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Lone Sloane

Lone Sloane, le héros aux yeux rouges de Philippe Druillet, est de retour dans une nouvelle aventure, Delirius 2 – l'occasion de retrouver sur le blog l'article qui lui a été consacré dans le Bifrost 22 !

Black Room

À première vue, ce roman de Colin Wilson (qui date de 1971) pourrait sembler démodé puisque l’action se situe pendant la guerre froide, mais à mesure que l’on avance dans sa lecture, on constate qu’il continue de coller à la réalité psychopathologique de l’époque merveilleuse que nous vivons. Sur le plan historique, il abonde en détails vrais qui n’ont pas pris une ride, car si le tonneau est resté le même, seules les bondes politique ont changé.

Une équipe d’agents secrets et de scientifiques expérimentent dans le Royaume-Uni le comportement psychologique de cobayes volontaires dans un chambre noire, lieu a-géométrique où les dimensions logiques sont abolies et où l’homme expérimental peut, éventuellement, se dépasser. Dans cette chambre sans évasion, l’individu testé est censé vivre les différents stades de son évolution psychique/mentale, afin de pénétrer dans les domaines frontaliers de la conscience.

En fait, l’aspect roman d’espionnage sophistiqué (qui existe formellement comme dans certains livres de Le Carré ou de Follett) apparaît transcendé-gommé par la dimension paranoïde de l’espionnage/espionnite.

Le personnage central, Kit Butler, consomme, comme dans d’autres romans de Wilson, un certain nombre de femmes, celles-ci étant à l’occasion autant de clés ouvrant les portes de la perception et participant à l’excitation (réelle) du voyage expérimental.

En de nombreux détails, le thème interfère avec des éléments fantastique ou/et de la science-fiction, puisque le protagoniste traverse aussi — comme en une succession de jeux de miroirs — des pays alors encore sublimés par une politique abstraite, de l’Europe de l’Ouest autant que de l’Est, qu’une vision toujours paradoxale transforme en autant de lieux impossibles (Prague, un lac écossais) quand il n’erre pas dans un formidable labyrinthe de verre. Wilson ressuscite également, projeté au-delà de ses rêves les plus fous, un avatar de pseudo-philosophe nazi plus grand que nature et des agents soviétiques d’une démence réjouissante… avant de bloquer brutalement son action dans un intermonde glacial et improbable. Le livre fait sauter les verrous d’un genre finalement restreint où surnagent avec Wilson des noms connus : Le Carré, Littell, Deighton, Follett…

Roman hystérique de la folie meurtrière et du délire paranoïaque, Black Room ne doit pas être oublié sous le prétexte que le monde qu’il évoque a vécu.

La Fiancée du dieu-rat

Hollywood, du temps du cinéma muet. Chrysandra Flamande croque la vie à pleines dents ; star capricieuse, éternellement accompagnée de ses trois pékinois, elle enchaîne les films et les conquêtes masculines, à un tel rythme que seuls l'alcool et la drogue lui permettent de tenir. Dans son ombre, sa belle-soeur, Norah Blackstone — veuve depuis que son mari est mort à la guerre —, qu'elle a ramenée de Manchester où elle se morfondait. Hormis les dépendances de Chris, tout pourrait aller bien dans le meilleur des mondes. Malheureusement, une nuit, un jeune cascadeur éphèbe est tué ; son amant, un acteur vieillissant, disparaît. Ce n'est que le point de départ d'un enchaînement de drames, dont l'origine sera peu à peu dévoilée (à ce propos, on ne pourra que regretter le choix du titre, qui donne la clé de l'énigme alors qu'il faut attendre la page 160 du roman pour savoir quelle terrible menace pèse sur les protagonistes).

