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Humanum in silico

Humanum in silico se présente comme le premier volume d’une anthologie thématique annuelle, baptisée Horizon perpétuel. Au sommaire, pas moins de 30 textes, dont un bon tiers signés de parfaits inconnus, con­sacrés aux « machines intelligentes » sous toutes leurs formes, qu’il s’agisse de robots plus ou moins sophistiqués ou d’IA plus ou moins bienveillantes. Un corpus aussi consé­quent permet d’aborder le sujet sous quantité d’angles : passer du traditionnel affrontement entre l’homme et la machine à son union, envisager les robots par le biais de la médecine, de la sexualité ou de la religion, raconter une histoire du point de vue d’un humain ou d’une intelligence artificielle, alter­ner entre utopie fragile et dystopie pérenne ou, le plus souvent, décrire un monde où l’homme a disparu. L’une des qualités de cette anthologie est qu’elle évite pour l’essentiel les redites, ce qui n’est pas une mince affaire.

On lui reconnaîtra également volontiers une qualité d’ensemble plus que correcte. Hormis trois ou quatre nouvel­les franchement pénibles parce que verbeuses au-delà du raisonnable, le reste se lit sans déplaisir. Le vrai souci, c’est qu’aucun de ces textes ne sort vraiment du lot, ni sur la forme – à l’exception sans doute du court « Eugénisme » de luvan, à la langue joliment suggestive – ni surtout sur le fond. Il se dégage de manière systémati­que une impression de déjà lu, le sentiment d’avoir affaire au mieux à une variation sur une histoire familière. D’ailleurs, à quelques ajustements lexicaux près, la plupart de ces nouvelles auraient pu être écrites il y a cinquante ans ou plus. Même les rares auteurs à s’essayer à l’humour – l’ambiance générale est nettement à la gravité, voire à la componction – peinent à susciter l’enthousiasme.

On aimerait être bien plus emballé pour défendre un travail collectif somme toute fort honorable et qui, en outre, fait la part belle aux débutants. Mais tout cela manque trop d’imagination et d’inventivité pour être autre chose qu’anecdotique. Dommage. On retentera l’an prochain.

Focus P.-J. Hérault

Après douze volumes de rééditions pu­bliés par les éditions Critic depuis dix ans, on pensait avoir fait le tour de l’œuvre de P.-J. Hérault, à quel­ques fonds de tiroir près. Un préjugé que la parution de Ré­gression vient contredire de belle manière. Initialement sorti chez Rivière Blanche en 2004, ce roman met en scène une civilisation médiévale et raciste, où les Livides im­posent leur domination aux Tannés. Seule exception : le comtat libre de Darik, où les deux ethnies vivent en harmonie. Mais lorsque le récit commence, la cité est tombée et ses élites ont été massacrées. Unique survivant de sa famille, Roderick fuit désespérément, sans grand espoir d’échapper à ses poursuivants. Jusqu’à ce qu’il fasse une dé­couverte qui va bouleverser non seulement sa propre vie, mais celle de tous ses contemporains… Dé­marré comme un roman de fantasy, Régression prend très vite une tournure SF qui le rapproche, par ses enjeux et la situation de son héros, de « Cal de Ter », la première et plus célèbre série de P.-J. Hérault. Rode­rick se trouve soudain doté de con­naissances et de pouvoirs qui vont lui permettre non seulement de se venger, mais surtout de transformer radicalement la société dans son ensemble. Le romancier évite que son récit ne soit trop caricatural et linéaire en faisant de lui un personnage qui doute en permanence, à la fois de ses objectifs, mais aussi de sa capacité à les mener à bien. L’ensemble, s’il n’est pas toujours exempt d’une certaine naïveté, se lit comme un très chouette roman d’aventure teinté de réflexions politiques et historiques qui font écho au reste de l’œuvre de l’auteur.

Dans le même temps, comme elles l’avaient fait il y a deux ans avec Naufragés de l’espace (critique in Bifrost n° 98), les édi­tions Critic proposent une an­thologie de textes inspirés par les romans de P.-J. Hérault, et plus particulièrement consacrée à un thème au cœur de nombre de ses textes : la guerre et son absurdité. Ses récits sont ra­contés du point de vue d’individus contraints de se battre, mais ne sachant le plus souvent ni pourquoi (Noëmie Lemas, Arnauld Pontier), ni même contre qui (Florestan De Moor, Emmanuel Delporte), des individus qui se mettent à douter d’eux-mêmes (Floriane Soulas, Ketty Steward) ou qui voient ressurgir un passé de cauchemar dont ils espéraient être enfin débarrassés (émilie Querbalec, Marine Sivan). L’ensemble est plutôt réussi, quoiqu’un peu trop classique pour être vrai­ment enthousiasmant.

