction de Jean-Pierre Pugi. Page 173 : « à se taper le derrière par terre » sonne tout de même très pudibond au vu des protagonistes. Et, plus ennuyeux parfois, le renvoi en notes de bas de page qui paraît arbitraire, précisant des points qui ne le méritent pas vraiment, mais oubliant que, page 332, lorsque Sandy interpelle Gort d’un « Klaatu borada nikto », il est fait référence à l’injonction adressée au robot Gort dans Le Jour où la terre s’arrêta, film de Robert Wise (1951). Disons que la traduction est tout à fait recevable, mais nous fait parfois regretter l’approche de Jean Bonnefoy.

Armageddon Rag prouve de façon brillante, comme seuls quelques rares romans y parviennent, que la fiction littéraire exprime parfois plus fidèlement le réel que des essais à prétention objective. On ne croit pas aux morceaux des Nazgûl, on sait que l’on a rangé leurs albums quelque part.

Elle qui chevauche les tempêtes

Les deux premières parties de ce roman en forme de triptyque furent publiées à l’origine, aux USA, dans la revue Analog comme deux longues nouvelles en 1975 et en 1980. La dernière partie donna sa forme définitive à ce roman que l’on peut voir comme une trilogie en un seul volume. Trois récits qui découlent inexorablement l’un de l’autre pour retracer le destin d’une héroïne…

Mille ans après un naufrage stellaire, Mariss, fille d’un pêcheur disparu en mer, vit pauvrement avec sa mère sur Ambrée Mineure, l’une des nombreuses îles qui émaillent l’océan infini de Port Aux Tourmentes, où s’est instaurée une société plus ou moins féodale. Sur ce monde battu en permanence par des vents violents et dont la mer sans fin est hantée par des monstres voraces, la navigation est des plus périlleuses ; aussi les communications sont assurées par les Aériens : une caste fermée de femmes et d’hommes volants dont les ailes ont été taillées dans la voile solaire du vaisseau spatial naufragé. Irremplaçable, chaque paire d’ailes perdues affaiblit d’autant la société dans son ensemble. Cette menace semble encore trop lointaine pour que l’on en prenne conscience et s’en soucie au point de remettre en cause une tradition séculaire qui veut que tout Aérien transmette ses ailes à l’aîné de ses enfants lorsque celui-ci atteint sa majorité. Dans de rares cas, les ailes sont transmises à un puîné ou un pupille lorsque l’Aérien est resté sans descendance.

Enfant de rampants, Mariss n’a aucun espoir de devenir Aérienne, mais elle ne rêve que de vol. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la chance lui sourit quand l’un des Aériens de l’île qui n’a pas d’enfant est victime d’un accident qui lui interdit de voler. Mariss peut alors réaliser son rêve et devient vite une Aérienne experte. Mais la chance est capricieuse, et comme les vagues, elle va et vient… Elle est venue avec l’accident de Russ. Elle s’en va avec la naissance sur le tard de Coll, fils de Russ, à qui reviendront les ailes à sa majorité. Ainsi le veut la tradition. Mariss pourrait se résigner à l’effondrement de son rêve si Coll voulait de ces ailes, mais il n’en veut point. Il a peur et n’a aucun talent d’Aérien. Il veut faire ce pour quoi il est doué : être barde. Mais la tradition est inflexible, les ailes doivent lui revenir quitte à ce qu’il se tue et les perde dans l’infini de l’océan. Aussi Mariss va-t-elle défier la tradition. La face de Port Aux Tourmentes s’en trouvera à jamais changée…

Parmi les légendes de Port Aux Tourmentes, il y a celle d’Aile-en-bois. Rampant destiné à ne jamais recevoir une paire d’ailes mais en rêvant plus que tout, il se fabriqua de magnifique ailes en bois, se rendit à la falaise des Aériens, se lança dans les vents… pour s’écraser sur les rochers et mourir. Alors les Aériens présents prirent son pauvre corps disloqué et allèrent le jeter en mer ainsi qu’il sied à l’un des leurs. Aussi l’école de vol créée par Mariss prend-elle le nom d’Aile-en-bois. Mais les Ailes-en bois ont peu de moyens et ne peuvent s’entraîner comme les enfants d’Aériens Nés-Pour-Les-Ailes, et les Aériens défiés conservent-ils leurs ailes face aux Ailes-en-bois. Seul Val en remportera une paire en défiant une Aérienne en deuil qui se donnera ensuite la mort. Jamais les Aériens ne lui pardonneront. Il n’en a que faire ! Son histoire personnelle a fait naître en lui une haine implacable des Aériens qui l’ont affublé du surnom méprisant d’une-Aile, lequel sera étendu à tout rampant ayant remporté des Ailes.