Ce thriller fantastique, par l'auteur qui nous avait donné Fendragon, superbe fantasy (et quelques novelisations Star Wars, car après tout il faut bien manger…), est marqué du sceau d'un humour omniprésent. Tout en décrivant de manière minutieuse et particulièrement réussie le milieu d'Hollywood dans les années 20 (on y croise Rudolph Valentino, Mary Pickford ou encore D.W. Griffith), Hambly ne se prive pas pour lancer quelques répliques assassines à propos de certains acteurs de l'époque, divas incapables d'être crédibles en tant qu'actrices, ou jeunes premiers au jeu aussi fin que celui d'un éléphant. Ce mélange de nostalgie (car certains prennent leur travail vraiment à coeur) et de sarcasme — cette profonde tendresse pour ses personnages, en somme — contribue à donner du charme au roman dans sa première partie, et heureusement, car le rythme est somme toute assez lent. Mais après tout, à l'époque, on tournait en 16 images par seconde, et non 24… Toujours est-il qu'ensuite le roman s'accélère, à mesure que la menace se fait plus précise. Et si l'on ne frissonne pas vraiment, si le roman ne ménage pas de grande surprise (ceux qu'on identifie comme des gentils au départ sont au final… gentils, idem pour les méchants), on se prend d'amitié pour la plupart des protagonistes, tous crédibles, tous humains, avec leurs failles et leurs espérances. Et l'on referme ce livre avec le sentiment d'avoir lu un ouvrage particulièrement délassant, pas un chef-d'oeuvre, non, mais bien plutôt une réussite mineure.

Visages volés

Lucian Yeardance, navigateur galactique accusé d'insubordination, est « placardisé » sur la planète Tezcatl, une colonie lointaine, un trou où il se voit chargé de l'administration du Sancorage, sorte de réserve abritant les malades de la muphormose, une lèpre sacrément répugnante… Entre dégoût, décrépitude morale et confrontation à une hiérarchie procédurière et pas claire, Yeardance découvre ses « malades », leur étrange culture ainsi que, comme il se doit, le secret que cache leur difformité…

Sans réelle actualité depuis des lustres, Michael Bishop, sans doute l'un des plus étonnants auteurs américains de sa génération, aux côtés de Michael Swanwick et Paul Di Filippo, nous arrive ce trimestre avec une novella chez Denoël (« Apartheid, supercordes et Mordecai Thubana » dans Les Continents perdus) et ce roman inédit chez Folio « SF ». Bref, de quoi soulever l'enthousiasme… Sauf que si sa novella dans l'anthologie « Lunes d'encre » convainc, il n'en est pas de même de ce roman. En fait, on en ressort même assez remonté contre l'éditeur. En effet, si on ne peut que saluer l'initiative de publier Bishop, écrivain essentiel, en inédit poche qui plus est, on reste perplexe devant le choix de ce titre, deuxième roman de l'auteur (1977) pas inintéressant, certes, mais néanmoins quelque peu laborieux (en dépit d'un retournement final saisissant), sous la claire influence des maîtres de l'ethno-SF (Silverberg et Le Guin en tête) et pâtissant qui plus est d'une traduction qu'on qualifiera de médiocre, par respect pour notre collaborateur et ami Thibaud Eliroff… Oui, pourquoi ce roman plutôt que le brillantissime Brittle Innings (1994), ou bien encore No Enemy but Time, très touchante histoire d'un voyage temporel à l'époque de l'homo habilis en son temps (1982) saluée par un prix Nebula ? Certes, ces romans sont plus longs, et il faut sans doute voir ici un début d'explication (rapport au coût de traduction). Mais quoi… Si cette double publication roman/novella avait pour ambition de « réhabiliter » un auteur par chez nous méprisé de façon impardonnable, Visages volés manque d'ambition, de force, en un mot d'impact, pour une telle entreprise. Dommage, vraiment.

Vénus

Parce qu'il est richissime, fou furieux, passablement taré et mégalomane, Martin Humphries, magnat de l'industrie spatiale, décide d'offrir dix milliards de dollars à qui rapportera le corps de son fils aîné, mort au cours de la première mission d'exploration habitée de Vénus, l'une des planètes les plus hostiles du Système Solaire. Et parce que, décidément, Humphries est vraiment grave, il fait en sorte de contraindre son second fils, Van, qu'il a toujours considéré comme un mouton galeux, d'accepter cette mission pour le moins hasardeuse. D'autant que Van, qui n'a rien d'un aventurier, n'est pas seul sur le coup : Fuchs, mineur dans la Ceinture d'Astéroïdes, personnage énigmatique à mi-chemin entre les capitaines Achab et Némo, ruiné par Humphries et, de fait, ennemi acharné de ce dernier, compte bien remporter le gros lot. La course peut commencer, course qui, comme il se doit, réservera au lecteur son pesant de surprises et d'émotions.

