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Resident Evil

Un terrible virus se répand dans la « Ruche », centre de recherche scientifique high-tech souterrain. L'intelligence artificielle qui la régit bloque toutes les issues pour empêcher sa propagation à l'extérieur. Un commando d'élite est envoyé pour constater les dégâts et désactiver l'ordinateur. Ils constatent que les 500 travailleurs de la Ruche sont devenus des zombies. Pris au piège, ils doivent terminer leur mission, sauver leur peau et le monde.

La novelisation de Thomas Day colle au plus près au script. Autant dire que l'histoire est classique, gentiment bourrine (ce n'est pas péjoratif), très très légèrement complexifiée par l'amnésie et le double jeu de certains personnages. Pas de scènes en moins, ni en plus ; juste des détails dans les descriptions, les pensées des personnages, une introduction du point de vue de l'intelligence artificielle, ces petites choses que permet un roman et pas un film. Le livre alterne descriptions, scènes de baston, et dialogues/explications pour souffler un peu. Cumulées, les scènes d'actions sont un peu longues (on se doute qu'elles sont bien moins efficaces que dans le film) : le bouquin aurait pu être avantageusement réduit.

Finalement, le livre est à l'image du film : pas prise de tête, sans autre prétention que de vouloir faire passer deux heures plaisantes. Entre deux romans plus sérieux, ça décrasse les neurones. Mais bon, même si un réel effort a été fait sur le prix, ça ne mérite pas de figurer dans la collection « Lunes d'encre », autrement plus prestigieuse et ambitieuse.

Pandemonium

Dans le Paris de 1832, Frédéric Maupin, écrivain public, est convoqué par le fameux Vidocq, de la brigade de sûreté, car son nom figure sur une liste prise à des cambrioleurs, liste qui ne désigne, exception faite de Maupin, que des personnes décédées. En compagnie d'un géant de foire, Masferrer, il se rend à la soirée du mystérieux prince Lestoz, qui semble le connaître mieux que lui-même. À Besançon, où les deux amis le suivent, ils finissent par en savoir plus sur ses origines…

Des rebondissements toujours plus surprenants les entraînent dans une rocambolesque aventure où il est question de vaisseau spatial échoué, de créatures dégénérées se repaissant de sang humain, d'un peuple asservi en quête du seul personnage susceptible de garantir leur retour. Les scènes d'action suivent la même progression spectaculaire : le combat contre des créatures vampiriques, au cours duquel Maupin découvre sa véritable nature, est digne d'un Paul Féval ou d'un Ponson du Terrail. Improbable, excessif, le récit tient cependant la route car il ne laisse pas au lecteur le temps de se poser des questions.

Le manque d'originalité de l'intrigue est compensé par les qualités littéraires du texte, qui restitue parfaitement les tournures des auteurs populaires de l'époque. Pour un héros, Maupin se révèle plutôt falot ; il est sans cesse éclipsé par des personnages hauts en couleurs, comme Masferrer, et surtout Eugène-François Vidocq, à qui Heliot rend ici hommage sans se montrer cependant trop complaisant envers ce personnage ayant lui-même œuvré à sa mythification.

Il est manifeste que le talentueux Johan Heliot, digne représentant du steampunk à la française, s'en est donné à cœur joie pour parodier les feuilletonistes du XIXe siècle. Il est dommage toutefois que son roman ne soit que cela, un hommage qui se lit avec plaisir mais laisse peu de traces.

Marlène Dietrich et les Bretelles du Père Eternel

En 1924, deux archéologues américains arpentent les déserts d'Asie Centrale à la recherche d'une cité merveilleuse. À la différence de Jansen, acharné à récupérer l'Ultime Joyau, Sobaros est plus sensible aux charmes de la belle Xiren, descendante directe d'un souverain mongol du XVIIe siècle, et qui se reproduit à l'identique génération après génération. La statue qui la représente en reine des rats est convoitée par de multiples factions mais disparaît, en même temps que l'Ultime Joyau qu'elle recelait, à présent dissimulé dans une paire de bretelles que, vingt ans plus tard, un tortionnaire nazi recherche activement dans les camps de concentration…

Passé les deux tiers du roman, le rapport avec la science-fiction de ce passionnant récit d'aventures, d'une érudition sans faille, reste peu évident, jusqu'à ce que Pierre Stolze décide, dans la troisième partie, de nouer les fils de cette trame passablement complexe, et de les relier aux deux précédents volumes. On retrouve donc Peyr de la Fièretaillade, alias le Père Noël, époux de Marilyn Monroe, son ennemi Raspoutine alias le Père Fouettard, dans la cité romaine du désert de Désespérance, sur la planète Echo, au milieu d'enfants capables de se diriger dans les couloirs de l'espace-temps et sur qui veillent des samouraïs clonés.

