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Alien, No Exit

De La Confrérie des mutilés à Père des mensonges, Brian Evenson a largement montré ses qualités d’auteur dérangeant. On soutiendra sans peine qu’il fait désormais partie des grandes plumes du roman contemporain anglo-saxon. Publiée fort logiquement chez « Lot49 » (collection hautement recommandable dont on s’enverrait bien l’intégralité du catalogue sans ciller), l’œuvre de cet ancien mormon (dont les démêlées avec son église sont connues — à tel point qu’il a dû renoncer à tout pour écrire) s’inscrit dans une logique critique implacable, où une violence sourde met peu à peu le lecteur mal à l’aise, malgré un humour noir assez détonnant. C’est donc avec une surprise teintée d’incrédulité qu’on découvre ce Alien, No Exit™, paru certes au Cherche Midi, mais pas dans la collection « Lot49 ». Après quelques pages, on s’aperçoit aussi que si la traductrice est restée la même, elle n’a pas dû bénéficier des services du même correcteur (ou alors saoul ?). Concordance des temps hasardeuse, structures des phrases pour le moins curieuses, on se dit que ce roman-là n’a pas forcément été considéré comme l’œuvre majeure de l’auteur. On craint même que le label Monstre-avec-des-dents n’ait quelque peu submergé les scrupules de l’éditeur, bien décidé à se faire du pognon quand même, parce que bon, y a pas de raison.

Bref, surpris, mais pas forcément consterné, le lecteur lit. Et là, oui, le lecteur est peu à peu mal à l’aise, mais pas pour les mêmes raisons. On s’attend en fait à une sorte de relecture métacritique de Alien, au sens de la conscience du monstre en tant qu’entité raisonnée dans un registre marxiste teinté de religiosité fallacieuse, bref, on s’attend à du Evenson, quoi, mais en fait, non, l’auteur aime Alien, et ça tombe bien, du Alien, il en a trois cents pages à fourguer. Bilan, une franchise. Une sorte de Star Wars™ sans intérêt, certes bien foutu, très pro, mais lamentable du début à la fin. Un machin qu’on s’attend à trouver sous le label Warhammer 40 000™, pas au Cherche Midi. L’histoire, vous y tenez vraiment ? Bon. Un chasseur d’Aliens estime être responsable du massacre de sa famille (il a tort, mais il souffre, et cette souffrance est importante, ça donne de la graisse au personnage). Comme il a du mal à s’en remettre (un peu comme Thomas Day, après avoir palpé l’à-valoir de Resident Evil™), il décide de se cryogéniser et de se réveiller dans super-longtemps, histoire d’oublier un peu. On le décryogénise, et, surprise, il se rend compte que, en fait, pour lui, c’est comme si sa famille était morte hier sous les coups de dents des monstres bien connus. Il continue à souffrir. Par désœuvrement, inconscience ou handicap mental, il accepte de jouer les experts sur une planète perdue que se disputent deux grosses multinationales très méchantes. Une attaque d’Aliens y a, paraît-il, eu lieu. Il s’y rend, découvre la mise en scène et se rend compte qu’il a mis le doigt dans… dans quoi ? Allez, dans un complot. Voilà. Jusque-là, c’est assez chiant. Heureusement, il y a une chouette scène de torture et, ah quand même, des attaques d’Aliens.

Bref, pour faire court, il faut vraiment être fan d’Alien pour aimer ce roman. Mais vraiment fan, hein, pas juste aimer le film de Ridley Scott pour son ambiance et son étrange beauté. Non non, il faut bouffer du Alien au petit déjeuner, avoir un mug Alien et boire des grandes chopes d’acide en se marrant avec les potes. Pour les autres, Alien, No Exit™ sera un peu court, au sens littéraire, s’entend.

Treis, altitude zéro

On avait apprécié Les Tours de Samarante, premier volume d’une trilogie dont Treis, altitude zéro est la partie centrale. Même si pénétrer dans l’univers âpre de Norbert Merjagnan est difficile, tant il est exigeant envers son lecteur : près de cent pages à devoir accepter de ne pas réellement comprendre où on va, qui on croise, ce qu’est ce monde. L’auteur semble dire à celui qui ouvre les pages de ses œuvres : découvrir mon univers n’est pas aisé, les phrases ne sont pas qu’un simple outil transparent, les mots ne sont pas interchangeables. Bref, écrire est un choix et lire un travail. Mais un travail plaisant. D’autant plus quand on a rongé son frein, quand on a suivi sans garantie autre que le choix d’un éditeur (remercions-le, d’ailleurs, de publier un nouvel auteur français de cette qualité) et que l’on découvre enfin l’architecture de cette société, les liens qui unissent les personnages.

En débutant Treis, altitude zéro, on se dit que la période d’adaptation est terminée. Que l’on va entrer directement dans l’histoire, sans le long sas du premier roman. Erreur ! Norbert Merjagnan nous ballotte à nouveau sur des sentiers dont il ne révèle les contours que progressivement. Les variations de style, selon les personnages suivis, forcent encore à l’attention et à la concentration.

Heureusement, des têtes connues émergent : Cinabre et Oshagan. La première, dont l’importance capitale et la force inouïe se dévoilent peu à peu. Le second, obstiné, à la recherche de sa sœur, finalement vivante. Triple A, également, petit être inadapté à la société qui l’a vu naître mais qui s’avère pièce centrale d’un avenir incertain. De nouveaux personnages apparaissent aussi, remplacent ceux qui n’ont pas survécu aux Tours de Samarante. La marraine, être énorme, Méduse revisitée avec ses tresses de métal en guise de cheveux. Itaka Ten, le mystérieux hurleur, aux pouvoirs si particuliers. Le Seigneur Valar de Thirce, qui s’oppose à sa hiérarchie et risque tout pour sauver son monde du péril mécanique qui le menace : les Borgs et leur univers de machines. On découvre aussi de nouveaux lieux, entraperçus dans le premier opus : l’aliène, frontière avec l’ennemi, vaste désert aux habitants durs. Et, surtout, Treis, la Cité mère, pourrie, gangrenée par le mal qui ronge la planète et la menace de plus en plus violemment. Les fils, mis en place dès le début des Tours de Samarante, continuent à se dévider, à se mêler vers un destin que l’on devine tragique. La machine, comme dans les tragédies antiques, semble se dérouler, inexorable, et broyer sans pitié ceux qu’elle croise.

Pour nous faire découvrir son univers, Norbert Mejagnan utilise la langue dans ce qui fait sa force : chacun a ses propres tics, sa façon de s’exprimer. Aussi, l’auteur adapte sa syntaxe et son lexique à ses personnages. Dans les chapitres qui narrent le destin hors du commun de Triple A, le gamin des rues à l’aise nulle part, heureux seulement quand il court, le rythme des phrases s’accélère, tressaute ; le vocabulaire devient familier, voire vulgaire. A d’autres moments, l’écriture se fait caressante, lyrique. C’est une des richesses de ces livres et une de ses principales difficultés. On doit sans cesse rester concentré, sous peine de perdre le fil de cet univers noir, des paragraphes à la poésie sombre et rugueuse. Et on pense à des auteurs comme Thierry Di Rollo, pour qui le rythme de l’écriture, les respirations ont une telle importance. Exigeant est décidément l’adjectif qui caractérise le mieux ces deux premiers volumes. Mais cela n’est pas gratuit et l’on ne regrette en rien d’avoir persévéré à s’aventurer dans ce monde. En attendant la fin, explosive, sûrement, dans le troisième et dernier tome, un ultime volet qu’on espère à paraître avant trois ans d’intervalle…

Sœur Onden

[Critique commune à Frère Ewen, Sœur Ynolde, Frère Kalkin et Sœur Onden.]