Avec Vénus, Ben Bova, aussi connu outre-Atlantique pour son travail d'éditeur à la tête des revues aux couleurs hard science Omni et Analog, poursuit l'immense œuvre littéraire qu'il s'est fixée et qu'il a baptisée « Grand Tour », à savoir consacrer un roman (voire un cycle de romans) à chaque planète de notre système solaire. Ainsi, après Mars et Retour sur Mars (même éditeur et réédités en poche chez Pocket), voici que nous arrive Vénus, en attendant Jupiter, Saturne et Mercury (tous trois déjà publiés aux USA).

S'il fallait définir Ben Bova, le terme de « faiseur » lui conviendrait parfaitement. De fait, ouvrir l'un de ses bouquins, c'est presque toujours l'assurance de passer un bon moment de lecture au cœur d'une science-fiction efficace, scientifiquement étayée (l'auteur a un très sérieux bagage scientifique) mais pas rébarbative pour deux ronds. En revanche, ses personnages sont souvent d'une épaisseur proche du papier à rouler et ses intrigues, quoique bien menées, d'une simplicité au mieux redoutable, au pire transparente. Vénus ne déroge pas. Ce roman de pur divertissement fonctionne fort bien et se lit sans déplaisir (en dépit d'une traduction douteuse, pas rédhibitoire mais parfois lourdingue et empruntée). Pas un chef-d'œuvre du genre, loin de là, mais une science-fiction rythmée, imagée et dépaysante. C'est déjà pas si mal, aussi gageons que le livre devrait ravir l'amateur, pour peu que ce dernier aille au-delà de son caractère un tantinet caricatural.

Führer prime time

[Chronique commune à deux titres de la collection « novella SF » : Pax Americana et Führer prime time.]

Lancée en octobre 2004 avec deux titres signés Jérôme Leroy (Le Cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges) et Jean-Pierre Andrevon (De Vagues et de brume), « Novella SF » propose l'ambitieux programme d'une collection poche de textes de science-fiction courts (et politiquement engagés), exclusivement francophones, sous des couvertures exclusivement laides et à un prix frôlant celui d'un roman grand format (pas loin de 13 euros pour certains titres !)… Si l'amateur de nouvelles que nous sommes ne peut que saluer une entreprise visant à défendre les textes courts, un tel programme et surtout, à un tel prix, ne lassait pas de surprendre (sans parler de la qualité des textes, auprès desquels une partie de la rédaction de Bifrost a trouvé sans peine son Razzy de la pire nouvelle francophone de l'année). Aussi était on en droit de s'interroger sur la pérennité de semblable projet. Voici pourtant que nous arrivent les numéros 5 et 6 de la susnommée collection, signés par deux auteurs forts appréciés par chez nous, Roland C. Wagner et Johan Heliot.

Wagner, qu'on ne présente plus, est un auteur toujours remarquable, drôle, doté d'un sens de la satire aigu, qualités qui lui font souvent gratter là ou ça fait mal, le tout avec une légèreté des plus déconcertantes. Enfin quand il ne cède pas à l'un de ses travers les plus récurrents : celui du strict minimum… Au regard de la taille de son texte, le plus court jamais publié en « Novella SF », on pouvait craindre le pire. Il réussit pourtant la prouesse, en 80 pages rondement menées mais en aucun cas expédiées, de nous dépeindre un futur proche assez crédible où, faute de pétrole, l'Europe a dû s'adapter, quitte à régresser, alors que les USA, campés sur des réserves qui s'amenuisent désespérément, se sont refermés sur eux-mêmes en refusant de voir l'évidence. Une évidence qui, quand commence le récit, promet bien de leur péter à la gueule. D'autant que, à l'heure de la première visite officielle du président américain sur le Vieux Continent depuis des lustres, un attentat se prépare… Gouailleur, rigolo, optimiste (c'est rare) et surtout dénué de cynisme (encore plus rare !), Wagner livre ici, à partir d'un sujet grave et pour le moins brûlant, un divertissement malin et sympathique, en prise avec notre quotidien et sans autre ambition que de divertir, même si on y trouvera sans conteste matière à réflexion.

