Connexion

Actualités

Yumi et le peintre de cauchemars

Yumi est une Élue du Royaume de Torio. Depuis son plus jeune âge, elle manipule les pierres pour invoquer les esprits afin qu’ils répondent aux besoins de son peuple, qui survit tant bien que mal sous une lumière constante et une chaleur écrasante. Tout le contraire de Nikaro qui vit à Kilahito, une ville enveloppée d’un voile noir. Mais comme Yumi, il travaille au bien-être de son peuple en repoussant chaque jour les cauchemars qui traversent le voile. Armé de ses pinceaux et de ses toiles, Nikaro rend inoffensif ces esprits cauchemardesques pour les éloigner des habitants. Yumi et Peintre (surnom de Nikaro) accomplissent leurs tâches respectives jusqu’au jour où Peintre se réveille dans le monde de Yumi… enfermé dans le corps de cette dernière, qui n’est plus qu’un simple esprit. À partir de cet événement, rien ne va plus. Et quand le corps de Yumi s’abandonne au sommeil… la jeune yoki-hijo s’immisce dans la vie de Peintre mais conserve son apparence à elle, Peintre n’étant plus à son tour qu’un simple esprit dans son monde. Hein ! Comment ? Eh oui, le lien qui les unit échappe à toute logique. Mais ce qui est certain, c’est qu’un cauchemar stable rôde dans les rues de Kilahito, et ce n’est pas par hasard… tout comme cet esprit qui a demandé à Yumi de le libérer.

Après Tress de la mer émeraude (cf. Bifrost n° 110) et Manuel de survie du sorcier Frugal dans l’Angleterre médiévale (cf. Bifrost n° 111), le nouveau roman « secret » (pour rappel, il y en aura quatre au total) de Branson Sanderson est enfin sorti du four. Et son goût est légèrement décevant. L’auteur des « Archives de Roshar » n’est pas connu pour la qualité de ses histoires d’amour, mais pour son talent de conteur, ses world buildings qui envoient du pâté et sa capacité à nous émerveiller par des systèmes de magie aussi complexes qu’excitants. Yumi et le peintre de cauchemars se place donc comme un OVNI dans l’univers du Cosmère : une romance un peu trop longue entre deux héros que tout oppose. Elle, maniant l’art de l’empilement des pierres selon un enseignement strict ; lui, jouant du pinceau de façon libre et instinctive. Les deux jeunes gens devront apprendre l’un de l’autre, et qui du corps ou de l’esprit gouverne, ils n’ont pas le choix s’ils veulent se libérer du lien qui les unit et regagner leur monde respectif. Pour lui, une planète aux influences japonisantes et à la technologie avancée ; pour elle, un monde inspiré de la culture coréenne et médiévale. Un peu classique, donc, ce roman d’apprentissage mâtiné de romance. Le grain de sel ne viendra pas du couple, mais plutôt du narrateur, un porte-manteau. Hein ! Quoi ? Oui, un porte-manteau à l’humour rafraîchissant, un narrateur omniscient que les habitués du Cosmère reconnaîtront et qui racontait déjà l’histoire de Tress. Mais Brandon Sanderson ne s’attarde pas sur ce non-personnage, et c’est dommage car son sort est lié aux héros. Il lui préfère Yumi et Peintre dont il isole la relation du reste du monde et du Cosmère. Par ailleurs, inutile d’avoir lu les autres romans de l’univers pour comprendre parfaitement cette histoire, des références sont présentes mais trop peu pour avoir un impact sur la lecture. Yumi et le peintre de cauchemars est avant tout une histoire « conçue comme un cadeau » dédiée par Brandon Sanderson à son épouse et qu’il faut lire en tant que telle, une déclaration d’amour à celle qui l’épaule au quotidien.