Quand on pense à Pierre Bordage, le premier mot qui vient à l’esprit est conteur. Créateur d’univers riches et complexes, de personnages attachants et d’aventures grandioses. Dès la trilogie des Guerriers du silence, l’auteur avait prouvé sa capacité de bâtisseur de monde, son talent pour entraîner le lecteur au fil de centaines de pages sans le laisser sur le bord de la route. Et s’il a montré qu’il pouvait à l’occasion jouer avec les textes courts dans le recueil Dernières nouvelles de la Terre, son rythme de prédilection reste de très loin celui des épopées. A-t-il voulu écrire ici son Odyssée, son Enéide ? En tout cas, dans le quatrième tome de la présente saga, Sœur Onden, un vaisseau porte bien le nom d’Odysseus. Et n’en doutez pas : des voyages, il y en aura !

La trame, comme dans toute série, est plutôt simple : un danger définitif plane sur l’humanité (une humanité pourtant répartie sur une centaine de mondes), et au-delà d’elle, sur tous les êtres vivants. Face à cette menace extrême, un groupe mystérieux, la Fraternité du Panca, envoie cinq émissaires. Ils sont censés se rejoindre, un par un, et former les cinq maillons d’une chaîne pancatvique. Les pouvoirs du dernier frère, celui qui aura recueilli les âmnas (mémoires) des quatre précédents, seront, en principe, suffisants pour lutter contre le mal et sauver l’univers… Mais encore faut-il que ces cinq-là se rejoignent. Et cela n’a rien de facile (évidemment…) ! Car tous devront traverser la galaxie et affronter des ennemis redoutables.

Raconté de la sorte, le fil narratif s’avère pour le moins simpliste. Mais après tout, quand on lit l’Odyssée, l’histoire de base l’est encore davantage : Ulysse, qui a fâché Poséidon (et d’autres), va mettre dix ans à rentrer chez lui. Point. Le reste se résume à une suite d’aventures. Un principe de simplicité qu’on retrouve dans la plupart des œuvres au long cours. Ce qui importe ici, en définitive, c’est le talent de conteur de l’auteur, sa capacité à renouveler les pièges, les ennemis, les situations. Et, dans l’ensemble, Pierre Bordage possède le souffle nécessaire — on peut même remarquer qu’en France, dans ce registre, au sein des littératures de l’Imaginaire, il est peut-être le seul à l’avoir. Même si certains passages, certaines pages tirent en longueur, manquant ça et là de l’énergie nécessaire pour maintenir la curiosité du lecteur, l’ensemble demeure entraînant, telle une machine bien huilée.

Dans le premier tome, Frère Ewen, Pierre Bordage pose son décor et met en place les schémas qui serviront de modèles. Le premier maillon (cinquième, en fait, selon le décompte de la Fraternité), appelé par le Panca, est un jeune homme ayant oublié sa foi et un serment prêté un peu vite. Jusqu’au jour où il reçoit un message, directement dans son esprit : « Tu dois te mettre en route sans attendre, frère Ewen. Un péril immense menace les espèces vivantes de la Galaxie. » Or, ledit Ewen a fondé une famille. Sa femme, enceinte, est prête à accoucher. Il a déjà une fille. Après quelques hésitations, il part pourtant sans les prévenir. C’est le début d’un long voyage (quatre-vingts ans !) qui va le voir regretter sans cesse le choix qu’il a fait : abandonner les siens pour répondre à un appel venu d’on ne sait où afin de faire barre à un danger hypothétique. Et c’est aussi le principal défaut de ce roman : l’auteur semble parfois tourner en rond. Les tourments de frère Ewen, même s’ils sont légitimes, finissent par lasser. La rencontre avec un couple de jeunes amoureux dans le vaisseau, s’il apporte un peu de diversité et quelques rebondissements, peine à maintenir l’attention. On arrivera toutefois sans trop de mal jusqu’au dénouement (prévisible), tant l’auteur sait rendre vivants et touchants ses protagonistes…

Car c’est peu de dire que Pierre Bordage, à l’instar d’un Orson Scott Card, sait inventer des personnages auxquels on ne peut que s’attacher, tellement il montre de l’empathie envers eux. Pour enrichir son histoire, il fait dès le deuxième volume, Sœur Ynolde, appel à son point fort et multiplie les intervenants : c’est à présent trois personnages que nous suivons en alternance. En plus de sœur Ynolde, le quatrième maillon, le lecteur est invité à mettre ses pas dans ceux de son possible assassin, Silf. Car si le danger encouru par l’univers devrait forcer les hommes à se serrer les coudes, il n’en est bien évidemment rien. Certaines factions pensent que le Panca est néfaste : la dernière fois qu’une chaîne s’est créée, les victimes ont été innombrables. Aussi, les meilleurs tueurs sont lancés à la recherche de la jeune femme. Multiplication des intervenants, mais également variation dans la narration : Bordage utilise la forme du journal pour un troisième personnage. Ce qui apporte une variété bienvenue. Ajoutez à cela quelques surprises dans l’intrigue et nous voilà devant un roman très agréable. Tout comme les deux volumes suivants (Frère Kalkin et Sœur Onden), où l’auteur poursuit dans cette veine. Les doutes continuent à travailler les maillons de la chaîne (surtout que tous n’ont pas choisi cette voie), mais sont moins constamment ressassés que dans Frère Ewen. Les aventures se suivent et s’interpénètrent avec une évidente fluidité et une grande maîtrise.

Et l’on voit, au fur et à mesure que les pages se tournent, l’univers évoluer. C’est surtout flagrant avec les modes de transport. Si, au début de Frère Ewen, les voyages durent parfois une vie d’être humain, dès la fin de ce roman, un nouveau moyen de propulsion est mis en place. Et cela va en s’accélérant. Dans Sœur Onden, traverser la galaxie devient d’une grande rapidité. Mais les risques encourus sont bien plus importants. Certains vaisseaux n’ont pas une chance sur deux d’arriver à bon port. Pour parachever cette course de vitesse, le facteur « temps » fait son entrée dans ce quatrième volume : sous la forme de couloirs temporels, aux flux chaotiques et aléatoires.

Toutes ces évolutions densifient le monde inventé par l’auteur. Ce n’est pas une simple juxtaposition de planètes à la faune et à la flore diverses, aux sociétés plus ou moins différentes, mais un univers construit, crédible (en tout cas, pour une odyssée) et décrit par petites touches, avec le sens du détail qui donne vie à une cité, à ses habitants. Le riche bestiaire est utilisé dans la narration, pas comme simple décor, mais comme élément clef de l’histoire. De plus, l’auteur use d’un procédé mis en œuvre, entre autres, par Isaac Asimov dans le cycle de « Fondation » : à chaque début de chapitre, il place une citation ou une définition tirée d’ouvrages d’Odom Dercher (qu’on rencontre d’ailleurs en chair et en os dans Frère Kalkin). Cela crée du relief : un regard lointain et faussé par la distance ou le temps. Ainsi qu’un clin d’œil au lecteur qui découvre, lui, la réalité des choses, à la différence de l’historien, qui fait souvent fausse route.

