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Malafrena

Bien que situé dans un pays imaginaire (l’Orsinie, que l’on avait déjà abordé avec les Chroniques orsiniennes, publiées en français chez le même éditeur), Malafrena ne relève en rien de la science-fiction ou de la fantasy usuelles chez l’auteure. On peut bien parler de « littérature générale » pour ce roman, qui verse dans l’historique, avec une grosse influence de romantisme stendhalien.

Malafrena se déroule donc en Orsinia, dans les années 1820-1830. Nous y suivons essentiellement le destin du jeune Itale Sorde, étudiant amateur de lettres, et fougueux comme il se doit. Dans cette atmosphère fébrile de libéralisme et de nationalisme annonçant le Printemps des Peuples, et baignant dans le glorieux souvenir de la Révolution française puis de l’Empire, Itale se jette à corps perdu dans la politique. Il entend libérer son pays du joug autrichien, restaurer un royaume — une monarchie constitutionnelle, forcément — là où il n’y a pour l’heure qu’un grand-duché fantoche. Il a trouvé sa devise dans le Moniteur, dans ces célèbres paroles du député Vergniaud : « La liberté, ou la mort ! »

Aussi, à la fin de ses études, plutôt que de retourner s’installer définitivement dans sa campagne natale de Malafrena isolée dans les montagnes, le jeune homme, envers et contre tous — notamment son père, le bourru Guide, et aussi le destin qu’on lui a bâti de toutes pièces, passant presque obligatoirement par le mariage avec Piera, leur jeune voisine aristocrate —, décide de partir pour la ville, l’ancienne capitale de Krasnoy. Là, il fonde un journal, met de l’huile sur le feu, prêche la révolution… Il y rencontre des radicaux comme lui, pour bon nombre gens de lettres, et ne tarde pas à se construire une réputation dans les cercles avancés de la ville. Il est là, bien sûr, quand les Etats généraux se réunissent, pour prendre note de leurs consternants débats qui ne riment à rien… Mais son activité, inévitablement, le conduira à la proscription, et même à la prison : l’agitateur, sorti cependant quand l’écho des Trois Glorieuses mettra les rues de Krasnoy à feu et à sang (des pages très fortes, qui retournent le lecteur), aura ainsi l’occasion de perdre largement ses illusions… mais pas totalement, pourtant.

Mais, loin de Krasnoy, il y a donc Malafrena, et d’autres campagnes tout aussi perdues que l’on aborde au fil des pages, où se rendent les jeunes politiques pour étudier le pays qu’ils prétendent fonder. Là, au mi-lieu des vergers et des troupeaux, on ne se pose pas autant de questions qu’à la ville… ou, plus exactement sans doute, elles sont d’un autre ordre, bien plus terre à terre. Le roman joue beaucoup sur le contraste entre ces différentes atmosphères, et avec une certaine réussite.

Enfin, à la ville comme à la campagne, il y a des femmes… Le monde d’alors ne semble en mesure de concevoir son avenir qu’au travers de l’institution du mariage, et des enfants. Mais le roman abonde en beaux portraits de jeunes femmes fortes, que ce soit l’arrogante comtesse de Krasnoy qui séduit Itale, sa sœur Laura, ou, donc, son amie d’enfance Piera. Celles-ci, qu’e-les aient ou non véritablement conscience de lutter, et quelles que soient les raisons qu’elles se donnent, entendent bien elles aussi, à leur façon, gagner leur liberté… si tant est que la liberté soit possible, pour qui que ce soit.

Au fil des pages de Malafrena, le lecteur est ainsi emporté par la plume adroite d’Ursula K. Le Guin dans un monde complexe, où l’agitation des villes répond à la (fausse ?) sérénité des campagnes. Mais, au-delà de ces cadres, et sans négliger leur importance indéniable — ne serait-ce que sous forme métaphorique —, le roman vaut avant tout pour son questionnement de la liberté, sous toutes ses formes, et sa subtile et poignante peinture d’une jeunesse en quête d’idéal, alors comme tout le temps, là comme ailleurs. Plus qu’à son tour émouvant (mais pas vraiment dans les épisodes sentimentaux qui le parcourent, qui ont quelque chose d’anodin), le roman alterne judicieusement l’enthousiasme et la désillusion, autant dire l’optimisme et le pessimisme, jusqu’à la belle conclusion du comte Orlant, en forme d’injonction salutaire : « Allez-y, mes enfants, allez-y ! »