La géante et le naufrageur (Mille Saisons T.1)

Entre work in progress intergénérationnel et familial, fantasy foutraque et feuilleton diffusé via le Net, Mille Saisons opère désormais sa mue vers une déclinaison papier, enluminée par Stéphane Perger et maquettée par Laure Afchain, atterrissant pour l’occasion dans le giron du Bélial’ sous la férule débonnaire d’Erwann Perchoc. Premier opus de ce monstrueux projet, La Géante et le naufrageur compile les épisodes de la première année, illustrant bellement la volonté de raconter et de partager des histoires sans chercher à se prendre la tête. Entre hiver et automne, on y suit le périple de Patito, le grouillard sans attache, et de Syzygie, la géante amnésique tombée de nulle part. Un
duo aussi dissemblable qu’inséparable, en dépit des nombreux fâcheux lancés à leur trousse, attirés par la voix d’or de la géante, un trésor bien caché aux tréfonds de sa carcasse, ou chauffés à blanc par les rodomontades du gamin, guère avare lorsqu’il s’agit de défier dame Fortune ou de chercher le charivari. En leur compagnie, on se familiarise ainsi avec l’Archimonde, contrée vaguement médiévale et incontestablement fantastique, n’ayant rien à envier à Newhon ou à l’univers des jeux de rôle, sillonnant les routes du Capobert, de ses crêtes battues par les vents au plus profond de ses vallées boisées, en passant par la voie souterraine en dépit des pièges qu’elle recèle. On se frotte ainsi à des créatures d’ombre qui complotent sur d’autres plans de réalité, à des monstres effrayants ou hilarants (question de point de vue), à des corsaires, des sorcières et des magiciens dans un décor de bric et de broc mais d’où se dégage peu à peu une réelle cohérence géographique. Dans cet univers, Léo Henry se plaît à tricoter un récit vif et enjoué, aménageant les péripéties et les rebondissements à partir des suggestions nées des réactions et des discussions avec ses enfants. On passe ainsi de périls indicibles en situations croquignolesques, sans véritable solution de continuité. On flirte avec l’horreur, avec le comique, avec une forme d’hommage décalé au corpus de la fantasy, sans jamais se prendre au sérieux mais avec toujours l’intention sincère de s’amuser et de faire sens.

On suivra donc avec curiosité L’Éveil du Palazzo, la deuxième année de Mille Saisons, histoire de découvrir d’autres lieux de l’Archimonde, toujours en agréable compagnie et dans le souci d’aventures renouvelées. Et on se réjouit par avance d’en prendre pour dix ans.

Les Oiseaux du paradis

Plus qu’une réécriture de la Bible, c’est une uchronie biblique que nous propose Oliver K. Langmead avec Les Oiseaux du paradis : et si Adam avait (vécu et) survécu car étant immortel ?

La légendaire lingua adamica est centrale dans le roman, puisque les protagonistes sont des animaux provenant d’Éden, qu’Adam a nommé. Problème, ce dernier a oublié l’adamique et les noms sont donc en anglais.

Les oiseaux du/de paradis (les deux peuvent se confondre en anglais) du titre font ainsi référence aux animaux et aux plantes, soit les deux familles de locataires d’Éden. Adam, qui navigue d’identité en identité, se trouve donc chargé d’une mission par Corbeau : retrouver Pie. En chemin, il croisera Corneille ou Chouette, mais aussi d’autres métamorphes plus terrestres, tous pouvant se fondre parmi les humains. Adam se retrouve en Écosse, opportunément (l’auteur est écossais). Là, l’intrigue se corse puisque d’excentriques aristocrates entrent en jeu et se révèlent plutôt compétitifs. L’objectif de tout ce petit monde : reconstituer le Jardin d’Éden.

Et Ève, dans tout ça ? Une partie d’elle est toujours présente, et sa trajectoire est décrite dans les souvenirs d’Adam. Sa mémoire constitue l’un des enjeux majeurs du roman, puisqu’elle lui fait grandement défaut, ce que l’auteur symbolise par l’image d’une couronne d’épines dans le crâne. Le clin d’œil est amusant, mais le coup du personnage (partiellement) amnésique avec un être aussi incroyable reste un peu facile. Cela permet néanmoins de découvrir que le couple originel a bourlingué dans ses péripéties passées, quoique toujours en Occident ou à proximité de la Méditerranée.

