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À travers la mer des soleils

[Critique commune à Dans l'océan de la nuit et À travers la mer des soleils.]

C'est avec Dans l'océan de la nuit que Benford a commencé à se faire remarquer. Paru en 1978 aux USA, le roman est le collage d'une suite de nouvelles. Le germe du cycle du « Centre Galactique » remonte à 1972… et ses volumes continuent à paraître (ces deux livres avaient été publiés en français dans la collection « Présence du Futur », les suivants chez « Ailleurs et Demain », réédités au Livre de Poche ; Sailing Bright Eternity est encore inédit en français).

Structuré en épisodes, le premier livre peut être répétitif. Grosso modo, un artefact technologique extraterrestre d'un âge impressionnant est découvert dans le système solaire. Nigel Walmsley s'arrange toujours pour être sur le coup, et pour avoir raison contre ses supérieurs. C'est d'abord un astéroïde qui se révèle épave d'astronef (influence d'Arthur C. Clarke !), puis un vaisseau interstellaire automatisé, puis une épave de station laissée sur la Lune. Au fil des péripéties s'affirme la personnalité de Nigel. Benford en a fait un Britannique travaillant pour la NASA, accentuant encore son mépris de sa hiérarchie, son côté loup solitaire.

Si le rythme paraît parfois gêné aux entournures, Dans l'océan de la nuit présente un pont intéressant entre les deux directions prises par l'œuvre romanesque de Benford : d'une part des livres situés dans un proche futur, portant un regard satirique sur les modes de notre société et les chamailleries du milieu universitaire et scientifique (archétype : Un Paysage du temps, 1980) ; d'autre part des livres situés dans un futur lointain, où les protagonistes humains font face à des forces qui les dépassent, naturelles ou artificielles. Dans l'océan de la nuit est daté de la fin du XXe siècle (déjà dépassée !) et, si Nigel scrute l'espace, il connaît aussi des démêlés avec une secte qui va, elle, y chercher une expérience mystique.

De ce point de vue, c'est À travers la mer des soleils qui marque le vrai début de la série du « Centre Galactique ». C'est ici qu'est mis en place le cadre global d'une lutte entre vie organique et mécanismes autonomes à l'échelle de la galaxie entière (au moins). Nigel s'est embarqué sur un vaisseau d'exploration en quête de la source d'un signal radio artificiel reçu sur Terre ; peu après leur départ, sur la planète-mère, l'infestation des océans par des animaux extraterrestres a rendu presque impossible le commerce international et menace toute l'humanité. Les passages les plus forts du livre sont consacrés à un protagoniste sans rapport avec le vaisseau, Warren, naufragé sur un radeau dans le Pacifique, occupé à survivre et à communiquer avec les extraterrestres aquatiques.

À travers la mer des soleils est un roman sombre et marquant. Benford fait preuve d'une remarquable ingéniosité dans la création de formes de vie extraterrestres, et préserve une étincelle d'espoir dans un combat qui en paraît bien dépourvu. Quoique vivant dans la société close et inquisitrice d'un vaisseau parti pour des années (sinon des décennies), Nigel est aussi marqué par la solitude que Warren. La sienne est due à la vieillesse, aux tricheries qu'il organise pour éviter une mise à la retraite souhaitée par ceux qu'indispose son sale caractère. La relation avec les femmes n'entame pas l'isolement. Warren passe une partie de son calvaire en compagnie d'une autre rescapée, et pourtant ne communique guère avec elle ; de même la fidélité de Nikka, la nouvelle compagne de Nigel, ne l'adoucit guère, et n'atténue pas la vivacité de ses confrontations avec les autorités du bord.

En dépit d'une certain répétition des situations, Benford maintient sans cesse l'intérêt par son inventivité, et par l'excentricité qu'il imprime à son protagoniste (les héros vieux, et qui ressentent les atteintes de l'âge, sont chose rare en S-F). Il se détache aussi de la majeure partie de ses confrères écrivains de hard science par un style plus recherché, qui bascule à l'occasion dans le dialogue cacophonique ou la poésie de la science.

Voici des livres à lire, et leur réédition doit être saluée.

Dans l'océan de la nuit

[Critique commune à Dans l'océan de la nuit et À travers la mer des soleils.]