L'Autre Côté du rêve

Etrange roman que L’Autre côté du rêve, l’un des premiers grands succès d’Ursula K. Le Guin (1971). On y découvre en succession rapide une dizaine de réalités alternatives, différant parfois d’un simple détail (ou d’un détail pas si simple…) mais toutes situées autour de la ville de Portland, dans l’Oregon, et de l’un de ses habitants, George Orr, rigoureusement moyen en tout. Celui-ci n’a qu’une particularité : il se drogue pour ne pas rêver « effectivement », au risque de se réveiller dans la réalité qu’il a rêvée. Astreint à un suivi médical, il tombe sous la coupe de son psychiatre, le Dr Haber. Ce dernier se convainc de l’effectivité des rêves d’Orr et décide de les instrumentaliser au service de la création d’un monde meilleur, en suscitant par hypnose des rêves à la demande. Mais alors que le statut social de Haber s’améliore de rêve en rêve, le monde va, lui, de mal en pis : si elles répondent toujours, en un sens, aux prescriptions du psychiatre, les solutions imaginées par le rêveur sont souvent inattendues. Ainsi, la suppression de toute guerre entre humains n’est obtenue que par l’introduction d’un ennemi commun, donc d’une invasion extraterrestre. L’humour est celui du Asimov d’Un défilé de robots, où Powell et Donovan s’ingéniaient à déboguer les ambiguïtés de programmations insuffisamment réfléchies. George Orr rencontre également Heather Lelache, une inspectrice des affaires sociales « dure, brillante et venimeuse », dont il tombera amoureux dès qu’un rêve l’aura adoucie.

Roman complexe, aussi, qui suggère au moins trois niveaux de lecture, un pour chacun des personnages. Le plus ostensible est bien sûr celui de George Orr, dont la plupart des chapitres sont précédés d’une citation taoïste. Comme souvent, Le Guin illustre un questionnement typique d’une époque qui aimait à remettre en cause la quête du confort individuel, voire la notion même d’individu, et à se laisser fasciner par les philosophies orientales, directement ou via les Beatles (si, si ! — et à tout prendre, le mantra d’Orr, « with a little help from my friends », est bien plus sympathique que le « Helter Skelter » d’un Charles Manson en 1969).

Le Dr Haber apparaît comme un archétype de savant fou. Est-ce par incompétence que ses tentatives échouent les unes après les autres, ou parce que son arrogance de « scientifique » autoproclamé l’empêche de dépasser la mesquinerie de ses préjugés politico-moraux ? L’absurde sous-emploi de la puissance démiurgique dont Orr lui a donné la clef évoque celui du voyage dans le temps dans le Pern d’Anne McCaffrey (par exemple dans La Quête du dragon, en 1971 également). Mais là où une idéologie proprement anti-scientifique est à l’œuvre chez McCaffrey, Le Guin est au contraire une fine connaisseuse de la méthode scientifique, y compris là où sa mise en œuvre est la plus subtile et la plus délicate, au cœur des sciences humaines et sociales, comme en témoigne par exemple Les Dépossédés. Il n’est sans doute pas innocent que la principale originalité de son savant fou réside dans sa profession de psychiatre, plutôt que de spécialiste des sciences « dures » comme la plupart de ses confrères : Haber apparaît plutôt comme un anti-modèle de scientifique, de médiocre spécialiste de sciences « molles » aveuglé par le wishful thinking, l’erreur classique de prendre ses désirs pour des réalités, que réifie ici le pouvoir d’Orr.

Plus discret, enfin, le point de vue d’Heather Lelache n’est pas le moins intéressant. Femme et noire dans un monde d’hommes blancs, celle-ci revendique, au contraire d’Orr, une identité forte — tout sauf une surprise, tant les problématiques du genre et de la race sont aussi au cœur de l’œuvre de Le Guin, comme des luttes d’émancipation de l’époque. Irréductiblement définie par ces caractéristiques, Heather disparaît purement et simplement des réalités dans lesquelles George a résolu la question raciale en rendant les humains uniformément gris.

Pouvant se lire aussi pour le pur plaisir dickien du vertige métaphysique, L’autre côté du rêve apparaît comme un contre-point utile au cycle de « l’Ekumen », tout à la gloire de l’anthropologie, et témoigne de la subtilité du rapport d’Ursula K. Le Guin à la science, donc à la science-fiction. A recommander sans réserve au lecteur averti.

LoveStar

Les romans islandais à paraître en français ne sont pas légion. Les récits de science-fiction islandais le sont encore moins. Voilà deux bonnes raisons pour se pencher sur LoveStar, premier roman d’Andri Snær Magnason.