Dans Sœur Onden, avant-dernier volume de la série, Pierre Bordage commence à lever le voile sur certains mystères : on découvre quelques réponses à des questions de fond, on en apprend davantage sur cette fameuse organisation du Panca dont personne ne sait rien. Mais ce n’est encore que le début des explications. Prévu pour novembre 2011, le cinquième et dernier tome, Frère Elthor, est donc attendu avec impatience. Pour clore en beauté cette saga en définitive si attachante. Pour savoir si l’univers patiemment construit par Pierre Bordage prendra fin du fait de cette menace mystérieuse. Ou s’il survivra, lui et tous ses habitants, qu’on a appris à aimer. On l’a dit, Bordage est un conteur. Le cycle de La Fraternité du Panca en est un nouvel exemple.

Frère Kalkin

[Critique commune à Frère Ewen, Sœur Ynolde, Frère Kalkin et Sœur Onden.]

Quand on pense à Pierre Bordage, le premier mot qui vient à l’esprit est conteur. Créateur d’univers riches et complexes, de personnages attachants et d’aventures grandioses. Dès la trilogie des Guerriers du silence, l’auteur avait prouvé sa capacité de bâtisseur de monde, son talent pour entraîner le lecteur au fil de centaines de pages sans le laisser sur le bord de la route. Et s’il a montré qu’il pouvait à l’occasion jouer avec les textes courts dans le recueil Dernières nouvelles de la Terre, son rythme de prédilection reste de très loin celui des épopées. A-t-il voulu écrire ici son Odyssée, son Enéide ? En tout cas, dans le quatrième tome de la présente saga, Sœur Onden, un vaisseau porte bien le nom d’Odysseus. Et n’en doutez pas : des voyages, il y en aura !

La trame, comme dans toute série, est plutôt simple : un danger définitif plane sur l’humanité (une humanité pourtant répartie sur une centaine de mondes), et au-delà d’elle, sur tous les êtres vivants. Face à cette menace extrême, un groupe mystérieux, la Fraternité du Panca, envoie cinq émissaires. Ils sont censés se rejoindre, un par un, et former les cinq maillons d’une chaîne pancatvique. Les pouvoirs du dernier frère, celui qui aura recueilli les âmnas (mémoires) des quatre précédents, seront, en principe, suffisants pour lutter contre le mal et sauver l’univers… Mais encore faut-il que ces cinq-là se rejoignent. Et cela n’a rien de facile (évidemment…) ! Car tous devront traverser la galaxie et affronter des ennemis redoutables.

Raconté de la sorte, le fil narratif s’avère pour le moins simpliste. Mais après tout, quand on lit l’Odyssée, l’histoire de base l’est encore davantage : Ulysse, qui a fâché Poséidon (et d’autres), va mettre dix ans à rentrer chez lui. Point. Le reste se résume à une suite d’aventures. Un principe de simplicité qu’on retrouve dans la plupart des œuvres au long cours. Ce qui importe ici, en définitive, c’est le talent de conteur de l’auteur, sa capacité à renouveler les pièges, les ennemis, les situations. Et, dans l’ensemble, Pierre Bordage possède le souffle nécessaire — on peut même remarquer qu’en France, dans ce registre, au sein des littératures de l’Imaginaire, il est peut-être le seul à l’avoir. Même si certains passages, certaines pages tirent en longueur, manquant ça et là de l’énergie nécessaire pour maintenir la curiosité du lecteur, l’ensemble demeure entraînant, telle une machine bien huilée.

Dans le premier tome, Frère Ewen, Pierre Bordage pose son décor et met en place les schémas qui serviront de modèles. Le premier maillon (cinquième, en fait, selon le décompte de la Fraternité), appelé par le Panca, est un jeune homme ayant oublié sa foi et un serment prêté un peu vite. Jusqu’au jour où il reçoit un message, directement dans son esprit : « Tu dois te mettre en route sans attendre, frère Ewen. Un péril immense menace les espèces vivantes de la Galaxie. » Or, ledit Ewen a fondé une famille. Sa femme, enceinte, est prête à accoucher. Il a déjà une fille. Après quelques hésitations, il part pourtant sans les prévenir. C’est le début d’un long voyage (quatre-vingts ans !) qui va le voir regretter sans cesse le choix qu’il a fait : abandonner les siens pour répondre à un appel venu d’on ne sait où afin de faire barre à un danger hypothétique. Et c’est aussi le principal défaut de ce roman : l’auteur semble parfois tourner en rond. Les tourments de frère Ewen, même s’ils sont légitimes, finissent par lasser. La rencontre avec un couple de jeunes amoureux dans le vaisseau, s’il apporte un peu de diversité et quelques rebondissements, peine à maintenir l’attention. On arrivera toutefois sans trop de mal jusqu’au dénouement (prévisible), tant l’auteur sait rendre vivants et touchants ses protagonistes…

Car c’est peu de dire que Pierre Bordage, à l’instar d’un Orson Scott Card, sait inventer des personnages auxquels on ne peut que s’attacher, tellement il montre de l’empathie envers eux. Pour enrichir son histoire, il fait dès le deuxième volume, Sœur Ynolde, appel à son point fort et multiplie les intervenants : c’est à présent trois personnages que nous suivons en alternance. En plus de sœur Ynolde, le quatrième maillon, le lecteur est invité à mettre ses pas dans ceux de son possible assassin, Silf. Car si le danger encouru par l’univers devrait forcer les hommes à se serrer les coudes, il n’en est bien évidemment rien. Certaines factions pensent que le Panca est néfaste : la dernière fois qu’une chaîne s’est créée, les victimes ont été innombrables. Aussi, les meilleurs tueurs sont lancés à la recherche de la jeune femme. Multiplication des intervenants, mais également variation dans la narration : Bordage utilise la forme du journal pour un troisième personnage. Ce qui apporte une variété bienvenue. Ajoutez à cela quelques surprises dans l’intrigue et nous voilà devant un roman très agréable. Tout comme les deux volumes suivants (Frère Kalkin et Sœur Onden), où l’auteur poursuit dans cette veine. Les doutes continuent à travailler les maillons de la chaîne (surtout que tous n’ont pas choisi cette voie), mais sont moins constamment ressassés que dans Frère Ewen. Les aventures se suivent et s’interpénètrent avec une évidente fluidité et une grande maîtrise.

Et l’on voit, au fur et à mesure que les pages se tournent, l’univers évoluer. C’est surtout flagrant avec les modes de transport. Si, au début de Frère Ewen, les voyages durent parfois une vie d’être humain, dès la fin de ce roman, un nouveau moyen de propulsion est mis en place. Et cela va en s’accélérant. Dans Sœur Onden, traverser la galaxie devient d’une grande rapidité. Mais les risques encourus sont bien plus importants. Certains vaisseaux n’ont pas une chance sur deux d’arriver à bon port. Pour parachever cette course de vitesse, le facteur « temps » fait son entrée dans ce quatrième volume : sous la forme de couloirs temporels, aux flux chaotiques et aléatoires.