 

C'est avec Dans l'océan de la nuit que Benford a commencé à se faire remarquer. Paru en 1978 aux USA, le roman est le collage d'une suite de nouvelles. Le germe du cycle du « Centre Galactique » remonte à 1972… et ses volumes continuent à paraître (ces deux livres avaient été publiés en français dans la collection « Présence du Futur », les suivants chez « Ailleurs et Demain », réédités au Livre de Poche ; Sailing Bright Eternity est encore inédit en français).

Structuré en épisodes, le premier livre peut être répétitif. Grosso modo, un artefact technologique extraterrestre d'un âge impressionnant est découvert dans le système solaire. Nigel Walmsley s'arrange toujours pour être sur le coup, et pour avoir raison contre ses supérieurs. C'est d'abord un astéroïde qui se révèle épave d'astronef (influence d'Arthur C. Clarke !), puis un vaisseau interstellaire automatisé, puis une épave de station laissée sur la Lune. Au fil des péripéties s'affirme la personnalité de Nigel. Benford en a fait un Britannique travaillant pour la NASA, accentuant encore son mépris de sa hiérarchie, son côté loup solitaire.

Si le rythme paraît parfois gêné aux entournures, Dans l'océan de la nuit présente un pont intéressant entre les deux directions prises par l'œuvre romanesque de Benford : d'une part des livres situés dans un proche futur, portant un regard satirique sur les modes de notre société et les chamailleries du milieu universitaire et scientifique (archétype : Un Paysage du temps, 1980) ; d'autre part des livres situés dans un futur lointain, où les protagonistes humains font face à des forces qui les dépassent, naturelles ou artificielles. Dans l'océan de la nuit est daté de la fin du XXe siècle (déjà dépassée !) et, si Nigel scrute l'espace, il connaît aussi des démêlés avec une secte qui va, elle, y chercher une expérience mystique.

De ce point de vue, c'est À travers la mer des soleils qui marque le vrai début de la série du « Centre Galactique ». C'est ici qu'est mis en place le cadre global d'une lutte entre vie organique et mécanismes autonomes à l'échelle de la galaxie entière (au moins). Nigel s'est embarqué sur un vaisseau d'exploration en quête de la source d'un signal radio artificiel reçu sur Terre ; peu après leur départ, sur la planète-mère, l'infestation des océans par des animaux extraterrestres a rendu presque impossible le commerce international et menace toute l'humanité. Les passages les plus forts du livre sont consacrés à un protagoniste sans rapport avec le vaisseau, Warren, naufragé sur un radeau dans le Pacifique, occupé à survivre et à communiquer avec les extraterrestres aquatiques.

À travers la mer des soleils est un roman sombre et marquant. Benford fait preuve d'une remarquable ingéniosité dans la création de formes de vie extraterrestres, et préserve une étincelle d'espoir dans un combat qui en paraît bien dépourvu. Quoique vivant dans la société close et inquisitrice d'un vaisseau parti pour des années (sinon des décennies), Nigel est aussi marqué par la solitude que Warren. La sienne est due à la vieillesse, aux tricheries qu'il organise pour éviter une mise à la retraite souhaitée par ceux qu'indispose son sale caractère. La relation avec les femmes n'entame pas l'isolement. Warren passe une partie de son calvaire en compagnie d'une autre rescapée, et pourtant ne communique guère avec elle ; de même la fidélité de Nikka, la nouvelle compagne de Nigel, ne l'adoucit guère, et n'atténue pas la vivacité de ses confrontations avec les autorités du bord.

En dépit d'une certain répétition des situations, Benford maintient sans cesse l'intérêt par son inventivité, et par l'excentricité qu'il imprime à son protagoniste (les héros vieux, et qui ressentent les atteintes de l'âge, sont chose rare en S-F). Il se détache aussi de la majeure partie de ses confrères écrivains de hard science par un style plus recherché, qui bascule à l'occasion dans le dialogue cacophonique ou la poésie de la science.

Voici des livres à lire, et leur réédition doit être saluée.

