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Orion shall rise

Aux confins du Système solaire se trouve une porte interstellaire où l’humanité découvre un message émis par des extraterrestres, les « Autres ». La galaxie est émaillée de por-tes semblables, qui permettent de sauter instantanément de système en système. L’humanité, que les Autres placent en période de probation, se voit offrir une planète habitable conforme à ses besoins, Déméter, ainsi que le diagramme d’approche pour s’y rendre. Si la manœuvre n’est pas scrupuleusement respectée, l’astronef se perdra dans l’espace sans espoir de retour. Quelques décennies s’écoulent, Déméter est colonisée et des échanges s’instaurent entre la Terre et elle. Puis, un jour, les gardiens de la porte stellaire de Déméter voient émerger un astronef inconnu, qui repart aussitôt. Mais on a pu filmer sa trajectoire d’approche et un vaisseau terrien, l’Emissaire, est dépêché à sa suite. On attend son retour avec impatience.

Daniel Brodersen, entrepreneur établi sur Déméter, se méfie du gouvernement terrien, qu’il soupçonne de vouloir renoncer à l’exploration interstellaire. Persuadé que l’Emissaire est revenu mais que les autorités ont étouffé l’information et emprisonné son équipage, il constitue son propre équipage et décide d’en avoir le cœur net.

On retrouve dans ce roman touffu les thèmes et les personnages chers à Anderson : l’exploration de l’espace, l’initiative individuelle, la méfiance à l’égard des gouvernements tentés par le totalitarisme. Mais les choses ont changé. Le succès de Star Wars aidant, la SF a acquis un nouveau statut dans l’édition américaine. Les romanciers n’ont plus besoin de faire court et The Avatar est un roman copieux — plus de quatre cents pages dans son édition de poche, un record pour notre auteur. Il n’est pas certain que cette évolution soit positive, et l’intrigue, après avoir traîné un tantinet, part un peu dans tous les sens ; par ailleurs, si certains personnages sont bien développés, d’autre tiennent du stéréotype, ainsi le politicien partisan du repli sur soi et de l’isolationnisme, dont les motivations relèvent du cliché.

Mais l’intérêt de The Avatar (2) est ailleurs. Si c’est à l’initiative du héros andersonien typique que l’intrigue se met en route, il s’efface peu à peu en faveur des deux personnages féminins, deux de ses anciennes maîtresses. Il y a tout d’abord Joelle Ky, une holothète — elle s’est fait implanter dans le système nerveux un dispositif qui lui permet d’interfacer directement avec les systèmes informatiques, ce qui l’a amenée à se détacher de l’humanité. Puis il y a Caitlin Mulryan, astro et infirmière diplômée, chanteuse et conteuse intarissable. Joelle fait partie de l’équipage de l’Emissaire, et c’est elle qui communique le mieux avec son passager extraterrestre. Car le vaisseau a bien découvert une autre civilisation, laquelle traverse une profonde crise et espère que l’humanité l’aidera à la surmonter. Après moult péripéties, Brodersen réussit à libérer une partie de l’équipage et part à l’aveuglette ou presque pour un voyage dans le cosmos.

En grossissant le trait, on pourrait dire que Joelle est tout esprit et Caitlin toute chair. Petit à petit, ce sont ces deux femmes qui vont prendre les commandes du récit, elles qui vont décider du devenir de l’expédition, voire de l’espèce humaine dans son ensemble. Dommage que la résolution, plutôt satisfaisante, intervienne après quantité de digressions. Poul Anderson se montrera par la suite capable de maîtriser la forme très longue, mais ce coup d’essai n’est pas une réussite.

Barrière mentale

Un jour, le Q.I. de toutes les espèces augmente soudain. Les effets sont plus dévastateurs que bénéfiques : les animaux d’élevage s’échappent et se révoltent, les bêtes sauvages déjouent les pièges des chasseurs, la société s’effondre suite aux démissions en masse d’individus changeant de vie pour assouvir leur soif de connaissance et provoquant des pénuries. Les scientifiques, forts de leurs nouvelles capacités, abandonnent des recherches un peu futiles pour s’attaquer à des sujets passionnants mais jusqu’ici hors de portée, telle l’exploration spatiale, un nouveau système de propulsion leur permettant de confirmer la raison de cette brusque augmentation d’intelligence.

Celle-ci serait due à un champ de forces que la Terre traversait depuis le Crétacé et qui aurait ralenti les échanges électromagnétiques, et donc les connexions neuronales. La vérification de cette hypothèse ne va pas sans mal puisque, entrant à nouveau dans le champ, les navigateurs s’en trouvent incapables de piloter leur astronef.

