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Critiques du Bifrost 71

Retrouvez sur la page du Bifrost 71 toutes les critiques de livres de ce numéro !

Sept secondes pour devenir un aigle

On devine chez l’auteur le souci toujours présent de préserver la cohésion et le sens du récit. L’écriture coule ou cogne avec facilité mais sans artificialité et toujours au service de la narration. Un ensemble remarquable, « Ethologie du tigre » en tête, dans un packaging aux petits oignons. Soleil vert

Bifrost 72 spécial Ray Bradbury est là !

Ça y est, le Bifrost 72 consacré à Ray Bradbury est là ! Avec trois nouvelles du maître et un dossier complet, mais aussi des textes inédits de Jean-Philippe Depotte et Christian Léourier. Dès aujourd'hui, en papier et en numérique, dans toutes les bonnes librairies et sur belial.fr !

Le Calice du Dragon

Au final la magie de Griaule opère toujours dans ce Calice du Dragon et qu’on ne saurait que trop vous recommander. C’est un ouvrage de fantasy original et intelligent. Voici la preuve de la richesse de ce genre qui a encore beaucoup à dire. Et Lucius Shepard tout particulièrement... ActuSF

L'Homme illustré

Pour le commun des mortels, Ray Bradbury est l’homme qui a écrit Chroniques martiennes et Fahrenheit 451. Dans cette frange « informée » des mortels, une bonne partie n’a même pas lu les livres cités. Alors les nouvelles… Considéré comme un classique, sans cesse réimprimé en France depuis sa première parution, cet Homme illustré est un très bon choix pour découvrir les textes courts de l’auteur. Il s’agit d’un recueil de dix-neuf récits rédigés autour de 1950, précédés d’une préface et encadrés d’un prologue et d’un épilogue qui en font en quelque sorte un roman.

Un voyageur rencontre un homme intégralement tatoué, un freak comme on en exposait dans les cirques américains au début du XXe siècle. Lui ne se dit pas tatoué ; il est « illustré », ce qui semble supérieur. Une vieille femme, une « sorcière » qu’il recherche depuis cinquante ans pour la tuer, lui fit sur le corps ces illustrations qu’il hait, qu’il veut détruire car elles sont vivantes, mobiles, et prédisent l’avenir, même le plus tragique.

Tout au long du recueil — chaque nouvelle étant l’histoire « racontée » par une illustration —, Bradbury aborde les grands thèmes qui sont au cœur des préoccupations au début des années 50 : famille, société de consommation, racisme (et réconciliation), peur de la guerre, peur de l’anéantissement atomique, fascination pour une exploration spatiale devenue envisageable. Il s’attaque aussi aux deux thèmes qui le rendront célèbres : Mars et les autodafés.

Comme la plupart des auteurs de l’époque, il le fait de manière très prosaïque. Bradbury décrit des personnages qui sont, fondamentalement, des Américains des années 50, mis en scène plus tard ou ailleurs. De ce point de vue, la SF de Bradbury ressemble à ce fantastique défini comme l’intrusion du surnaturel dans le réel. Ce n’est pas le surnaturel qui s’immisce ici, c’est le scientifique, mais l’impression est la même : un élément scientifique, inédit pour le lecteur et pas toujours pour les personnages, interagit avec une personne ou une famille qui fleurent bon la classe moyenne américaine (on y boit de la citronnade dans la véranda à claire-voie avant de prendre la fusée). Ce n’est pas du world-building contemporain, la totalité du système politique, social, économique et technique n’est pas bouleversée ; ce sont des nouveautés scientifiques, imaginées par l’auteur et posées sur une trame connue, qui la transforment, dans une littérature que Bradbury lui-même qualifie de littérature du « Et si ? » ; l’auteur change un détail et rapporte ce que les hommes en font.

On trouvera donc dans cet Homme illustré, entre autres :

• Une première intuition des dangers de la réalité virtuelle, surtout laissée entre des mains d’enfants — « La Brousse ».

• Un accident spatial qui confronte ses héros malheureux à leur propre mort et à leurs insuffisances de caractère — « Kaléidoscope », un texte maintes fois joué sur scène.

• Le plaidoyer antiraciste sur le mode arroseur/arrosé — « Comme on se retrouve », que Bradbury ne parvint pas à publier aux USA.