LoveStar, c’est une multinationale, équivalent islandais des géants de l’informatique actuels comme Google, Facebook ou Apple. LoveStar, c’est surtout son fondateur, individu dont les idées ont révolutionné le monde : une nouvelle méthode de transmission des données basée sur les ondes des oiseaux, qui rend obsolète les moyens électroniques conventionnels ; ReGret, qui vous épargne les remords en prophétisant votre mort, voire la fin du monde, si vous n’aviez fait tel ou tel choix ; LoveMort, qui se propose d’envoyer les corps des défunts dans l’espace et de les faire se consumer dans l’atmosphère ; inLove, qui se charge de calculer quelle personne sur Terre est votre âme-sœur… etc. LoveStar est presque un dieu, et son prochain service se penche sur la question de la divinité, justement. Mais l’omniprésence de LoveStar n’est pas forcément du goût de tous, comme Indri?i et Si-gri?ur, un jeune couple follement amoureux, sûrement un peu niaiseux. Indri?i et Sigri?ur sont faits l’un pour l’autre, ils n’en doutent pas. Jusqu’à ce qu’inLove annonce à Sigri?ur que sa véritable âme-sœur est un Danois du nom de Per Møller. Le couple va tout faire pour lutter contre le calcul d’inLove, quand bien même le sort — ou plutôt les services de LoveStar — semble s’acharner contre Indri?i. Quant à LoveStar, il a déjà se-mé les graines de sa propre destruction…

« Rien n’arrête une idée » : avec LoveStar et son personnage-titre, qui préfère mettre au point une idée, aussi mauvaise soit-elle, avant que quelqu’un d’autre s’en empare, Andri Snær Magnason questionne fins et moyens dans une société hyper-technologique, miroir à peine déformé de la nôtre. Non sans humour, tragédie et fantaisie. Fantaisie, c’est le terme qui convient : l’amateur de hard science ou d’anticipation sociale en sera sûrement pour ses frais. Plus qu’un roman de science-fiction, où la partie science serait aussi légère qu’aventureuse (voire, disons, poétique), LoveStar rappelle par moment l’inventivité sans bornes à l’œuvre dans les romans de Boris Vian. De fait, le roman fourmille d’idées, mais laisse parfois l’histoire à la traîne : la romance contrariée entre Indri?i et Sigri?ur est racontée avec une nonchalance un tantinet dommageable, et l’on pourra trouver la résolution de l’intrigue entourant inLove peu convaincante. Il n’empêche : LoveStar demeure d’une lecture distrayante. Lecteurs de Baxter ou Egan, passez votre chemin. Amateurs de curiosités, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Le Cercle de Farthing

Après le très acclamé Morwenna, Le Cercle de Farthing est le deuxième roman de Jo Walton à paraître en français — bien qu’ayant été écrit avant Morwenna. Rappelons à toutes fins utiles que l’auteure a déjà une bibliographie forte de onze romans, le dernier en date, The Just City, étant paru en début d’année.

Le Cercle de Farthing initie donc la trilogie du « Subtil changement » ; en anglais, « Small Change », ce qui se traduit aussi par « petite monnaie ». Et justement : avant sa démonétisation en 1960, un farthing valait un quart de penny — c’est-à-dire pas grand-chose. Le présent roman se déroule quant à lui en 1949, dans une Angleterre qui n’est pas la nôtre. Huit ans plus tôt, après le vol de Rudolf Hess en Angleterre, une paix dans l’honneur a été signée entre le Royaume Uni et le Troisième Reich. Cela, grâce à un groupe de jeunes politiciens, surnommé le « cercle de Farthing », d’après le nom d’un domaine situé dans le sud de l’Angleterre. Le principal artisan britannique de cette paix est un jeune homme plein d’avenir, Sir James Thirkie, que beaucoup imaginent accéder au poste de Premier Ministre. Mais Thirkie ne va rien devenir du tout : il est assassiné à Farthing, lors d’une réunion du cercle. Sur son corps, une étoile jaune ensanglantée. Les soupçons se portent aussitôt sur David Kahn. Parce que celui-ci est juif et présent au domaine lors du crime. Une présence expliquée par le fait qu’il est marié à Lucy Eversley. Lucy, fille des châtelains de Farthing, a fait fi des conventions et a épousé David par amour et non par intérêt. L’inspecteur Carmichael, de Scotland Yard, se retrouve chargé de l’enquête, qui s’avère plus complexe que prévue. Nombreux sont ceux à avoir intérêt à ce que Kahn soit inculpé, quand bien même cet homme ne possède aucun motif. Mais les événements se mettent en branle à un tout autre niveau : bientôt, Mark Norman-by, le meilleur ami de feu Thirkie, est désigné Premier Ministre et s’empresse de promettre des mesures drastiques pour faire régner l’ordre…