La Fin des Hommes

On peut raisonnablement supposer que Christina Sweeney-Baird a vécu une année 2020… intéressante. En janvier, elle signait un contrat pour son premier roman, La Fin des hommes, une histoire de pandémie mondiale. Deux mois plus tard, la covid la clouait au lit. Par la suite, elle a sans doute suivi avec un intérêt tout particulier l’évolution de la maladie et son impact sur nos sociétés. Dans tous les cas, en écrivant ce livre, elle n’imaginait certainement pas que le public le lirait à l’aune de son propre vécu de ces deux dernières années.

Certes, le virus que décrit Sweeney-Baird est très différent du nôtre. Plus sélectif – il ne touche que les individus de sexe masculin, quel que soit leur âge –, mais beaucoup plus mortel, dans neuf cas sur dix environ. L’effondrement de pans entiers de la société n’en est que plus rapide et spectaculaire, en particulier dans les domaines occupés en grande majorité par des hommes, et la géo­politique s’en trouve réécrite à grande échelle, d’une manière bien plus radicale que ce que nous avons pu connaître. Reste que notre réel ne vient que rarement contredire la vraisemblance des faits que met en scène la romancière. Il est permis de tiquer lorsqu’elle décrit, au plus fort de la pandémie, un rendez-vous romantique dans un bar à cocktail, mais ces moments sont peu nombreux. Pour le reste, son récit sonne le plus souvent juste, qu’elle évoque les errements et les mensonges des autorités, les absurdités administratives, la paranoïa et le complotisme en ligne ou les violences conjugales.

L’une des principales réussites du roman est de s’intéresser autant aux grands bouleversements mondiaux qu’aux tragédies les plus intimes, en mêlant le plus souvent les uns aux autres. Par l’entremise d’une douzaine de narratrices – et d’un occasionnel narrateur – Sweeney-Baird met en lumière tout le tragique de ces destins brisés, ainsi que le deuil, la colère et la culpabilité qui en résultent, sans jamais perdre de vue sa vision d’ensemble des événements, jusqu’à l’émergence d’une so­ciété nouvelle, potentiellement meilleure que la précédente. Dans un registre que la science-fiction a beaucoup visité depuis au moins Le Dernier homme de Mary Shelley, La Fin des hommes, sans être particulièrement innovant dans sa forme ou son propos, peut se targuer d’une qualité constante de bout en bout.

Un an dans la Ville-Rue

Imaginez une ville composée de millions de pâtés de maisons (combien exactement ? Nul ne le sait), formant une Avenue limitée d’un côté par les Voies (ferrées), de l’autre par le Fleuve, artères de tran­sport permettant à de mystérieux bienfaiteurs d’acheminer aux différents Arrondissements, qui ne produisent rien, tout ce dont ils ont besoin. Au-delà de ces deux artères vitales, il y a l’Autre Rivage et le Mauvais côté des Voies, séjour des âmes des morts que viennent chercher les Psychopompes planant sans cesse dans les airs sous les rais des deux « soleils » éclairant cet étrange monde. Dont les habitants humains savent qu’ils n’en sont pas les bâtisseurs, ne connaissent ni le début ni la fin de ce ruban d’asphalte, peut-être infini, et sont incapables de créer la moindre technologie (niveau début du XXe siè­cle), tout juste de la réparer ou de l’adapter.

Diego Patchen est un écrivain de Cosmos-Fiction (traduisez : Science-Fiction), genre regardé de haut car tentant d’imaginer des univers aux fondamentaux autres (chose amu­sante, ces contextes très exotiques pour leur auteur correspondent en fait souvent aux fondamentaux de notre propre monde !). Père malade, amoureuse exubérante, ami dans la panade, carrière littéraire qui finit enfin par décoller, nous suivons ses « aventures » finalement assez ordinaires, alternant tragique et comique, découvrant peu à peu la Ville-Rue. Attention toutefois au lecteur qui chercherait dans ce roman une explication aux mystères qu’il pose : il n’en trouvera au­cune. Car l’essentiel ne réside ni dans leur résolution, ni vraiment dans l’intrigue. Le vrai intérêt de Un an dans la Ville-Rue est à la fois son contexte original, son style exquis et le miroir qu’il tend à la SF (celle-ci, ancrée dans le Réel, imagine l’Ailleurs, alors qu’ici, Diego, résidant dans l’Ailleurs, fantasme le Réel), et peut-être surtout à ceux qui l’écrivent et la publient. C’est avant tout une ode (peut-être autobiographi­que) à notre genre préféré dont il s’agit.

