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Colonies

Colonies de Laurent Genefort : en librairie depuis le 21 mars.

Helstrid : précommande ouverte

Helstrid, court roman de Christian Léourier, paraîtra le 21 février dans la collection Une Heure-Lumière. Précommandez-le dès à présent !

Un peu de ton sang

Si Theodore Sturgeon est avant tout connu en tant qu’écrivain de fantastique et de SF, il a pu s’essayer à d’autres genres, par goût ou par opportunisme. Un peu de ton sang en est un bon exemple : si le titre, entre autres, laisse entendre qu’il s’agit d’une variation sur le vampirisme (empruntant d’ailleurs peut-être sa structure épistolaire au Dracula de Bram Stoker, comme le fait remarquer Steve Rasnic Tem dans sa postface), il ne s’agit pas d’un roman fantastique pour autant, car son approche est « réaliste » (annonçant l’excellent film Martin de George A. Romero). Et, s’il est parfois qualifié de « roman d’horreur », il relève probablement davantage du thriller psychologique, qui connaissait alors une certaine vogue – on peut noter que Psychose, de Robert Bloch, avait été publié deux ans seulement auparavant, et adapté au cinéma par Hitchcock l’année précédente  ; en France, le court roman de Sturgeon a d’ailleurs été initialement publié dans une anthologie « Alfred Hitchcock présente »…

Un peu de ton sang prend la forme d’échanges de lettres et de documents entre deux psychiatres militaires, évoquant le cas troublant de « George Smith », un troufion dont le comportement violent a suscité quelques interrogations devant aboutir à sa réforme. Mais l’un de ces psychiatres est convaincu qu’il y a quelque chose de bien plus étrange, et même inquiétant, tout au fond de la psyché tourmentée du jeune homme un peu simplet, en tout cas lourdaud, et visiblement guère à l’aise en société. Il incite « George Smith » à lui raconter sa vie, sous la forme d’un « récit » qui s’insère dans les échanges entres les deux médecins ; une pièce considérable du dossier, et qui achève de convaincre l’aliéniste zélé que son patient lui cache, peut-être malgré lui, un élément déterminant de sa personnalité – un élément qu’il suppose de nature sexuelle.

« George Smith » est le vrai héros d’Un peu de ton sang : un être plus complexe qu’il n’en a l’air, dont l’enfance rude et l’inaptitude à s’intégrer parmi ses semblables ne manquent pas de rappeler d’autres personnages de Theodore Sturgeon. Il contribue énormément à la réussite de ce court roman, en lui conférant une certaine ambiguïté confinant au malaise : on devine en effet que le bonhomme est dangereux, et même criminel – mais l’approche dépassionnée (ou amicale ?) du psychiatre, en évacuant comme non pertinente toute notion de culpabilité, contribue à renforcer l’empathie du lecteur pour cette figure torturée, mais qui n’en est que plus humaine. « George Smith » inquiète, oui, mais il touche, il émeut, bien plus qu’il n’horrifie. Ici, Un peu de ton sang affiche d’autant plus sa singularité – et l’on perçoit combien les qualificatifs de « roman d’horreur » ou même de « thriller » sont trop réducteurs, voire mensongers ; le suspense ou a fortiori l’épouvante ne sont guère de mise dans ce cas clinique envisagé « après coup ». Sa force réside dans des émotions d’un autre ordre, que l’auteur manie avec habileté, ce qui lui permet de compenser quelques faiblesses du procédé épistolaire plus ou moins maîtrisé.

L’édition française ne permet peut-être pas d’apprécier au mieux ce texte, hélas : la traduction originelle d’Odette Ferry a été conservée telle quelle dans la putassière réédition chez Télémaque, reprise ensuite en poche – et elle est tristement plate.

Le volume y associe une nouvelle, « Je répare tout », que l’on connaissait déjà en français sous le titre « Parcelle brillante ». Accoler les deux textes est pertinent, la nouvelle, plus ancienne, étant elle aussi dénuée de tout élément imaginaire, et mettant en scène un bonhomme lourdaud qui suscite tout à la fois une extrême empathie et une inquiétude grandissante. Si Un peu de ton sang est un bon texte, « Je répare tout » est un chef-d’œuvre, un des plus… brillants textes de Sturgeon – mais, là encore, la traduction, bien qu’inédite cette fois, n’est pas à la hauteur de ce récit bouleversant et terrible.

On devine malgré tout, derrière, la qualité de ces textes un peu à part dans la carrière de Sturgeon – à commencer par la plus notable, son merveilleux sens de l’empathie, bien entendu, un trait constitutif d’une œuvre, et ce bien au-delà des pénibles frontières entre les genres.

Vénus plus X

Contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, des romans de Theodore Sturgeon, Vénus plus X est celui qui ne mérite pas la qualification de chef-d’œuvre.