Il est amusant de constater que, si le bouquin de Wagner est dédié à Norman Spinrad, celui d'Heliot ne peut pas ne pas faire penser à Jack Barron et l'éternité, du même Spinrad. « Führer prime time », sous une couverture particulièrement putassière et dans un récit hyper-vitaminé, nous dépeint un futur où le pouvoir politique a définitivement abdiqué face aux médias, l'éthique face à l'audimat (un monde qui ressemble cruellement à celui d'aujourd'hui, en somme). Porté par une idée forte (une émission de télé ou les intervenants, des figures historiques, sont ramenés à la vie pour 48 heures grâce aux mystères du génie génétique — le bouquin s'ouvre ainsi sur un débat hallucinant entre Elvis et Hitler !), Heliot déroule son histoire avec rythme et maîtrise. Aussi jouissif que celui de Wagner, mais plus noir, le texte d'Heliot pêche parfois par manque de crédibilité (on peine à croire à ce personnage central totalement mou du genou qui se laisse porter par les événements du début à la fin) ou d'une peinture politique et sociale qui frise souvent la caricature. Mais on pardonne bien volontiers à l'auteur car, après tout, grossir le trait est le propre du pamphlet, ce qu'est finalement « Führer prime time ».

Au final, « Novella SF » propose ici deux textes souvent très drôles qui, sous des dehors ou un ton légers, se révèlent engagés et politiquement colorés. Pas de chef-d'œuvre, non, mais rien que du très lisible et recommandable. Pour peu qu'on soit prêt à débourser 10 euros pour une heure de lecture et des livres sympathiques mais moches à crever.

Pax Americana

[Chronique commune à deux titres de la collection « novella SF » : Pax Americana et Führer prime time.]

Lancée en octobre 2004 avec deux titres signés Jérôme Leroy (Le Cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges) et Jean-Pierre Andrevon (De Vagues et de brume), « Novella SF » propose l'ambitieux programme d'une collection poche de textes de science-fiction courts (et politiquement engagés), exclusivement francophones, sous des couvertures exclusivement laides et à un prix frôlant celui d'un roman grand format (pas loin de 13 euros pour certains titres !)… Si l'amateur de nouvelles que nous sommes ne peut que saluer une entreprise visant à défendre les textes courts, un tel programme et surtout, à un tel prix, ne lassait pas de surprendre (sans parler de la qualité des textes, auprès desquels une partie de la rédaction de Bifrost a trouvé sans peine son Razzy de la pire nouvelle francophone de l'année). Aussi était on en droit de s'interroger sur la pérennité de semblable projet. Voici pourtant que nous arrivent les numéros 5 et 6 de la susnommée collection, signés par deux auteurs forts appréciés par chez nous, Roland C. Wagner et Johan Heliot.

Wagner, qu'on ne présente plus, est un auteur toujours remarquable, drôle, doté d'un sens de la satire aigu, qualités qui lui font souvent gratter là ou ça fait mal, le tout avec une légèreté des plus déconcertantes. Enfin quand il ne cède pas à l'un de ses travers les plus récurrents : celui du strict minimum… Au regard de la taille de son texte, le plus court jamais publié en « Novella SF », on pouvait craindre le pire. Il réussit pourtant la prouesse, en 80 pages rondement menées mais en aucun cas expédiées, de nous dépeindre un futur proche assez crédible où, faute de pétrole, l'Europe a dû s'adapter, quitte à régresser, alors que les USA, campés sur des réserves qui s'amenuisent désespérément, se sont refermés sur eux-mêmes en refusant de voir l'évidence. Une évidence qui, quand commence le récit, promet bien de leur péter à la gueule. D'autant que, à l'heure de la première visite officielle du président américain sur le Vieux Continent depuis des lustres, un attentat se prépare… Gouailleur, rigolo, optimiste (c'est rare) et surtout dénué de cynisme (encore plus rare !), Wagner livre ici, à partir d'un sujet grave et pour le moins brûlant, un divertissement malin et sympathique, en prise avec notre quotidien et sans autre ambition que de divertir, même si on y trouvera sans conteste matière à réflexion.