Si Le Cercle de Farthing, par son aspect uchronique (peu mis en avant), évoque le très bon Fatherland de Robert Harris, ou l’excellent La Séparation de Christopher Priest, il commence cependant comme un épisode de Downtown Abbey ou un roman d’Agatha Christie : un meurtre dans la haute société anglaise, les rapports entre aristocrates et domestiques, une galerie de suspects ayant tous intérêt au décès de Sir James Thirkie. Le whodunit s’estompe vite toutefois : la portée politique de ce crime pèse lourd, dans cette Angleterre divergente où les préjugés antisémites, anti-communistes et homophobes sont forts — rien d’anormal pour l’époque, certes. Mais le contexte européen exacerbe les choses. Et il se pourrait bien que le meurtre de Thirkie ne soit pas une fin mais un moyen. Car ce qui a débuté comme un simple crime commis entre gens de la bonne société a des implications bien plus profondes, et dangereuses. Alternant le récit entre les points de vue de Lucy Kahn, jeune femme portant un regard lucide sur le monde dans lequel elle évolue, où le vernis noble dissimule à peine le sordide, et Carmichael, l’inspecteur intègre, Jo Walton tisse une intrigue implacable où, par lâcheté, aveuglement, opportunisme, compromission, l’on en vient à abdiquer les libertés individuelles.

Les thèmes abordés et l’écriture subtile de Jo Walton font du Cercle de Farthing une indéniable réussite. Paru en 2006, le roman demeure de toute actualité en nos temps troublés. Autant dire qu’on attend avec impatience Ha’Penny et Half a crown, les deux volumes suivants du « Subtil changement ».

Celle qui a tous les dons

A l’automne dernier sont parus plusieurs romans mettant en scène des zombies tâchant de donner un peu de sang frais (ha ! ha !) à un genre qui en a bien besoin : citons Zombie Ball de Paolo Bacigalupi au Diable vauvert, L’Education de Stony Mayhall de Daryl Gregory au Bélial’, Déchirés de Peter Stenson chez Super 8, Le Jour les zombies ont dévoré le Père Noël de S.G. Browne chez Mirobole… Et donc le présent roman de M. R. Carey, qui s’inscrit dans cette mouvance de romans de zombies originaux.

« Celle qui a tous les dons » est, en grec ancien, une traduction du nom Pandore. Celle qui a libéré tous les maux sur l’humanité est aussi le personnage mythologique favori de Melanie, une élève plutôt douée. Surdouée, même. Intelligente, excellente en math, dotée d’une mémoire sans faille… Et qui, à l’instar de ses camarades de classe, passe ses journées de cours fermement sanglée à un fauteuil. Car, selon Caldwell, la directrice de l’établissement, Melanie et ses condisciples n’ont rien d’humains. Ce sont des « affams ». Autrement dit, des zombies. Vingt ans plus tôt, une variété de champignon qui parasite le système nerveux des fourmis a franchi la barrière des espèces et s’est attaquée aux humains. Les individus contaminés se sont transformés en brutes affamées de chair fraiche, transmettant ainsi le parasite. Mais des enfants sont nés de parents malades, et quoique parasités eux aussi, se sont révélés capables d’apprentissage. Helen Justineau, qui donne des cours aux jeunes affams, est persuadée de leur humanité, et s’est prise d’affection pour Melanie. Le jour où le centre est mis à sac par des pillards, ils sont cinq à pouvoir s’enfuir : deux militaires, Caldwell, Justineau… et Melanie.

Sans déroger aux conventions ni aux passages obligés du genre zombie, Celle qui a tous les dons raconte donc leur traversée d’une Angleterre dévastée, où le danger provient aussi bien des affams que des humains non parasités. Voire au sein du petit groupe lui-même. Divisé en chapitres courts, le roman ménage un suspense plutôt haletant, où les flambées de violence sont d’autant plus efficaces que rares, et n’omet pas de questionner l’humanité de ses personnages. Entre Caldwell, désireuse de disséquer le cerveau de Mela-nie pour comprendre le fonctionnement du champignon chez les affams, et la fillette, qui prend peu à peu conscience de sa nature monstrueuse et tente de contrôler des élans sanguinaires irrépressibles, qui est le plus inhumain ? Entre le sergent Parks, survivaliste résolu, et Justineau, la bonté incarnée, qui est le plus apte à survivre ? Avec adresse, Carey évite tout manichéisme. La grande force de Celle qui a tous les dons est bien sûr le personnage de Melanie, troublante fillette en qui réside, peut-être, un espoir pour l’humanité. Pas tout à fait la même dimension messianique que le Stony Mayhall de Daryl Gregory, mais pas loin. Et la conclusion du roman n’est pas sans rappeler celle de Je suis une légende de Richard Matheson. Sans foncièrement réinventer la figure du zombie, Celle qui a tous les dons demeure un page-turner plus intelligent que la moyenne, et que l’on conseillera sans hésiter, même à ceux que les zombies laissent froids.