Jésus Vidéo

Bet Hamesh, Israël, de nos jours. Stephen Foxx possède une conception pour le moins personnelle des vacances réussies. Membre de la très respectable Explorer's Society de New York, il a choisi cette année de se joindre à un chantier archéologique en plein désert. Accroupi huit heures par jour à déblayer de la terre sous une chaleur étouffante, il sue sang et eau dans l'espoir de déterrer céramiques et ossements. Il est loin de se douter qu'il va bientôt faire une découverte susceptible de bouleverser l'histoire du monde. C'est dans une tombe banale, à quelques centimètres des restes d'un habitant de la Palestine du début de notre ère, qu'il exhume la notice d'un caméscope Sony qui, la datation au radiocarbone le confirmera, a effectivement deux mille ans. Mais si un voyageur du temps est bien retourné à l'époque du Christ pour le filmer, où a-t-il caché sa caméra ? Une folle course-poursuite s'engage dès lors entre Foxx et John Kaun, le richissime milliardaire américain dont l'argent finançait les fouilles, et qui voit dans toute cette affaire l'occasion d'un immense coup médiatique.

On l'aura compris, l'intrigue de Jésus vidéo évoque avant tout une sorte d'Indiana Jones contemporain, même si le traitement qu'en propose Andreas Eschbach doit en réalité autant au thriller qu'au roman d'aventure. La mayonnaise monte d'ailleurs assez bien : le croisement des genres produit un récit fertile en rebondissements. Car Foxx, ses alliés et ses ennemis, ne ménagent guère leurs efforts, obnubilés qu'ils sont par l'idée de mettre la main sur cette relique technologique. Une intrigue rocambolesque qu'Eschbach choisit d'équilibrer par une documentation solide et un soucis quasi-obsessionnel du détail. Cette approche, à défaut de produire du réalisme, vaporise sur l'ensemble un vernis de vraisemblance plus que bienvenu. Faut-il pour autant crier au chef-d'œuvre, comme on l'a fait pour Des Milliards de tapis de cheveux, son premier roman ? Certainement pas. Faut-il le conseiller à tout prix aux monomaniaques de la S-F ? Même pas sûr, car le voyage dans le temps n'est ici qu'un instrument, dont la seule présence ne saurait suffire à inscrire totalement le livre dans le genre. Non, Jésus vidéo est décidément un hybride, dont la première qualité demeure le suspense. Non pas que l'on s'attache particulièrement au devenir des personnages, dont la psychologie n'est finalement qu'à peine esquissée, mais parce qu'Eschbach fait montre d'une habileté consommée dès lors qu'il s'agit de tenir ses lecteurs en haleine. Jésus vidéo est de ces romans que l'on a du mal à reposer, tant on veut en connaître la fin. À vrai dire, c'est précisément ce qui m'est arrivé, et ce n'est déjà pas si courant…

Voici l'homme

Le Christ, vous connaissez ? Ça m'étonnerait ! Enfin, si vous le dites… Vous savez donc qu'il était juif…

Oui, bien sûr !

… et londonien, né dans la première moitié du siècle dernier — le XX° — connu de l'état civil britannique sous le nom de Karl Glogauer et homosexuel occasionnel. Qu'il arriva donc en Palestine dans les années 30 à bord d'un chronoscape hors d'usage, conformément à la prophétie ainsi que le lui révéla Jean-Baptiste, chef d'une secte essénienne se demandant bien comment il allait pouvoir bouter le Romain hors de Palestine…

Roman iconoclaste par excellence, Voici l'Homme est à replacer dans le contexte historico-littéraire de la fin des années 60. Il est certain qu'aujourd'hui son impact sera moindre qu'à l'époque et pourrait même paraître relativement soft à un jeune public. Par exemple, que le Christ ait eu des relations homosexuelles ne choquera plus de la même manière ; le parfum de scandale s'est évaporé, dissous dans l'évolution des mentalités. Voici l'Homme est donc très proche de la littérature dite générale. Hormis l'outil qu'est le voyage dans le temps, ce n'est pas de la S-F. Construit tout en flashes-back qui promènent le lecteur du passé — le Londres des sixties — au présent — la Palestine de l'an 30 —, c'est un roman facile d'accès, contrairement au cycle « Jerry Cornélius » ou à La Défonce Glogauer, l'autre roman ou Karl apparaît, sans toutefois y être mis en Cène (« Titres SF », Lattès — 1981). Centré sur l'exposition de la personnalité complexée et névrosée de Glogauer, la castration par la mère conduisant à une recherche du masochiste et du martyr est le thème central de ce roman, un thème bien peu S-F. Voici l'Homme se rapproche par nombre d'aspects d'En direct de Golgotha (Fayard) de Gore Vidal qui était, lui, franchement humoristique là où le livre de Moorcock se teinte d'une ironie narquoise mais non moins tranchante.