Toutes ces évolutions densifient le monde inventé par l’auteur. Ce n’est pas une simple juxtaposition de planètes à la faune et à la flore diverses, aux sociétés plus ou moins différentes, mais un univers construit, crédible (en tout cas, pour une odyssée) et décrit par petites touches, avec le sens du détail qui donne vie à une cité, à ses habitants. Le riche bestiaire est utilisé dans la narration, pas comme simple décor, mais comme élément clef de l’histoire. De plus, l’auteur use d’un procédé mis en œuvre, entre autres, par Isaac Asimov dans le cycle de « Fondation » : à chaque début de chapitre, il place une citation ou une définition tirée d’ouvrages d’Odom Dercher (qu’on rencontre d’ailleurs en chair et en os dans Frère Kalkin). Cela crée du relief : un regard lointain et faussé par la distance ou le temps. Ainsi qu’un clin d’œil au lecteur qui découvre, lui, la réalité des choses, à la différence de l’historien, qui fait souvent fausse route.

Dans Sœur Onden, avant-dernier volume de la série, Pierre Bordage commence à lever le voile sur certains mystères : on découvre quelques réponses à des questions de fond, on en apprend davantage sur cette fameuse organisation du Panca dont personne ne sait rien. Mais ce n’est encore que le début des explications. Prévu pour novembre 2011, le cinquième et dernier tome, Frère Elthor, est donc attendu avec impatience. Pour clore en beauté cette saga en définitive si attachante. Pour savoir si l’univers patiemment construit par Pierre Bordage prendra fin du fait de cette menace mystérieuse. Ou s’il survivra, lui et tous ses habitants, qu’on a appris à aimer. On l’a dit, Bordage est un conteur. Le cycle de La Fraternité du Panca en est un nouvel exemple.

Sœur Ynolde

[Critique commune à Frère Ewen, Sœur Ynolde, Frère Kalkin et Sœur Onden.]

Quand on pense à Pierre Bordage, le premier mot qui vient à l’esprit est conteur. Créateur d’univers riches et complexes, de personnages attachants et d’aventures grandioses. Dès la trilogie des Guerriers du silence, l’auteur avait prouvé sa capacité de bâtisseur de monde, son talent pour entraîner le lecteur au fil de centaines de pages sans le laisser sur le bord de la route. Et s’il a montré qu’il pouvait à l’occasion jouer avec les textes courts dans le recueil Dernières nouvelles de la Terre, son rythme de prédilection reste de très loin celui des épopées. A-t-il voulu écrire ici son Odyssée, son Enéide ? En tout cas, dans le quatrième tome de la présente saga, Sœur Onden, un vaisseau porte bien le nom d’Odysseus. Et n’en doutez pas : des voyages, il y en aura !

La trame, comme dans toute série, est plutôt simple : un danger définitif plane sur l’humanité (une humanité pourtant répartie sur une centaine de mondes), et au-delà d’elle, sur tous les êtres vivants. Face à cette menace extrême, un groupe mystérieux, la Fraternité du Panca, envoie cinq émissaires. Ils sont censés se rejoindre, un par un, et former les cinq maillons d’une chaîne pancatvique. Les pouvoirs du dernier frère, celui qui aura recueilli les âmnas (mémoires) des quatre précédents, seront, en principe, suffisants pour lutter contre le mal et sauver l’univers… Mais encore faut-il que ces cinq-là se rejoignent. Et cela n’a rien de facile (évidemment…) ! Car tous devront traverser la galaxie et affronter des ennemis redoutables.

Raconté de la sorte, le fil narratif s’avère pour le moins simpliste. Mais après tout, quand on lit l’Odyssée, l’histoire de base l’est encore davantage : Ulysse, qui a fâché Poséidon (et d’autres), va mettre dix ans à rentrer chez lui. Point. Le reste se résume à une suite d’aventures. Un principe de simplicité qu’on retrouve dans la plupart des œuvres au long cours. Ce qui importe ici, en définitive, c’est le talent de conteur de l’auteur, sa capacité à renouveler les pièges, les ennemis, les situations. Et, dans l’ensemble, Pierre Bordage possède le souffle nécessaire — on peut même remarquer qu’en France, dans ce registre, au sein des littératures de l’Imaginaire, il est peut-être le seul à l’avoir. Même si certains passages, certaines pages tirent en longueur, manquant ça et là de l’énergie nécessaire pour maintenir la curiosité du lecteur, l’ensemble demeure entraînant, telle une machine bien huilée.

Dans le premier tome, Frère Ewen, Pierre Bordage pose son décor et met en place les schémas qui serviront de modèles. Le premier maillon (cinquième, en fait, selon le décompte de la Fraternité), appelé par le Panca, est un jeune homme ayant oublié sa foi et un serment prêté un peu vite. Jusqu’au jour où il reçoit un message, directement dans son esprit : « Tu dois te mettre en route sans attendre, frère Ewen. Un péril immense menace les espèces vivantes de la Galaxie. » Or, ledit Ewen a fondé une famille. Sa femme, enceinte, est prête à accoucher. Il a déjà une fille. Après quelques hésitations, il part pourtant sans les prévenir. C’est le début d’un long voyage (quatre-vingts ans !) qui va le voir regretter sans cesse le choix qu’il a fait : abandonner les siens pour répondre à un appel venu d’on ne sait où afin de faire barre à un danger hypothétique. Et c’est aussi le principal défaut de ce roman : l’auteur semble parfois tourner en rond. Les tourments de frère Ewen, même s’ils sont légitimes, finissent par lasser. La rencontre avec un couple de jeunes amoureux dans le vaisseau, s’il apporte un peu de diversité et quelques rebondissements, peine à maintenir l’attention. On arrivera toutefois sans trop de mal jusqu’au dénouement (prévisible), tant l’auteur sait rendre vivants et touchants ses protagonistes…

Car c’est peu de dire que Pierre Bordage, à l’instar d’un Orson Scott Card, sait inventer des personnages auxquels on ne peut que s’attacher, tellement il montre de l’empathie envers eux. Pour enrichir son histoire, il fait dès le deuxième volume, Sœur Ynolde, appel à son point fort et multiplie les intervenants : c’est à présent trois personnages que nous suivons en alternance. En plus de sœur Ynolde, le quatrième maillon, le lecteur est invité à mettre ses pas dans ceux de son possible assassin, Silf. Car si le danger encouru par l’univers devrait forcer les hommes à se serrer les coudes, il n’en est bien évidemment rien. Certaines factions pensent que le Panca est néfaste : la dernière fois qu’une chaîne s’est créée, les victimes ont été innombrables. Aussi, les meilleurs tueurs sont lancés à la recherche de la jeune femme. Multiplication des intervenants, mais également variation dans la narration : Bordage utilise la forme du journal pour un troisième personnage. Ce qui apporte une variété bienvenue. Ajoutez à cela quelques surprises dans l’intrigue et nous voilà devant un roman très agréable. Tout comme les deux volumes suivants (Frère Kalkin et Sœur Onden), où l’auteur poursuit dans cette veine. Les doutes continuent à travailler les maillons de la chaîne (surtout que tous n’ont pas choisi cette voie), mais sont moins constamment ressassés que dans Frère Ewen. Les aventures se suivent et s’interpénètrent avec une évidente fluidité et une grande maîtrise.

