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La Nuit des Labyrinthes

[Critique commune à Délius et La Nuit des labyrinthes]

Premier roman de Sabrina Calvo — et même première œuvre publiée de l’autrice, puisque ses textes courts viendront plus tard —, Délius, une chanson d’été, originellement paru en 1997, fit partie du renouveau de la fantasy française propulsée par les éditions Mnémos au milieu des années quatre-vingt-dix.

En cette fin de XIXe siècle, une série de meurtres secoue le monde. Fait curieux, les victimes, bien qu’atrocement mutilées, arborent toutes un sourire de ravissement béat ; l’enquête, plutôt que d’être confiée à Sherlock Holmes, échoue entre les mains de Bertrand Lacejambe. Serait-il policier ? Détective ? Ni l’un ni l’autre, puisqu’il exerce la noble profession de botaniste – même s’il possède également un talent de déduction certain, dont il œuvre dans son laboratoire pour tenter des expériences autour des fleurs qu’il adore. Si on lui confie l’enquête, c’est parce que les victimes du tueur ont pour point commun d’avoir leurs cadavres remplis de fleurs rares. Le meurtrier y trouve un surnom — le Fleuriste – et Lacejambe une mission, partagée avec son fidèle acolyte Fenby : découvrir l’identité et les mobiles du criminel.

Délius se révèle un enchantement de la première à la dernière page : au sens propre du terme pour commencer, puisque nous sommes ici en plein merveilleux. C’est aussi une fantasy « À la Calvo », c’est-à-dire totalement décalée : si on se situe bien en territoire féérique, les créatures qui le peuplent n’ont pas grand-chose à voir avec celles que l’on y croise habituellement. Même si Arthur Conan Doyle est convoqué, les fées de Calvo adoptent volontiers une forme végétale ou animale, et un simple cerf-volant peut lui aussi se révéler merveilleux… Délius démarre néanmoins comme un roman policier, pour permettre l’entrée en douceur du lecteur dans les délires de l’autrice. Plus le récit avance, plus il convient de faire fi de la raison ; il faut effectuer un petit pas de côté pour mieux envisager le monde sous un autre angle, où les choses se parent d’autres couleurs – tels les cheveux de Lacejambe, qui changent de teinte en fonction des émotions qui l’agitent. Cet univers nous devient ainsi progressivement familier, rythmé par les références artistiques – musique et poésie en tête –, choisies par Calvo : Frederick Delius, le compositeur britannique décédé près de Fontainebleau, la poétesse oubliée P.D. Finn, Conan Doyle donc (à ce propos, les allusions à Sherlock Holmes sont d’une drôlerie exquise) ou encore Kate Bush, dont l’une de ses chansons donne son titre au roman. Bien que fantaisiste, le tout acquiert ainsi une véritable cohérence — impressionnante, même, pour un premier roman. Délius ravit de fait son lectorat par sa subtilité, sa cohérence, on l’a dit, mais aussi par son style : fluide et poétique à la fois, la plume de Calvo fait la part belle à l’humour, qu’il s’agisse de situations abracadabranteques ou de dialogues cousus de fil blanc, notamment dans les échanges aigres-doux entre Lacejambe et Fenby. Avec Délius, la patte Calvo était née, et ce premier roman à la folie douce porte déjà en lui les germes de l’œuvre future – des bouts d’un univers extrêmement personnel, semblable à nul autre, aussi attachant que stimulant. Délius est un délice.

Sept ans et deux romans (Wonderful et Atomic Bomb) plus tard, Sabrina Calvo donne une suite à ce roman avec La Nuit des Labyrinthes, censément le deuxième tome d’une trilogie dont le dernier volet, Laocoon – hymne d’hiver, n’a jamais été publié.