Scories

Etonnant objet que cette anthologie : une couverture minimaliste, voire austère, une quatrième de couverture pour le moins laconique (« un recueil de neuf nouvelles autour du thème des ordures, décharges et insalubrités »), aucune préface. Le lecteur y entre donc en ne connaissant que le nom de l’anthologiste, Merlin Jacquet-Makowka, et celui des auteurs convoqués, pour la plupart de glorieux inconnus. Histoire de mieux se concentrer sur les récits proposés ?

On commence avec un texte au titre bizarre (encore !), « M.T.P.L.[i]. », de Jean Barbelle : dans une ambiance gothique, le directeur d’un hôpital psychiatrique pour enfants inadaptés tente en toute discrétion de faire le jour sur un meurtre commis dans son établissement, alors qu’il en est en partie responsable. Ioana Alexandru, avec « De Stercore Enni », nous livre un texte poétique dont la morale invite à penser que même au sein des immondices on peut trouver la splendeur. Dans « Pourrissoir », de Gabriel Vidal, un homme passé à tabac gît, à l’article de la mort, dans une décharge, lorsqu’une fillette vient le narguer… D’une grande cruauté. « La Resserre », d’Alexis Flamand, est un texte lovecraftien. Un homme nettoie la maison de son grand-oncle décédé afin de la vendre ; il débarrasse la resserre, pleine à craquer de souvenirs, de fond en comble… si bien sûr il y a un fond. Dans une Europe ravagée par l’explosion d’une centrale nucléaire, le quotidien d’un homme chargé d’entretenir la seule lueur d’espoir… (« Les Belles dames », de Véronique Pingault). Entre virtualité et ville-décharge, une enquête policière sur fond de musique (« Inachevée », Christian Fontan). « Le Comte de la cave », de Stéphanie Courteille, semble un cauchemar inracontable tout droit tiré de Lewis Carroll. Dans « De Profundis », de Jean-Christophe Heckers, une étrange expédition du futur est chargée de baliser le terrain dans un très vieux bâtiment d’archive, mais déclenche accidentellement la montée d’une marée d’excréments. Pour finir, dans « Douât », Mathieu Rivero nous raconte la quête de sens d’un homme qui n’accepte pas de vivre indéfiniment dans des Limbes particulièrement lénifiants.

Concevoir une anthologie autour des « scories » n’est pas sans risque, car le terme peut parfaitement être pris au sens propre (si l’on ose dire) de déchet, rebut, détritus… ou au sens figuré, comme par exemple une personne qui incarnerait la lie de l’humanité. Les différentes acceptations du terme auraient ainsi pu conduire à des textes forts disparates. Or, on constate ici, non sans une once d’étonnement, qu’il n’en est rien : le recueil s’avère d’une homogénéité remarquable, produit d’une direction d’ouvrage efficace. Sans être inoubliables, les textes sont d’un niveau très correct, et se lisent sans autre déplaisir que l’odeur parfois nauséabonde qui s’en dégage. Les angles d’attaque choisis par les différents auteurs pour traiter du thème imposé sont parfois surprenants, et l’on sent une volonté permanente de projeter le lecteur dans des eaux troubles où ses certitudes s’effacent, où les notions du beau et du sordide deviennent aléatoires, un sentiment ambigu entretenu par la volonté quasi systématique de ne pas ancrer les textes dans un espace et un lieu trop évident : même si certaines histoires sont clairement situées dans notre futur, l’environnement reste flou la plupart du temps. Globalement plutôt sombre, la thématique est parfois rehaussée de touches de poésie ou d’humour noir. Et l’ensemble est plutôt bien écrit.

Au final, voici une anthologie extrêmement originale passée assez inaperçue (la faute, sans doute, à une diffusion de l’éditeur, quasi inexistante, y compris sur Amazon et Fnac.com — on tâchera de pêcher quelques infos par ici : www.editions-hydromel.com) qu’il serait dommage de négliger tant elle propose un ensemble de textes intéressants, et l’occasion de découvrir une poignée d’auteurs qu’on aura plaisir à retrouver au gré de futures anthologies ou numéros de revues…