Au bout du compte, Les Oiseaux du paradis constitue une lecture qui navigue entre le surréaliste et l’irréaliste, agréable mais pas inoubliable. Quitte à investir la Bible en Imaginaire, on préférera – dans une tout autre approche, certes – L’Évangile selon Myriam de Ketty Steward (cf. Bifrost 105). Il n’en reste pas moins de belles formules sur la Nature, faune et flore confondues, qu’Adam observe avec passion et choie avec ferveur – mais pas au point d’être végan.

Nulle âme ne désespère en vain (L’Empire s’effondre T.3)

Ultime volet de la trilogie « L’Empire s’effondre », Nulle âme ne désespère en vain déploie une structure qui laisse le lecteur doté de ne serait-ce que d’un atome de sens critique quelque peu dubitatif. Ainsi, il s’ouvre sur une longue partie portant exclusivement sur l’exploration du deuxième continent par Rackham Thorpe, sa découverte des Titans, l’histoire réelle de cet univers, et sur ce qui se déroule dans la Vallée d’où les dieux veulent s’échapper. C’est parfois très intéressant, mais d’une part c’est trop long, et d’autre part ce n’est qu’au bout de cent pages, soit un cinquième de la longueur totale du livre, qu’enfin l’auteur raccroche les wagons avec ce que son lecteur pouvait légitimement attendre ici, à savoir le déroulement de la guerre civile opposant les différentes factions en présence pour le contrôle des vestiges de l’Empire, et surtout pour le modèle de société qui y sera appliqué (basé sur l’immobilisme, la religion et l’irrationnel, ou sur le dynamisme, la technologie, la Raison et le compromis). Jusqu’à 80 pages de la fin, la partition s’exécute comme attendu, et puis un événement très surprenant a lieu, suivi d’une énorme ellipse (trois ans !) et d’une amorce de fin certes épique, mais qui constitue aussi, et surtout, le coup de baguette magique – « Pouf y’a plus d’ennemis, les gentils ont gagné ! » – le plus éhonté vu en littératures de l’Imaginaire depuis Le Dieu nu : Révélation, de Peter Hamilton. Sans compter qu’on revient brièvement à Rackham Thorpe, qui aperçoit quelque chose d’extraordinaire sans qu’on sache de quoi il s’agit, ou que d’autres personnages lancent une expédition vers le deuxième continent sans que, là encore, la chose mène quelque part…

Si le roman contient une étrange combinaison de trop et de trop peu, il se débrouille tout de même pour boucler de façon un minimum satisfaisante la majorité de ses arcs essentiels. Oui, le worldbuilding (qui, comme on le pressentait, n’est pas tant fantasy-steampunk que science-fantasy, vaguement dans la veine de R. J. Bennett) reste le gros point fort du cycle, certains passages relatifs aux Titans et aux dieux étant absolument fascinants. Toutefois, on se permettra d’être en désaccord avec la communication de l’éditeur, qui assène que « ce troisième tome confirme l’entrée en fanfare de Sébastien Coville dans la SF française ». Si le premier tome est bancal car trop verbeux, le troisième l’est tout autant, mais pour une raison inverse : il s’avère souvent trop étique. Seul le second, en définitive, se révèle au niveau qu’on est en droit d’attendre au regard des comparaisons prestigieuses auxquelles se sont livrées les éditions Anne Carrière. On méditera donc les paroles de sagesse du regretté Bon Scott : « It’s a long way to the top if you wanna Rock’n’Roll » !