Les nouvelles aventures de Lacejambe et Fenby commencent lors de la soirée du réveillon de Noël 1905, à Marseille. Le détective botaniste, désormais blasé et à la limite de l’aigri, retrouve néanmoins un regain d’intérêt quand on lui demande de remettre la main sur une plante ayant mystérieusement disparu de la ville, la marina massalia. Au cours de cette enquête, Lacejambe va croiser la route d’agressifs lampions vivants et assister à des déferlements de violence alors qu’on inaugure un nouveau pont dans la cité phocéenne et qu’une sombre menace pèse sur la ville. La tonalité se fait beaucoup plus sombre dans ce deuxième tome : les séquences éprouvantes se succèdent, avec peu de scènes enjouées pour respirer. L’autrice aborde ici des thématiques qui se prêtent moins à la fantaisie — l’ésotérisme et la franc-maçonnerie. Au-delà des thèmes et de leur traitement, même la personnalité des protagonistes a changé : désormais en froid avec Fenby, Lacejambe semble fatigué de la vie, ayant perdu le dynamisme qui le caractérisait. Les lecteurs qui ont apprécié la luminosité de Délius risquent fort d’être déstabilisés par ce changement de ton, d’autant que le style a également évolué. Ce que l’écriture a gagné en maîtrise, elle l’a un peu perdu en authenticité. Ce roman est également un vibrant hommage à la ville de Marseille, ville de naissance de Sabrina Calvo que l’on découvre ici sous bien des aspects, géographique, historique, voire mythologique… Si cela peut se révéler passionnant pour comprendre le fonctionnement de l’agglomération, de même que son rapport à ses habitants et à sa propre histoire, l’accumulation de références locales peut virer à l’indigeste aux yeux d’un lecteur peu familier des lieux. En fin de compte, La Nuit des labyrinthes souffre de la comparaison avec son prédécesseur, Délius, mais contient son lot d’idées et de scènes mémorables, voire inoubliables. Nul doute qu’il aurait été intéressant de voir où Sabrina Calvo comptait nous mener avec le troisième tome, Laocoon, opus dont on ne doute pas qu’il nous aurait, lui aussi, déstabilisé. À l’heure où Mnémos vient de rééditer Délius, et s’apprête à faire de même avec La Nuit des labyrinthes, il est permis d’espérer (1)…

(1). Renseignements pris auprès de l’intéressée, cet ultime opus est bien prévu pour 2021, apportant un point final à ce qu’il conviendra alors d’appeler « La Trilogie des fleurs ». [NdRC]

Délius, une chanson d'été

[Critique commune à Délius et La Nuit des labyrinthes]

Premier roman de Sabrina Calvo — et même première œuvre publiée de l’autrice, puisque ses textes courts viendront plus tard —, Délius, une chanson d’été, originellement paru en 1997, fit partie du renouveau de la fantasy française propulsée par les éditions Mnémos au milieu des années quatre-vingt-dix.

En cette fin de XIXe siècle, une série de meurtres secoue le monde. Fait curieux, les victimes, bien qu’atrocement mutilées, arborent toutes un sourire de ravissement béat ; l’enquête, plutôt que d’être confiée à Sherlock Holmes, échoue entre les mains de Bertrand Lacejambe. Serait-il policier ? Détective ? Ni l’un ni l’autre, puisqu’il exerce la noble profession de botaniste – même s’il possède également un talent de déduction certain, dont il œuvre dans son laboratoire pour tenter des expériences autour des fleurs qu’il adore. Si on lui confie l’enquête, c’est parce que les victimes du tueur ont pour point commun d’avoir leurs cadavres remplis de fleurs rares. Le meurtrier y trouve un surnom — le Fleuriste – et Lacejambe une mission, partagée avec son fidèle acolyte Fenby : découvrir l’identité et les mobiles du criminel.

Délius se révèle un enchantement de la première à la dernière page : au sens propre du terme pour commencer, puisque nous sommes ici en plein merveilleux. C’est aussi une fantasy « À la Calvo », c’est-à-dire totalement décalée : si on se situe bien en territoire féérique, les créatures qui le peuplent n’ont pas grand-chose à voir avec celles que l’on y croise habituellement. Même si Arthur Conan Doyle est convoqué, les fées de Calvo adoptent volontiers une forme végétale ou animale, et un simple cerf-volant peut lui aussi se révéler merveilleux… Délius démarre néanmoins comme un roman policier, pour permettre l’entrée en douceur du lecteur dans les délires de l’autrice. Plus le récit avance, plus il convient de faire fi de la raison ; il faut effectuer un petit pas de côté pour mieux envisager le monde sous un autre angle, où les choses se parent d’autres couleurs – tels les cheveux de Lacejambe, qui changent de teinte en fonction des émotions qui l’agitent. Cet univers nous devient ainsi progressivement familier, rythmé par les références artistiques – musique et poésie en tête –, choisies par Calvo : Frederick Delius, le compositeur britannique décédé près de Fontainebleau, la poétesse oubliée P.D. Finn, Conan Doyle donc (à ce propos, les allusions à Sherlock Holmes sont d’une drôlerie exquise) ou encore Kate Bush, dont l’une de ses chansons donne son titre au roman. Bien que fantaisiste, le tout acquiert ainsi une véritable cohérence — impressionnante, même, pour un premier roman. Délius ravit de fait son lectorat par sa subtilité, sa cohérence, on l’a dit, mais aussi par son style : fluide et poétique à la fois, la plume de Calvo fait la part belle à l’humour, qu’il s’agisse de situations abracadabranteques ou de dialogues cousus de fil blanc, notamment dans les échanges aigres-doux entre Lacejambe et Fenby. Avec Délius, la patte Calvo était née, et ce premier roman à la folie douce porte déjà en lui les germes de l’œuvre future – des bouts d’un univers extrêmement personnel, semblable à nul autre, aussi attachant que stimulant. Délius est un délice.