À moins d'être un cul-bénit, il faut lire Voici l'Homme. Le lire pour ce qu'il vaut, bien sûr, mais aussi comme un œil jeté sur son époque, car c'est un témoignage flamboyant de ce qu'a pu être la contre-culture. Un grand Moorcock qui n'était plus disponible depuis des lustres s'offre de nouveau à nous, profitons-en.

Omale

Enfin. On en parlait depuis longtemps. On disait que Genefort se devait de donner une œuvre ambitieuse, à la hauteur de son potentiel. Eh bien voilà !

Durant une dizaine d'année, Genefort s'est laissé aller au gré d'un long Fleuve Noir tranquille. Et le Fleuve s'est tari… Sa facilité d'écrire lui a fait bénéficier d'un capital de confiance non négligeable mais, dans le même temps, lui a permis une certaine nonchalance. Si le Fleuve ne s'était asséché, peut-être Genefort en serait-il encore à distiller d'honnêtes petits romans toujours sympathiques et agréables, bien faits, jamais médiocres ni excellents. Dans le lit du Fleuve, Laurent Genefort donnait des livres frais et gouleyant comme un beaujolais village. Avec Omale, il passe à la vinification du pinot noir sur une belle appellation communale bourguignonne. La fin du Fleuve l'a contraint a donner du corps à une ambition latente. Nul ne s'en plaindra.

Il n'y a rien en S-F que je préfère aux histoires de la catégorie à laquelle Omale appartient. C'est pour moi l'essence même du genre. C'est une quête. Celle d'un talisman plus précieux qu'en aucune fantasy : la compréhension du monde. C'est l'essence des Lumières qui habite Omale. Le Zeitgeist qui nimbe Omale ne diffère pas de celui du XVIIIe siècle. L'intolérance règne encore très largement, mais des gens s'évertuent à faire battre les ténèbres en retraite, tels les héros de ce roman.

Des héros qui sont des marginaux appartenant aux trois races qui peuplent Omale. Kasul, l'écrivain libertin musulman, Sheitane, qui fut femme de pouvoir en terre d'Islam, Sikandaïrl, la guerrière chile géante, Amees, Hodjquin banni pour avoir fait le choix de l'immortalité, Alessander, humain éduqué par les Chile pour être esclave, et Hornlafaïr, l'astronome chile. On découvre l'esprit d'Omale à travers une partie de Fejij, un jeu qui est une métaphore du monde où les perdants sont gagés de raconter leur passé. Ce procédé, aussi simple qu'élégant, nous permet de comprendre pourquoi ils ont été convoqués pour ce voyage.

Omale est une sphère de Dyson, comme l'Orbitville de Bob Shaw mise en scène dans le roman éponyme paru naguère chez Opta, en « Anti-Mondes ». C'est une coquille emprisonnant une étoile : des millions de fois la surface d'une planète, plus encore que le célèbre Anneau-monde de Larry Niven. Omale est bien sûr rattaché à l'univers Vangk où Genefort a situé la quasi-totalité de ses romans.

On trouve dans cet Omale le charme et l'esprit de romans tels que Le Sang du serpent de Brian Stableford, Exilé de Michael P. Kube-McDowell ou Patience d'Imakulata d'Orson Scott Card. Il s'inscrit également dans la mouvance de livres comme Le Rendez-vous de Vénus, excellent roman historique signé par l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet ou le dernier ouvrage de Thomas Pynchon, Mason & Dixon. L'esprit des Lumières brille sur ce livre. Oserais-je écrire qu'il s'inscrit dans un même mouvement de résistance au « réenchantement du monde », fallacieuse expression qui dissimule le retour de l'obscurantisme ? Peut-être les Lumières finiront-elles par s'éteindre, vaincues par l'entropie, et l'âge des ténèbres par venir, mais il reste encore quelques esprits brillants. Sans avoir la magnitude de celui d'un Voltaire, loin s'en faut, l'humanisme de Laurent Genefort luit sur le petit monde de la S-F francophone. Par les temps qui courent, tout texte dont le propos est d'affirmer que, sous réserve d'en faire l'effort, tout un chacun peut comprendre le monde où il vit est fort bienvenu. Qu'Omale ne soit qu'une dose homéopathique du remède culturel à la crise existentielle de nos sociétés postmodernes n'est pas une raison pour ne le point prendre ; d'autant que la potion est plutôt bonne en bouche.