Ce dernier volet de la trilogie aurait dû s'intituler « Brigitte Bardot et les bretelles du père éternel ». Mais la crainte d'un procès et de droits à payer ont privé l'auteur de sa déclinaison d'initiales doubles suivies d'un « O » final (Marilyn Monroe, Greta Garbo, Brigitte Bardot). Le souvenir de celle-ci subsiste cependant dans la mention des initiales B.B., qui désignent ici le terme allemand utilisé pour la liquidation des juifs durant la seconde guerre mondiale.

Qu'importe le titre ! Une fois de plus, Stolze nous bombarde d'images exotiques et de récits hétéroclites sans jamais perdre le fil de son intrigue ni faiblir dans le rythme de la narration. De cette concaténation de savoirs, il tire des effets aussi saisissants que jubilatoires. Le style et le vocabulaire sont de la même eau : les finesses d'esprit alternent avec les propos relâchés, Stolze distillant le tout avec la gourmandise d'un plaisantin acharné à surprendre sans dérouter. On appréciera de même la construction de l'ouvrage, où les événements se répètent discrètement (l'enfant tirant le protagoniste par la manche, l'attaque des rats), comme si cette structure secrète donnait à ces épisodes échevelés l'assise invisible dont ils ont besoin. À la façon des auteurs d'Astérix, Stolze mène son récit à plusieurs niveaux : linéaire pour une lecture au premier degré, il accumule des blagues de potache au second tout en distillant de savants clins d'œil à l'adresse des intellectuels. On peut donc tout aussi bien s'amuser de voir passer le commissaire Maigret dans ces pages qu'apprécier la très rimbaldienne allusion glissée dans « C'est l'aube et je tombe au bas d'un bois » sans être aucunement incommodé à la lecture.

Un feu d'artifice aussi jouissif que brillant !

Invasions divines

Réédition de l'ouvrage paru en 1995, le cahier de photos en moins, Invasions divines est sans conteste la bibliographie de Philip K. Dick qui fait autorité. Elle a d'ailleurs obtenu la même année le Grand Prix de l'Imaginaire. Toute la lumière est faite sur la personnalité torturée et, pour tout dire, invivable, de l'écrivain, en d'incessants allers et retours entre sa vie et son oeuvre. Si celle-ci ressortit clairement à la science-fiction, elle n'en a pas moins puisé son matériau dans la vie quotidienne, chaotique, de l'auteur.

Dick, le superbe schizophrène, était une personnalité contradictoire en proie à des angoisses permanentes : agoraphobe mais incapable de vivre seul, redoutant le Jugement dernier autant que les manœuvres souterraines de proches ou d'inconnus, voire de services secrets, il n'en était pas moins habité d'une réelle bonté et d'une empathie pour les autres, qu'il manifestait davantage par une générosité proche de l'inconscience (et dont ses hôtes profitèrent) que par sa présence ou son dévouement (et ceci est particulièrement vrai pour les femmes qui partagèrent sa vie). Doté d'une maturité affective d'enfant de quatre ans mais fort d'une culture générale impressionnante, dopé aux amphétamines sans jamais réellement se droguer (il expérimenta un temps le LSD mais ne toucha jamais à l'héroïne), désireux de se distinguer dans la littérature générale mais ne voyant jamais publiés que ses romans de science-fiction, Dick est si complexe qu'on se demande par quel bout l'appréhender.