Dans la dernière partie, la tradition continue d’être bousculée : les une-Aile ne volent pas forcément au-dessus des messages qu’ils transmettent, ils restent proches des rampants dont ils sont issus. A la suite d’une chute dans une tempête qui la laisse incapable de voler à tout jamais, Mariss essaie de se faire une nouvelle vie, sans aile, sur Thayos, où l’histoire en marche va la rejoindre.

George R. R. Martin n’est pas un écrivain spéculatif en dépit de quelques textes aussi remarquables que « Par la croix et le dragon »… C’est un auteur de fictions populaires de divertissement, certes, mais de diver-tissement de très haut de gamme. Selon la quatrième de couverture, Lisa Tuttle a créé nombre de personnages féminins plus impressionnants les uns que les autres et, manifestement, celui de Mariss ne déroge en rien à la règle, quoique Martin ait démontré qu’il n’avait besoin de personne en la matière. Les auteurs ont su créer, avec Port Aux Tourmentes, un de ces mondes océaniques qui font les choux gras de planet operas parmi les plus réussis, les plus denses. Ils ont su nous le faire ressentir, éprouver, bien davantage qu’ils ne nous le montrent. Quelques portions de rivages ici et là ; des salles de réunions ou d’auberge, quelques habitats et c’est tout. Pourtant, tout au long du livre, quasiment à chaque page, on ne cesse de ressentir toute l’âpreté de ce monde. On se prend à en sentir le sel sur les lèvres ; lire Windhaven (le titre VO repris par J’ai Lu pour la réédition en format de poche), c’est un peu comme faire de la moto sous la pluie… Tout est dans la sensation. Cette sensation des courants d’air et des vents qui permettent aux Aériens de chevaucher les ouragans.

C’est peut-être dans ce superbe roman qu’Alain le Bussy a trouvé l’inspiration de sa trilogie d’Aqualia (Deltas, Tremblemer, Envercœur), l’une des plus belles réussites des derniers temps du Fleuve Noir « Anticipation » dont le premier tome reçut le prix Rosny Aîné. Beaucoup d’éléments le donnent à penser…

Elle qui Chevauche les Tempêtes / Windhaven dépasse aisément le seul cadre de ses personnages, au premier rang desquels Mariss, bien entendu. Mais, on le sait, et les lecteurs du Trône de fer plus encore, c’est dans l’attention apportée par Martin aux personnages secondaires que réside l’une des qualités principales de son écriture qui fait la force de ses livres. En ce sens, Val une-Aile, qui n’a pas le plus beau rôle sans être aussi noir que Cerseï (Le Trône de fer), est exemplaire, son comportement s’explique par son histoire. Ce qui, dans la première partie, apparaît de prime abord comme une faiblesse de l’intrigue : quand un Aérien ne peut plus voler comme Russ, ou renonce à ses ailes comme Coll, le maître de terre en reçoit la garde en attendant de pouvoir les donner à un Aérien compétent. Elles pourraient donc revenir à Mariss. C’est l’orgueil traditionaliste de Corm qui s’y oppose et l’amène à demander une sanction disproportionnée à l’encontre de Mariss à qui il tiendra rancune sa vie durant.

Au sein d’une œuvre où rien n’est à jeter, le présent roman reste l’une des pièces

[Lire l'avis de Claude Ecken dans le Bifrost n°17.]

L'Agonie de la lumière

A l’aube de sa carrière, George R. R. Martin a créé un univers de space opera où s’inscrivent nombre de ses nouvelles, dont la novella Le Volcryn, le roman Le Voyage de Haviland Tuf, et bien entendu L’Agonie de la lumière, qui en est le fleuron.

Des siècles avant que ne débute le roman, l’expansion de l’Humanité dans la galaxie s’est violemment heurtée à deux espèces étrangères, les Fyndii et les Hrangans. Cette Double Guerre a provoqué l’effondrement de l’Empire Fédéral auquel a succédé un long Interrègne durant lequel les communications spatiales entre les mondes ont quasiment disparu. En l’absence de contact avec les autres mondes, les diverses civilisations se sont singularisées. Cette perspective historique est indispensable à la bonne compréhension du roman (à ce titre, on conseillera de lire plutôt deux fois qu’une, et de s’y reporter aussi souvent que nécessaire, le lexique d’une vingtaine de pages proposé en fin de volume).

Des siècles plus tard, la civilisation a repris son essor. Une planète errante surgie de l’espace intergalactique, Worlorn, suit une trajectoire hyperbolique qui l’amènera à proximité de la Couronne d’Enfer, un curieux système stellaire, peut-être artificiel, composé de l’Œil de Satan — une géante rouge —, et de six naines jaunes disposées à des points troyens les uns des autres. Durant quelques années, Worlorn va devenir habitable, aussi est-il décidé qu’il s’y tiendra un festival des Marches ; un sorte d’exposition universelle pour laquelle chacun des quatorze mondes des Marches construira une cité pour en représenter la culture. Ces mondes sont séparés du reste de la galaxie par la nébuleuse opaque du Voile du Tentateur, et bordés par le noir océan des espaces intergalactiques où nulle étoile ne brille… Le roman commence après la clôture du festival, alors que Worlorn s’enfonce de nouveau dans la nuit intergalactique et n’est déjà plus qu’un monde lugubre et crépusculaire baigné par la lumière de plus en plus lointaine de la Roue de Feu, et où s’attardent les derniers spectres du festival.