Le lectorat français connaît fort peu, et souvent mal, Paul Di Filippo, auteur pourtant fondamental dans tous les genres en -punk et critique incontourna­ble. La faute à une édition fran­çai­se découragée par la complexité de sa prose, dont quiconque l’a déjà lue en anglais, tel votre serviteur, peut attester. Il faut donc rendre l’hommage qu’il mérite à Pierre-Paul Durastanti, à la fois pour être venu à bout des complexités (et il y en a !) de ce court roman, mais aussi pour avoir forgé une version française à l’élégance rarissime, ainsi qu’au Bélial’, qui va permettre à une nouvelle génération de découvrir Di Filippo.

Sans doute un peu moins apte à toucher un large public que le récent Le Serpent de Claire North (cf. Bifrost n° 106), Un an dans la Ville-Rue est pourtant clairement, lui aussi, un des meilleurs crus de la collection « Une heure-lumière ».

“Corsaire de l'espace” dans la Yozone

« Rien ne semble ici impossible, place à l’aventure guidée par les sentiments personnels sans réelles considérations pour les risques encourus. On y va, hardi les cœurs, advienne que pourra ! Et ça fonctionne ! » La Yozone

Chaman

Un an après son incursion dans notre futur à moyen terme, Kim Stanley Robinson a décidé de repartir dans le passé… quelque trente-deux mille années avant notre ère. À cette époque, la Glaciation de Würm bat son plein, et en Europe, l’homo sapiens coexiste avec les Néandertaliens. On y suit les pas de Loon (qui tient son nom d’un oiseau, le plongeon huard), apprenti shaman de sa tribu de chasseurs-cueilleurs. Le roman débute avec le rite de passage de Loon, deux semaines de survie en solitaire dans la nature, et s’achève avec le jeune homme devenu shaman. Entre les deux, quelques péripéties et pas mal d’ennui au fil de cet épais roman.

KSR n’a pas son pareil pour immerger le lecteur dans des mondes autres – la préhistoire, en l’espèce – d’une manière crédible. La question de l’utopie est présente depuis longtemps dans le travail de notre auteur. Ici, il met en scène une manière d’utopie préhistorique : les conflits y sont présents mais se résolvent rarement dans la violence ; le plus important reste l’entraide et la survie dans une nature qui ne pardonne guère. Pour autant, les humains représentés par Robinson n’ont rien de brutes : ils connaissent la médecine et savent concevoir des outils. Néanmoins, l’écriture est absente de cette société, et l’oral y tient donc une importance cruciale – sans oublier les peintures rupestres.

Toutefois, sous l’aspect romanesque, Shaman reste une déception : la première moitié est longuette, le quotidien et les amourettes de Loon ne suscitant guère d’émois ; la seconde moitié reprend du poil de la bête et réserve plus de place à l’action et l’aventure. L’ensemble laisse une impression mitigée : l’intention est louable, mais l’exécution décevante.

2312

En 2012, Kim Stanley Robinson se livre à exercice de prospective : imaginer un futur distant de 300 ans. Le résultat est aussi brillant qu’exaspérant.

À la fin de Mars la bleue, KSR imaginait le concept d’accelerando, période voyant la colonisation du Système solaire, de Mercure jusqu’à Neptune. Lorsque débute 2312 (qui n’a rien d’une suite), cette période appartient déjà au passé ; s’il fallait trouver un nom à cette nouvelle ère, c’est celle de la balkanisation. Imaginez : Mercure et sa cité mobile, Vénus en cours de terraformation à grands coups de comètes, Mars terraformée grâce à l’azote provenant de Titan, des ligues du côté de Jupiter et Saturne, et surtout d’innombrables astéroïdes évidés pour constituer des habitats spatiaux et abriter ainsi la faune et la flore menacées de la Terre. Un ensemble de traités – l’accord Mondragon, nommé d’après cette commune du Pays basque espagnol où une coopérative ouvrière a vu le jour – a permis l’émergence d’un système économique post-capitaliste. Une utopie ? Pas loin. Seule la Terre, polluée, ses continents grignotés par la montée des eaux due au réchauffement climatique, reste le parent pauvre. La planète des origines est-elle condamnée ?