Il est amusant de constater que, si le bouquin de Wagner est dédié à Norman Spinrad, celui d'Heliot ne peut pas ne pas faire penser à Jack Barron et l'éternité, du même Spinrad. « Führer prime time », sous une couverture particulièrement putassière et dans un récit hyper-vitaminé, nous dépeint un futur où le pouvoir politique a définitivement abdiqué face aux médias, l'éthique face à l'audimat (un monde qui ressemble cruellement à celui d'aujourd'hui, en somme). Porté par une idée forte (une émission de télé ou les intervenants, des figures historiques, sont ramenés à la vie pour 48 heures grâce aux mystères du génie génétique — le bouquin s'ouvre ainsi sur un débat hallucinant entre Elvis et Hitler !), Heliot déroule son histoire avec rythme et maîtrise. Aussi jouissif que celui de Wagner, mais plus noir, le texte d'Heliot pêche parfois par manque de crédibilité (on peine à croire à ce personnage central totalement mou du genou qui se laisse porter par les événements du début à la fin) ou d'une peinture politique et sociale qui frise souvent la caricature. Mais on pardonne bien volontiers à l'auteur car, après tout, grossir le trait est le propre du pamphlet, ce qu'est finalement « Führer prime time ».

Au final, « Novella SF » propose ici deux textes souvent très drôles qui, sous des dehors ou un ton légers, se révèlent engagés et politiquement colorés. Pas de chef-d'œuvre, non, mais rien que du très lisible et recommandable. Pour peu qu'on soit prêt à débourser 10 euros pour une heure de lecture et des livres sympathiques mais moches à crever.

Les continents perdus

Si la nouvelle, format roi des littératures de genre, se fit rare ces dernières années, tout spécialement concernant les recueils et anthologies d'auteurs étrangers, les choses ont évolué ces derniers mois — parcourir le volet critique du présent Bifrost suffira à nous en convaincre : un recueil et une anthologie inédits anglo-saxons sur le même trimestre, ce n'est pas rien. Tendance qui promet d'ailleurs de s'inscrire dans la durée, à en juger en tout cas par les programmes de quelques éditeurs (Chiang, Egan, Reynolds). Vivement…

Voici donc que nous arrivent en « Lunes d'encre » ces Continents perdus, cinq longs récits réunis par Thomas Day sous une superbe couverture signée Sparth. Passée une courte préface volontariste de l'anthologiste, ce qui ne surprendra personne, Walter Jon Williams ouvre le bal avec une novella uchronique axée sur Byron et le couple Shelley (encore !), dans un monde où l'auteur de Caïn ne l'est pas, justement, ayant embrassé une carrière militaire. Un Byron général, donc, artisan de la défaite de Napoléon à Waterloo, et dont l'amour pour l'ex-femme de l'empereur provoquera la perte. Si ce texte est servi par une écriture brillante, il n'en est pas moins d'une longueur éreintante. Il ne se passe rien, ou presque, et on a tôt fait de se lasser des relations du trio (quatuor en fait, puisque la jeune sœur de Mary est aussi de la partie), ainsi que de leur périple européen. Au final un texte brillant mais chiant, qui douche pas mal l'enthousiasme dès l'ouverture.

L'anglais Ian R. MacLeod, décidément fort en vue par chez-nous ces derniers temps (cf. la critique des Iles du Soleil chez Folio « SF » dans notre dernier opus, ainsi que sa nouvelle dans le Fiction n° 2 des Moutons électriques, chroniqué dans nos pages — qui s'en plaindra ?), nous embarque quant à lui au Groenland, en pleine seconde Guerre mondiale. Texte le plus court du volume, d'une facture classique qui n'est pas sans évoquer Lovecraft, sur le thème de l'enfermement, de l'isolement, géographique mais aussi intérieur, jusqu'à la folie, « Tirkiluk » est d'une efficacité glaciale à même de remettre le lecteur sur les rails après la relative déception du Walter Jon Williams.

Arrive Michael Bishop, formidable auteur américain scandaleusement peu traduit sous nos horizons (saluons ici l'initiative de Folio « SF », qui vient de publier Visages volés, troisième roman de Bishop traduit en France, et ce après pas loin de dix années d'un silence éditorial assourdissant), avec « Apartheid, supercordes et Mordecai Thubana », étonnant périple dans une Afrique du Sud comme il se doit odieuse. À suivre l'odyssée de Gerrit Myburgh, Blanc et heureux de l'être, qui va bientôt basculer dans une tout autre réalité après avoir percuté les fesses d'un éléphant au volant de sa Cadillac Eldorado, on ne peut qu'être saisi devant l'étonnante justesse d'écriture, de ton, de propos, l'étonnante classe, quoi, de l'auteur. Un texte dont on ressort en se disant que c'était certes long, mais très bon.

