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Critiques Bifrost 41

Retouvez sur l'onglet Critiques toutes les chroniques de livres du Bifrost n°41 spécial Christopher Priest !

Mémoria numérique

Mémoria, roman de Laurent Genefort est désormais disponible en numérique !

Couv Bifrost 67

Découvrez la couverture du Bifrost 67 spécial George R. R. Martin, l'auteur du Trône de fer, à paraître le 19 juillet en papier et en numérique !

Cosmicomics 05-2012 1

Sur le blog Bifrost, deuxième épisode des Cosmicomics de Philippe Boulier, où l'on s'intéresse aux sorties en kiosques de ce mois de mai !

Né avec les morts

[Critique portant sur Le Chemin de la nuitLes Jeux du CapricorneVoile vers ByzanceMon nom est TitanNé avec les morts et En un autre pays.]

Récemment encore, Gérard Klein écrivait : « Je pense après beaucoup que le roman supporte quelques ratés mais la nouvelle n’en tolère aucun (…) Une bonne nouvelle est un monde en soi qui peut se tenir dans le creux de l’attention, tandis qu’un roman se perd forcément dans les brumes du déjà lu et de l’encore à lire. » (in, Gérard Klein, Le Temps n’a pas d’odeur, le Livre de Poche, 2004). Définition qui s’applique parfaitement au travail de Robert Silverberg sur la forme courte. Si l’homme de San Francisco qui, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau enfant, devait se croire égyptien, grec ou romain, est devenu une icône de la science-fiction pour des romans tels que L’Homme dans le labyrintheLes Monades urbainesLe Livre des crânesL’Oreille interne, etc., ce serait méconnaître son œuvre que d’ignorer la puissance évocatrice, la pertinence thématique et l’élégance stylistique des centaines de ses nouvelles et novellae publiées au cours de sa longue et prolifique carrière.

L’imposante édition française de ces nouvelles « au fil du temps », écrites entre 1953 et 1997, fut, rappelons-le, entamée chez Flammarion en 2002, sous l’égide de Jacques Chambon, regretté directeur de la collection « Imagine »… et ami très proche de l’auteur. Sa disparition prématurée a, un temps, suspendu cette grande œuvre, mais celle-ci s’est récemment achevée (sous l’impulsion éditoriale de Pierre-Paul Durastanti, autre ami français de Silverberg), avec la parution en août 2006 chez J’ai Lu, après la reprise des trois premiers volumes parus chez Flammarion, du quatrième et dernier opus, Mon nom est Titan, couvrant la période 1988-1997. L’ensemble offre un corpus incontournable pour quiconque prétend apprécier l’œuvre de Silverberg (un ensemble complété par deux autres recueils, publiés cette même année 2006 mais chez Folio « SF », En un autre pays et  avec les morts — nous en reparlerons ci-après). Quantitativement, parce qu’il s’agit là de plus des deux tiers de sa production totale, étalée sur plus de quarante années d’écriture. Qualitativement, surtout, parce que les nouvelles et novellae rassemblées ici en constituent, véritablement, la quintessence.

Chaque texte, sélectionné par l’auteur et par l’éditeur, en étroite collaboration, est accompagné d’une préface à caractère souvent biographique, ce qui offre au lecteur avisé un bonheur supplémentaire : celui d’une « autobiographie par le détour de la fiction ». Ni fardées ni promotionnelles, ces préfaces sont une composante essentielle de ces recueils d’archéologie littéraire. Le premier volume, Le Chemin de la nuit, s’ouvre une nouvelle d’un tout jeune Silverberg qui prend la plume après avoir lu les premières lignes d’un conte de Marcel Aymé, ce qui trahit le rapport tout particulier qu’entretient Robert Silverberg avec la culture française, et plus largement européenne. Ce texte, qui donne son titre au volume, fut d’abord refusé en raison de sa noirceur et de son thème provocateur (le cannibalisme), puis publié tardivement grâce à la complicité d’Harlan Ellison. Sombre, pessimiste, cette nouvelle offre un contraste saisissant, et pas seulement sur le plan de la maîtrise stylistique, avec le texte qui clôt le troisième volume et s’intitule « La Compagne secrète ». Il s’agit ici d’une brillante novella qui s’analyse comme un hommage appuyé, voire un plagiat assumé, à l’œuvre de Conrad, envers lequel Silverberg reconnaît volontiers sa dette d’auteur. Entre ces deux repères, la nouvelle provocatrice un peu brute et la novella glorificatrice parfaitement maîtrisée, le talent de Robert Silverberg se déploie dans des petits joyaux narratifs et spéculatifs tels que « Voir l’homme invisible », « Comme des mouches », « Une fois les mythes rentrés chez eux », « Trips », « Les Jeux du capricorne », « Notre-Dame des sauropodes », « Le Palais à minuit », « Une aiguille dans une meule de temps », « Basileus », ou encore la magnifique novella qui confère son titre au troisième volume, « Voile vers Byzance ». Cette sélection, forcément subjective, ne peut rendre compte de la richesse de cette œuvre protéiforme, plongeant tantôt dans les méandres de l’Histoire, tantôt dans les circonvolutions de l’Humain, sans aucune faute de goût, sans jamais démentir son appartenance à la science-fiction. Le quatrième volume, quant à lui, malgré le caractère « tardif » des textes qui le composent, atteste que l’auteur n’a rien perdu de sa fraîcheur inventive, de sa passion pour les civilisations disparues, tout en ayant atteint le plus haut degré technique. Le tout dernier texte, « Mon nom est Titan », hommage à Roger Zelazny, fait même office de retour aux sources, puisqu’il est un véritable chant d’amour à la Grèce Antique. Mais, surtout, il prouve que la démarche de Robert Silverberg n’est jamais égocentrique, malgré les apparences. C’est à un cours d’histoire de la science-fiction, de ses bardes et de ses motifs fondateurs, qu’il nous convie, son œuvre ne nous servant, au final, que de manuel d’étude. Depuis l’époque où la S-F « n’était que peau de chagrin », jusqu’à cette extrême fin du vingtième siècle où elle a « contaminé » toute la culture, tous les médias, souvent au prix de son identité propre. Et là, parvenu au faîte de sa carrière, l’homme à la plume d’argent contemple le soir qui tombe sur tous les univers qu’il a déployés et, avec une sincérité inestimable, émouvante et rare, il nous avoue, citant Fitzgerald, qu’il passe le relais, « alors que le monde se transforme au point de [lui] échapper ».