C’est sur ce monde mourant qu’arrive Dirk t’Larien, appelé par son ancien amour Gwen Delvano grâce au joyau-qui-murmure… Dirk devra côtoyer deux kavalars qui s'opposent : Bretan Braith et Jaan Vikary…

A la suite des horreurs de la guerre contre les Hrangans s’est développé sur Haut Kavalaan une société dure, machiste et raciste, voire paranoïaque, dont le duel est une coutume fondamentale. Divisée en étaux (qui ne seront pas sans évoquer, pour le lecteur de SF, les Sietch de Dune) plus ou moins progressistes, cette culture repliée sur elle-même a bien du mal à reprendre contact avec le reste de la galaxie. Pour les Kavalars les plus réactionnaires, ceux de l’étau de Bretan Braith, les gens des autres mondes ne sont que des simulacres qu’il faut tuer sans pitié aucune. Alors que sur Haut Kavalaan, les anciennes traditions cèdent malgré tout du terrain, les pires des Kavalars sont venus sur Worlorn agonisante pour s’autoriser à chasser selon leurs anciennes coutumes. Le noble Jaan Vikary, duelliste émérite, qui a étudié l’Histoire sur Avalon, en deçà du Voile du Tentateur, ne l’entend pas de cette oreille et fait tout son possible pour protéger les outre-mondiers des autres Kavalars. Il rejette les anciennes traditions jusqu’à rompre avec son propre étau, pourtant le plus progressiste de Haut Kalavaan, celui de Jadefer.

Ainsi l’intrigue s’articule autour d’une femme, Gwen, évidemment, et de trois hommes. L’un tient son prestige de sa femme et entend le conserver, quoiqu’il y ait bien davantage dans leur relation que ne le comprend la société de Haut Kava-laan. Le deuxième n’a pas encore fait son deuil de leur lointaine relation. Le troisième soupire en secret à ses côtés, sans lui déclarer sa flamme, dans une attitude conforme à sa culture d’origine. Rien là qui ne relève de la science-fiction. Des passions tout ce qu’il y a de plus humaines. Mais celles-ci, prises dans les marées et les remous de la société kavalare en mutation, fournissent la trame d’un roman SF tout à fait somptueux. Le travail sur les personnages, leurs actes et leurs motivations tient de l’orfèvrerie littéraire. Tout est à sa place. Chaque élément joue son rôle comme les pièces d’une partie d'échecs vouée à devenir une inéluctable tragédie. Les personnages ne sont pas de simples vecteurs d’une action somme toute mouvementée qui tient davantage du bonus que des péripéties nécessaires à tenir le lecteur en haleine. L’attention portée aux personnages secondaires, tels Arkin Ruark, ou, comme toujours chez George R. R. Martin, au méchant de service, Bretan Braith, relativise l’importance des têtes d’affiche.

Quand on se prend à regarder les « méchants » que nous propose l'auteur, qu’il s’agisse de la reine Cerseï (le plus beau personnage du Trône de fer avec ses frères), de Val une-Aile dans Elle qui chevauche les tempête, de Bretan Braith ici, ou de l’entité qui sévit à bord du vaisseau spatial dans Le Volcryn, jamais on ne croise la moindre force du mal. La sombre beauté de ces « méchants » tient à ce qu’ils sont le produit d’une histoire et des contingences. On ne naît pas méchant, on le devient. Cette historicité du mal nous le fait toucher du doigt, le « devenir mauvais » est quelque chose que l’on comprend comme pouvant nous arriver. Tout le monde a résisté, nul n’a collaboré… Bien sûr ! C’est ce qui fait que les fictions de Martin sont de ce si beau noir qui fascine tout autant qu’il effraie. Sous sa plume, le lecteur danse sur le fil du rasoir à se vouloir héros au risque de choir dans l’abîme de l’erreur, du mauvais choix, du manque… D’une fatalité qui n'en a que l'apparence. Le mal n’est pas une force métaphysique qui s’empare de vous ; ce sont des faits, des jugements, parfois portés a posteriori, en fonction des aléas de la vie et de l’histoire, de la fortune des armes… Et parfois, au détour d’une phrase, on sent son ventre se serrer. Le mal vous guette. L’honneur vous en garde, au risque de vous piéger…

L'Agonie de la lumière a l’âpre beauté crépusculaire de Worlorn ; il vous laisse un goût ô combien délicieux de cendre et de suie.

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