Clameurs - portraits voltés

Ce n’est pas aux lecteurs habituels de Bifrost qu’on apprendra que Richard Comballot s’est fait une spécialité des entretiens-fleuves auxquels les auteurs réchappent exténués (ils ne savent pas encore que la relecture de la retranscription de l’entretien prendra autant de temps que celui-ci). Après Voix du futur en 2010 aux Moutons électriques, c’est au tour de la Volte de nous proposer un volume de ces confidences d’écrivains. Avec une particularité : Clameurs - Portraits voltés est totalement consacré aux auteurs maison afin de fêter comme il se doit les dix ans d’existence de la Volte. A tout seigneur tout honneur, puisque c’est Alain Damasio qui ouvre le bal, expliquant qu’il voit la littérature comme un combat qui doit en permanence viser à changer le lecteur. L’énergie dégagée au long de ces quatre-vingt (!) pages est impressionnante. Viennent ensuite Stéphane Beauverger, qui explore les liens entre l’écriture de romans et celle de jeux vidéo, industrie dans laquelle il a fait ses premières armes ; Jacques Barbéri et son expérimentation permanente, des écritures collectives (Limite) à la musique (jazz) en passant par ses tentatives dans le milieu de l’audiovisuel ; Emmanuel Jouanne, ses envies de liberté, sa conception de la SF comme « littérature absolue », son rapport au style ; Philippe Curval, qui joue le rôle du père fondateur de la SF française au travers d’une retranscription qui sonne davantage comme une autobiographie très écrite ; David Calvo, son travail dans le jeu vidéo (lui aussi), son amour des trucs déglingos et sa volonté de se repenser entièrement comme auteur en plein milieu de sa carrière ; et enfin Léo Henry, sa fascination pour les jeux littéraires et les « écrivains pour écrivains », et sa fructueuse collaboration avec le regretté Jacques Mucchielli.

Ces entretiens s’avèrent passionnants, grâce avant tout au travail de fourmi du maître de cérémonie : on sent que Richard Comballot a énormément bossé en amont, analysant les livres de l’interviewé et ses déclarations passées. Après quoi, selon un canevas assez reproductible, il pose d’abord des questions biographiques, notamment sur la jeunesse de son sujet, avant d’aborder titre à titre les œuvres publiées, puis en encourageant l’écrivain à faire la synthèse des thématiques qui traversent sa carrière et, enfin, évoquer le futur et les projets envisagés.

Si chaque entretien a un intérêt évident à titre individuel, la juxtaposition des différentes retranscriptions est également riche de sens, car elle permet au lecteur de comparer les rapports différents qu’entretiennent les auteurs à la littérature en général et à leur propre œuvre en particulier : il y a les instinctifs, les cérébraux, ceux qui se sentent le devoir de faire progresser leur lectorat, ceux qui écrivent avant tout pour eux-mêmes… Le lecteur pourra également s’amuser à trouver des points communs entre plusieurs écrivains, comme par exemple leur amour de la littérature de genre (s’ils écrivent tous de la science-fiction, ce n’est pas innocent), leur rapport à la solitude, leur refus de l’enracinement, une exigence formelle assez forte…

Trois de ces entretiens (Damasio, Beauverger, Calvo) sont inédits ; non limités par les contingences de la publication en revue, ils sont globalement plus longs et permettent d’aborder davantage en profondeur la biographie et la manière de fonctionner de leurs auteurs. A ce titre, on regrettera la relative brièveté de l’interview d’Emmanuel Jouanne, qu’on devine guère enclin à s’étendre sur son œuvre et sa vie, et qui, de fait, pâlit un peu de la comparaison avec ses confrères, alors que ses livres laissent présager davantage de matière quant aux considérations personnelles.

Enfin, de par le mélange de grand ancien (Curval), d’auteurs ayant débuté dans les années 80 (Barbéri, Jouanne) et d’autres ayant une carrière d’une quinzaine d’années au maximum (Damasio, Beauverger, Calvo, Henry) s’esquisse au fil des pages le profil d’un genre au cours des dernières décennies, entre la créativité exacerbée du début, la montée en maturité dans le fond comme dans la forme, la récession des années 90 et le renouveau des années 2000…

Au final, Clameurs - Portraits voltés propose une plongée particulièrement immersive dans l’œuvre et la vie de sept auteurs de la Volte, plongée qui finit par dresser en creux le panorama de la SF en France au cours des cinquante dernières années, champ en perpétuel mouvement dans lequel chacun de ces auteurs a sa place.

La Fabrique d'absolu

1er janvier 1943. L’industriel Bondy lit dans le journal une étrange annonce : « Découverte très lucrative, intéressant toute usine, à céder de suite pour motifs personnels. » Curieux, l’homme d’affaires se rend à l’adresse indiquée et y retrouve un ami depuis longtemps perdu de vue, l’ingénieur Ruda Marek. Celui-ci, à la fois exalté et abattu, a mis au point le Carburateur, un appareil révolutionnaire qui tire le maximum d’énergie d’un minimum de matière. En désagrégeant l’atome, il libère une formidable puissance du moindre électron. Une livre de charbons peut ainsi alimenter une usine durant des semaines.