On l’a dit, en parallèle des quatre volumes chez J’ai Lu, les éditions Gallimard, dans leur collection Folio « SF », consacrent deux volumes aux seules novellas de Robert Silverberg. De façon appréciable, la structure interne de ces recueils, parus en juin et octobre 2006, est très semblable à celle précédemment évoquée (et pour cause, ces livres étaient initialement destinés à un cinquième et dernier volet des Nouvelles au fil du temps, exclusivement consacré aux novellæ) : une introduction générale rédigée par l’auteur lui-même et, pour chaque novella, un paratexte spécifique reprenant le contexte dans lequel elle a été écrite et le défi qu’a entendu relever l’auteur. De toute évidence, l’auteur n’a pas craint d’ouvrir une fenêtre sur ses mécanismes créatifs les plus intimes. Selon les propres termes de Robert Silverberg, la novella est « une des formes littéraires les plus enrichissantes et les plus intéressantes qui soient ». A mi-chemin entre les parfois trop lourdes parures du roman et le déshabillé un rien provocateur de la nouvelle, elle offre un équilibre délicat entre l’approfondissement du contexte et des personnages, d’une part, et le déploiement de la charge spéculative du récit, d’autre part. Fondamentalement composite, la novella peut confiner à la symbiose et magnifier le plaisir du lecteur. Elle est véritablement le « sur-mesure » de la S-F et il faut admettre que les textes de Silverberg le démontrent amplement, tant l’auteur se révèle souvent plus à son aise dans ce format que dans celui du roman.

Le premier recueil, Né avec les morts, réunit quatre novellæ qui s’échelonnent de 1957 à 1973 et retracent, de ce fait, l’acquisition d’un savoir-faire en la matière. De la première à la dernière, on ressent l’intense plaisir de la création, pour un auteur qui fait voile vers la plénitude de son art. Mais surtout, Robert Silverberg s’y livre d’emblée : « Je passais sans difficultés ni scrupules de thèmes savamment construits à des récits reposant sur les poncifs de la littérature de gare, et c’est pour cette raison que j’ai pu vendre bon nombre d’histoires… ». On ne peut être plus clair : pour être un grand auteur de S-F, il faut refuser de trancher entre le ludique et le politique, mais pratiquer de concert, et avec le même élan, l’aventure et la spéculation. D’abord, en alternance, le temps de se faire la plume, puis en les fusionnant. En somme, être prolifique sans jamais se résigner à la superficialité et, inversement, ne pas exister seulement pour quelques perles rares au volatile succès d’estime. Toute l’œuvre de Silverberg illustre cette conviction profonde de l’auteur et en fait un repère historique. Le premier texte du recueil, « La Vallée hors du temps » (seul véritable inédit de l’ouvrage) est l’illustration parfaite de l’époque où le jeune Silverberg, lassé des « recettes sensationnalistes », décide de se lancer dans « un texte où les personnages et le style seraient un peu plus étudiés ». Quinze ans plus tard, les autres textes, de « Partir » à « Né avec les morts », prouvent l’acquisition de la technique et le déploiement de l’imaginaire, dans le cadre idéal, « ni trop long ni trop court », de la novella, mode d’écriture « civilisé et cultivé » que Robert Silverberg revendique depuis toujours.

Le second recueil, En un autre pays, fait figure d’ultime démonstration. En effet, si les novellæ qui le composent (quatre au total, dont trois inédites) sont toutes des textes de commande, écrits entre 1988 et 1996, elles bénéficient du savoir-faire accumulé par l’auteur pendant des décennies d’écriture professionnelle. Robert Silverberg, avec un bel équilibre de respect et de liberté, se glisse entre les personnages de « La Saison des vendanges » de Catherine L. Moore avec « En un autre pays », pose élégamment, dans « Cache-Cache », les jalons d’un univers partagé dont le fondateur n’est autre qu’Asimov, ou se paye le luxe de réinventer le récit-catastrophe avec « Ça chauffe à Magma-City ». Certes, les résultats ne sont plus surprenants à ce stade, mais le charme ne s’est pas flétri.

Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres novellas de Robert Silverberg qui auraient dû être évoquées dans cette présentation critique. Deux textes, notamment, écrits au début des années 1990 sont presque archétypaux dans leurs composantes : voyage temporel, hommage appuyé aux mythes fondateurs et à l’histoire antique, revisitation des grandes civilisations, réelles ou fantasmées, fluidité de l’écriture et ambition humaniste du propos. Il s’agit des « Lettres de l’Atlantide », novella dans laquelle l’esprit d’un voyageur temporel investit celui de l’héritier du trône d’Atlantis et découvre la magnificence de cette civilisation avancée qui règne sans partage sur le paléolithique, il y a 20 000 ans, et de « Thèbes aux cent portes », qui nous projette dans la dix-huitième dynastie du Nouvel Empire pharaonique, à la recherche de voyageurs temporels égarés, ou plutôt fugitifs. La structure épistolaire du premier récit nous permet de plonger dans le for intérieur du personnage principal, rendant sensibles ses faiblesses et son humanité. Dans le second, Silverberg opte pour un type de narration plus convenu, mais la question reste la même que celle posée dans « En un autre pays » : que choisit l’individu qui se confronte à une autre époque, à un autre monde que les siens ? Le devoir et l’aventure ? Nouveaux textes, vieilles thématiques, et ce retour incessant vers l’Histoire à laquelle l’auteur, comme l’historien-potier d’Arnold Toynbee, revient sans cesse, pour la remodeler telle l’argile, tout en demeurant son esclave, ici consentant. Il suffit, pour s’en convaincre, de (re)lire Roma Æterna.

Bref, à présent tout le matériau est là, disponible en français, les sources rassemblées et présentées, l’intention de l’auteur connue, vérifiée et détaillée. A l’instar des nouvelles de Philip K. Dick (« Lunes d’encre », Denoël), les nouvelles de Silverberg appartiennent au patrimoine mondial de la S-F. Le dernier des Titans, après Heinlein, Clarke, Asimov, Dick, c’est bien lui. Et le pays de Voltaire et de Dumas a donné au chantre du time-opera son public le plus fidèle, peut-être le plus aiguisé. Mais éditer, rééditer, lire, critiquer et relire encore ne suffit pas pour rendre hommage à Silverberg. L’Histoire ne finit pas avec les Titans, tout au contraire. Tel Atlas, il nous soutient. Nous sommes juchés sur ses épaules, et cette altitude nous révèle des horizons lointains, bien au-delà du siècle qui vient d’éclore. 

[Voir également les chroniques de Le Chemin de la nuit, de Voile vers Byzance et la chronique commune à Mon nom est Titan et En un autre pays.]

Les Jeux du Capricorne

[Critique portant sur Le Chemin de la nuit, Les Jeux du Capricorne, Voile vers Byzance, Mon nom est Titan, Né avec les morts et En un autre pays.]

Récemment encore, Gérard Klein écrivait : « Je pense après beaucoup que le roman supporte quelques ratés mais la nouvelle n’en tolère aucun (…) Une bonne nouvelle est un monde en soi qui peut se tenir dans le creux de l’attention, tandis qu’un roman se perd forcément dans les brumes du déjà lu et de l’encore à lire. » (in, Gérard Klein, Le Temps n’a pas d’odeur, le Livre de Poche, 2004). Définition qui s’applique parfaitement au travail de Robert Silverberg sur la forme courte. Si l’homme de San Francisco qui, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau enfant, devait se croire égyptien, grec ou romain, est devenu une icône de la science-fiction pour des romans tels que L’Homme dans le labyrinthe, Les Monades urbaines, Le Livre des crânes, L’Oreille interne, etc., ce serait méconnaître son œuvre que d’ignorer la puissance évocatrice, la pertinence thématique et l’élégance stylistique des centaines de ses nouvelles et novellae publiées au cours de sa longue et prolifique carrière.

L’imposante édition française de ces nouvelles « au fil du temps », écrites entre 1953 et 1997, fut, rappelons-le, entamée chez Flammarion en 2002, sous l’égide de Jacques Chambon, regretté directeur de la collection « Imagine »… et ami très proche de l’auteur. Sa disparition prématurée a, un temps, suspendu cette grande œuvre, mais celle-ci s’est récemment achevée (sous l’impulsion éditoriale de Pierre-Paul Durastanti, autre ami français de Silverberg), avec la parution en août 2006 chez J’ai Lu, après la reprise des trois premiers volumes parus chez Flammarion, du quatrième et dernier opus, Mon nom est Titan, couvrant la période 1988-1997. L’ensemble offre un corpus incontournable pour quiconque prétend apprécier l’œuvre de Silverberg (un ensemble complété par deux autres recueils, publiés cette même année 2006 mais chez Folio « SF », En un autre pays et avec les morts — nous en reparlerons ci-après). Quantitativement, parce qu’il s’agit là de plus des deux tiers de sa production totale, étalée sur plus de quarante années d’écriture. Qualitativement, surtout, parce que les nouvelles et novellae rassemblées ici en constituent, véritablement, la quintessence.