• La guerre et l’anéantissement dans « La Grand-route » et « La Ville » ; l’espoir de les fuir dans « Le Renard et la forêt ».

• Le rêve du voyage spatial, si risqué et si beau ; tragique dans « L’Homme de l’espace », heureux dans « La Fusée ».

• L’incapacité à profiter d’une chance de rédemption, que ce soit dans « L’Homme », où un astronaute, à deux doigts de rencontrer Jésus sur une autre planète, ne peut se débarrasser des oripeaux qui l’empêchent de voir, ou dans « Le Visiteur », texte dans lequel des désespérés tuent par égoïsme celui qui leur apportait un peu d’espoir.

• Des planètes proches vivables, habitées, ou colonisées, comme on pouvait encore faire semblant d’y croire à l’époque, dans le terrifiant et excellent « La Pluie », ou le surprenant « Les Bannis ».

• Des automates indiscernables de leur modèle, « Automates, société anonyme », qui préfigurent Les Femmes de Stepford de Ira Levin, voire la série TV Real Humans.

• Des invasions extraterrestres, menées par des enfants complices dans « L’Heure H », ou vouées à se briser sur les charmes vénéneux de la société de consommation dans « La Bétonneuse ».

Un bien beau kaléidoscope de textes puisant dans l’inconscient de son époque pour se projeter dans l’avenir.

Chroniques martiennes

Parmi les rares livres de science-fiction étudiés dans les établissements scolaires de France et de Navarre, Chroniques martiennes se taille la part du lion, aux côtés de 1984 et de quelques autres barjaveleries. Pour l’anecdote, le chroniqueur confesse avoir fait lui-même ses premières armes avec ce faux roman — on va y revenir — dont il garde par ailleurs un souvenir ému, ravivé ensuite par l’adaptation télé en trois parties de Michael Anderson (scénarisée par Richard Matheson, excusez du peu).

On le voit, difficile d’échapper au registre de la nostalgie, et ce d’autant plus que Chroniques martiennes a inauguré la collection « Présence du futur » des éditions Denoël, chère au cœur des plus chenus parmi nous. Réédité en France en 1997 dans sa version intégrale, dite du quarantième anniversaire, l’ouvrage a bénéficié à cette occasion d’une révision de sa traduction par Jacques Chambon. Un toilettage bienvenu ayant permis de corriger quelques fâcheuses coquilles.

Comme leur nom l’indique, ces chroniques se composent de vingt-huit courts récits indépendants, parus en magazines ou écrits pour leur édition en recueil. Ordonnées chronologiquement de manière à dessiner une histoire globale s’étendant de l’an 2030 à 2057, elles relatent l’arrivée et l’installation des premiers colons sur Mars. Les Terriens y côtoient les Martiens, dont la civilisation ne tarde pas à disparaître suite à une épidémie de varicelle. Un fait qui inspire les réflexions amères de Spender dans la nouvelle « Et la lune qui luit… ». Mais, la guerre sur Terre met un coup d’arrêt aux migrations, entraînant le reflux des pionniers, à l’exception d’une poignée d’entre eux, amenés à devenir les nouveaux Martiens.

A l’instar de Cordwainer Smith ou de Clifford D. Simak, la science et la technologie ne rentrent pas dans les préoccupations de Ray Bradbury. A vrai dire, l’auteur ne se soucie guère de vraisemblance, préférant la poésie, l’émotion et le plaisir de la métaphore aux ébouriffantes spéculations sciences-fictives. Il ne cache d’ailleurs pas son aversion pour la bureaucratie et le rationalisme, en particulier dans la nouvelle « Usher II », dont le propos anticipe celui de son roman Fahrenheit 451. Le voyage spatial et les autres thèmes inhérents au genre apparaissent en conséquence comme des sources d’émerveillement. Une magie moderne utile pour narrer des histoires simples de petites gens, à la Sherwood Anderson, dont le charme suranné et le ton facétieux sont censés réveiller l’ingénuité de l’enfance. Mêlant pseudoscience — la télépathie —, motifs traditionnels du folklore américain et paysages inspirés des visions de Percival Lowell, Ray Bradbury s’acquitte de son tribut à la Barsoom d’Edgar Rice Burroughs. Il s’en détache toutefois, adoptant le ton du moraliste. Au fil des textes, on ne peut en effet s’empêcher d’établir un parallèle entre la colonisation de Mars et celle de l’Ouest américain. Les Terriens, laborieux et attachés à leur liberté, semblent animés par la même ambition que les pionniers du XIXe siècle. Mars apparaît à leurs yeux comme un espace vierge qu’il convient de peupler et de mettre en valeur. Les natifs font évidemment les frais de cette invasion, victimes d’un génocide bactériologique bien involontaire. Ray Bradbury ne se fait cependant guère d’illusion sur ses compatriotes. A la différence des Martiens, les colons cherchent surtout à adapter le milieu aux usages importés de la Terre, recréant sur place une multitude de petites Amériques et façonnant la toponymie selon leurs caprices. Nouvelle terre promise, Mars accueille leurs espoirs de recommencement. Un monde où éteindre leurs craintes ; un monde dégagé de toute contrainte. Des espoirs vite déçus… Au lieu de se fondre dans l’environnement, ils l’exploitent de manière mercantile, mettant à mal les équilibres écologiques. Leur nature industrieuse, leurs emportements violents et le matérialisme dont ils font montre s’opposent au mode de vie contemplatif, spirituel et respectueux de la nature qui prévalait avant leur arrivée.