Seulement il y a un hic. La matière ainsi pulvérisée met au jour le divin qui y est enfermé puisque, comme chacun sait, Dieu est présent jusque dans la plus infime partie de sa création. Dieu devient un « sous-produit (…) sous une forme chimique parfaitement pure. » L’Absolu va bientôt se répandre. A son contact, toute personne est touchée par la grâce, se livre à un altruisme universel qui lui fait donner tous ses biens aux pauvres. La mystique plonge dans l’extase l’esprit sain. Au fur et à mesure l’effet augmente, occasionnant des prophéties qui se révèlent toutes exactes. Suivent très vite des miracles. L’Absolu est-il une force aveugle, ou Dieu voulant détruire sa création afin de retrouver le calme du commencement ?

Karel Capek avoine large dans cette satire à la fois drôle et implacable. Chacun en prend pour son grade. Ainsi des athées qui n’adhèrent qu’à des valeurs matérielles. Suivent les différentes religions, bien embêtées que leur pouvoir terrestre soit confronté à la puissance céleste : « Ni les croyants, ni les athées, ne peuvent avoir besoin d’un Dieu existant et agissant réellement. » Particulièrement visée, l’église catholique convoque le divin devant une « commission de déification » qui a tout l’air d’un procès : « Messieurs, ne croyez pas, je vous en conjure, que l’Eglise fait pénétrer Dieu dans le monde. L’Eglise ne fait que le contenir et le canaliser. » La science n’est pas non plus épargnée, qui s’échine à rendre l’Absolu compatible avec la théorie de la relativité. Sans parler du communisme qui par un tour de passe-passe dialectique s’approprie « L’Ouvrier infini ». Capek s’en prend à tous, jusqu’au paysan tchèque dont l’âpreté au gain et l’individualisme terre à terre assure sa survie et celle des gens qui sont prêts à le payer.

Cela, en première lecture. Plus étrange est l’adéquation entre la forme et le fond qui aboutit à une dimension pour le coup prophétique. Sachant que l’ouvrage date de 1922, et que Capek est mort en 1938, on ne peut qu’être admiratif de ses trouvailles, tel le nouvel évangile transmis par radio-télégraphe permettant sa discussion instantanée, qui a des airs d’Internet. Quant au monde décrit, il est semblable au nôtre d’une manière inquiétante : attaque des Etats-Unis par la flotte japonaise, effondrement bancaire, troubles sociaux, crise mondiale, déchirement de la communauté musulmane entre sunnites et chiites à propos du nouveau Califat ( !)…

La Fabrique d’Absolu assure le lien entre R.U.R. (1920) et La Guerre des salamandres (1936). Le récit adopte la même structure ternaire : 1) nouveauté qui apparaît tout d’abord comme bénéfique ; 2) conséquences inattendues entraînant une prolifération et un embrasement total ; 3) effondrement. De même que dans R.U.R, le salut d’une minorité viendra par le choix de l’isolement, du retour à la nature, à ceci près que R.U.R offrait l’espoir d’un nouveau commencement, tandis que La Fabrique d’Absolu s’achève sur un monde à bout de souffle et frappé de bêtise.

Dans son traitement, le récit offre une sorte de régionalisme à valeur universelle, un peu comme Marcel Aymé, et rappelle souvent dans sa note humoristique un autre ouvrage de Capek : L’Année du jardinier (1929). Relevons enfin l’étonnante audace narrative du chapitre 13, qui voit Capek s’adresser au lecteur et congédier tous ses personnages pour s’intéresser au devenir collectif.

Le volume, un joli format poche, reprend l’édition de 1999 déjà dirigée par Ibolya Virag. Un avertissement en fin de volume justifie la révision de traduction, puisque l’originale de 1945 avait francisé les noms afin de centrer l’action chez nous. Enfin, le texte de Karel Capek est tel que dans sa parution initiale, illustré par son frère Josef. Un apport sans doublon mais au contraire complémentaire. Preuve une nouvelle fois de la complicité qui existait entre eux, en témoigne l’anecdote maintenant historique : c’est bien Josef qui, pour R.U.R, avait suggéré à Karel l’emploi du terme « robot », à la fortune qu’on sait…

L'Adjacent

L’Adjacent est un joyau dont la forme et le fond se répondent, un polyèdre de coordination qui repose sur ses ligands. Autrement dit, en cristallographie, des éléments permettant la liaison, correspondant dans le roman aux différentes parties.

Le premier récit, « RIGB », semble être la facette centrale puisque toutes les autres histoires y renvoient, par réflexions directes ou images déformées. Dans un futur proche, la moitié de l’Europe est devenue inhabitable. Seules quelques rares bandes de zones tempérées demeurent dans les hémisphères nord et sud. Tibor Tarent, photographe, a perdu sa compagne Melanie en Anatolie orientale. Elle semble avoir été annihilée par une arme d’un nouveau genre qui a laissé au sol un triangle parfait de terre noircie. Tibor rejoint le Califat occidental de la République Islamique de Grande-Bretagne et se retrouve plus ou moins mis au secret. Cette première facette du récit se reflète dans, ou réfléchit, les parties « La ferme Wayne », « Le Sussex de l’Est », « La chambre froide » et « Le retour ». Il n’y a toutefois pas de correspondances parfaites entre les différentes faces narratives puisque l’on y décèle des « crapauds » comme on le dirait en joaillerie, des imperfections dans la trame des événements.