En dépit d'une fin un peu faible, Omale reste un roman d'action d'où l'ennui est banni sans pour autant sombrer dans une violence épaisse et basse du front ; et tout intellectualisme pesant en est à cent lieues. Il n'y aura certes pas « un avant et un après », sauf pour l'auteur lui-même, mais le plaisir était là, et bien là… Un bon livre.

La Maison Harkonnen

Cette fois, ça y est. Ils sont passés de l'autre côté du cheval ! La ligne de démarcation… que dis-je, le Rubicon est franchi, en marchant sur la tête qui plus est ! Ça patauge au plus gros de la sci-fi qui remonte par-dessus les bottes jusqu'à la noyade…

On se souviendra du peu de bien que nous avions dit de La Maison des Atréides, première des « préquelles » du cycle de « Dune ». Cette fois, c'est pire !

Près de 700 pages avec rien. Une litanie de non-événements. Fort longue au demeurant. Il est quasiment impossible de raconter La Maison des Harkonnen tant l'absence d'intrigue est criante. C'est la « séquelle » (suite) d'une « préquelle », (en fait, un barbarisme par lequel on désigne un prélude écrit a posteriori histoire de se faire de la thune), ce qu'Épisode 1, La Menace fantôme est à Star Wars. La Maison des Atréides offrait au moins un tissu de complots croisés pour soutenir l'attention vacillante du lecteur : ici, il n'en reste que les ultimes soubresauts.

Il y a quelque chose de profondément navrant à voir une collection aussi prestigieuse qu' « Ailleurs et Demain » publier pareille daube. C'est la plus pure sci-fi qui soit ! A quand l'intégrale de Buffy avec la plastique de Gellar en couv' ? Ce tire-flouze éhonté risque fort de ternir durablement l'image de la collection. Après ça, on aura du mal à faire avaler au grand public que Dosadi, Radix, L'Anneau de Ritornel, Tous à Zanzibar ou Le Vagabond sont des chefs-d'œuvre dignes d'être lus. On va avoir l'air fin, nous autres qui connaissons le genre et nous permettons de donner des conseils, lorsque, recommandant « Dune », on se verra objecter ces tristes « préquelles »… Les plupart des Fleuve Noir de… Max-André Rayjean valent bien ça ! Ils ne sont pas plus difficiles à lire sans que leur action n'éclate en une multitude de sites où rien ne se passe.

 Même la couverture est moche ! Vivement Buffy en minirobe…

Cet ouvrage est, par sa médiocrité, un chancre sur la collection, une souillure sur son prestige. C'est aussi une excellente illustration de ce que le « marché » fait à la culture. C'est une démarche, une volonté. Pour liquider la culture, on en a connu qui sortaient leur revolver. Aujourd'hui, c'est le portefeuille qu'un certain libéralisme dégaine… La S-F est une littérature du questionnement qui gêne tous les marchands de dogmes. En imposant les « Maisons », ils font d'une pierre deux coups : raclant la thune et discréditant la S-F dans sa collection la plus prestigieuse. « Ailleurs et Demain » vire à la sci-fi comme naguère Pocket à la pink fantasy. Faut-il qu'un directeur de collection accepte pareille humiliation pour pouvoir continuer à nous offrir, avec toujours davantage de parcimonie, quelques livres dignes de ce nom ? C'est affligeant. Ça ne vaut pas un clou. Que La Maison Harkonnen manque à votre collection complète sera la marque de votre bon goût. Qui veut le mien ?