Et l’on voit, au fur et à mesure que les pages se tournent, l’univers évoluer. C’est surtout flagrant avec les modes de transport. Si, au début de Frère Ewen, les voyages durent parfois une vie d’être humain, dès la fin de ce roman, un nouveau moyen de propulsion est mis en place. Et cela va en s’accélérant. Dans Sœur Onden, traverser la galaxie devient d’une grande rapidité. Mais les risques encourus sont bien plus importants. Certains vaisseaux n’ont pas une chance sur deux d’arriver à bon port. Pour parachever cette course de vitesse, le facteur « temps » fait son entrée dans ce quatrième volume : sous la forme de couloirs temporels, aux flux chaotiques et aléatoires.

Toutes ces évolutions densifient le monde inventé par l’auteur. Ce n’est pas une simple juxtaposition de planètes à la faune et à la flore diverses, aux sociétés plus ou moins différentes, mais un univers construit, crédible (en tout cas, pour une odyssée) et décrit par petites touches, avec le sens du détail qui donne vie à une cité, à ses habitants. Le riche bestiaire est utilisé dans la narration, pas comme simple décor, mais comme élément clef de l’histoire. De plus, l’auteur use d’un procédé mis en œuvre, entre autres, par Isaac Asimov dans le cycle de « Fondation » : à chaque début de chapitre, il place une citation ou une définition tirée d’ouvrages d’Odom Dercher (qu’on rencontre d’ailleurs en chair et en os dans Frère Kalkin). Cela crée du relief : un regard lointain et faussé par la distance ou le temps. Ainsi qu’un clin d’œil au lecteur qui découvre, lui, la réalité des choses, à la différence de l’historien, qui fait souvent fausse route.

Dans Sœur Onden, avant-dernier volume de la série, Pierre Bordage commence à lever le voile sur certains mystères : on découvre quelques réponses à des questions de fond, on en apprend davantage sur cette fameuse organisation du Panca dont personne ne sait rien. Mais ce n’est encore que le début des explications. Prévu pour novembre 2011, le cinquième et dernier tome, Frère Elthor, est donc attendu avec impatience. Pour clore en beauté cette saga en définitive si attachante. Pour savoir si l’univers patiemment construit par Pierre Bordage prendra fin du fait de cette menace mystérieuse. Ou s’il survivra, lui et tous ses habitants, qu’on a appris à aimer. On l’a dit, Bordage est un conteur. Le cycle de La Fraternité du Panca en est un nouvel exemple.

Frère Ewen

[Critique commune à Frère Ewen, Sœur Ynolde, Frère Kalkin et Sœur Onden.]

Quand on pense à Pierre Bordage, le premier mot qui vient à l’esprit est conteur. Créateur d’univers riches et complexes, de personnages attachants et d’aventures grandioses. Dès la trilogie des Guerriers du silence, l’auteur avait prouvé sa capacité de bâtisseur de monde, son talent pour entraîner le lecteur au fil de centaines de pages sans le laisser sur le bord de la route. Et s’il a montré qu’il pouvait à l’occasion jouer avec les textes courts dans le recueil Dernières nouvelles de la Terre, son rythme de prédilection reste de très loin celui des épopées. A-t-il voulu écrire ici son Odyssée, son Enéide ? En tout cas, dans le quatrième tome de la présente saga, Sœur Onden, un vaisseau porte bien le nom d’Odysseus. Et n’en doutez pas : des voyages, il y en aura !

La trame, comme dans toute série, est plutôt simple : un danger définitif plane sur l’humanité (une humanité pourtant répartie sur une centaine de mondes), et au-delà d’elle, sur tous les êtres vivants. Face à cette menace extrême, un groupe mystérieux, la Fraternité du Panca, envoie cinq émissaires. Ils sont censés se rejoindre, un par un, et former les cinq maillons d’une chaîne pancatvique. Les pouvoirs du dernier frère, celui qui aura recueilli les âmnas (mémoires) des quatre précédents, seront, en principe, suffisants pour lutter contre le mal et sauver l’univers… Mais encore faut-il que ces cinq-là se rejoignent. Et cela n’a rien de facile (évidemment…) ! Car tous devront traverser la galaxie et affronter des ennemis redoutables.

Raconté de la sorte, le fil narratif s’avère pour le moins simpliste. Mais après tout, quand on lit l’Odyssée, l’histoire de base l’est encore davantage : Ulysse, qui a fâché Poséidon (et d’autres), va mettre dix ans à rentrer chez lui. Point. Le reste se résume à une suite d’aventures. Un principe de simplicité qu’on retrouve dans la plupart des œuvres au long cours. Ce qui importe ici, en définitive, c’est le talent de conteur de l’auteur, sa capacité à renouveler les pièges, les ennemis, les situations. Et, dans l’ensemble, Pierre Bordage possède le souffle nécessaire — on peut même remarquer qu’en France, dans ce registre, au sein des littératures de l’Imaginaire, il est peut-être le seul à l’avoir. Même si certains passages, certaines pages tirent en longueur, manquant ça et là de l’énergie nécessaire pour maintenir la curiosité du lecteur, l’ensemble demeure entraînant, telle une machine bien huilée.

Dans le premier tome, Frère Ewen, Pierre Bordage pose son décor et met en place les schémas qui serviront de modèles. Le premier maillon (cinquième, en fait, selon le décompte de la Fraternité), appelé par le Panca, est un jeune homme ayant oublié sa foi et un serment prêté un peu vite. Jusqu’au jour où il reçoit un message, directement dans son esprit : « Tu dois te mettre en route sans attendre, frère Ewen. Un péril immense menace les espèces vivantes de la Galaxie. » Or, ledit Ewen a fondé une famille. Sa femme, enceinte, est prête à accoucher. Il a déjà une fille. Après quelques hésitations, il part pourtant sans les prévenir. C’est le début d’un long voyage (quatre-vingts ans !) qui va le voir regretter sans cesse le choix qu’il a fait : abandonner les siens pour répondre à un appel venu d’on ne sait où afin de faire barre à un danger hypothétique. Et c’est aussi le principal défaut de ce roman : l’auteur semble parfois tourner en rond. Les tourments de frère Ewen, même s’ils sont légitimes, finissent par lasser. La rencontre avec un couple de jeunes amoureux dans le vaisseau, s’il apporte un peu de diversité et quelques rebondissements, peine à maintenir l’attention. On arrivera toutefois sans trop de mal jusqu’au dénouement (prévisible), tant l’auteur sait rendre vivants et touchants ses protagonistes…

Car c’est peu de dire que Pierre Bordage, à l’instar d’un Orson Scott Card, sait inventer des personnages auxquels on ne peut que s’attacher, tellement il montre de l’empathie envers eux. Pour enrichir son histoire, il fait dès le deuxième volume, Sœur Ynolde, appel à son point fort et multiplie les intervenants : c’est à présent trois personnages que nous suivons en alternance. En plus de sœur Ynolde, le quatrième maillon, le lecteur est invité à mettre ses pas dans ceux de son possible assassin, Silf. Car si le danger encouru par l’univers devrait forcer les hommes à se serrer les coudes, il n’en est bien évidemment rien. Certaines factions pensent que le Panca est néfaste : la dernière fois qu’une chaîne s’est créée, les victimes ont été innombrables. Aussi, les meilleurs tueurs sont lancés à la recherche de la jeune femme. Multiplication des intervenants, mais également variation dans la narration : Bordage utilise la forme du journal pour un troisième personnage. Ce qui apporte une variété bienvenue. Ajoutez à cela quelques surprises dans l’intrigue et nous voilà devant un roman très agréable. Tout comme les deux volumes suivants (Frère Kalkin et Sœur Onden), où l’auteur poursuit dans cette veine. Les doutes continuent à travailler les maillons de la chaîne (surtout que tous n’ont pas choisi cette voie), mais sont moins constamment ressassés que dans Frère Ewen. Les aventures se suivent et s’interpénètrent avec une évidente fluidité et une grande maîtrise.