Lawrence Sutin délivre cependant une clé : Jane, la sœur jumelle morte en bas âge, que Philip rechercha tout au long de sa vie à travers ses prétendus doubles féminins et dont il reprochera toujours la disparition à sa mère.
Sutin n'est cependant pas un Sainte-Beuve de la littérature de science-fiction : s'il éclaire, de façon saisissante, les rapports entre la vie et l'œuvre, ce n'est pas pour montrer combien la première influence, voire expliquerait la seconde, mais pour souligner combien les deux se confondent. La vie de Dick était semblable à ses romans. Il s'agit moins de relater des faits objectifs tendant à démontrer que la réalité est contaminée par des faux-semblants (même si la CIA l'a effectivement surveillé et à intercepté du courrier à destination de la Russie, même s'il a effectivement reçu une mystérieuse lettre qu'il redoutait de recevoir), que de montrer le regard de Dick sur son quotidien, fait d'interprétations délirantes dont il n'était pas dupe, et qu'il mâtinait parfois de mauvaise foi, notamment par rapport à ses anciennes épouses. L'Exégèse, cette somme de 2000 pages tendant à expliquer les illuminations mystiques de 1974 constitue, de ce point de vue, l'interface entre la vie et l'œuvre, où Dick se remet inlassablement en question.

C'est un travail de bénédictin qu'a effectué Lawrence Sutin : chaque période est éclairée par les témoignages des proches, la multiplicité des regards permettant d'approcher la réalité d'un écrivain de génie qui ne s'est jamais contenté d'une interprétation unique de la réalité.

Ce livre est plus qu'un essai. Lire Invasions divines revient à lire un roman de Philip K. Dick !

La fille aux cheveux noirs

Il ne s'agit pas là d'un roman inédit, plutôt d'un recueil de lettres entrecoupé de relations de rêves correspondant à la période 1972-1976, qui est pour l'auteur cruciale à plus d'un titre. Dick touche le fond : ses biens sont saisis par le fisc, il tente de se suicider, il est sans attaches, hébergé par de compatissants admirateurs, ne parvient pas à écrire et tombe à chaque rencontre irrésistiblement amoureux, avec la même désarmante naïveté, du même type de jeune fille aux cheveux noirs, d'environ vingt ans, fragile et forte à la fois. C'est aussi durant cette période qu'il connaît sa première crise mystique, mais de cela, il ne sera jamais question dans son courrier.

L'essentiel des lettres tourne autour de cet idéal féminin, qu'il se nomme Kathy, Jamis, Linda ou Tessa, auxquelles Dick adresse de bouleversantes lettres d'amour comme on n'en lit jamais. Mais il analyse également son état et s'interroge inlassablement sur le réel. Il est rare qu'un auteur se mette ainsi à nu, dévoilant des pans entiers de sa personnalité, même les moins favorables. Le petit monde de la S-F est également présent : Ursula Le Guin à qui il écrit, Tim Powers qui l'hébergera et Norman Spinrad, lequel rappelle judicieusement dans sa préface que ce livre « n'est ni un roman, ni une biographie, ni des mémoires, ni un traité philosophique, même si en un sens il est tout cela à la fois. »

On pourra bien sûr se reporter utilement à la biographie de Lawrence Sutin pour débrouiller l'écheveau des événements et des relations, ou encore relire quelques chapitres de ses fictions où le vécu est amalgamé à la trame romanesque. Ainsi, on aurait tort de ne voir dans la jeune fille aux cheveux noirs que le fantasme d'un quadragénaire abhorrant la solitude alors qu'elle représente, comme il l'écrivit dans son discours prononcé à Vancouver, l'humain véritable, opposé à l'androïde peint sous les traits d'une mante religieuse. Dick, trop horrifié par ce second volet de sa tentative de définition, n'a pu se résoudre à la traiter ici.

Ces lectures multiples sont donc impuissantes à dégager une réalité objective : jamais une vie et une œuvre ne se sont confondues de façon si intime et irréductible. C'est bien ce qui est fascinant dans ce recueil où Dick, mis à nu, demeure malgré tout déconcertant, aussi insaisissable que le réel qu'il chercha à cerner. Reste à se demander si un tel ouvrage mérite la diffusion grand public du poche : les lecteurs de S-F s'attendant à lire un roman délirant en seront pour leurs frais ; seuls les inconditionnels de Dick apprécieront ce livre dans sa juste perspective.