Sept ans et deux romans (Wonderful et Atomic Bomb) plus tard, Sabrina Calvo donne une suite à ce roman avec La Nuit des Labyrinthes, censément le deuxième tome d’une trilogie dont le dernier volet, Laocoon – hymne d’hiver, n’a jamais été publié.

Les nouvelles aventures de Lacejambe et Fenby commencent lors de la soirée du réveillon de Noël 1905, à Marseille. Le détective botaniste, désormais blasé et à la limite de l’aigri, retrouve néanmoins un regain d’intérêt quand on lui demande de remettre la main sur une plante ayant mystérieusement disparu de la ville, la marina massalia. Au cours de cette enquête, Lacejambe va croiser la route d’agressifs lampions vivants et assister à des déferlements de violence alors qu’on inaugure un nouveau pont dans la cité phocéenne et qu’une sombre menace pèse sur la ville. La tonalité se fait beaucoup plus sombre dans ce deuxième tome : les séquences éprouvantes se succèdent, avec peu de scènes enjouées pour respirer. L’autrice aborde ici des thématiques qui se prêtent moins à la fantaisie — l’ésotérisme et la franc-maçonnerie. Au-delà des thèmes et de leur traitement, même la personnalité des protagonistes a changé : désormais en froid avec Fenby, Lacejambe semble fatigué de la vie, ayant perdu le dynamisme qui le caractérisait. Les lecteurs qui ont apprécié la luminosité de Délius risquent fort d’être déstabilisés par ce changement de ton, d’autant que le style a également évolué. Ce que l’écriture a gagné en maîtrise, elle l’a un peu perdu en authenticité. Ce roman est également un vibrant hommage à la ville de Marseille, ville de naissance de Sabrina Calvo que l’on découvre ici sous bien des aspects, géographique, historique, voire mythologique… Si cela peut se révéler passionnant pour comprendre le fonctionnement de l’agglomération, de même que son rapport à ses habitants et à sa propre histoire, l’accumulation de références locales peut virer à l’indigeste aux yeux d’un lecteur peu familier des lieux. En fin de compte, La Nuit des labyrinthes souffre de la comparaison avec son prédécesseur, Délius, mais contient son lot d’idées et de scènes mémorables, voire inoubliables. Nul doute qu’il aurait été intéressant de voir où Sabrina Calvo comptait nous mener avec le troisième tome, Laocoon, opus dont on ne doute pas qu’il nous aurait, lui aussi, déstabilisé. À l’heure où Mnémos vient de rééditer Délius, et s’apprête à faire de même avec La Nuit des labyrinthes, il est permis d’espérer (1)…

(1). Renseignements pris auprès de l’intéressée, cet ultime opus est bien prévu pour 2021, apportant un point final à ce qu’il conviendra alors d’appeler « La Trilogie des fleurs ». [NdRC]

Grand Prix de l'Imaginaire 2020

Le Grand Prix de l'Imaginaire vient de dévoiler son palmarès ! Nous avons l'immense joie de voir deux novellas de la collection Une Heure-Lumière récompensées : Helstrid de Christian Leourier dans la catégorie Nouvelle francophone et Les Meurtres de Molly Southbourne de Tade Thompson (trad. Jean-Daniel Brèque) dans la catégorie Nouvelle étrangère. Quant à Michelle Charrier, elle est couronnée pour son formidable travail de traduction sur Trop semblable à l'éclair d'Ada Palmer. Bravo à tous les lauréats !

Les Villes imaginaire

Hasard du calendrier, c’est à une semaine d’intervalle en octobre 2019 que sont sortis deux essais consacrés aux villes dans les littératures de l’imaginaire : Station Metropolis direction Coruscant d’Alain Musset aux éditions du Bélial’, évoqué plus haut, et le présent ouvrage. Urbanisme et littératures de l’imaginaire se nourrissent mutuellement, et y dédier un ou plusieurs ouvrages suffirait à peine à épuiser le sujet.