En cela, Chroniques martiennes, sous les apparences de la science-fiction, est un conte moral. Une utopie dont le dénouement se révèle au final optimiste, ou du moins beaucoup plus ouvert que ne le laisse présager son déroulement. Et sous la patine du classique, l’œuvre de Ray Bradbury ne perd rien de son charme et de son pouvoir d’évocation, à la différence de nombreux autres ouvrages de l’âge d’or.

Un remède à la mélancolie

Composé de textes initialement publiés dans divers supports au cours des années 40 et 50, on trouvera dans cet ouvrage des nouvelles de différents genres, comme souvent avec les recueils de l’auteur : une science-fiction des plus classiques, du fantastique et même de la « littérature générale » de qualité. La plupart de ces vingt-deux textes sont courts (autre constante chez Bradbury), ce qui les rend difficiles à résumer sans en gâcher la chute.

Certaines histoires nous placent à la veille de l’imminente conquête de l’espace. Dans « La Fin du commencement », un homme tondant sa pelouse se trouve en proie au vertige de voir les frontières du possible encore repoussées par une première fusée s’élevant vers les étoiles. D’autres nous emmènent sur Mars, ou sur Vénus, comme dans « Et l’été ne dura qu’un jour », où nous suivons un groupe d’enfants alors qu’une heure de soleil est sur le point d’interrompre le cycle de sept ans de pluie du ciel vénusien. « Le Dragon » nous plonge aux côtés de deux hommes peu rassurés au cours une chasse fabuleuse à la conclusion des plus surprenantes. On suivra plus loin non sans amuse-ment une bande de jeunes latinos désœuvrés, s’achetant en commun « Le Splendide costume glace à la vanille » qui va leur faire re-considérer leur quotidien… Le changement de registre comme d’univers surprend souvent. Même si la qualité des textes est parfois inégale, il est impossible de savoir à quoi s’attendre à la nouvelle suivante, ce qui s’avère assez agréable pour peu qu’on accepte la règle du jeu.

On trouvera néanmoins un trait d’unité qui sous-tend le recueil : à chaque fois, le merveilleux ambiant est révélé par le pouvoir de l’imaginaire, par la rêverie poétique. Si Un remède à la mélancolie n’est pas le meilleur recueil de l’auteur, on retrouve dans chaque texte cette sensibilité et cette délicatesse propres à Bradbury. Ses histoires se concentrent sur les sentiments auxquels les personnages sont en proie, alors qu’ils sont confrontés à un évènement merveilleux, parfois surnaturel, parfois cruel, qui va changer leur vie. A l’image du remède prodigué à la jeune fille de la nouvelle-titre, victime d’un mal mystérieux, Bradbury entreprend de soigner son lecteur à travers une ode à l’imagination. Et il y parvient avec un certain succès.

Le Vin de l'été

Eté 1928, dans une petite ville de l’Illinois, Green Town. Un enfant, Douglas Spaulding, 12 ans, achète des chaussures de tennis neuves avec la promesse de faire toutes les courses urgentes du cordonnier. Deux sorcières (l’une aguerrie, l’autre débutante) se livrent une guerre sans pitié pour la présidence de la Ligue des Dames du Chèvrefeuille. Des enfants refusent de croire une vieille dame qui affirme qu’elle aussi a été jeune… il y a longtemps. A la rentrée scolaire, horreur ! un autobus remplacera le trolley. On achète de la crème glacée. On va faire un pique-nique en forêt, ramasser des myrtilles. On se promet une amitié éternelle. Un grand-père s’apprête à mettre en bouteille son célèbre vin de pissenlit, métaphore liquide d’un été parfait.