Illuminations

Bien connu des amateurs de comics pour son immense contribution de scénariste, les lecteurs de From hell, La Ligue des gentlemen extraordinaires et Watchmen (pour ne citer que ces quelques titres) ne nous contrediront pas, Alan Moore est également un romancier et un nouvelliste dont il convient de suivre attentivement l’œuvre. Après La Voix du feu et plus récemment Jérusalem, Illuminations vient nous rafraîchir la mémoire, confirmant le statut incontournable de l’auteur de Northampton dans le paysage de l’Imaginaire. Découpé en neuf histoires, le présent recueil rassemble essentiellement des textes inédits écrits entre 1987 et 2021. Si l’on fait en effet abstraction de « Le Lézard de l’hypothèse », contribution de Moore à l’univers partagé de Laviek initié par Emma Bull et Will Shetterly, retraduite ici par Claire Kreutzberger, les autres récits paraissent pour la première fois dans l’Hexagone. Autant l’affirmer d’emblée, on ne ressort aucunement déçu de leur lecture, bien au contraire, les nouvelles et surtout le roman sont les manifestations brillantes du génie d’Alan Moore, dévoilant toute l’ampleur de son érudition et la puissance d’évocation d’une prose caustique, jouant de la satire et de l’absurde avec une aisance remarquable.

Parmi les textes qui figurent au sommaire, « Ce que l’on peut connaître de Thunderman » tient une place remarquable, se révélant comme le soleil noir d’un recueil autour duquel gravitent les autres récits. Alan Moore y retrace en effet l’histoire de l’industrie des comics sur une période de soixante-quinze années, interprétant d’un point de vue désabusé l’évolution délétère du milieu et du genre. Récit jubilatoire pétri de descriptions vachardes, frappé du sceau de la tragicomédie, mais aussi retranscription aux vertus cathartiques de l’expérience personnelle de Moore, « Ce que l’on peut connaître de Thunderman » dresse ainsi le portrait d’un inexorable étiolement sous les coups brutaux du business et de l’entertainment. L’auteur rend un hommage puissant à l’imaginaire des pulps et des comics, décrivant avec sincérité la fascination qu’ils suscitent auprès de leur lectorat adolescent, tout en adressant une lettre de rupture féroce aux faiseurs, bien plus intéressés par les profits que par l’acte de création lui-même. Au passage, les aficionados s’amuseront beaucoup aussi à démasquer les maisons d’édition, les acteurs du genre et les séries qu’ils créent et contribuent à animer, dont Moore travestit ici malicieusement la véritable identité.

À côté de ce point d’orgue, les autres textes ne déméritent heureusement pas. Parmi ceux-ci, on retiendra surtout les formidables « Maison de charme dans cadre d’exception » et « L’Inénarrable état de haute énergie ». Dans le premier, on accompagne une avocate et son client Jez pendant la visite de la maison de banlieue dont il vient d’hériter suite au décès de son père. Une situation apparemment prosaïque qui cache un sacré loup, puisqu’elle se déroule pendant l’Apocalypse. Gageons que l’extraordinaire livrera son content de révélations au commun des lecteurs. Quant au second texte, qui se fonde sur l’hypothèse du cerveau de Bolzmann, il met en scène la naissance, l’évolution et l’effondrement d’une civilisation dans les femtosecondes du désordre primordial qui suivent le Big Bang. Un vrai feu d’artifice conceptuel et narratif.

Visionnaire, cinglant, dense, voire d’une prolixité frôlant parfois l’étouffement, Illuminations ne décevra donc pas l’amateur d’Alan Moore, confirmant que l’auteur de Northampton ne s’est pas définitivement retiré de l’Imaginaire. Il a juste évolué vers d’autres médias, ajoutant à son arc une nouvelle corde narrative, celle du roman et de la nouvelle, pour notre plus grand bonheur.

Terra Humanis

Terre, 2109. Rébecca Halphen observe ce monde vert, pur, parfait, débarrassé de toute pollution, de tout conflit. Ce monde qu’elle et son mari ont construit pierre par pierre. Ce monde auquel ils ont consacré leur vie entière.

Commencent alors les flash-backs pour comprendre comment la Terre en est arrivée là. Terra Humanis retrace ainsi la vie et le combat de Rébecca Halphen et Luc Lavigne pour la planète. De leurs grands projets d’étudiants idéalistes à leur réussite, tant politique qu’écologique, c’est l’Histoire avec un grand H qui s’écrit ici, celle d’un xxie siècle plus que jamais menacé. Fabien Cerutti nous livre un monde empli d’espoir, où tout est encore possible, avec à la clef une société utopique, saine et harmonieuse.