Chaque texte, sélectionné par l’auteur et par l’éditeur, en étroite collaboration, est accompagné d’une préface à caractère souvent biographique, ce qui offre au lecteur avisé un bonheur supplémentaire : celui d’une « autobiographie par le détour de la fiction ». Ni fardées ni promotionnelles, ces préfaces sont une composante essentielle de ces recueils d’archéologie littéraire. Le premier volume, Le Chemin de la nuit, s’ouvre une nouvelle d’un tout jeune Silverberg qui prend la plume après avoir lu les premières lignes d’un conte de Marcel Aymé, ce qui trahit le rapport tout particulier qu’entretient Robert Silverberg avec la culture française, et plus largement européenne. Ce texte, qui donne son titre au volume, fut d’abord refusé en raison de sa noirceur et de son thème provocateur (le cannibalisme), puis publié tardivement grâce à la complicité d’Harlan Ellison. Sombre, pessimiste, cette nouvelle offre un contraste saisissant, et pas seulement sur le plan de la maîtrise stylistique, avec le texte qui clôt le troisième volume et s’intitule « La Compagne secrète ». Il s’agit ici d’une brillante novella qui s’analyse comme un hommage appuyé, voire un plagiat assumé, à l’œuvre de Conrad, envers lequel Silverberg reconnaît volontiers sa dette d’auteur. Entre ces deux repères, la nouvelle provocatrice un peu brute et la novella glorificatrice parfaitement maîtrisée, le talent de Robert Silverberg se déploie dans des petits joyaux narratifs et spéculatifs tels que « Voir l’homme invisible », « Comme des mouches », « Une fois les mythes rentrés chez eux », « Trips », « Les Jeux du capricorne », « Notre-Dame des sauropodes », « Le Palais à minuit », « Une aiguille dans une meule de temps », « Basileus », ou encore la magnifique novella qui confère son titre au troisième volume, « Voile vers Byzance ». Cette sélection, forcément subjective, ne peut rendre compte de la richesse de cette œuvre protéiforme, plongeant tantôt dans les méandres de l’Histoire, tantôt dans les circonvolutions de l’Humain, sans aucune faute de goût, sans jamais démentir son appartenance à la science-fiction. Le quatrième volume, quant à lui, malgré le caractère « tardif » des textes qui le composent, atteste que l’auteur n’a rien perdu de sa fraîcheur inventive, de sa passion pour les civilisations disparues, tout en ayant atteint le plus haut degré technique. Le tout dernier texte, « Mon nom est Titan », hommage à Roger Zelazny, fait même office de retour aux sources, puisqu’il est un véritable chant d’amour à la Grèce Antique. Mais, surtout, il prouve que la démarche de Robert Silverberg n’est jamais égocentrique, malgré les apparences. C’est à un cours d’histoire de la science-fiction, de ses bardes et de ses motifs fondateurs, qu’il nous convie, son œuvre ne nous servant, au final, que de manuel d’étude. Depuis l’époque où la S-F « n’était que peau de chagrin », jusqu’à cette extrême fin du vingtième siècle où elle a « contaminé » toute la culture, tous les médias, souvent au prix de son identité propre. Et là, parvenu au faîte de sa carrière, l’homme à la plume d’argent contemple le soir qui tombe sur tous les univers qu’il a déployés et, avec une sincérité inestimable, émouvante et rare, il nous avoue, citant Fitzgerald, qu’il passe le relais, « alors que le monde se transforme au point de [lui] échapper ».

On l’a dit, en parallèle des quatre volumes chez J’ai Lu, les éditions Gallimard, dans leur collection Folio « SF », consacrent deux volumes aux seules novellas de Robert Silverberg. De façon appréciable, la structure interne de ces recueils, parus en juin et octobre 2006, est très semblable à celle précédemment évoquée (et pour cause, ces livres étaient initialement destinés à un cinquième et dernier volet des Nouvelles au fil du temps, exclusivement consacré aux novellæ) : une introduction générale rédigée par l’auteur lui-même et, pour chaque novella, un paratexte spécifique reprenant le contexte dans lequel elle a été écrite et le défi qu’a entendu relever l’auteur. De toute évidence, l’auteur n’a pas craint d’ouvrir une fenêtre sur ses mécanismes créatifs les plus intimes. Selon les propres termes de Robert Silverberg, la novella est « une des formes littéraires les plus enrichissantes et les plus intéressantes qui soient ». A mi-chemin entre les parfois trop lourdes parures du roman et le déshabillé un rien provocateur de la nouvelle, elle offre un équilibre délicat entre l’approfondissement du contexte et des personnages, d’une part, et le déploiement de la charge spéculative du récit, d’autre part. Fondamentalement composite, la novella peut confiner à la symbiose et magnifier le plaisir du lecteur. Elle est véritablement le « sur-mesure » de la S-F et il faut admettre que les textes de Silverberg le démontrent amplement, tant l’auteur se révèle souvent plus à son aise dans ce format que dans celui du roman.