Et l’on voit, au fur et à mesure que les pages se tournent, l’univers évoluer. C’est surtout flagrant avec les modes de transport. Si, au début de Frère Ewen, les voyages durent parfois une vie d’être humain, dès la fin de ce roman, un nouveau moyen de propulsion est mis en place. Et cela va en s’accélérant. Dans Sœur Onden, traverser la galaxie devient d’une grande rapidité. Mais les risques encourus sont bien plus importants. Certains vaisseaux n’ont pas une chance sur deux d’arriver à bon port. Pour parachever cette course de vitesse, le facteur « temps » fait son entrée dans ce quatrième volume : sous la forme de couloirs temporels, aux flux chaotiques et aléatoires.

Toutes ces évolutions densifient le monde inventé par l’auteur. Ce n’est pas une simple juxtaposition de planètes à la faune et à la flore diverses, aux sociétés plus ou moins différentes, mais un univers construit, crédible (en tout cas, pour une odyssée) et décrit par petites touches, avec le sens du détail qui donne vie à une cité, à ses habitants. Le riche bestiaire est utilisé dans la narration, pas comme simple décor, mais comme élément clef de l’histoire. De plus, l’auteur use d’un procédé mis en œuvre, entre autres, par Isaac Asimov dans le cycle de « Fondation » : à chaque début de chapitre, il place une citation ou une définition tirée d’ouvrages d’Odom Dercher (qu’on rencontre d’ailleurs en chair et en os dans Frère Kalkin). Cela crée du relief : un regard lointain et faussé par la distance ou le temps. Ainsi qu’un clin d’œil au lecteur qui découvre, lui, la réalité des choses, à la différence de l’historien, qui fait souvent fausse route.

Dans Sœur Onden, avant-dernier volume de la série, Pierre Bordage commence à lever le voile sur certains mystères : on découvre quelques réponses à des questions de fond, on en apprend davantage sur cette fameuse organisation du Panca dont personne ne sait rien. Mais ce n’est encore que le début des explications. Prévu pour novembre 2011, le cinquième et dernier tome, Frère Elthor, est donc attendu avec impatience. Pour clore en beauté cette saga en définitive si attachante. Pour savoir si l’univers patiemment construit par Pierre Bordage prendra fin du fait de cette menace mystérieuse. Ou s’il survivra, lui et tous ses habitants, qu’on a appris à aimer. On l’a dit, Bordage est un conteur. Le cycle de La Fraternité du Panca en est un nouvel exemple.

Les Univers des Fantastiques

Poursuivant sa réflexion sur l’imaginaire fantastique, initiée avec déjà cinq titres dans la collection « Regards sur le fantastique », Roger Bozzetto se penche cette fois sur les hybridations et les dérives qui permettent de passer d’une forme narrative à une autre, suivant des motifs issus d’un creuset originel. Ce sont donc les mêmes images et métaphores ancestrales, mythologiques, qui se déploient selon les traitements imposés par les époques et formes narratives. Un premier exemple est donné avec quatre domaines des fantastiques autour de la mort et de l’immortalité, de l’invisible et du rêve. Cette lecture transversale se poursuit avec cinq trajectoires différentes, à travers des auteurs qui sont six : André Pieyre de Mandiargues, Tomaso Landolfi, Richard Matheson, Graham Masterton et deux auteurs japonais, Mura-kami et Ogawa. L’exercice continue dans les domaines du merveilleux, notamment avec l’arbre et le dragon, principalement ceux, d’univers très différents, de Pern et de Terremer ; l’imaginaire moderne, essentiellement de science-fiction, est traité avec les figures du savant fou et du mutant, ce qui permet de revisiter le bestiaire des monstres de l’Antiquité et des siècles où ils peuplaient les terres inexplorées jusqu’à la fabrique de monstres (les Dr Moreau et Lerne), les mutants et les extraterrestres.

La démonstration étant faite, Roger Bozzetto en vient à considérer comment s’est constitué l’imaginaire de la science-fiction sur ces bases, Jules Verne et Robert Heinlein étant les auteurs choisis pour illustrer la façon dont le discours technique s’inscrit dans la narration littéraire. Qui dit cohérence dit corpus : l’intérêt de cette lecture transversale est de montrer qu’un agrégat de motifs semblables favorise l’émergence d’une nouvelle littérature, en l’occurrence la science-fiction, dont on suit les variations depuis le merveilleux scientifique de Renard jusqu’à la fiction spéculative de Heinlein.

Là où Bozzetto innove, c’est en évoquant la crise actuelle de la science-fiction, la déclinaison de figures amalgamées et redéployées parvenant à épuisement. Attaquée à la fois sur le front de la littérature générale, dont il montre qu’elle n’a de réalité que dans le fandom, et sur celui de l’imaginaire avec la fantasy qui, suite aux désillusions face à la science et aux craintes de l’avenir, réactive avec succès d’autres figures, la science-fiction doit trouver de nouvelles voies. Il es-quisse, très grossièrement, trois pistes, avec comme exemples La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean (brillante analyse montrant qu’anticipation et rétrospection proposent la même sidération), l’approche très mainstream du Ballard de Millenium People, et celle, aux frontières de la fantasy, avec L’Ecorcheur de Neal Asher. Roger Bozzetto préconise également un rapport à la science dans un paradigme neuf, sous-entendant que les auteurs actuels, hormis quelques-uns comme Greg Egan ou K. S. Robinson, chacun dans deux voies différentes, ne se préoccupent plus guère de spéculer sur les évolutions de la science en interaction avec celles de la société, comme si ces avenirs se trouvaient parasités par les technologies déjà présentes dans le paysage (un « déjà-là » qu’il avait évoqué en début d’ouvrage à propos du fantastique, « impossible et pourtant là ») et que le rêve se limite à imaginer les conséquences négatives. Tout cela n’est pas entièrement neuf : encore fallait-il formaliser cette nécessité de dépassement à la lumière d’une analyse, qui, si elle survole plus qu’elle n’approfondit, a le mérite de circonscrire le débat.

Si cette lecture transversale est proche de la mémétique, problématique abordée en fin de volume, Roger Bozzetto n’évoque pas, au moins pour dissiper l’impression de parenté, les subjectivités collectives développées par Gérard Klein dans Trames et moirés. Mais il est vrai que ce dernier réfute le rapprochement et que Bozzetto ne fait ici, de son propre aveu, qu’une première approche encore circonspecte des mécanismes par lesquels les idées s’hybrident et essaiment dans la littérature. Mémétique ou pas, ce survol passionnant montre bien comment chaque époque recense et promeut des types de fictions correspondant à sa sensibilité, tout en jouant toujours avec les mêmes motifs.