Au fil d’articles de longueur variable, Darran Anderson promène son lecteur à travers les époques, à travers villes réelles et villes imaginaires – on y visite aussi bien Metropolis que Gotham, les mystérieuses mythiques cités d’or que Germania… On y croise Marco Polo aussi bien qu’Albert Speer, Le Corbusier ou Fritz Lang dans leurs rêves ou leurs accomplissements. Si la première moitié du livre s’intéresse surtout aux villes existantes, présentes comme passées, la seconde moitié rassure : le jeune auteur connait son bréviaire de la SF sur le bout des doigts… mais ne peut s’empêcher de faire étalage de sa science (fiction) au gré de notes de bas de page un brin envahissantes. En fin de compte, Les Villes imaginaires s’avère d’une lecture plaisante mais très, trop fourre-tout : Darran Anderson nous propose un livre aussi érudit que déstructuré, qui convient mieux au picorage qu’à une lecture au long cours. On referme ainsi cette somme épaisse avec le sentiment d’avoir entraperçu moult choses merveilleuses ou bien effroyables au fil de cette balade urbaine, mais en étant bien en peine de dire quoi précisément.

Seule dans l’espace

Seule dans l’espace  : si le titre renvoie à Seul sur Mars d’Andy Weir, publié par le même éditeur, le pitch rappelle irrésistiblement Gravity. Pas de chance, ce roman n’est ni l’un ni l’autre.

Décembre 2067. Lorsque Maryam – May – Knox, commandante du Hawking II, astronef destiné à explorer le satellite jovien Europe, se réveille dans l’infirmerie de bord, elle ne se souvient de rien : ni de son hospitalisation, ni de la raison pour laquelle le vaisseau, gravement endommagé, dérive au large de Jupiter, ni pourquoi elle est la seule survivante à bord. Que s’est-il passé ? Surtout, comment revenir sur Terre alors que le Hawking II se déglingue à vue d’œil ? Sur Terre, justement, Stephen Knox, futur ex-mari de May, va faire tout son possible pour faire revenir celle-ci en vie, quitte à se battre contre vents et marées…

Certes, conquête spatiale n’est pas qu’une histoire de mecs : la récente sortie dans l’espace entièrement féminine effectuée par les astronautes américaines Christina Koch et Jessica Meir l’a rappelé – après un pataquès maladroit de la Nasa. Mais cela, la SF l’a compris depuis longtemps. Il n’empêche : ici, à commencer par May, qui ne semble douée que d’une émotion à la fois, les personnages ont moins d’épaisseur que les parois de la station Mir et sont desservis par des dialogues niais. Afin de justifier d’incessants flashbacks (où l’on voit que les années 2060 ressemblent à s’y méprendre à notre époque), l’héroïne est opportunément amnésique : un cliché qui mériterait d’être banni par la Convention de Genève.

Le roman fait pourtant illusion dans sa première moitié, avant que les prétentions hard science volent en éclat, à l’instar des vaisseaux spatiaux de ce roman – c’est-à-dire tout le temps et douloureusement. On passe de l’orbite jovienne à Mars en trois mois à bord d’un vaisseau amoché, sans avoir à se soucier de la navigation, traversant des champs d’astéroïdes où on n’y voit pas à dix mètres ; on juge bon d’effectuer un rendez-vous orbital à la frontière d’une atmosphère planétaire ; on accouche d’un bébé de cinq mois à ce moment-là, et sans trop de séquelles, apparemment, pour le grand prématuré. La suspension consentie d’incrédulité est violée par des incohérences calibre Saturn V – ça fait mal. Sans oublier un correcteur orthographique débile (ça ne peut être que ça, non ?), qui nous fait voir des capsules Mercure à la place de Mercury, des zodiaques à la place de Zodiacs.

À vrai dire, la meilleure chose à faire pour Seule dans l’espace, c’est de le laisser dériver vers l’oubli. La prochaine fois que S. K. Vaughn se pique de commettre un roman de SF, pitié, qu’il potasse davantage son sujet – ou s’en abstienne.