Le premier recueil, Né avec les morts, réunit quatre novellæ qui s’échelonnent de 1957 à 1973 et retracent, de ce fait, l’acquisition d’un savoir-faire en la matière. De la première à la dernière, on ressent l’intense plaisir de la création, pour un auteur qui fait voile vers la plénitude de son art. Mais surtout, Robert Silverberg s’y livre d’emblée : « Je passais sans difficultés ni scrupules de thèmes savamment construits à des récits reposant sur les poncifs de la littérature de gare, et c’est pour cette raison que j’ai pu vendre bon nombre d’histoires… ». On ne peut être plus clair : pour être un grand auteur de S-F, il faut refuser de trancher entre le ludique et le politique, mais pratiquer de concert, et avec le même élan, l’aventure et la spéculation. D’abord, en alternance, le temps de se faire la plume, puis en les fusionnant. En somme, être prolifique sans jamais se résigner à la superficialité et, inversement, ne pas exister seulement pour quelques perles rares au volatile succès d’estime. Toute l’œuvre de Silverberg illustre cette conviction profonde de l’auteur et en fait un repère historique. Le premier texte du recueil, « La Vallée hors du temps » (seul véritable inédit de l’ouvrage) est l’illustration parfaite de l’époque où le jeune Silverberg, lassé des « recettes sensationnalistes », décide de se lancer dans « un texte où les personnages et le style seraient un peu plus étudiés ». Quinze ans plus tard, les autres textes, de « Partir » à « Né avec les morts », prouvent l’acquisition de la technique et le déploiement de l’imaginaire, dans le cadre idéal, « ni trop long ni trop court », de la novella, mode d’écriture « civilisé et cultivé » que Robert Silverberg revendique depuis toujours.

Le second recueil, En un autre pays, fait figure d’ultime démonstration. En effet, si les novellæ qui le composent (quatre au total, dont trois inédites) sont toutes des textes de commande, écrits entre 1988 et 1996, elles bénéficient du savoir-faire accumulé par l’auteur pendant des décennies d’écriture professionnelle. Robert Silverberg, avec un bel équilibre de respect et de liberté, se glisse entre les personnages de « La Saison des vendanges » de Catherine L. Moore avec « En un autre pays », pose élégamment, dans « Cache-Cache », les jalons d’un univers partagé dont le fondateur n’est autre qu’Asimov, ou se paye le luxe de réinventer le récit-catastrophe avec « Ça chauffe à Magma-City ». Certes, les résultats ne sont plus surprenants à ce stade, mais le charme ne s’est pas flétri.

Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres novellas de Robert Silverberg qui auraient dû être évoquées dans cette présentation critique. Deux textes, notamment, écrits au début des années 1990 sont presque archétypaux dans leurs composantes : voyage temporel, hommage appuyé aux mythes fondateurs et à l’histoire antique, revisitation des grandes civilisations, réelles ou fantasmées, fluidité de l’écriture et ambition humaniste du propos. Il s’agit des « Lettres de l’Atlantide », novella dans laquelle l’esprit d’un voyageur temporel investit celui de l’héritier du trône d’Atlantis et découvre la magnificence de cette civilisation avancée qui règne sans partage sur le paléolithique, il y a 20 000 ans, et de « Thèbes aux cent portes », qui nous projette dans la dix-huitième dynastie du Nouvel Empire pharaonique, à la recherche de voyageurs temporels égarés, ou plutôt fugitifs. La structure épistolaire du premier récit nous permet de plonger dans le for intérieur du personnage principal, rendant sensibles ses faiblesses et son humanité. Dans le second, Silverberg opte pour un type de narration plus convenu, mais la question reste la même que celle posée dans « En un autre pays » : que choisit l’individu qui se confronte à une autre époque, à un autre monde que les siens ? Le devoir et l’aventure ? Nouveaux textes, vieilles thématiques, et ce retour incessant vers l’Histoire à laquelle l’auteur, comme l’historien-potier d’Arnold Toynbee, revient sans cesse, pour la remodeler telle l’argile, tout en demeurant son esclave, ici consentant. Il suffit, pour s’en convaincre, de (re)lire Roma Æterna.

Bref, à présent tout le matériau est là, disponible en français, les sources rassemblées et présentées, l’intention de l’auteur connue, vérifiée et détaillée. A l’instar des nouvelles de Philip K. Dick (« Lunes d’encre », Denoël), les nouvelles de Silverberg appartiennent au patrimoine mondial de la S-F. Le dernier des Titans, après Heinlein, Clarke, Asimov, Dick, c’est bien lui. Et le pays de Voltaire et de Dumas a donné au chantre du time-opera son public le plus fidèle, peut-être le plus aiguisé. Mais éditer, rééditer, lire, critiquer et relire encore ne suffit pas pour rendre hommage à Silverberg. L’Histoire ne finit pas avec les Titans, tout au contraire. Tel Atlas, il nous soutient. Nous sommes juchés sur ses épaules, et cette altitude nous révèle des horizons lointains, bien au-delà du siècle qui vient d’éclore. 