Les Machines de dieu

Voilà un bel exemple de roman sans qualité auquel le lecteur peut très bien mordre. L'écriture y est plate, le rythme paisible. Les péripéties se succèdent en vagues plus langoureuses qu'autre chose. On ne saurait dire que les problématiques soulevées sont transcendantes. A dire vrai, c'est un roman qui aurait dû être mauvais…

Mais…

Le lecteur de S-F est un bizarre oiseau, entre pie et chouette, qui dévore les bouquins tout en étant lui-même dévoré d'une insatiable curiosité. La S-F, comme naguère les grands récits d'exploration et d'aventures, est la littérature des gens curieux. Pas toute la S-F, bien sûr. Pas « l'heroic star fiction ». Mais c'est l'essence même du genre. La « science » du mot S-F renvoie davantage à cette curiosité qu'à l'exactitude scientifique ou à la Méthode ; à cette curiosité qui est l'apanage des gosses, des chercheurs et des lecteurs de S-F.

Et la curiosité est le moteur de lecture des Machines de dieu, comme il y a des chevaux sous le capot fort joliment customisé par Manchu. C'est uniquement parce que nous sommes des lecteurs de S-F — et donc de fieffés curieux — que nous pouvons lire et prendre plaisir à un livre aussi dénué d'ambition littéraire. Pire — ou mieux — , les moteurs de l'entertainement qui caressent dans le sens du poil les fantasmes de pouvoir d'une certaine catégorie de lecteurs — qui ont trouvé bien mieux avec les jeux vidéo shoot-‘em-up —, tournent au ralenti. L'héroïsme n'est certes pas absent, mais l'ennemi fait défaut. Si la curiosité n'est pas dénuée de danger, les œillères en représentent un bien plus grand. Pour pouvoir s'identifier aux protagonistes de McDewitt, il faut désirer comprendre davantage que vouloir vaincre.

Les Machines de dieu rappelle fortement l'œuvre de B. R. Bruss au Fleuve Noir dans les années 50 et 60 — l'une des meilleures, soit dit en passant. Elles sont très proches l'une de l'autre, tant par la thématique que la narration. Le ressort de lecture est le même : il faut comprendre pour résoudre un mystère lourd de menace.

Ce n'est certes pas de la grande littérature, mais au moins est-ce de la bonne science-fiction. De la vraie. Le contrat de lecture est rempli.

Voyage vers la planète rouge

Les contraintes économiques détruisent souvent les rêves. On le constate avec Mars, qui est l'objet de nombreuses conquêtes littéraires et cinématographiques mais qui, dans la réalité, achoppe sur les problèmes financiers. C'est encore plus vrai dans l'univers de Terry Bisson, ou une Grande Récession a conduit les gouvernements à la faillite, laissant le champ aux grandes sociétés, elles-mêmes constamment menacées de restructurations, d'OPA et de rachats inopinés.

Qu'à cela ne tienne ! Iconoclaste avéré et optimiste déjanté, Terry Bisson va nous faire rêver malgré tout, de façon certes plus modeste que Kim Stanley Robinson, mais aussi plus sarcastique. C'est Hollywood qui financera l'épopée martienne, en allant tourner un film sur place, utilisant pour la circonstance une caméra révolutionnaire qui rend presque obsolètes les acteurs : il lui suffit d'enregistrer quelques mimiques et attitudes pour numériser un long métrage à partir de ces informations… Une caméra interdite sur Terre mais indispensable sur Mars, eu égard à la courte durée du tournage sur la planète. Les stars savent en effet se protéger : à présent qu'il n'est plus nécessaire de savoir jouer la comédie, on naît acteur ; les prodiges sans lien de parenté avec une vedette confirmée peuvent aller se rhabiller.

L'intrigue de base n'est pas si délirante : les russes avaient également songé à louer Mir à l'industrie cinématographique. Mais ce mode de financement braque les projecteurs sur le film et non sur l'expédition, qui se déroule dans l'indifférence générale, à l'exception des potins sur les acteurs.

« Il me semble entendre des acclamations ? remarqua-t-elle, se remémorant l'immense salle des communications de Houston.

— On a encore eu des problèmes de téléphone, répondit Sweeney. Je vous appelle du bar d'en face. Les Lakers mènent de dix points. »

On ne saurait imaginer plus terrible satire du libéralisme économique : les sociétés finançant le projet se trouvant successivement rachetées par d'autres, le malheureux Sweeney qui l'a conçu et monté ne cesse de chercher des solutions de remplacement, se voyant même contraint de trouver un emploi et de veiller à la réussite de la mission en-dehors de ses heures de travail. L'épopée de la Mary Poppins ira de problème en problème, jusqu'à compromettre le retour du vaisseau sur Terre, faute de carburant.