Cadavre exquis

Futur proche. Un virus a rendu la totalité des animaux de la planète impropres à la consommation – enfin, du moins les mammifères, à l’exception notable de l’espèce humaine. Puisqu’il n’est plus possible de manger de la viande « normale » et qu’il n’est pas question de virer végétarien, la « viande spéciale » a été mise au point : ils ont deux bras, deux jambes, une tête et, non, il ne faudrait surtout pas les considérer comme des humains. Ce serait leur donner une identité alors que ce sont des produits, des têtes de bétail, élevées pour fournir au reste de l’humanité son quota de viande rouge. Bref, résultat d’une intense campagne de communication, le cannibalisme est devenu acceptable. Et c’est ainsi que Marco s’est retrouvé à travailler dans un abattoir. Il tâche de bien faire son boulot, de veiller à ce que le traitement des produits se déroule au mieux, et c’est la raison pour laquelle il est un jour gratifié d’une tête de bétail spécial, une femelle, pour sa consommation personnelle. En ce futur troublé, être surpris à jouer avec sa nourriture est puni de la peine capitale. Néanmoins, Marco est attiré par cette femelle et, bien vite, va commettre l’impensable : la traiter comme une semblable.

On le sait depuis longtemps, l’homme est un loup pour l’homme, qui n’hésitera pas à manger la chair des siens, par rituel, pour le plaisir (façon Comte Zaroff ou Hannibal Lecter) ou par sombre nécessité (Soleil vert). Ici, c’est par nécessité. Du moins, si les gouvernements de ce monde futur disent vrai et s’il ne s’agit pas d’un nouveau stade ultime d’un capitalisme proprement anthropophage – l’humain se tournant vers soi-même après avoir asservi le reste du règne animal.

Si Agustina Bazterrica entend prouver par le présent roman que le spécisme, c’est le mal, alors l’autrice argentine aurait pu trouver moyen plus subtil de délivrer son message. Marco, personnage étique (et quasiment anonyme : on apprend tardivement son nom), est déplacé au fil d’une intrigue anémiée pour montrer au lecteur toutes les façons auxquelles le produit humain est accommodé, entre exploitants cruels, charognards ou types faisant simplement leur boulot. Certaines séquences font leur effet (la visite guidée de l’abattoir, proche de l’insoutenable), mais l’ensemble suscite l’ennui, et l’incrédulité peine parfois à être suspendue. Autant lire un pamphlet antispéciste, ça coûte moins cher et c’est plus efficace.

Vie™

Bonheur™ avait marqué l’arrivée tonitruante de Jean Baret en SF (cf. Bifrost 93). Ce roman sans concession passait au vitriol notre société de consommation en imaginant un futur pas si éloigné où l’identité même des personnes s’effaçait derrière les marques, où la violence ne choquait plus personne ; en outre, l’ouvrage adoptait une forme extrêmement répétitive, comme le matraquage le plus insupportable des publicités modernes – la forme au service du fond, en somme. Récit clivant par essence, Bonheur™ constituait aussi le premier tome de la « Trilogie Trademark », dont Vie™ constitue le deuxième volume, quand bien même les romans peuvent se lire indépendamment.

Le citoyen X23T800S13E616, alias Sylvester Staline, se réveille tous les jours dans son Ted™, bain de liquide nourricier. Il enfile sesAugEyez™ et ses AugEars™, et redécouvre les meubles creative commons de son environnement. Il peut alors vaquer à son travail, à savoir tourner des cubes multicolores sans que l’on comprenne à quoi cela sert. Quand il s’arrête, il peut utiliser ses temps de loisirs, d’amitié, et d’amour, qui comptabilisent toutes ses occupations. À savoir faire l’amour avec quantité d’autres personnes par l’entremise de prothèses sexuelles, discuter avec ses amis qui lui facturent leur intervention 200 crédits de l’heure, regarder des infomercials… Mais tout cela virtuellement, à base de « clic clic », car Sylvester, comme tous ses congénères, ne bouge pas de chez lui. Pour l’aider dans ses tâches, et plus globalement son existence entière, il lui suffit de se détendre et de faire confiance aux algorithmes qui ont pris sa vie en mains. Pratique ? Oui, mais…