[Voir également les chroniques de Le Chemin de la nuit, de Voile vers Byzance et la chronique commune à Mon nom est Titan et En un autre pays.]

Roma Æterna

Roma Æterna se compose de dix textes (nouvelles, novelettes et novellas) parus dans plusieurs revues et anthologies sur une période de treize années (le premier, « Vers la Terre promise », remonte à 1989. En France, c'est en 2004 dans la collection « Ailleurs & demain » que le lectorat a pu découvrir dans son intégralité Roma Æterna. Cependant, il ne lui aura peut-être pas échappé que deux textes issus de ce livre étaient déjà disponibles en français : « Une fable des bois véniens » qui figure au sommaire du recueil Le Nez de Cléopâtre (Folio « SF »), et « Se familiariser avec le Dragon », novelette aperçue dans l'anthologie Horizons lointains (J'ai Lu).

Roma Æterna est, pour reprendre la terminologie de Eric B. Henriet, une pure uchronie. Ici, pas de paradoxe généré par un voyage temporel, ni d'univers parallèle. La ligne historique résultant de la divergence est la seule existante. Comme l'exprime le court prologue — un dialogue entre deux historiens romains — les Hébreux n'ont pas accompli leur exode vers la Palestine. Ceux-ci sont demeurés en Egypte et le judaïsme n'a pas donné naissance par la suite au christianisme. Nous nous trouvons donc devant un Empire romain qui a perduré au-delà du terme historique dont nous avons connaissance par ailleurs. Et si les Hébreux avaient émigré, quelle voie aurait emprunté l'Histoire ? Cette conjecture, hautement improbable aux yeux de nos deux historiens, d'autant plus que leur dialogue prend place en 1203 AUC (Ab Urbe Condita, retranchez 753 années pour retrouver notre datation habituelle) leur paraît tout juste bonne à stimuler l'imagination d'un plumitif œuvrant dans le domaine de la littérature plébéienne. Cette divergence ne doit évidemment rien au hasard. Elle s'inspire d'une œuvre majeure de la culture historique classique anglo-saxonne, l'essai de l'historien Edouard Gibbon (1737-1794) : Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain. Pour l'auteur britannique, il ne fait aucun doute qu'une des raisons déterminantes de la décadence de l'Empire romain est imputable au christianisme. Gibbon considère que celui-ci a contribué à détourner la population romaine de la défense de l'Empire et du consensus civique, au profit des récompenses du paradis. Les empereurs ont ainsi laissé l'armée se barbariser pendant que la classe dirigeante s'amollissait, troquant ses vertus civiques contre des vertus chrétiennes inappropriées au maintien de la cohésion de l'Empire. L'essai de Gibbon a bien entendu été la cible de nombreuses critiques, en particulier de la part de l'Eglise chrétienne. Pourtant celui-ci reste un modèle d'analyse historique doté de surcroît d'une grande qualité d'écriture.

Il n'est pas exagéré d'affirmer que Roma Æterna, est plus convaincant que La Porte des mondes (même auteur, dernière édition française chez Pocket en 1999, publié aux USA en 1967). Il se dégage de ce titre tardif une véritable réflexion sur l'Histoire alors que dans l'uchronie juvénile de l'auteur, la divergence n'offrait qu'un prétexte à des aventures tout au plus distrayantes. Robert Silverberg balaie mille cinq cents années de Pax Romana en se focalisant volontairement sur quelques instants cruciaux de cette Histoire alternative. Il instaure un dialogue entre les œuvres vives de l'Histoire — ce temps long des permanences mentales et structurelles délimité par l'historien Fernand Braudel — et le tressautement éphémère de l'existence humaine. De cet échange résulte, non une révision de l'Histoire, mais une variante, et on se rend compte que si l'Histoire a bifurqué, ce n'est pas pour emprunter un sentier radicalement différent. Pour s'en convaincre, il suffit de dérouler le fil des événements relatés dans Roma Æterna. On y retrouve globalement et jusque dans les dates — une fois la conversion faite dans le calendrier chrétien — une ligne historique qui correspond à la nôtre.

On peut évidemment avancer quelques bémols. L'approche historique de Silverberg privilégie le point de vue des puissants. L'auteur s'écarte très rarement du milieu de l'aristocratie et délaisse les petites gens, cette plèbe ravalée au rang de prolétariat laborieux et dangereux. C'est également une approche très politique qui remise en arrière-plan l'évolution des arts, des sciences et des techniques. À l'exception des textes « Avec César dans les Bas-Fonds » et « Une fable des bois véniens », on relève l'absence de ce souffle vital qui anime les plus belles réussites de l'auteur. La reconstitution historique est impeccable de vraisemblance, mais on aurait souhaité davantage de chaleur humaine et de passion ; tout ce qui finalement fait le sel de l'Histoire et distingue le roman de l'essai académique.

Néanmoins, malgré ces quelques réserves, Roma Æterna demeure un modèle d'uchronie dont la cohérence suscite l'admiration.

[Lire également l'avis d'Emmanuel Jouanne.]