Eté 1928, dans une petite ville de l’Illinois, la vie coule doucement comme l’eau d’un ruisseau à l’ombre de grands arbres, tous les conflits (ou presque) s’achèvent dans la réconciliation. Et nul n’a encore compris qu’une ombre s’étendra bientôt sur tout le pays : la crise financière de 1929.

Avant toute autre considération, il faut préciser que Le Vin de l’été n’est pas un roman, c’est un fix-up de nouvelles reliées par des petits textes, des dialogues ; un récit éclaté dont le cadre pourrait être unique : Green Town, l’été 1928 (tout cela est très flou, contrairement à ce que laisse entendre la préface de Robert Kanters). Par contre, il est évident que Douglas Spaulding, c’est Ray Brabury enfant, et que Green Town n’est autre que Waukegan, où l’auteur a passé une partie de sa jeunesse.

De tous les romans/fix-up de Ray Bradbury, Le Vin de l’été est le plus représentatif de sa pensée, ce qu’accentue bien évidemment tout son côté autobiographique : il est légitime de s’inquiéter de tout le changement/soi-disant progrès, les machines n’apportent pas le bonheur, car les hommes n’ont pas la « sagesse de la machine ». Mélancolique, nostalgique, doux et cuivré, tel est le vin de l’été ; pas un roman, juste une suite de petites saynètes, parfois quelques nouvelles plus longues (et qui ne s’intègrent pas forcément bien dans l’ensemble), des cancans, des dialogues qui s’empilent et dressent le portrait de l’apogée de la civilisation américaine selon Ray Bradbury : l’été 1928. Cet été perdu qu’il a cherché toute sa vie à recréer, à retrouver, sur Mars et ailleurs. Cet été dont paradoxalement le contraire est l’automne, les jours qui raccourcissent, la menace d’Halloween et des cirques ambulants.

Le dictionnaire nous apprend que « La pensée réactionnaire rejette un présent perçu comme décadent et prône un retour vers un passé idéalisé. » ; Le Vin de l’été ne répond pas complètement à cette définition puisqu’il ne rejette pas un « présent décadent » — le progrès moral, la tolérance y sont de mise. Roman en fin de compte assez peu politique, Le Vin de l’été est l’œuvre d’un adulte qui, enfant, a connu l’été parfait et échoue à se mentir à lui-même : il ne le retrouvera jamais.

Difficile à lire, du fait de son côté décousu, de sa kyrielle de personnages, de son absence d’intrigue générale (l’ensemble frôle souvent le fourre-tout), Le Vin de l’été n’en est pas moins riche et souvent savoureux (les dernières pages sont extraordinaires). Il mériterait bien une réédition.

Une suite a paru en 2006, Farewell summer. Pour le moment inédite en français, elle se focalise sur l’automne 1929 de Douglas Spaulding, qui connaît alors ses premiers émois sexuels.

Le Pays d'octobre

A contrario du très SF Homme illustré, Le Pays d’octobre est un recueil centré sur le fantastique, voire le « weird ». Composé de dix-neuf nouvelles écrites entre 1943 et 1954, Le Pays d’octobre a vu ses récits presque tous adaptés pour la télévision. Ce n’est guère étonnant tant ces histoires courtes paraissent pouvoir être mises en images avec peu de moyens.

Au fil des textes, Bradbury raconte des couples dysfonctionnels (étonnant de la part de l’homme qui a vécu un heureux mariage de 56 ans, moins de la part de l’auteur qui écrivit dans Chroniques martiennes : « Le mariage fait les êtres vieux et routiniers avant l’âge. ») ; il raconte aussi des solitudes, parfois atroces. Peu des nouvelles échappent à ce thème.

La mort rode, les évènements sont rarement heureux, souvent nostalgiques ou tristes. Confrontés à l’incroyable, les personnages de Bradbury en souffrent la plupart du temps, y laissent leur vie parfois.