L'Enrayeur

La Détente, une invention qui rend inoffensive les armes à feu en faisant exploser la poudre entrant dans son champ d'action, a été distribuée au monde entier afin de donner une chance à la paix. Quelques désordres en ont résulté avant que les chercheurs ne mettent au point une version améliorée de la Détente, l'Enrayeur, qui rend les poudres inactives, empêchant ainsi toute explosion ou incendie. La tentative d'explication du phénomène s'oriente, elle, vers une définition de l'essence de la matière, faite d'énergie et d'information, cette dernière donnant sa forme à la première, explication qui pourrait bien devenir le point de départ de nouvelles découvertes.
Mais les vieux réflexes ne sont pas morts : les militaires, regrettant de voir que les États-Unis ont perdu leur avance hégémonique, revoient leurs stratégies, tandis que les détenteurs d'armes à feu, malgré la possibilité qu'il leur est offerte de s'entraîner dans des lieux où nul Enrayeur n'est activé, complotent activement pour revenir à la situation antérieure.

Bien que plus court, ce second volume traîne en longueur du fait de trop longs développements dans le bras de fer politique opposant les deux factions, le portrait psychologique qui est fait des partisans des armes à feu comme la démolition de leurs arguments de « self-défense » ayant, en France, moins de portée qu'outre Atlantique. L'intérêt du récit est cependant relancé à la fin de l'ouvrage, quand les milices extrémistes entrent en action.

Animés de bonnes intentions, les auteurs ne sont pourtant pas les dupes de leur pacifisme. La conclusion finale, avec son ultime rebondissement, démontre que tout paix imposée ne saurait être que provisoire, car il est impossible de changer le monde si on ne transforme pas l'individu. S'il est décevant dans sa forme, ce roman n'est cependant pas dénué d'intérêt pour la lucidité de sa réflexion.

Parasites

Uehara vit en reclus dans son appartement du Japon d'aujourd'hui. De temps en temps, il reçoit la visite de sa mère. Celle-ci lui a récemment offert un ordinateur portable qu'il utilise pour se connecter sur l'internet. Au fur et à mesure de ses recherches, il tombe sur un groupe d'illuminés : INTER-BIO. Des cinglés qui gravitent autour d'une célèbre présentatrice du journal télé et ne tardent pas à renseigner le jeune homme sur le mal étrange qui le ronge. Car Uehara est un être à part, un élu de Dieu qui vit en symbiose avec un parasite ayant giclé du corps de son grand-père au moment où celui-ci rendait l'âme. Ce parasite oblong, presque fantomatique, dont les excréments empoisonnent le sang de son hôte — ou, selon les points de vue, lui permettent de voir le monde tel qu'il est — a un nom : le ver khoslocatère (colocataire ?).

« Le ver khoslocatère annonce un nouvel espoir pour cette espèce qui a programmé son propre anéantissement. » (page 93)

« Les êtres humains dont le corps a été choisi pour abriter le ver khoslocatère ont reçu de Dieu le droit de tuer, de massacrer ou de se suicider. » (page 93)

Une fois sa particularité nommée, comprise, Uehara peut se mettre en route, sortir de sa réclusion physique et pharmaceutique. Il ouvrira le bal par l'assassinat de son père (à coups de batte de base-ball) et finira son « road-movie » ignoble dans un abri antiaérien, un bunker de toutes les horreurs où s'entassent des fûts d'ypérite.

« On dit qu'au contact de ces gaz la peau se met à peler et, la respiration corporelle se trouvant totalement entravée, la personne exposée meurt rapidement. Je suis parti à la recherche des lieux, pour l'essentiel d'anciens abris antiaériens, où avaient été entreposés ces gaz, mais en vain. Je voulais accéder à cet autre univers en contemplant ma peau écorchée, pelée et se détachant de mon corps, caché au fond d'un abri. » (page 283)

Murakami Ryû n'est pas du genre à ménager le lecteur (Les Bébés de la consigne automatique, Miso soup, Bleu presque transparent) ; avec Parasites, il propose une œuvre exigeante (percluse de scènes quasi-insoutenables), où se mêlent une érudition vertigineuse, des articles internet « donbis » et des scènes particulièrement déstabilisantes. Il signe là un « Japanese Psycho » où, comme chez Bret Easton Ellis, les détails, parfois inutiles, s'accumulent, deviennent strates pour venir à la rescousse d'un propos qui manque probablement de substance. Parasites est une œuvre écartelée, tendue entre mainstream et science-fiction (au fil de la lecture, on pense tantôt à Hubert Selby Jr tantôt à Philip K. Dick période Susbtance Mort). En conclusion : un roman un rien cabot, parfois dilué, ce que l'on peut regretter ou juger préférable — tout ça n'est qu'une question de tripes — auquel on préférera Miso soup s'il s'agit de découvrir l'auteur.