Tout roman nécessite un événement déclencheur, et celui de 2312 est la mort d’Alex, la « Lionne de Mercure ». Décès naturel ou mort suspecte ? Sa petite-fille, Swan Er Hong, artiste et ancienne conceptrice d’habitats spatiaux, va se retrouver à son corps défendant plongée dans une intrigue voyant l’apparition d’une menace inédite. Cette enquête la mènera aux quatre coins du Système solaire… et fera de 2312 une année charnière pour cet avenir.

Brillant, le roman l’est dans ses idées. KSR déploie ici un Système solaire crédible. Abondance, liberté, fluidité des genres comme des déplacements à travers l’espace interplanétaire, un véritable élan utopique parcourt les pages. Comme John Brunner avec Tous à Zanzibar, l’auteur s’appuie sur une structure tirée de la fameuse trilogie « USA » de John Dos Passos : les chapitres faisant avancer l’intrigue alternent avec des listes, des extraits de textes fictifs, des focus sur tel ou tel corps céleste ou des « promenades quantiques » plus expérimentales. Exaspérant, 2312 l’est sous l’aspect romanesque : le roman traîne en longueur, l’enquête sur la mort d’Alex tenant surtout du prétexte pour une balade à travers le Système solaire. En dépit, ou plutôt grâce à ce défaut, 2312 se prête curieusement bien à la relecture : une fois que l’on sait que le voyage va être lent, on peut prendre son temps pour admirer les détails du paysage. Et quel paysage.

Aurora

L’humanité a décidé de coloniser les étoiles. Dans ce but, elle a envoyé vers Tau Ceti un vaisseau riche de 2 000 personnes vivant au sein de biomes, compartiments gigantesques reflétant les différents écosystèmes terriens. Arrivé à la cinquième ou sixième génération, le vaisseau approche de sa destination. Devi, qui fait office d’ingénieure en chef, discute avec l’IA régissant le fonctionnement du navire pour négocier l’arrivée sur Aurora, la lune d’une des planètes de Tau Ceti, tandis que l’ordinateur quantique de bord lui permet de gérer les défaillances du système, de plus en plus fréquentes après tant de temps passé dans l’espace. Une fois arrivé à proximité d’Aurora, l’établissement des premiers camps habités sur la lune peut commencer ; toutefois, des personnes meurent de l’exposition à une bactérie ou un virus d’origine inconnue. Dès lors, l’humanité – ou tout au moins les colons, puisque tout contact avec la Terre prend vingt-cinq ans – doit faire un choix : continuer sur Aurora, ou identifier d’autres cibles d’installation parmi les planètes et lunes à proximité. Certaines voix commencent même à évoquer un retour sur Terre, et parmi elles Freya, la fille de Devi…

Dans ce roman, comme à son habitude, KSR utilise ses connaissances pluridisciplinaires afin d’embrasser la problématique du vaisseau-arche dans son ensemble : mécanique spatiale pour les problématiques de trajectoire du vaisseau (au cœur de l’histoire, notamment dans sa deuxième partie, et pour les phases d’accélération et de décélération), sociologie pour la gestion de la population des biomes, biologie et chimie pour les dispositifs à mettre en place en vue de la conservation de la flore durant tout le voyage, informatique pour doter le vaisseau de capacités de calcul quantique lui permettant de prendre les décisions de manière urgente si nécessaire… Pas un aspect n’est occulté ; on pourrait imaginer que cela se traduise par un ouvrage d’une taille démesurée, tant les problèmes à régler sont nombreux, mais Robinson a évacué cette difficulté avec subtilité et humour : les humains étant assez occupés à autre chose, c’est l’IA du vaisseau qui raconte les événements ! Et comme celle-ci ne sait pas initialement choisir ce qui est important et ce qui ne l’est pas, Devi la guide. D’où quelques échanges savoureux tandis que l’IA tente d’utiliser ses algorithmes pour donner à lire quelque chose qui ressemble à un roman, et pas à un devoir appliqué, tout en se posant régulièrement la question de savoir comment au mieux raconter une histoire, avec l’utilisation de ces analogies et métaphores au cœur de l’expression humaine si difficiles à appréhender pour elle. Peu à peu, l’IA va apprendre à penser comme un humain, à faire de l’humour, voir commencer à ressentir des émotions comme la peur… ou l’amour. Un timide éveil à la conscience qui s’avère une merveille de finesse, et un contrechamp bienvenu au côté hard science et à la relative sécheresse de la caractérisation des personnages de KSR (mais rappelez-vous, ce n’est pas lui qui raconte le tout, c’est une IA).