Tandis que les confrères de notre auteur y allaient de leurs grandes envolées lyriques sur l’irrésistible marche en avant du progrès, Sturgeon s’intéressait, dès ses débuts en écriture, à ses personnages avant tout. Des gens un peu à côté de la plaque, quelque part en marge et surtout en souffrance, plutôt enclin à regarder filer sans eux l’express du progrès qu’à y monter – l’avant-scène étant toujours occupée par des gens trop sensibles qui vacillent au bord d’un monde qui n’est pas fait pour eux, davantage portés à l’entraide et à l’assistance mutuelle qu’à la féroce compétition du monde moderne. La place prépondérante qu’il accorde à ses personnages tend à rapprocher l’œuvre de Sturgeon du fantastique, de la littérature générale et du vent de renouveau qui soufflait sur la SF des early sixties. Mais si la littérature bourgeoise, conservatrice par essence, n’a que faire du progrès, elle éprouve encore bien moins d’intérêt pour des personnages tels que Sturgeon les affectionne. Nombre de ses textes ressortissent au fantastique, qui n’est pas vraiment (pour ne pas dire vraiment pas) la littérature du progrès. S’il faut lui chercher une postérité, on la trouvera du côté d’auteurs tels que Graham Joyce ou Jonathan Carroll plutôt que de celui d’Egan, Baxter, Watts ou Stephenson. Les préoccupations de Sturgeon l’avaient placé à l’avant-garde bien avant l’heure.

Quand paraît Vénus plus X en 1960, soit quinze ans après Hiroshima, la SF est en pleine (r)évolution, tant thématique que stylistique, et Sturgeon va ici s’y essayer, forçant une nature qui était la sienne. Pour ce roman pauvre en péripéties, Theodore Sturgeon a recours à un procédé des plus archaïques consistant à projeter dans un univers « À venir » un point de vue contemporain. En contrepoint, il inclut des vignettes de scène quotidienne issues de la vie d’un couple d’Américains moyens, illustrant le machisme d’homo sapiens comme un miroir tendu au personnage principal, Charlie Johns ; la relation entre ces deux arcs ne s’établissant que dans l’intellection du lecteur selon les innovations stylistiques de l’époque.

D’un point de vue narratif, il n’y avait là matière à ne produire qu’une nouvelle, rien de plus. Le récit n’est qu’une longue digression où l’on frôle l’essai féministe perclus de contradictions. Les personnages n’en sont pas vraiment, juste des têtes parlantes glosant encore et encore… Charlie Johns semble, dans un premier temps, avoir été choisi avant qu’on nous révèle que ce n’est que par accident qu’il est parvenu à Ledom, à l’instar de Hugh Conway à Shangri-La dans le roman de James Hilton ayant fondé le mythe de cette utopie tibétaine. Ledom, donc, qui n’est point outre-temps, mais dissimulé dans le monde des hommes (qui aurait été détruit). Johns sera donc une expérience afin de déterminer ce qu’Homo sapiens penserait de Ledom. Vénus plus X souffre ainsi de nombreuses contradictions. Homo Sap(iens) y est présenté comme un fléau – ce qui bien sûr peut faire débat –, en proie à un irrépressible besoin de domination conduisant aux société que l’on connaît, et dont la Femme serait la victime désignée, comme si elle n’était pas, elle aussi, ce même homo sapiens assoiffé de domination – mais que l’on nous dit aussi en proie à un besoin incoercible d’adorer… Puis on nous déclare que les sociétés dominées par la figure du père produisent des institutions rigides et malveillantes, intolérantes, conservatrices et répressives, opposées aux sociétés dominées par la mère qui serait progressives, libérales, permissives… La féminité serait le bien et la masculinité le mal, toujours triomphant. Mais le roman repose sur l’idée qu’il y aurait des exceptions — que rien ne justifie –, telle celle sur laquelle repose Ledom, paradis artificiel où tous les habitants sont hermaphrodites, cultivant un lien avec la terre et à la recherche d’expériences mystiques en dépit d’une haute technicité. Un Éden hippie typique de l’époque, pour le moins naïf, voire niais, et que Sturgeon justifie en minorant les différences culturelles entre les sexes ; ses arguments ne font que nous rappeler que la culture est à l’humanité ce que la peinture est à la voiture. Il omet que les humains, à l’instar des autres êtres vivants, sont soumis aux process biologiques – le déterminant premier des comportements. Aux femelles, la reproduction quantitative de l’espèce, aux mâles la reproduction qualitative : l’amélioration chevaline de la race humaine par la sélection du plus apte. Cette sélection n’aurait plus lieu d’être et, en conséquence, l’homme non plus – ainsi qu’y aspirent les féministes ou comme le déplorent des auteurs de droite tels que Niven et Pournelle…

En somme, Vénus plus X est bien davantage un mauvais roman qu’un mauvais livre. Riche en problématiques, l’ouvrage reste loin de manquer d’intérêt et mérite que l’on s’y attarde.

Les plus qu'humains

Les Plus qu’humains est le plus célèbre roman de Theodore Sturgeon avec Cristal qui songe. Son titre (a fortiori en français ?) semble l’inscrire dans la vague des romans décrivant des personnages mutants constituant une nouvelle étape dans l’évolution de l’humanité, mais l’approche de l’auteur s’avère bien vite autrement subtile et complexe, bien éloignée des Slans de Van Vogt, par exemple. Il s’agit par ailleurs d’une science-fiction du présent, et (presque) sans boulons.