Drood

Il existe à travers la littérature des énigmes qui suscitent passions et controverses : Corneille a-t-il écrit les meilleures pièces de Molière et Shakespeare les siennes, tous les apocryphes de la Bible le sont-ils vraiment, quel sens Poe voulait-il donner à la fin frustrante des Aventures d’Arthur Gordon Pym… Avec Drood, Dan Simmons s’attaque à l’une des plus célèbres de ces énigmes, à savoir la suite à donner au roman inachevé de Charles Dickens, Le Mystère d’Edwin Drood, arrêté exactement à sa moitié quand l’auteur décède en juin 1870. Simmons s’attaque à l’énigme sans cependant écrire la fin dudit roman, ce qui tient de la gageure.

C’est d’autant plus astucieux qu’une suite fut écrite dès 1871, et une autre, en 1873, rédigée par un médium sous la prétendue dictée de Dickens… Le roman inachevé est une sorte de roman policier (on disait à sensation), à l’imitation de ceux de Wilkie Collins, l’ami avec qui Dickens signa plusieurs livres et dont le frère épousa la fille. Le jeune orphelin Edwin Drood, protégé de son oncle John Jasper et fiancé à l’orpheline Rosa, disparait. Jasper enquête, portant ses soupçons sur un curieux personnage, sauf que Jasper, un opiomane, est aussi amoureux de Rosa et profite de ce que la place soit libre pour faire sa cour ; c’est alors qu’apparaît un détective dont l’abondante chevelure blanche pourrait bien être une perruque… On comprend que le lecteur tienne à connaître la fin. Bref, il existe à ce livre avorté des suites et des spéculations en nombre, signées Jean Ray ou Chesterton, basées sur les notes de l’auteur, voire les couvertures des livraisons en magazine (où le livre tronqué fut prépublié), en effet, certaines illustrations exécutées par le beau-fils de Dickens, Charles Collins, en disaient plus que le contenu de l’épisode. Pas moins de quatre films ont été tournés et des pièces de théâtre montées. Alors, quel intérêt de revenir sur l’affaire Drood ? N’y a-t-il pas mieux à écrire ?

C’est compter sans le fait que 2012 sera le bicentenaire de la naissance de Charles Dickens, événement suffisamment considérable pour être célébré, même en France (dans le Pas-de-Calais, notamment, où séjourna Dickens avec sa maîtresse). Aussi, c’est à une biographie magistrale que s’attaque l’auteur d’Hypérion, romancée au point d’être totalement fantasmée, mais se montrant cependant plus réaliste que tout ce que vous pourrez lire sur Dickens, tant les détails y sont soignés. Comment ?

L’histoire raconte les dernières années de la vie de Dickens tout en se ménageant maintes occasions de revenir sur ses débuts. Elle commence lors de l’accident de train, suite à l’effondrement d’un pont, qui épargna miraculeusement Dickens, son wagon étant le seul à être resté sur la voie. Traumatisé, il cherchera au possible à éviter les trains le reste de sa vie durant. La catastrophe reviendra souvent dans son œuvre. Il se trouvait dans le wagon avec sa maîtresse, Ellen Ternan, accompagnée de sa mère, détail qui restera soigneusement caché. Dickens réconforta les blessés et accompagna les mourants jusqu’à l’arrivée des secours, en même temps qu’un curieux personnage, imaginaire, celui-ci, à la prononciation sifflante, au chapeau haut-de-forme démodé, nommé Drood. Lequel, semble-t-il, n’a laissé aucun vivant derrière lui et s’éclipse silencieusement avant qu’on puisse lui parler : une figure de la Mort ? Que se passe-t-il à chaque date anniversaire pour que Dickens s’absente ? Il se pourrait qu’une relation se soit nouée entre lui et Drood, dont on apprend par un détective, ancien inspecteur lancé à ses trousses, qu’il est le pire criminel ayant jamais existé, doté de pouvoirs occultes, et qu’il vit sous Londres, là où rôdent les miséreux et les orphelins, dans les catacombes où se rendent les opiomanes en quête de fumeries clandestines.

Par ailleurs, Dickens a sauvé du déraillement un jeune homme, Dickenson, qu’il prendra sous son aile, lequel, plus tard, disparaîtra mystérieusement de la circulation après obtention d’un héritage, sans que Dickens cherche à le revoir, supposant qu’il a profité de cet argent pour aller aux Indes. Dickens, qu’on sait âpre au gain depuis que son père a été emprisonné pour dette quand il avait douze ans…

L’histoire est contée par Wilkie Collins, père du roman policier anglais, successeur direct de Poe, avec notamment La Pierre de lune (vol d’un joyau, presque tous les protagonistes soupçonnés, apparition d’un fameux détective, ça ne vous rappelle rien ?) et La Dame en blanc (plusieurs adaptations filmées et télévisées). Collins souffrant de la goutte se soignait au laudanum et finit opiomane (il inspirera Conan Doyle pour le personnage de Sherlock Holmes). Ses relations avec Dickens, qui, lui, souffrait de trouble bipolaires, sont une amitié teintée de jalousie pour l’auteur de David Copperfield, plus adulé du public alors que lui-même vendait davantage de livres. C’est aussi sa vie qui est contée à travers cette confession à la première personne, à l’adresse d’un lecteur du futur. L’enquête, parsemée d’embûches et de contretemps, est respectueuse des dates et événements. Dans une biographie classique, on trouve les grandes lignes, annexées de commentaires et d’analyses de l’œuvre, pas le détail des missives, le menu du repas de Noël ou la liste des dépenses d’un voyage et des moyens de locomotion choisis ; pour mieux exploiter les failles de l’Histoire, Dan Simmons relate ces évènements afin d’y glisser son intrigue, c’est ce qui fait sa texture, lui donne l’épaisseur fantastique d’un brouillard londonien où le réel déformé devient plus vrai qu’en pleine lumière.

Celle-ci repose sur les romans des deux écrivains : s’y entremêlent les personnages romanesques issus du Mystère d’Edwin Drood, mais aussi de La Maison d’Âpre-Vent pour le personnage de l’enquêteur ou de L’Ami commun, dernier roman terminé de Dickens, etc., et encore des romans de Collins. Drood lui-même semble issu du « Signaleur », une nouvelle de Dickens au sujet d’un déraillement prédit par un spectre. A l’image des romans victoriens, l’intrigue est traversée de récits parallèles qui exacerbent le suspense et participent à créer une ambiance, de sorte qu’on est littéralement envoûté par ce roman où le mystère ne cesse de prendre des formes différentes, évanescentes tels les rêves d’un opiomane.

Il a fallu, la liste des principales sources en témoigne, une documentation monumentale pour parvenir à ce degré de précision, osons le mot : de perfection, sans jamais se perdre dans le dédale de deux biographies croisées avec des situations et des personnages romanesques, sans jamais les confondre. Mais Simmons avait déjà approché les deux auteurs avec son précédent roman, Terreur, récit de la désastreuse expédition Franklin en Arctique, autour de laquelle Dickens et Collins écrivirent une pièce, Profondeurs glacées. Dan Simmons ne se prive pas non plus d’inclure une pertinente critique littéraire des deux œuvres, ni des témoignages des contemporains, profitant d’échanges d’auteurs sur les qualités ou les défauts des œuvres, pour évoquer les manies d’écriture et les règles de construction romanesque : ainsi, quand Collins se moque dans un premier temps, devant la phrase « des flaques d’argent sur la mer sombre », il reconnaît l’instant suivant le génie de cette image audacieuse.