On ne terminera pas cette chronique sans évoquer la surprenante deuxième partie du roman (attention spoiler), puisque les colons choisissent en majorité le retour sur Terre. Même si certains restent dans les étoiles, Robinson – ou plutôt le vaisseau – décide de les ignorer et de se concentrer sur la manière de ramener les autres sur Terre, terminant sur un constat amer d’échec de la colonisation spatiale – étonnant, pour l’auteur de la « Trilogie martienne ».

Par l’ampleur de ses considérations scientifiques et philosophiques, que l’auteur vulgarise du mieux possible, Aurora, dont les multiples rebondissements et révélations dynamisent le rythme de narration assez lent (une constante chez KSR), se révèle ainsi un excellent roman, sans doute l’un des plus aboutis de l’auteur, qui le hisse à la hauteur d’un Clarke ou d’un Asimov.

La Mémoire de la Lumière

Au XXXIVe siècle, l’Humanité a conquis le Système solaire grâce à Arthur Holywelkin, génial physicien, qui, trois cents ans plus tôt, a établi un paradigme à l’aune duquel comprendre le monde. Sur cette base a été fondé un nouveau mode de distribution de l’énergie qui est « téléportée » partout. Cet univers est déterministe mais les personnages l’ignorent encore. Le passé, et surtout l’avenir, ont été écrits de tout temps, et rien de ce qui peut y advenir n’échappe à l’inéluctable enchaînement des causes et effets. Nul libre arbitre – au mieux une illusion, qu’il semblerait toutefois judicieux de préserver. La secte des Gris, qui contrôle la production d’énergie depuis le soleil, est la détentrice de ce bien lourd secret sur lequel elle veille jalousement.

Dans cet univers, l’Humanité est plus que jamais plurielle, n’offrant plus d’unité : chacun des milliers de mondes existe dans l’indifférence des autres. L’unique lien subsistant désormais entre eux est la musique. La musique (non vocale) est un langage universel, non symbolique, et peu importe que vous soyez allemand, japonais, malien ou brésilien pour la jouer. Elle ne dit rien, se contentant juste d’être.

À la fin de sa vie, Holywelkin a créé l’Orchestre, un unique méta-instrument comprenant toute une philharmonie et conçu pour être joué par un seul interprète. Johannes Wright vient d’en être nommé neuvième titulaire et va entreprendre une tournée à travers tout le Système solaire, de Pluton à Mercure, via Mars et la Terre. Selon une prédiction – tout étant déjà écrit –, il pourrait, par sa musique, dernier vecteur commun à toute l’Humanité (enfin mûre ?), permettre à celle-ci de s’imprégner du paradigme d’Holywelkin. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde, notamment d’Ernst Ekern, le directeur de l’Institut Holywelkin, qui entend imposer son libre-arbitre par le truchement d’un métadrame pour manipuler la réalité tel un démiurge et ne pas laisser Wright parvenir au but que les Gris lui ont signifié.

Le roman est la chronique de cette tournée et des péripéties qui l’émaillent…

Il apparaît que KSR, à travers les nombreuses digressions ponctuant le récit, tente de répondre à son propre questionnement quant au libre arbitre – une illusion à laquelle on n’échappe pas, à l’instar de toute réalité. Notre monde est déterministe car il ne saurait y avoir d’effet sans cause, mais il est aussi imprédictible car la complexité conduit à l’incalculabilité. Si l’on était à même de connaître l’enchaînement de toutes causes et effets, le futur pourrait être prédit – en vain, puisqu’il ne saurait être modifié – et l’information circulerait de l’avenir vers le passé : un changement de paradigme radical, et la fin du libre arbitre. Si Frank Herbert, dans Dune, s’est attaché à la question, KSR – pas le meilleur des conteurs d’histoire de la SF – s’y essaie aussi avec ce roman donnant indubitablement matière à penser.

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