Si certaines idées demandent une énorme suspension d’incrédulité – en particulier la mobilisation globale de tous les pays du monde et de tous les partis politiques pour le climat –, le roman en lui-même reste intéressant. Basé sur des éléments réels, il se pose en critique des sociétés actuelles et du manque de réactivité de certains, n’usant que très peu de la culpabilisation pour faire passer son message. Bien que restant opaques et peu propices à l’identification, les personnages, bien troussés, s’avèrent in fine attachants.

De même, les allers-retours dans le temps sont adroitement amenés. Le livre n’a pas pour objectif de présenter un suspense insoutenable, mais plutôt de faire comprendre en profondeur les enjeux politiques, économiques et écologiques de ce combat mondial pour la planète. Cerutti a donc choisi de montrer d’abord les résultats de chaque décision avant de détailler les actions et réflexions qui ont conduit à ces aboutissements. Pari gagné au vu de l’objectif assez pédagogique de l’ouvrage, auquel s’ajoutent certains événements imprévus qui rythment le récit.

Si défaut il y a, il concerne surtout la seconde partie de ce roman. Car si la première s’intéresse aux actions possibles et réalisables, la seconde reprend l’aspect culpabilisateur retrouvé dans beaucoup d’œuvres du même genre, au travers de l’arrivée d’une race extraterrestre qui n’aurait pas réussi à sauver sa planète d’un réchauffement global. Cette section se révèle assez peu pertinente au regard du message que veut faire passer l’auteur, d’autant que le début du livre s’attache à montrer l’inutilité de la culpabilisation et met en avant d’autres propositions de solutions.

Pas toujours totalement convaincant, donc, Terra Humanis reste dans son ensemble assez pertinent sur le plan de la lutte contre le changement climatique – sans minimiser sa dimension pédagogique, toutefois, qui le destine plutôt à un public désireux d’en savoir davantage sur le sujet. Pas un chef-d’œuvre, en somme, mais une note d’espoir qui fait du bien, et une lecture agréable qui plaira aux adeptes de l’anticipation engagée.

Les profondeurs de Vénus

Les Québécois dans l’espace, pourrait-on ainsi sous-titrer ce nouveau roman de Derek Kunsken, comme un clin d’œil à la dédicace à tous les membres de sa famille, à son casting quasiment exclusivement composé de membres d’une seule et même famille, les d’Aquillon, et à l’emploi permanent de termes de canadien français. Ces Québécois, donc, travaillentdansl’atmosphère d’acide sulfurique de Vénus, sur des chalutiers, créatures volantes créées par bio-ingénierie qu’ils habitent, et extraient des gaz et métaux des rares sources à leur disposition, ce qui leur permet tant bien que mal de survivre, et ce d’autant plus que les d’Aquillon n’ont pas très bonne réputation auprès des autres familles etdesBanquesayantpermis cette colonisation. Quand, soudain, père et fils font une fantastique découverte dans les profondeurs de Vénus susceptible de leur rapporter beaucoup d’argent… mais qu’il leur sera difficile de garder secrète.

Derek Künsken nous revient avec un roman à l’ouverture idéale, à savoir la description d’une société de prime abord impossible à concevoir, mais que l’auteur nous présente avecforcedétailstechniquesquinousla rendent peu à peu vraisemblable. Le world building est ici extrêmement travaillé, sous des atours de science pas trop hard mais un peu quand même. Puis survient la découverte, à la surface de Vénus que peu explorent, révélation qu’on se gardera de dévoiler ici, mais de celles qui vous font frétiller d’excitation tant les promesses de développements possibles sont nombreuses et ébouriffantes. On se retrouve un peu comme les singes de Clarke et Kubrick quand surgit le monolithe noir, et on a hâte que l’exploration de cette fabuleuse trouvaille démarre réellement. Et c’est là que le bât blesse. Car Künsken va ici surtout s’intéresser aux problèmes techniques que pose la mise en place des moyens d’exploration dans cette atmosphère hostile, mortelle à certains endroits (90 atmosphères, 450° Celsius) et une société où tout le monde surveille tout le monde en permanence. De sorte qu’on assiste à de nombreux morceaux de bravoure, pas désagréables en soi, inventifsendiable,maisquinefontpasavancer la résolution des mystères liés à la découverte initiale. Qui ne sera donc finalement pas traitée ici, mais dans le deuxième tome (The House of Saints, paru en août dernier en VO), et c’est bien dommage compte tenu des promesses initiales, qui frustre au plus haut point le lecteur, et confère au final à ces Profondeurs de Vénus le statut de préquelle rythmée, plaisante et aux protagonistes attachants, mais inachevée.