Le récit ne se limite pas à cette charge terrible d'une société victime de ses excès ; il est également un excellent roman d'aventures, avec ses rebondissements parfois attendus (la présence d'un passager clandestin, les rivalités à bord, les problèmes techniques), ses mystères (la découverte de sculptures imitant les premiers engins d'exploration à s'être posés sur le sol martien, puis d'autres traces de visiteurs extraterrestres) et ses moments d'émotion.

Le livre s'apparente aussi à la hard science, ce qui produit un mélange détonant, décalé mais original, aux effets contrastés. Le récit de l'atterrissage est digne d'un physicien ; Terry Bisson n'a omis aucun détail, pas même la vitesse du son sur Mars.

Jouant sur ces registres contradictoires, cet auteur au succès grandissant nous offre ici un livre aussi tendre que sarcastique, aussi délirant que documenté, un curieux mélange qui tient autant de Clarke que de Sheckley. Étonnant.

Une étoile m'a dit

Si ce n'est pas la plus courte histoire de science-fiction, c'est du moins la plus célèbre : « Le dernier homme sur la Terre était assis tout seul dans une pièce. Il y eut un coup à la porte… » . Ces phrases sont en réalité le début d'une nouvelle qui a non seulement la caractéristique de leur offrir une suite logique, mais encore de terminer exactement comme elle a commencé. « Un coup à la porte » : un coup de maître signé Fredric Brown, l'un des grands humoristes de la S-F et un nouvelliste aux idées plus surprenantes les unes que les autres.

On ne s'étonnera donc pas de retrouver, au catalogue de la nouvelle collection « Folio-SF », l'auteur de Martiens go home ! (titre également réédité dans cette collection) avec la reprise d'un recueil de huit nouvelles qui donne un aperçu de la diversité de son talent.

Il était en effet novateur de présenter, dans le cadre d'un space-opera classique (un naufragé sur une planète), un aliéné qui s'est coupé du réel (« Quelque chose de vert »). La folie est d'ailleurs un thème récurrent chez Brown ; comment pourrait-il en être autrement quand les protagonistes sont confrontés à des situations dingues, quand les plus improbables monstres aux yeux pédonculés décrits dans les récits de S-F débarquent sur Terre (« Les Myeups ») ou qu'une souris à qui des extraterrestres ont donné l'intelligence réclame pour son peuple une nation, l'Australie en l'occurrence, où elle édifierait Sydneyland (« Mitkey ») ? Mais quand un journaliste amnésique se prend pour Napoléon, qui peut garantir qu'il n'est pas réellement Bonaparte ? La résolution de l'intrigue de « Tu seras fou » débouche sur une situation aux dimensions cosmiques que nul n'aurait imaginée.

On préfère évidemment ces récits à ceux qui ont pour point de départ un mystère proprement ahurissant et qui s'explique simplement. Ceux-ci sont le plus souvent liés à une intrigue policière. Ainsi, « Cauchemar » impose à un enquêteur de débrouiller une affaire de meurtre où la victime a été trucidée avec autant de moyens différents et contradictoires que de témoins. « Anarchie dans le ciel » présente un phénomène aussi étonnant que le changement de la disposition des étoiles dans le ciel. La solution, dans les deux cas, est décevante par rapport à l'attente suscitée chez le lecteur. Cependant, à chaque fois, Brown a su garantir l'étonnement et n'a pas manqué de décocher au passage quelques flèches sarcastiques à l'égard de notre société. Celle qui a basé la paix sociale sur le détecteur de mensonges a bien du mal à accepter que les tueurs, pourtant nettement identifié, nient avec sincérité être l'auteur des meurtres dont on les accuse. La morale de « Tu n'as point tué » repose sur de délicieux paradoxes et de subtiles problématiques, montrant par exemple que certains professionnels, médecins, avoués ou avocats, contribuent à la disparition de leur profession puisque leur efficacité tend à les rendre toujours plus inutiles…

Bref, même si ces récits ont parfois pris quelques rides, ils n'ont rien perdu de leur force.

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