Le titre de travail du présent roman était Algopolis, et on comprend bien pourquoi : ce roman tourne entièrement autour du concept d’algorithme. La société décrite ici par Baret, et qui n’est pas sans rappeler certains épisodes de Black Mirror, la série britannique de Charlie Brooker, ne fonctionne que sur leur efficacité : pour chaque tâche quotidienne, il existe un algorithme. Vous n’êtes pas en forme ? Un algorithme le détecte et fait appel à un autre pour vous administrer le traitement adéquat. Vous cherchez un nouveau jeu érotique pour pimenter vos soirées ? Un algorithme analyse vos pratiques habituelles, vos interactions avec vos proches amis, et vous suggère tel modèle de ButtPlug™ ou PumPénis™. Vous possédez une arme sans port d’arme ? Un algorithme le détecte. Des algorithmes. Partout. Ad nauseam. Pourtant, les citoyens s’en satisfont. Car toute volonté a été annihilée, tout idéal éradiqué. La vie n’a plus aucun sens. Ou plutôt, «  le seul sens est de vivre et se reproduire ». Sylvester, pas tout à fait câblé comme les autres – il se tire une balle dans la tête à chaque fin de journée, car il sait que son corps sera regénéré par Ted™ — va ainsi peu à peu prendre conscience de ce néant. Et opter pour une solution radicale. Car Jean Baret, faut-il le rappeler, est nihiliste, et ce roman en est la preuve la plus évidente. Sylvester se dépouille ainsi peu à peu de toutes ses barrières, de toutes ses croyances religieuses, politiques ou philosophiques, déracinant ce Dieu qu’il n’a finalement jamais connu, remplacé par les algorithmes depuis belle lurette. Et, quitte à ce que le monde n’ait plus vraiment de substance, pourquoi ne pas pousser la logique à l’extrême, basculer dans le néant le plus total, d’autant qu’on a déjà parcouru une bonne partie du chemin. En effet, c’est encore et toujours du présent que nous parle Baret, où le citoyen se résume de plus en plus à des chiffres dans une méga-base de données, où nos habitudes sont traquées de façon à toujours nous proposer la même chose, nous privant peu à peu de liberté tout en nous en donnant un ersatz. Pour nous ouvrir les yeux sur les dangers liés à l’évolution de la société (à moins qu’il ne s’agisse d’une réelle opportunité ? le nihilisme s’accorde bien de certaines formes de résignation), il suffisait que quelqu’un pousse l’extrapolation un peu plus loin ; Jean Baret s’en est chargé.

La forme de Vie™ reprend celle de Bonheur™, à savoir quelque chose de très répétitif, d’une extrême violence, outré dans sa provocation. Une lecture qui marque encore durablement le lecteur. En attendant que Mort™ vienne conclure la série dans quelques mois. Tout un programme…

L’espace, le temps et au-delà

Bruno Pochesci a débarqué sur la scène de l’imaginaire en 2013 et a depuis a enchaîné les parutions à un rythme très soutenu : un roman en 2016 chez Rivière Blanche (Hammour), mais surtout plus d’une soixantaine de nouvelles, à raison d’une dizaine chaque année, notamment dans Galaxies, Géante Rouge, AOC ou Gandahar. Nouvelles réunies dans un premier recueil à coloration fantastique, chez Malpertuis en 2018 (L’Amour, la mort et le reste) puis dans ce deuxième, L’Espace, le temps et au-delà, son pendant SF, aux éditions Flatland, qui ne comprend pas moins de seize nouvelles (d’une longueur moyenne d’une douzaine de pages), dont deux inédites.

Du reste, ce recueil se place sous le double patronage des Jean-Pierre : Fontana, qui signe ici une préface, et l’a publié le premier (et qui partage avec l’auteur des origines italiennes indéniables) ; et Andrevon, qui réalise la couverture, dont les albums de musique ont été produits par Pochesci, et dont les écrits ont visiblement influencé l’auteur (on y reviendra).

Si l’on doit décrire la SF de Pochesci, on notera surtout, d’un point de vue thématique, la prégnance de la fin du monde : nombre des textes ici réunis abordent en effet l’apocalypse, inéluctable, qu’il s’agisse de catastrophes écologiques ou d’expérimentations scientifiques qui ont mal tourné. On y retrouve également des thèmes classiques de la SF, le voyage dans le temps (un hommage à Wells où la machine prend la forme… d’un camping-car), le clonage (un texte dont les protagonistes s’appellent Gandhi, Hitler, Monroe, Einstein…) ou encore des crimes en huis clos dans un vaisseau spatial…