Comme souvent, le roman trouve son origine dans une nouvelle – assez longue, « Bébé a trois ans » –, laquelle avait suscité un certain écho. Il s’agit d’y adjoindre deux autres récits de longueur équivalente, et qui l’entourent. Les Plus qu’humains est donc une sorte de fix-up qui procède en trois temps – chaque récit étant séparé des autres par plusieurs années, et ayant ses caractéristiques propres, y compris stylistiques et narratives.

Le premier récit introduit divers personnages, mais l’un d’entre eux attire plus particulièrement l’attention, « L’Idiot de la fable » pour en reprendre le titre : Tousseul, un simple d’esprit qui s’avère peut-être pas si bête. Et qui dispose en tout cas d’étonnantes facultés psychiques (télépathie et suggestion), dont il n’ose pas toujours faire usage. Sa vie est essentiellement solitaire, excepté ce bref moment durant lequel il trouve asile auprès des Prodd, de sympathiques fermiers en mal d’enfant ; c’est que sa condition ne lui permet pas vraiment de s’intégrer dans la société « normale ».

Et il va être amené à rencontrer d’autres de ces parias, des enfants dotés de facultés différentes des siennes mais non moins étonnantes : Janie la télékinésiste, les jumelles (noires) Bonnie et Beanie, qui maîtrisent la téléportation, enfin « Bébé », nourrisson dit « mongolien » et condamné à ne jamais grandir, mais dont le cerveau possède en fait l’efficacité d’un ordinateur extrêmement puissant. Ensemble, dans la cabane construite par Tousseul au milieu des bois, ces êtres, incapables de s’intégrer à un monde qui ne les comprend pas et qu’ils ne comprennent pas davantage, découvrent que leur association relève d’une forme de symbiose qui « gomme » leurs défauts individuels pour constituer un tout supérieur à la somme des parties ; ce n’est pas individuellement qu’ils sont « plus qu’humains » (ils seraient même plutôt « moins qu’humains »), mais seulement dans leur association – ils sont alors « l’homo Gestalt », unique pour l’heure, et d’autant plus fragile, mais éventuellement appelé à succéder à l’homo sapiens.

L’utopie de ce Walden mutant est cependant menacée : la mort de Tousseul affecte littéralement l’homo Gestalt comme la perte d’un organe. Gerry, que Tous-seul avait emmené à la cabane et désigné pour lui succéder (il dispose de facultés télépathiques proches des siennes), est un garçon assez rude – le résultat d’une enfance cauchemardesque, dans des institutions qui lui ont fait subir mille maux sans jamais véritablement tenter de le socialiser. Un drame l’amène à consulter un psychiatre – et la séance, très dense, révélera au lecteur, sinon à Gerry, qu’il manque quelque chose à l’homo Gestalt. La troisième et dernière partie du roman montrera comment cette ultime dimension, très différente, via un dernier personnage (fou ?) du nom de Hip Barrows, permettra enfin au groupe des parias de se sublimer, d’atteindre à une véritable plénitude – celle de l’individu en société.

Les Plus qu’humains s’inscrit tout naturellement dans la bibliographie de Sturgeon, en développant des thèmes que l’on croise souvent dans d’autres récits : la solitude, notamment, mais aussi, en contrepoint, la vie en société, la morale et les interdits, etc. – outre des personnages d’enfants très réussis dans les deux premières parties. Le roman a cependant, en définitive du moins, quelque chose de positif, d’enthousiasmant – qui ne coule peut-être pas autant de source ? À voir… Sturgeon sait émouvoir, par ailleurs – la relation de Tousseul avec les Prodd, notamment, produit de très belles pages, très délicates. La vague dimension « technologique » du roman convainc sans doute bien moins, comme un greffon un peu trop… artificiel, mais l’ensemble demeure avant tout subtil et beau.

Ou du moins est-ce le cas en version originale ? La traduction française de Michel Chrestien, sans cesse reprise depuis 1957, est hélas parfaitement affreuse… Semble-t-il lacunaire, en tout cas lourde et confuse, elle dessert considérablement le roman de Sturgeon, au point, finalement, d’en rendre la lecture un peu pénible – voire plus que ça. « Bébé a trois ans  », avec sa structure alambiquée, contient en français des séquences à la limite de l’incompréhensible. Pire encore, le traducteur ne semble en fait pas comprendre ce qu’il traduit, à plusieurs reprises – et Les Plus qu’humains n’est pas avare de notions plus complexes qu’elles n’en ont l’air, concernant la nature même de l’homo Gestalt, ou, dans la troisième et dernière partie, le discours sur la morale et l’éthique. La lourdeur de l’expression est patente et achève d’agacer le lecteur. On devine, derrière les maladresses et le je-m’en-foutisme, le génie de Sturgeon, mais on n’en souffre que davantage à la lecture de cette version française au rabais. Lire Les Plus qu’humains s’impose – mais en anglais ou dans une vraie traduction française : c’est semble-t-il prévu, et sous la houlette de Pierre-Paul Durastanti, qui plus est, enfin !

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