Mais, même s’il y est très à l’aise, Bradbury n’est pas que l’homme du domestique ou de l’individuel ; il n’oublie pas les horreurs du monde dans lequel il vit. La Seconde Guerre mondiale et ses bombardements de masse, les Camps, Hiroshima sont présents dans ses textes, comme crainte ou regret.

On lira donc avec plaisir :

• « Au suivant », sans doute le texte le plus réussi. Mexique, un couple usé d’Américains en vacances visite la collection de momies de la petite ville où il séjourne. Vision de mort sur quotidien insatisfaisant, c’en est trop ; tension et peur vont aller crescendo jusqu’à l’inévitable. Peut-on mourir de peur et d’indifférence ? C’est l’enjeu de ce texte brillant où l’auteur montre comment on peut effrayer un lecteur sans utiliser le moindre effet spécial fantastique.

• L’histoire d’un fermier ruiné qui hérite, par pure chance, d’une ferme où vivre avec sa famille et de l’étrange champ qui la jouxte. Le bonheur se change en effroi lorsqu’il réalise qu’en acceptant la ferme et la faux qu’elle contient, il s’est chargé aussi d’une tâche bien sinistre. C’est « La Faux », texte aux accents quasi mythologiques dans lequel le lecteur verra le fatum s’abattre sur un brave homme, et le malheur privé engendrer le malheur public.

• Deux beaux récits, chaleureux et tristes à la fois, dans lesquels Bradbury rend hommage à sa famille et singulièrement à son oncle préféré, « Oncle Einar », en les mettant en scène comme des créatures de la nuit, faeries familiales se réunissant, de moins en moins souvent, dans un monde démagifié, « La Grande réunion ».

• Deux histoires d’enfant solitaire. « Le Diable à ressort », où un garçon vit enfermé dans une immense maison, un Gormenghast créé par Bradbury. Seule la mort de sa geôlière le délivrera et lui ouvrira le monde. Un texte profondément métaphorique. Dans « L’Emissaire », un enfant malade reçoit la visite de son institutrice. Problème : elle est morte ; mais n’importe quoi vaut mieux que rien. On peut y adjoindre une histoire d’enfant qu’on ne croit pas, avec « Le Locataire ».

• Le très graphique « Le Bocal », où Bradbury offre une description pathétique et vibrante des rednecks dégénérés du bayou de Louisiane, dans laquelle on verra que la magie est dans l’œil de celui qui regarde et que la foi apporte à chacun ce qu’il en espérait.

• Le lovecraftien « Le Vent », dont l’histoire d’explorateur qui en sait trop et qui est maintenant poursuivi par une entité en quête de vengeance rappellera aux amateurs les écrits du maître de Providence.

• Deux récits de noyade, « Le Lac », court texte émouvant, qui l’est d’autant plus que Bradbury en explique la genèse, et « Le Collecteur », où l’amour mène à la mort.

• Deux rares textes drôles, « Il était une vieille femme », dans lequel une vieille femme obstinée tient tête avec succès à la mort, et dans un genre différent, « Le Jeton de poker vigilant d’Henri Matisse », se moquant des avant-gardes intellectuelles et blâmant le désir de célébrité ; quand le con du dîner veut le rester le plus longtemps possible, le ton rappelle Vian.

• « La Merveilleuse mort de Dudley Stone » dans laquelle, confronté à la jalousie d’un rival, un écrivain talentueux arrête définitivement d’écrire pour commencer à vivre. Des volontaires ?

• Restent cinq textes plus communs : « Le Nain » est une nouvelle à chute sur la méchan-ceté des gens ; « Squelette » est trop outrée pour être crédible ; « Canicule » laisse le lecteur sur sa faim, il y manque une vraie conclusion ; « La Foule » est un récit inquiétant mais trop prévisible ; et malheureusement « Le Petit assassin », qui développe vraiment une idée passionnante, manque de place pour réellement atteindre sa pleine mesure dans le format exigu de la nouvelle, sans quoi Bradbury aurait écrit La Malédiction avant l’heure.

Globalement, donc, Le Pays d’octobre propose des textes d’une grande sensibilité portés par un style au diapason.

Les Pommes d'or du soleil

Ray Bradbury a écrit les vingt-deux textes qui composent Les Pommes d’or du soleil entre 1945 et 1953. Il y offre au lecteur quelques nouvelles SF estampillées âge d’or, à l’instar du récit éponyme au recueil, dans lequel les personnages vont se frotter de très près à l’astre solaire, ou encore le classique « Un coup de tonnerre », qui explore brillamment les conséquences du voyage dans le temps et de l’effet papillon.