Les problématiques de fin du monde ne sauraient pour autant nous faire basculer dans la morosité, voire le désespoir : en effet, s’il y a bien une note commune dans ces nouvelles, c’est l’humour, qu’il soit goguenard, outrancier, noir ou désespéré. Pochesci use de nombreux effets, qu’il s’agisse du comique de situation (outrée), de dialogues drolatiques, ou de métaphores et d’analogies parfois invraisemblables. Il y a une vraie patte d’auteur là-dedans, un style aisément reconnaissable, notamment dans son utilisation du langage familier et son recours très fréquent au présent de narration pour décrire des tranches de vie. Autant de caractéristiques communes qui nous amènent à reparler de Jean-Pierre Andrevon : on retrouve une filiation très claire entre les deux auteurs. Ce n’est pas le pire des modèles pour Pochesci, aussi lui souhaitera-t-on de réussir la même carrière que son glorieux aîné ; cependant, sans doute n’était-il pas nécessaire pour autant de lui emprunter également le systématisme des scènes de cul, qui parsèment l’ensemble des nouvelles (et en constituent parfois le thème principal) et finissent par lasser. Au rayon des critiques, on pourra peut-être aussi regretter une trop grande uni(formi)té de ton : on aimerait bien voir ce qu’est capable d’écrire l’auteur dans le registre tragique pur, à tout le moins débarrassé de l’habituel ton gouailleur, ou dans des styles plus classiques.

En l’état, L’Espace, le temps et au-delà est donc un excellent moyen d’entrer dans l’œuvre de Bruno Pochesci et de découvrir une des nouvelles voix de la SF française dans la forme courte. Un potentiel certain, qu’il conviendra de faire fructifier en diversifiant encore davantage les thématiques et traitements associés.

Songeurs de monde

L’écrivain Ugo Bellagamba et le peintre Christophe Dougnac ont fusionné leurs imaginations respectives pour produire ce bel œuvre. Vous le voyez. Vous le prenez. Vous le feuilletez. Et aussitôt, ça vous parle… C’est ainsi que, moi, je réagis à tout art graphique. Oui ou Non. D’emblée.

38 pages de peinture. 25 tableaux dont 2 dessins. 16 pages d’illustrations avec plus ou moins de texte. 5 pages illustrées/peintes en noir avec du texte par-dessus pour les cauchemars. 30 pages de texte + la préface de Pierre Bordage (2 p.) + la postface de Wojtek Suidmak (1 p. avec un dessin dudit Suidmak) + 4 pages pour les biographies, bibliographies et remerciements.

Les peintures semi figuratives de Christophe Dougnac évoquent tantôt les travaux graphiques de Philippe Curval ; tantôt les œuvres d’Yvon Cayrel (sans lignes droites), où l’on perçoit bien la texture sous jacente de la toile et l’épaisseur de la peinture, le relief des couches de matière superposées. C’est d’une beauté fascinante. On contemple. On s’y perd et on y revient. Ces peintures parlent à l’amateur de SF que je suis comme l’art religieux doit parler au croyant. Il se passe quelque chose…

Le texte d’Ugo Bellagamba n’est pas à proprement parler un poème en prose, mais il n’en est pas moins très poétique et, pour tout dire, très beau. Voilà, c’est ça : beau. Une simple aventure spatiale, pourrait-on dire. Pour peu qu’on ait un cœur sec et froid. Car c’est bien davantage une fable magnifique, un « Voyage Extraordinaire » vers un pays des « mille et une nuits » à l’onirique parfum d’ailleurs où viendrait aborder un Simbad délaissant les teintes au psychédélisme dur d’un Richard Corben.

Avec une poignée d’humanoïdes augmentés à son bord, TAÂM, super-vaisseau sensible et intelligent, a quitté une Terre agonisante, toujours et encore livrée à la guerre, à la rapine, où les rares humains survivants, comme des chiens, se disputent un dernier os… Au gré des mondes qu’ils explorent ou visitent, Ambre, la Ferrailleuse, incarnant le commerce, paiera ses emplettes de son essence même. Puis Enacryos, médiateur et fauteur de paix, instillera la compréhension là où une guerre séculaire hypothéquait tout avenir. Wong, l’ambition incarnée, plongera dans le brasier de Proxima Centauri B pour s’y consumer tel un Icare inversé avant de renaître à l’instar du phœnix en ramenant le fabuleux cœur d’un monde. Honorine, la généticienne qui entend la voix de tous les êtres d’un monde, remet sur la bonne voie les espèces s’étant fourvoyées dans les impasses de la vie. Archiboldo est quant à lui l’imagier, l’artiste créateur qui sait montrer à tous et sans qui les plus prodigieuses aventures des autres humanoïdes ne seraient tout simplement pas. Il est le forgeur de merveilles. Et Kalista, enfin, descendante de Jules Verne, captive de la boucle temporelle d’un trou noir à laquelle TAÂM l’arrache en y plongeant et qui devient la conteuse, celle qui met en mots, qui est le revers d’une médaille dont l’artiste est l’avers. Par-delà Achiboldo et Kalista transparaissent d’évidence Christophe et Ugo, évoquant chacun les places qui, selon eux, devraient être celles des artistes et des écrivains dans un rôle de passeur au sein d’une civilisation idéale qu’ils nous proposent de rêver, nous laissant entrevoir la possibilité d’un monde meilleur, épris et empreint de beauté, de paix et de vie, qui sache se souvenir sans pour autant n’avoir aucune ambition pour l’avenir. Un monde qui ne demande qu’à franchir la porte de nos songes pour advenir.