La lecture du roman inachevé de Dickens et de quelques autres ici cités (gratuitement disponibles sur le Net) n’est pas inutile pour apprécier, savourer pleinement ces presque 900 pages qui se lisent à une vitesse surprenante. Cette connaissance préalable de l’œuvre garantit quelques moments saisissants, les ombres et les reflets des fictions créant des vertiges dignes de ces fantasmagories victoriennes, et permet de mieux juger de la maestria de Simmons dans cet exercice.

Au final, qui est Drood, dont la silhouette inquiétante ne cesse de se dérober ? Peut-être l’imagination enfiévrée des écrivains, celle qui permet de filtrer le prosaïque quotidien à travers un prisme autrement plus fascinant. Mais aussi les terreurs que tout un chacun peut échafauder dans le labyrinthe de son esprit, quand le réel se vrille sous l’effet de l’angoisse.

A lire de toute urgence, au moins avant la sortie du film, prévu pour l’année prochaine et réalisé par Guillermo del Toro, qui en connaît un rayon en matière de labyrinthe. Vous serez incollables sur Dickens, sur Collins, et leurs parts de ténèbres…

Daemone

David Rosenberg, célèbre gladiateur de l’Aire Humaine, n’éprouve plus aucun goût pour la vie depuis que Susan, son épouse, repose dans un caisson d’animation suspendue dans un coma définitif. C’est probablement ce qui lui permet de vaincre. Mais voilà que Lhargo, un Alèphe issu de la plus ancienne des civilisations, aux pouvoirs incommensurables, parmi lesquels la maîtrise du temps, et observateur des mœurs humaines, lui propose un contrat, à savoir le transférer dans un univers alternatif où sa bien-aimée est vivante et en bonne santé, en échange de cinq meurtres, uniquement de personnes qui ne méritent pas de vivre au vu de leur passif. Aidé de Kimoko, une femme plus tout à fait humaine, uberkriegerisch taillée pour le combat, séduisant garde du corps qui l’aime en vain, et de l’homme-chat Gilrein, mercenaire doublé d’un as de la technique, il exécute un à un ses contrats, pas toujours de la façon prévue. Les tentatives pour approcher la victime comme le détail des événements réservent quelques belles surprises.

L’ensemble est enlevé, bien rythmé, avec les doses d’adrénaline attendues mais aussi une dimension psychologique qui place le récit sur un plan plus ambitieux : les victimes, malgré les horreurs commises, méritaient-elles vraiment la mort, au point de leur retirer la possibilité de se racheter ? Peut-on fonder l’amour, aussi sincère et profond soit-il, sur le meurtre ? Qui sera cette autre Susan d’un univers parallèle et devra-t-elle savoir ce qu’il a fait pour elle ? La fin fournit la conclusion appropriée, en revenant également sur les motivations de l’Alèphe à l’origine du contrat.

Les Cinq derniers contrats de Daemone Eraser, paru en 2001 (même éditeur), a été entièrement réécrit pour la circonstance, approfondissant plus particulièrement les personnages tout en gardant leur côté « brut de décoffrage » propre aux héros d’aventures. Si le récit ne change guère sur le fond, il est à présent enchâssé de façon plus visible dans l’univers des Sept berceaux que Thomas Day a entre-temps développé au fil de nouvelles — il était à peine mentionné dans la première édition. La fin abandonne également, l’auteur seul sait pourquoi, la mise en page soulignant la poursuite du récit dans deux trames différentes, détail intéressant puisqu’il s’achève cette fois sur une fin unique, réduisant les possibles au choix, forcément douloureux et contraignant, quel qu’il soit, signe de la maturité et de l’évolution du personnage.

L’ensemble est bien rythmé, mené sur un rythme soutenu, et contient un certain nombre de références à des auteurs de SF (Silverberg, Zelazny), le tout dans l’esprit des films à la Sam Pekinpah et La Horde sauvage, de l’aveu même de l’auteur dans la longue interview qui fait suite au récit. Son but assumé est de faire plaisir et de se faire plaisir en retrouvant l’excitation un peu naïve qui accompagnait les westerns galactiques de jadis. Pari réussi, voire davantage, car Daemone est quand même un cran au-dessus d’un space op’ sans prétention.

Espion de l'étrange

1. Pré-critique, où le chroniqueur se montre assez désagréable…

Une fois de plus dans ces pages (cf. la critique du Haut-lieu et autres espaces inhabitables par Olivier Girard dans Bifrost n° 53), on se permettra de déplorer le silence objectif de Lehman, l’auteur de nouvelles et de romans, que ses anthologies, ses rééditions et ses scénarios de BD (seul ou en collaboration) ne font que masquer. Il y a, certes, des motifs recevables à ce mutisme relatif : l’écrivain s’en est déjà expliqué. Mais si je devais comparer sa démarche à celle d’un autre créateur que j’apprécie beaucoup, le musicien Peter Gabriel, qui lui aussi égrène désormais des œuvres moins que neuves (BOs de film réintégrant des morceaux existants, album de reprises, live multiples), je souhaiterais les voir tous deux — oui, je pèse ce que l’expression peut avoir de blessant — un peu moins artistes et un peu plus artisans. C’est que c’est égoïste, un fan.

2. Critique, où le même chroniqueur se révèle plutôt aimable…

Sous une couverture séduisante de Jeam Tag (une reprise de l’édition Fleuve Noir de 1991), Espion de l’étrange réunit l’intégralité des récits consacrés par Serge Lehman au personnage de Karel Dekk (qui est également le pseudonyme sous lequel ils sont parus), soit le roman éponyme et cinq nouvelles, auquel s’adjoignent un roman « cousin », L’Ange des profondeurs, et les synopsis tant des textes publiés que de ceux projetés, mais (encore ?) jamais réalisés.

Disons-le tout net : ce volume ne présente pas le pan le plus achevé de la production de Lehman, qui le reconnaît d’ailleurs lui-même dans une préface attachante où il détaille les avanies subies par la série. Non, les aventures de Dekk (et de son semblable Dirac) ressortissent bien d’une science-fiction aussi populaire qu’un peu foutraque. On rencontre des monstres d’outre-espace, on navigue dans des univers parallèles, on croise diverses personnalités du milieu, on assiste à cette fameuse institution de la SF française (ou parisienne, tout au moins) qu’est le Déjeuner du lundi, on fond devant une femme fatale qui tient beaucoup de la ninja, bref, on sourit souvent, de connivence ou d’incrédulité.

Toutefois, il faut reconnaître qu’il y a là le terreau sur lequel des textes plus ambitieux, plus achevés, ont poussé — dont la série F.A.U.S.T. et l’une des plus belles nouvelles de l’auteur, « L’Inversion de Polyphème ». Alors, oui, ces divers récits relèvent d’une espèce de… méta-pulp autoréférentiel ; oui, ils recyclent (y compris au sens propre, voir la chute abominable de « L’homme qui voulait sauver l’univers ») des tropes familiers ; oui, ils frôlent très souvent le pastiche. Mais ils témoignent de l’amour profond, viscéral, de Lehman pour le genre, de son désir de le voir conquérir le monde (ce qu’il fait, d’une certaine façon, dans « Collector ») et de sa fascination pour les possibles, aussi outrés soient-ils. Et, surtout, Espion de l’étrange est un bouquin fun. C’est trop rare pour qu’on néglige de le souligner.

3. Post-critique, où le chroniqueur perd tout sens de la mesure…

Bon, Serge, sauf ton respect : tu te le bouges, ton popotin ?

Ça vient de paraître

Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
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