L'Oeil du Fouinain

Kerl a passé quarante-sept ans et six mois dans l'espace. Quand il revient sur Terre, il s'empresse de revoir la femme qu'il a aimée, Sue. Contrairement à lui, Sue n'a pas vieilli ; elle se prostitue et regarde le monde avec des yeux morts. Est-elle immortelle à cause de son conditionnement ou s'agit-il d'un clone forcément incapable de se souvenir de ce qui s'est passé cinquante ans auparavant ? Kerl trouvera facilement la réponse, mais il lui restera alors à reconquérir l'amour de Sue et à comprendre ce qui est arrivé à son ami Manuel Garvey, un autre professionnel du voyage spatial. Une enquête qui débutera dans un monde écrasé par le néo-puritanisme, un monde au sein duquel rôde le Fouinain, un extraterrestre énigmatique et goguenard, porteur d'un lourd secret :
 « Il se retrouva assis face à moi, le menton au niveau de la table, son appendice nasal démesuré s'écrasant sur la surface rugueuse. Il me paraissait à la fois extraordinairement humain et parfaitement étranger. Son nez disproportionné, ses mains à quatre doigts et son corps aux contours élastiques, que dissimulait un habit vert à la coupe imprécise, sortaient tout droit d'un dessin-animé de l'époque héroïque. » (page 16)

Tout comme Les Olympiades truquées de Joëlle Wintrebert, Poupée aux yeux morts (qu'on se refusera à appeler L'Œil du Fouinain dans cette critique, le titre grotesque dont est affublé cette réédition) a gagné son statut de classique de la science-fiction française, non pas à cause de ses qualités littéraires (réelles), mais à cause du nombre de ses rééditions (voici la troisième) et de sa pagination (mon dieu, mais c'est énorme ! ?).

Il y a beaucoup à dire sur ce livre (son décor, ses péripéties, ses sauts spatio-temporels), mais je me limiterai aux choses les plus marquantes, aux traits les plus saillants. Pour commencer, il est, de la première à la dernière page, impossible de croire à l'âge du narrateur — soixante-trois ans. Kerl est tout simplement un personnage de trente ans (l'âge de l'auteur au moment de la rédaction du livre). Ce qui ne serait pas si grave si la lecture n'était pas rendue pénible par une abondance de références dont l'auteur s'aperçoit lui-même (« Restez dans votre coin, fichues références » — une jolie confession que l'on lira page 15). Cette avalanche de détails — souvent marrants — contribue, certes, à créer un monde passionnant, mais enlise parfois une action déjà anémique (mon dieu, que c'est long à démarrer). Autre problème, qui n'a rien de littéraire, Poupée aux yeux morts ne s'adresse qu'aux trois mille lecteurs fans de science-fiction pur et durs… qui l'ont pour la plupart déjà lu. Car le véritable sel de ce livre, sa réelle puissance, se trouve dans son nombre hallucinant de trouvailles, clins d'œil, hommages plus ou moins déguisés. En vrac : les cartoons, Theodore Sturgeon, Robert Heinlein, The Rocky Horror Picture Show (Let's do the time warp again), Le Jour où la Terre s'arrêta (Wags barada niktö)… Un tsunami qui culmine dans les chapitres XIX et XXI, très réussis.

Au final, Poupée aux yeux morts est un livre-paradoxe, à la fois riche et lent, ennuyeux et passionnant, trash et tendre ; une œuvre pleine d'humour qui ravira les amateurs éclairés de bière spatiale et de pseudopodes amicaux. Sa réédition (mollement retravaillée… ça aurait mérité d'être dégraissé de cent pages) permet de mesurer le chemin parcouru par un auteur attachant, Roland C. Wagner, dont le meilleur livre, quoi qu'il en dise, reste L'Odyssée de l'espèce (récemment réédité chez L'Atalante).