Voila un bien bel album, ambitieux justement. Tout empli de rêves et de beauté fulgurante, d’une poésie radieuse et pourtant d’une modernité étincelante. Pleins d’idées et d’espoir. Prenant et magnifique. Songeurs de monde parle tant au cœur qu’à l’esprit. Une véritable œuvre de science-fiction d’une force telle que l’on a pas si souvent l’occasion d’en lire/voir.

Aussi bien pour les amateurs d’art que de SF. Pour soi, bien sûr, mais aussi pour offrir parce qu’il est tellement utile de faire rêver. Attention, ça part comme des petits pains, il n’y en aura pas pour tout le monde – tirage limité à 1000 exemplaires financé par un crowdfunding Ulule, on commande par ici.

Boule de foudre

Parce qu’il voit ses parents mourir sous ses yeux, frappés par une boule de foudre, le jeune Chen décide de vouer son existence à comprendre comment cet événement a pu avoir lieu. Aussi mène-t-il des études scientifiques de plus en plus poussées afin d’appréhender ce phénomène naturel mal connu — et donc maîtrisé – qui, au regard de sa rareté, intéresse peu les divers organismes de recherches. Il lui faudra faire montre de persévérance et d’abnégation, tenter de convaincre ses tuteurs successifs du bien-fondé de son intérêt – et trouver le concours d’une jeune femme, passionnée comme lui par le sujet. Mais il lui faudra aussi faire des compromis avec sa morale ; le sujet intéressant peu la recherche, c’est du côté militaire qu’il trouvera des subventions. L’armée ayant bien sûr une motivation avouée : faire une arme de cette forme bien particulière de foudre…

On attendait beaucoup du nouveau titre de Liu Cixin après l’énorme succès de sa trilogie du « Problème à trois corps », SF chinoise aussi passionnante qu’efficace ne rechignant pas à l’emploi de quelques grosses ficelles. Boule de foudre – dont le titre français laissera longtemps songeurs les amateurs de mauvais jeux de mots et autres contrepèteries – vient donc aujourd’hui compléter la bibliographie de l’auteur. On ne se fiera pas au copyright de 2018 en début d’ouvrage : il s’agit d’un roman écrit vers 2001 et publié en 2004, soit avant le volume initial de sa célébrissime trilogie. La précision n’est pas superflue, car cela se ressent à la lecture de l’ouvrage – d’une naïveté désolante. Bien sûr, son personnage principal a quatorze ans au début des faits ; on ne peut attendre qu’il se comporte comme un adulte. Mais tout de même ! Une telle naïveté ! Pire, le déroulement de ses avancées scientifiques est invraisemblable : il est bloqué dans une démonstration théorique ? Pas grave, il fait la fort opportune rencontre d’un savant génial qui trouve un nouvel angle d’approche. Il lui manque des crédits pour poursuivre ses recherches ? Aucun souci, sa copine connaît du monde, passe un coup de fil et l’argent coule à flot. Des grosses ficelles qui se déplient durant les 450 pages (!) que compte ce très dense pavé – voilà qui fait tache pour un ouvrage qui se veut une exploration hard science de la foudre en boule. D’autant que si le postulat est contestable, ladite foudre en boule échappant encore à la compréhension humaine, Liu Cixin gère plutôt bien les extrapolations scientifiques, et son imagination génère des développements inattendus toujours étayés par des raisonnements certes fantaisistes, mais au vernis de crédibilité. Ce qui accentue davantage encore l’incohérence de certains personnages ou les dei ex machina à répétition.

Une déception que ce roman, en somme : beaucoup trop gros et indigeste, trop improbable dans son développement, il dessert une thématique qui ne manque pourtant pas d’intérêt tant elle tape en plein dans la suspension d’incrédulité – les manifestations de la foudre en boule, décrites comme réellement observées selon son auteur, sont parfois très déstabilisantes — chère à la meilleure des SF.

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