La machine à aimer

Deuxième roman de Lou Jan, La Machine à aimer s’inscrit dans une trilogie autour des thèmes que l’autrice estime être les ressources clés : le temps, sujet de son premier livre Sale temps (paru en 2015 chez Rivière Blanche) ; l’amour, ici développé ; le corps.

Lou Jan aimerait vivre au xxiie siècle et c’est l’époque à laquelle se déroule l’histoire. Nobod, une « hybride », c’est-à-dire un robot intelligent, par opposition aux « débiles » (sic), échappe grâce à un bug à un « génocide » cybernétique décidé par l’ONU après une alerte sur le comportement d’un de ses congénères. De là, l’humanité se dit subitement que, peut-être, il y a un risque avec ces centaines de millions de robots implantés dans toutes les strates des sociétés humaines, et à l’échelle globale. Et pfiou, ça dégage !

Nobod la fugitive va vivre moult péripéties entre l’Antarctique et la banlieue lyonnaise. L’occasion de décliner des thèmes comme le genre ou la sexualité, et bien sûr l’amour, par le biais de ce personnage créé pour aimer, qui ne peut rien faire d’autre… mais qui arrive quand même à se questionner sur le sujet.

La lecture de La Machine à aimer se fait rapidement (cela dit, le livre est court…). Le style de l’autrice est tranchant, à bases de phrases resserrées et de nombreuses formules pouvant faire office d’aphorismes. On adhérera ou non à ce procédé, qui s’avère en tout cas notable. Et donne matière à réflexion sur les différents types de relations qui tiraillent l’humanité.

Parmi les bonnes idées, il y a les personnages secondaires de la maison, qui en sont le mobilier et les appareils électroménagers. Leurs échanges, aspirations ou déconnexions sont amusants, et on aurait aimé les suivre plus longtemps.

Néanmoins, Lou Jan semble fascinée par les corps racisés, et ça en devient vite gênant. Les épithètes rivalisent de superlatif ou d’exotisme. Les relations sexuelles sont décrites avec ferveur et même gourmandise, mais paraissent bien vite expédiées – heureusement que dans l’histoire, tout le monde y trouve son compte, merci la fiction ! Un autre problème réside dans cette affaire de complot mondial qui débarque d’un coup dans le récit, et lui donne une tournure inattendue. On découvre alors la femme la plus puissante du monde, et l’intitulé de son poste laisse pantois !

Dans ce futur où « guerres, maladies et famines ont été éradiquées », mais qui fleure bon l’eugénisme quand même, Lou Jan propose une réflexion riche en formules chocs sur le thème de l’amour, où les aventures sont nombreuses mais pas forcément heureuses.

Les Terres animales

Après l’explosion d’une centrale nucléaire, les habitants ont été évacués de la zone contaminée. Certains ont refusé de partir. Le roman raconte l’histoire de cinq d’entre eux, cinq amis, deux femmes et trois hommes.

La première partie du récit décrit leur quotidien, leurs arrangements avec la radioactivité omniprésente, leurs rapports avec d’autres groupes qui sont également restés : des vieux ne voulant pas abandonner leur village, des ouvriers ouzbeks qui faisaient partie de ces cohortes d’intérimaires utilisés par l’industrie nucléaire pour faire baisser les statistiques des maladies professionnelles parmi ses salariés. Mais vers le milieu du roman, un évènement (que la quatrième de couverture dévoile bêtement : ne la lisez pas !) va rompre l’équilibre du petit groupe. La seconde partie se concentre sur la folie qui envahit leurs relations, jusqu’à une fin qu’on pourra trouver un peu expéditive.