Mélancolique, le thème de la solitude est central dans une majorité des nouvelles ici proposées. Personnes en manque d’amour conjugal ou filial comme dans « La Sorcière d’Avril » ou « L’Enfant invisible », créature millénaire solitaire dans « La Corne de brume » ; Ray Bradbury ne cesse de mettre en scène le mal-être issu de ce manque.

La sensibilité et l’engagement de l’auteur s’expriment dans « Les Noirs contre les blancs », partie d’échec métaphorique ayant pour décor un terrain de baseball qui met en relief les inégalités, les abus, mais aussi l’étrange phénomène d’attirance/répulsion exercé par les domestiques sur leurs maîtres, à l’occasion de l’unique match annuel autorisé entre les premiers et les seconds. L’auteur évoque aussi l’immigration (sujet déjà sensible en 1947) dans « Je vous vois jamais », nouvelle forte qui reste d’actualité et émeut en tout juste six pages.

Méfiant à l’égard de la technologie et de l’usage que peut en faire l’homme, Bradbury exprime son inquiétude devant certaines inventions, sentiment qu’on devine partagé par nombre de ses contemporains. Dans « Le Criminel », texte dystopique de 1953, il évoque un homme seul dans la foule, l’unique personne à se rebeller contre un système absurde l’obligeant à écouter la radio 24 heures sur 24, quel que soit l’endroit où il se trouve, mais aussi à communiquer en permanence avec les autres grâce à son téléphone-montre ; rébellion contre un système, certes, mais aussi contre la technologie qui en est l’instrument.

En cette période de Guerre Froide, il est difficile de ne pas penser à la peur de la bombe atomique. Ce qui se ressentait déjà dans Chroniques martiennes est aussi flagrant dans « Broderie » — des femmes qu’inquiètent les expériences de plus en plus folles des hommes —, de même que dans « L’Eboueur », où les camions poubelles sont équipés de radios permettant de les envoyer ramasser les cadavres en cas d’attaque — « The Garbage collector », le titre en version originale, littéralement, le ramasseur d’ordures, prend ici tout son sens. Ce texte daté mais intéressant, angoissé, montre aussi l’ignorance des années 50 (et donc de l’auteur) quant aux retombées d’une explosion nucléaire.

Visionnaire, Bradbury l’a donc été sur certains sujets et un peu moins sur d’autres. Ainsi dépeint-il une femme intelligente, sensible, cherchant parfois à se cultiver, à apprendre à lire (« Le Vaste monde par-delà les collines »). Mais cette dernière se révèle avant tout dépendante de l’homme. Envoyée sur Mars pour se marier dans « Les Grands espaces », comme lors de la conquête de l’Ouest, elle ne s’émancipe jamais. Dans « Le Cerf-volant doré et le vent argenté », manière de conte philosophique où une fille suggère à son père empereur la résolution d’un conflit depuis le rideau derrière lequel elle se cache, l’héroïne s’attire in fine un compliment univoque : « fils véritable ». Est-ce ironique ? Sans doute, même si rien dans les autres textes du recueil permet de l’affirmer clairement. Les femmes de Bradbury demeurent à leur place d’épouse et de mère. Au mieux utiles, mais dans l’ombre, elles sont essentiellement spectatrices des actions de la gent masculine (dans « Broderie », déjà cité), ou en recherche d’amour, comme dans « La Sorcière d’Avril », l’histoire d’une sorcière forcée de se glisser dans le corps d’une jolie jeune femme pour des fins de séduction. Contrairement à Fay, l’espionne des Cinq rubans d’or sous le plume de Jack Vance, roman rédigé à la même période (1950), les femmes de Bradbury ne vont dans l’espace que pour se marier, et sont cantonnées à leur statut social de l’époque, celui de femme au foyer.

Constitué de textes fantastiques, d’anticipation ou de contes philosophiques, mais aussi de récits du quotidien, Les Pommes d’or du soleil démontre une fois encore la richesse de la plume bradburienne. L’auteur y dévoile ses inquiétudes pour l’avenir, la vision de son temps, quitte à égratigner ses semblables. Un recueil hautement recommandable, en somme, et ce en dépit, on l’aura compris, de quelques menues réserves.

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