Pour la suite, pas de surprise : l'immense Lucius Shepard, avec « Le Train noir », livre un de ses textes énormes de vérité. De l'autre côté existe un pays étrange et fabuleux, terre d'asile de tous les cramés du monde, de tous ceux dont la place n'est pas ici, mais là-bas. Qu'est-il véritablement, et surtout, pourquoi est-il ? Avec « Le Train noir », l'auteur d'Aztechs signe l'une des plus belles nouvelles de ce sommaire décidément redoutable.

Enfin le texte de Geoff Ryman, anglais totalement inconnu sous nos longitudes, clôt le volume par un récit rien moins qu'hallucinant, l'histoire d'une jeune Cambodgienne fuyant la guerre dans une géographie orientale fantasmée. Récit époustouflant, volontiers abscons mais d'une beauté à faire frissonner, ce texte est une épiphanie, rien moins qu'un chef-d'œuvre qui hantera longtemps quiconque s'y risquera.

On l'aura compris, Les Continents perdus est un recueil de très haute volée qui monte en puissance au fil du sommaire. Parfois difficiles et exigeants, résolument pas science-fictifs pour un rond, souvent loin de l'idée qu'on peut se faire d'un certain sense of wonder et pariant sur l'intelligence de leur lecteur, les textes qui l'émaillent sont tous, au pire, d'un grand professionnalisme (Walter Jon Williams), quand ils ne tutoient pas sans vergogne le génial (Lucius Shepard, Geoff Ryman). Amateur de space opera débridé et autres trolleries dans les corridors, passe ton chemin. Lecteur curieux assoiffé de textes résolument humains, tu es ici chez toi. Une jolie réussite, doublée d'un rare courage éditorial, une ambition qui, par les temps qui courent, ressemble bien à une folie. Pareilles folies, nous, en Bifrosty, on adore…

Fountain Society

White Sands, Nouveau-Mexique, site militaire de Delta Range. Peter Jance, soixante-seize ans, est un brillant scientifique qui travaille sur un projet d'armement. Atteint d'un cancer incurable, convaincu par son épouse, le docteur Béatrice Jance qui travaille pour Frederick Wolfe, généticien et chirurgien de génie, Peter accepte que son cerveau soit transplanté sur un clone. La scène (pp. 93-99), bien écrite, vaut les descriptions chirurgicales de Bruce Sterling dans Le Feu sacré. Et après…

Et après…

Et après c'est du Wes Craven, qu'est-ce que tu crois, c'est ripoliné sur le bandeau rouge, va pas couiner que t'étais pas prévenu ! Le gars Wes, pas bégueule, ne peut résister au coup du cauchemar de la main couverte de boue qui surgit d'un carré de terre humide. Fin dialoguiste, il joue sur les différents registres. Ainsi de l'échange techno-thriller mongolien :

« Je voulais vous attirer ici afin de vous prévenir.

— De quoi ?

— Il vaut mieux que vous ne le sachiez pas. »

Ou des considérations neurogénétiques cyber popcorn financées par les éditions Harlequin : « Franchement, ce n'est pas parce que nous avons le même ADN que tu dois lire dans mes pensées ». Ça chie dans le cockpit, littéralement, même que le pilote se ruine sa combinaison anti-G, et on vide plusieurs fois son verre avant de commander une deuxième tournée. Les clones déconnent, les connes se font cloner au cas où il en manquerait pour tirer un coup et à la ligne, sans parler qu'on frémit aux menaces oulala : « Si vous continuez ainsi, je vous couperai les pouces et les gros doigts de pied. Comme ça, tout le reste de votre vie, vous marcherez comme un orang-outang ivre ».

La fin, je ne me rappelle plus, parce que je suis allé boire un verre de Banga.

Mais une chose est sûre, Wes, t'es grand. 'tain, après ton premier roman, tu devrais faire prophète pour les gros à masque de Scream.

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