La force et l’originalité des Terres animales résident surtout dans la première moitié du livre.

Cette chronique de la vie dans une zone irradiée évoque Malevil, bien sûr, ou encore le récent La Pierre jaune de Le Guilcher (Folio « SF »). Mais elle s’en distingue par sa tranquillité et son humanité. Si la mort et le danger sont partout (l’un des personnages établit un intéressant parallèle avec la guerre des tranchées), ce qui est mis en avant ici c’est l’invention d’une nouvelle vie. Au sein du groupe priment l’amitié, le partage et l’hédonisme (on cuisine, on pille les caves à vin des maisons abandonnées, on joue au foot même si c’est en combinaison NBC…). Dans leur solitude irradiée, les cinq personnages re- découvrent la solidarité, s’affranchissent du carcan de la société et glissent vers un dénuement, un dépouillement volontaire : « nous vivons comme l’humanité aurait dû vivre… comme au Bangladesh » (p. 19). Le nucléaire ET la bougie.

L’instant présent gagne en intensité : en renonçant au futur, les protagonistes se libèrent de la peur de la mort et atteignent cette animalité auquel le titre fait référence.

Le roman de Laurent Petitmangin, s’il pèche par une fin peu convaincante, mérite amplement d’être découvert. Sans qu’il ne nie l’horreur des conséquences d’un accident nucléaire ni les tensions qu’engendre la cohabitation à laquelle sont condamnés les personnages, sa douceur, sa mélancolie, son humanité le démarquent des classiques du post- apocalyptique. Non content d’être une intéressante variation sur le thème de l’après-catastrophe nucléaire, il séduit car ce qu’il s’attache à décrire, ce n’est pas la survie : c’est la vie.

Légendes & Lattes

Que se passe-t-il quand les héros sont fatigués et veulent se ranger des voitures – ou des dragons ? Ils se reconvertissent et se lancent dans la restauration, bien sûr ! Ainsi Viv, qui, après une dernière mission, décide de quitter ses compagnons d’aventure, de reposer son épée et d’ouvrir un café dans la ville de Tuine. Rien de bien sorcier, non ? Oui, mais Viv est une orc qui surplombe tout son monde d’une bonne tête. Et puis, à Tuine, pas grand-monde n’a entendu parler de café, et encore moins goûté ce breuvage d’origine gnome. Confiante en sa bonne étoile, ou plutôt en cette pierre d’écailleverte censée porter chance à qui la détient, Viv va acquérir une vieille étable dans le quartier de Redstone et la transformer en café, parvenant à rassembler peu à peu autour d’elle une équipe haute en couleur : Calamité le hobgobelin bougon mais généreux, Tandri la succube en butte aux stéréotypes, Bouton le ratelin mutique aux incomparables talents de pâtissier, entre autres… Sans oublier les problèmes qui rôdent, comme les sbires de ce boss de la pègre local auquel Viv se refuse de verser son écot, ou ces clients qui tardent à arriver…

Premier roman de Travis Baldree, Légendes & Lattes s’inscrit dans le registre de la cosy fantasy : une fantasy doudou, tranquille, posée, où jamais rien de trop grave ne vient accabler les protagonistes. Pas de combats épiques, pas de magie pyrotechnique, pas de dilemmes insurmontables. Pour peu que l’on accepte ce contrat de lecture, le roman remplit parfaitement son office : il y a quelque chose d’agréable à suivre les tribulations de Viv et son commerce, d’autant que l’auteur ne manque pas d’inventivité pour justifier tel ou tel terme (à commencer par le latte du titre, justement).

À noter que le volume s’enrichit d’une nouvelle, faisant préquelle au roman, ainsi que d’une recette (les fameux boutonnets de Bouton le ratelin) et d’un entretien avec Travis Baldree. Vu la mocheté actuelle du monde réel, un brin d’évasion ne nuit pas, et à cette aune, Légendes & Lattes constitue le divertissement parfait. À lire en dégustant votre boisson de réconfort favorite.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 113
PayPlug