Le Grand Silence

Mike Carmichael, ancien pilote de l'Air Force, prête comme chaque année main forte aux secours qui luttent contre les incendies de forêts qui ravagent les collines de Los Angeles. Mais quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il découvre que, pour une fois, ce ne sont pas les mégots d'inconséquents touristes qui ont allumé les brasiers, mais les réacteurs de vaisseaux manifestement extraterrestres. Leurs occupants ne se sont manifestés qu'indirectement, en faisant monter à leurs bords une poignée de volontaires humains, parmi lesquels sa propre épouse, un néo baba new age passablement azimutée.

L'incroyable puissance des envahisseurs va les dispenser d'une véritable attaque. Leur suprématie est tellement incontestable, qu'à aucun moment, les hommes n'auront le loisir de se défendre. De se défendre, peut-être pas, mais de résister, oui. Un acte désespéré. Futile, peut-être. Mais une affirmation de la vie. Sur cent cinquante ans nous allons suivre les générations successives du clan Carmichael, devenu fer de lance de cette sédition tenace, mais étrangement vaine. Ainsi donc, Le Grand silence, c'est d'abord un triste essor pris sur les bases d'une médiocre novella — « Le Rémissionnaire » — parue en France en 1989 dans Compagnons secrets (Denoël « PdF »). La thématique est fadasse, typique du Silverberg « troisième époque ». Une idée simple, destinée à un public mainstream (celui de Playboy en l'occurrence), sauvée d'extrême justesse par une écriture qui tutoie la perfection technique absolue. On s'accroche donc, par respect peut-être, sur une poignée de chapitres. Et on fait bien ! À dire vrai, tout comme c'était le cas pour Ciel brûlant de minuit, le roman est un habile fix-up, articulant quatre nouvelles autour d'une intrigue inédite. Une présence plutôt qu'une intrigue d'ailleurs, celle de ces extraterrestres, que Robert Silverberg va magnifier par leur silence.

Mais ce qui ne pourrait être qu'un retour flemmard (et un peu cynique) sur une thématique classique chez lui, celle de l'invasion va devenir ce dont il n'hésitera pas à parler comme de « sa réponse à La Guerre des mondes de Wells ». Une affirmation qui pourrait être d'une prétention risible, si elle n'émanait pas de la bouche même d'un des plus grands écrivains de S-F vivants.

Naturellement, Silverberg va sacrifier aux canons du genre. Chez ses personnages, avec ce patriarche, viet-vet revêche et conservateur (prénommé Anson, clin d'œil à Robert Anson Heinlein), la collabo, le rebelle, etc., mais aussi dans son intrigue, ne reculant devant aucune situation attendue. Il va même prendre un malin plaisir à se plier à ses passages obligés. Confortant son lecteur sur ses acquis, il va en profiter pour prendre ses aises, et se réapproprier le genre avec toute l'intelligence qu'on lui connaît. Auteur du conflit intérieur, il va utiliser cette menace immanente des Entités. Forçant le trait, il ira même jusqu'à nous refuser à nous, lecteurs, ce contact que les extraterrestres vont refuser aux hommes tout au long de leur présence sur Terre. De leurs origines, apparences, motivations, etc., nous ne saurons rien. Créatures semi-divinisées, leurs actions ne sont lisibles que par les réactions du clan Carmichael. Elles ne seront qu'une ombre planant sur les cinq cents et quelques pages du roman. Ce qui va permettre à Silverberg, par le prisme du clan Carmichael qu'il va transformer en balise de détresse d'un monde démantibulé, de traiter une fois encore avec son matériau de prédilection : l'humain.

Ainsi, c'est bien une lutte d'émancipation que nous suivons, mais c'est celle de l'esprit humain cherchant à gagner son indépendance et à briser le carcan de la superstition. Carcan matérialisé, comme une licence littéraire, dans la présence immanente de ces aliens mystérieux.

On le voit, se rejoignent ici, plusieurs des thématiques privilégiées de Robert Silverberg. Le conflit intérieur tout d'abord, ici projeté sur les Entités. Ensuite l'obscurantisme superstitieux, fortement teinté de religiosité. Problématique récurrente chez celui qui s'est toujours méfié des dogmes, et a vécu les croyances avec un mélange égal d'intérêt et de scepticisme. Et enfin, ce thème de l'invasion, comme catalyseur du changement. Changement qui est toujours douloureux, même s'il est finalement libérateur. C'est ce syncrétisme qui fait du Grand Silence un grand roman. L'œuvre d'un auteur arrivé à l'automne de son inspiration, mais qui jette sur ses obsessions un regard lucide. Au point de les retravailler jusqu'à l'épure. Presque jusqu'à l'abstraction. C'est aussi, à ce jour, la dernière manifestation d'intérêt de la part de Robert Silverberg pour la chose littéraire. Ultime sursaut d'art dans la routine mercantile qu'est, hélas, devenue aujourd'hui la carrière du dernier des géants.