Le Festin nu

Figure emblématique de la littérature du XXe siècle, pilier de la « Beat Generation » (avec Jack Kerouac, Allen Ginsberg, John Clellon Holmes, Neal Cassady) William S. Burroughs nous a quittés en 1997 en laissant derrière lui une œuvre considérable. Depuis sa mort, on commence à mesurer réellement son influence sur la littérature moderne, mais aussi sur les autres arts : musique (une collaboration avec Kurt Cobain, le nom du groupe The Soft Machine), cinéma (Le Festin nu de David Cronenberg, une apparition remarquée dans Drugstore Cowboy de Gus Van Sant), théâtre (la pièce Interzone), bande dessinée, etc.

Le lecteur de science-fiction (qui a forcément entendu parler de la revue britannique Interzone) trouvera dans l'œuvre tentaculaire du camé céleste quatre romans (encore que cette dénomination ne puisse s'appliquer aux livres de William S. Burroughs) susceptibles de l'intéresser : la trilogie formée par La Machine molle (1960), Le Ticket qui explosa (1961), Nova Express (1962)… et évidemment Le Festin nu (1959 — The Naked Lunch, qui est plutôt un déjeuner nu, un repas nu, et non un festin comme le laisse supposer à tort le titre français).

Dans Le Festin nu, on suit la lente dérive de William Lee perdu dans le territoire intermédiaire que l'auteur appelle l'Interzone, une ville grotesque et dangereuse située quelque part à la collision de New York et de Tanger, en un endroit sans doute hors de l'espace et du temps où deux cultures antagonistes s'interpénètrent. Là, William Lee jouera le rôle d'espion, découvrira sa sexualité (une sexualité placée au-delà du clivage des sexes, mais qu'il est difficile de qualifier de bisexualité) et fera connaissance avec quelques-unes des créatures les plus flippées de l'univers burroughsien : le scolopendre aquatique noir (qui donne la viande noire, une drogue parmi tant d'autres) et les mugwumps dont on suçote les fluides vitaux. Récit sans queue ni tête, brûlot paranoïaque où « rien n'existe, tout est permis » et où les envolées de prose se mêlent à la pornographie la plus dure (pages 138 à 149 de l'édition « Folio-SF »), Le Festin nu est une œuvre incontournable, unique, à mettre sur la même étagère qu'Au Cœur des ténèbres de Conrad, Les Fleurs du mal de Baudelaire et Moby Dick de Melville. Quant à savoir s'il s'agit (ou non) de science-fiction, le moins que l'on puisse dire c'est que cette question ne présente pas le moindre intérêt.

David Lynch

David Lynch est-il un enfant insupportable dont les excès deviennent films, alors que d'autre trouveraient là matière à mauvais coups ? C'est ce que semble penser Michel Chion, qui nous propose un livre remarquable sur ce grand cinéaste américain qui n'a jamais cessé d'explorer les franges de l'imaginaire, n'y plongeant réellement que pour un Dune injustement haï. Cet ouvrage  (publié pour la première fois en 1992) a été mis à jour puisqu'il prend en compte le succès de Mulholland  Drive  (plus critique que commercial) et les dernières  publicités réalisées par Lynch. Il nous propose un voyage quasi-chronologique dans l'œuvre du réalisateur, de ces premières rencontres avec Terence Malick (au début des années soixante-dix) jusqu'aux scènes incompréhensibles (quel plaisir !) de Mulholland Drive.

Au fil de ces pages, véritable eau-forte du cinéma indépendant américain, on lira aussi quelques interventions totalement hallucinées, voire grotesques ; comme celle de Dino de Laurentiis, célèbre producteur italien capable du meilleur comme du pire (surtout le pire) : « Quand j'ai fait La Strada avec Fellini, les critiques italiens ont dit : « bof, Fellini ». Mais la critique française a dit que c'était un des plus grands films jamais faits. Pour David Lynch, c'était pareil. D'abord il avait fait un petit film à la con (Eraserhead), peu après il a fait un vrai film, Elephant Man. Je l'ai choisi pour Dune. J'ai encore inventé un nouveau metteur en scène ». (page 35)

Tout comme David Lynch, Michel Chion a compris que l'essentiel se trouve parfois de l'autre côté des grandes tentures rouges… Celles du business, celles du réel. Voilà donc un livre incontournable pour les fans du réalisateur le plus barré ayant jamais existé. Dans la même collection, on se jettera aussi sur le David Cronenberg, signé Serge Grünberg.

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