Une deuxième série de ligands est constituée par les deux récits de guerre : « La rue des bêtes » et « Tealby Moor ». Le premier, à l’amorce qui renvoie par reflet au début de « RIGB » se déroule en 1916. Durant un long voyage en train qui leur fait traverser une France meurtrie par la guerre, l’illusion-niste Thomas Trent fait connaissance avec le célèbre H.G. Wells. Les talents de chacun sont réclamés par l’effort de guerre. Trent évoque « l’adjacence » comme une illusion de music-hall, tandis que l’appareillage mis au point par Wells ne paraît pas convaincre mais trouve son effectivité dans une autre partie du roman, et donc sur une autre face de la réalité : « Le Sussex de l’Est ». La structure en ligands du roman permet ainsi de passer d’un récit à l’autre, le squadron 17 de « La rue des bêtes » annonce le squadron 148 de « Tealby Moor » cette fois-ci engagé en 1943 dans le second conflit mondial. Torrance, mécanicien d’avion, connaîtra un début de romance avec la pilote Krystyna Roszca avant qu’elle ne disparaisse.

Celle-ci paraît se refléter dans le personnage de Kirstenya, personnage du troisième ligand centré sur « Prachous », récit se déroulant dans l’univers de L’Archipel du rêve. Il y est aussi question de l’illusionniste Tomak Tallant, l’une des faces du polyèdre constitué par Tarrant, Torrance etc. dont l’équivalent féminin se décline en facettes Melanie, Malina et Mallin.

On l’aura compris, présenter sous forme linéaire une œuvre constituée de facettes équivaut à photographier un cristal. On ne capture que quelques surfaces planes d’un objet à plusieurs dimensions, qui plus est transparentes, dont les reflets se mêlent ou s’annulent par déformation prismatique. Bayswater et Notting Hill paraissent être dans tous les récits des attracteurs de changements. Adjacente est une île dans « Prachous », tout comme l’île de Cahthinn qui renvoie au massacre des officiers polonais à Katyn par les forces soviétiques évoqué dans « Tealby Moor ». L’île d’Adjacente fait écho au phénomène d’adjacence décliné dans différents récits. D’abord un point de lumière en hauteur qui se fragmente en trois directions avant de frapper le sol en un « téraèdre d’annihilation quantique » dans « Le Sussex de l’Est ». En reconstituant l’origine du phénomène à travers les différentes lignes narratives, contradictoires, il paraît être le fait de Thijs Rietveld, un universitaire, spécialisé dans la physique théorique, notamment « le champ adjacent perturbatif » qui permet le déplacement vers des dimensions quantiques voisines.

De fait, Priest alterne les facettes d’un récit à la fois identique et changeant. La trame narrative est constamment modifiée par différents procédés : changements internes dans une même durée, superposition d’événements, déroulements compossibles, présences alternatives.

Mieux, L’Adjacent est comme un bijou taillé par le romancier pour refléter les différentes facettes de son œuvre. H. G. Wells, référence majeure du Priest écrivain et lecteur, renvoie à La Machine à explorer l’espace, mais aussi dans son inspiration aux très belles nouvelles « L’Eté de l’infini » et « Et j’erre solitaire et pâle ». Les présences évanescentes de certains personnages font nécessairement penser au Glamour. Le chef d’escadron Sawyer qui apparaît dans « Tealby Moor » est l’un des héros de La Séparation. « La rue des bêtes » et « Prachous » font référence non pas au Prestige, mais à ce qui a motivé l’écriture du roman, tel que Priest le raconte dans Magie, histoire d’un film. Dans « La chambre froide », il est question de la tempête Graham Greene. « Je n’ai jamais rien lu de Graham Greene », déclare le héros avant de se reprendre, cela quand on sait l’admiration que lui voue Priest, notamment pour son autobiographie, Une sorte de vie.

L’Adjacent s’impose ainsi comme le roman de la coordinence, dans son économie interne et par réflexion d’une vie entièrement dévolue à l’écriture. Il ravira les lecteurs de Priest mais ne constitue donc pas forcément la meilleure entrée pour découvrir son œuvre.

Reste, cependant, quelle que soit la vision du prisme, une magnifique histoire d’amour, probablement l’un des récits les plus touchants de Priest, admirable et prenant jusqu’à son extrême conclusion.

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