Tout sauf un homme

Co-écrit avec Isaac Asimov, Tout sauf un homme n'est certainement pas le chef-d'œuvre qu'on aurait pu légitimement espérer des deux maîtres. Reste que le roman traite d'une idée désormais classique en S-F, la conscience du robot, et qu'il sort tout droit de la tête de son inventeur. Tirée de la célèbre nouvelle d'Asimov « L'Homme bicentenaire », cette collaboration n'en est pas vraiment une, Silverberg ayant accepté de développer l'idée pour en faire un roman à part entière. Une habitude parfois fâcheuse qui conduit à des livres souvent poussifs et ennuyeux, là où la rapidité de la nouvelle faisait mouche. Mais si Tout sauf un homme est avant tout un Silverberg mineur, voire alimentaire, il n'en reste pas moins intéressant à plus d'un titre : thème classique de la S-F (voire cliché) et rencontre de deux mondes, celui d'un âge d'or finissant incarné par un Asimov vieux et malade à l'époque du livre, et celui d'une modernité largement émancipée qui prend quand même un certain plaisir à regarder derrière elle. Côté scénario, rien de bien surprenant, mais de l'efficace. NDR-113 est un robot serviteur comme il en existe tant dans cette société futuriste qui a remplacé la chair prolétaire par l'acier plus malléable. Sauf que ce robot fait de la sculpture et que ses dons sont extraordinaires. Sauf que ce robot est immédiatement baptisé Andrew par la petite fille du couple auquel il appartient. Sauf que ce robot est finalement plus humain que les humains, mais qu'il n'a pas d'existence propre selon la loi. On le voit, tous les ingrédients sont réunis pour traiter plusieurs questions fondamentales d'un seul coup. La différence, l'exclusion, le racisme, la bêtise, et… l'humanité. Histoire touchante, donc, simple et certes un peu lénifiante, mais plus profonde qu'il n'y paraît au premier abord. Car la petite fille grandit et voudrait qu'Andrew obtienne les mêmes droits que les êtres humains. Ce qui arrive forcément. Mais malgré toutes ces avancées sociologiques, Andrew reste fondamentalement un robot, un immortel et… tout sauf un homme. Evidemment classique dans sa forme comme dans son fond, Tout sauf un homme se révèle au final nettement plus triste que ne l'avaient sans doute prévu ses auteurs. On y assiste à l'agonie d'un monde finissant. Humanité, âge d'or, deux « histoires » parallèles réunies dans ce qui ressemble fort à un testament. Douce nostalgie, amertume et regrets, autant de sensations qui hantent le récit et approfondissent parfois ce qui aurait pu n'être qu'une innocente bluette, mais qui s'avère beaucoup plus intelligent qu'une simple « commande » rédigée par un grand professionnel de l'écriture.

Les Royaumes du mur

Roman méconnu et pourtant très typique des « purs produits silverbergiens », Les Royaumes du mur s'articule entièrement autour d'une seule et brillante idée. C'est l'usage chez Silverberg et c'est aussi la raison pour laquelle nombre de ces romans souffrent de longueurs inutiles alors qu'ils auraient fait des nouvelles aussi épatantes que percutantes. Les Royaumes du mur n'échappe pas à cette règle, mais Silverberg agit en grand professionnel et capture d'entrée de jeu son lectorat en martelant un scénario qui ne peut tout simplement pas ne pas captiver le lecteur. Histoire initiatique qui relève autant de la fantasy que de la S-F (et qui n'est pas sans points communs avec la très belle nouvelle de Ted Chiang « La Tour de Babylone » — dans le recueil éponyme, chez Denoël « Lunes d'encre »), le roman érige le mystère en décor, voire en personnage, alléchant immédiatement le lecteur par la promesse d'une révélation forcément ébouriffante : sur une planète éloignée, un peuple vit au pied d'une montagne. Immense, infinie, verticale, « Kosa Saag » (c'est son nom) incarne « Le mur ». C'est aussi, à l'instar de nombreux mythes humains, le siège des Dieux. Des Dieux jaloux et autoritaires, confortablement installés au sommet de ce qui est, par essence, inaccessible et étranger. Et Robert Silverberg de s'attacher à l'initiation, à la vie et enfin, au voyage de Poilar Bancroche qui, comme le veut une tradition immémoriale, dirige l'expédition annuelle vers le sommet. Une promenade, on s'en doute, tout sauf amusante, d'autant que les rares pèlerins redescendus de la montagne y ont tous laissé quelques neurones, voire beaucoup plus que ça. L'expédition parviendra-t-elle au sommet ? Quelles surprises attendent les pèlerins ? Et quelles désillusions ? Sur ce pitch aussi universel que prenant, Silverberg déroule une histoire qui, si elle ne manque évidemment ni de sel ni de talent, n'en reste pas moins un peu trop évidente pour emporter la partie. Les ennuis s'accumulent, les dangers se multiplient et la révélation finale est… finale, justement, preuve qu'une seule idée ne fait pas un livre, aussi pagre turner soit-il. Malgré ces défauts évidents, Les Royaumes du mur a le mérite de revenir aux fondamentaux en s'alignant sur un sense of wonder millimétré, tout en s'offrant le luxe d'approfondir le thème de l'autorité, de la divinité et, plus généralement, de la crédulité face au Mythe. On connaît l'affection de Silverberg pour les légendes et les grands mythes de l'humanité, Les Royaumes du mur en est la manifestation directe, à défaut d'être inoubliable.

[Lire également l'avis de Philippe Boulier.]

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