En réaction aux désordres planétaires, une religion antiscientifique célèbre un nouveau culte de Baal. Ailleurs, des communautés se réorganisent, esquissant un semblant de civilisation que tous n’acceptent pas. Plutôt que de s’y rallier, un sim-ple d’esprit, Archie, s’efforce de communiquer avec les animaux et institue avec eux des rapports plus égalitaires : chien, chimpanzé, éléphant, mais aussi faibles d’esprit jadis rejetés par tous, vivent en bonne intelligence sur un territoire délaissé. Ailleurs encore, Sheila, l’épouse de Peter Corinth parti dans l’espace, découvre combien sa vie est vide de sens et tente de revenir à son état originel.

Bien des attitudes étonnent de la part d’esprits désormais plus achevés, mais les réactions malavisées sont essentiellement dues à l’accroissement soudain du Q.I., qui n’a pas laissé à tous le temps de s’y adapter, une intelligence supérieure ne signifiant pas une rationalité accrue, comme l’expliquent en postface Suzanne Robic et Karim Jerbi (on trouvera aussi dans ces pages trois nouvelles traitant du même thème : « Les Arriérés », « Technique de survie » et « Terrien, prends garde ! »).

Anderson multiplie les approches pour décrire l’ensemble des conséquences, sociales et individuelles, par exemple un nouveau mode de communication, plus compact, qui se met en place. La succession rapide de vues d’ensemble et rapprochées, ainsi que le nombre de personnages, nuit à l’efficacité du récit. Mais il s’agit là du coup d’essai d’un jeune auteur qui a tenu à exploiter son univers dans tous ses détails. On le voit très au fait de l’actualité scientifique.

S’il accuse son âge, notamment avec des problématiques en arrière-plan datant de la guerre froide, ce roman reste agréable à lire, surtout quand l’auteur s’attarde sur ses personnages, en particulier Archie dans sa communauté inter-espèces et Shirley, murée dans son désarroi.

[Et aussi : la critique de Jean-Pierre Lion dans le Bifrost n° 72.]

The Broken Sword

Pour se venger du Danois établi en Angleterre qui a massacré sa famille, une sorcière saxonne informe Imric, souverain des elfes de l’île, que cet homme vient d’avoir un fils qui n’est pas encore baptisé. Imric engendre un changelin, qu’il substitue au nourrisson : un féal humain, capable de manier le fer, sera pour lui un précieux auxiliaire. Mais lors de la cérémonie où il re-çoit son nom, Skafloc se voit offrir un sinistre présent : une épée de fer, brisée en deux, qui ne peut manquer d’être reconstituée et qui, par la suite, commettra un mal terrible. Pendant que Skafloc devient un hybride d’elfe et d’humain, au cœur vaillant et à la force gracieuse, son double, Valgard, devient une brute, un berserker, qui finit par tomber sous la coupe de la sorcière saxonne toujours avide de vengeance.

« Pour parler franchement, ce livre est une geste », écrit l’auteur dans un avant-propos. Et c’est une geste dont les racines sont évidentes : une épée magique, qu’il faut à tout prix reforger ; un frère et une sœur éloignés l’un de l’autre par les circonstances, qui finissent par se retrouver et s’aimer ; des êtres surnaturels brutaux et cruels, étrangers à tout sentiment hu-main… On est en plein dans les sagas islandaises, et en particulier dans la Volsungasaga, qui a inspiré Wagner.

Passé inaperçu lors de sa sortie — on peut affirmer qu’il était en avance sur son temps —, ce roman se révélera fondateur pour ce qui est de l’œuvre andersonienne. On y trouve, traités sous l’angle du légendaire, nombre de ses thèmes les plus forts, à commencer par celui de la liberté individuelle : à mesure qu’avance l’intrigue, le personnage de Skafloc se voit de plus en plus captif d’un destin qui lui a été imposé. Grâce à Freda, il découvre le sentiment humain le plus fort qui soit, l’amour, et en même temps la frustration — car Freda est sa sœur et, en bonne chrétienne, elle ne peut s’unir à lui par la chair. Il se sent tenu d’affronter son double, tout en sachant que ce combat a été prévu de longue date par Odin, avide de guerriers pour peupler le Walhalla.

Autre thème emblématique de notre auteur, celui de l’entropie, de la fin d’un monde qui s’annonce. Car les elfes savent que leur temps est compté, que l’homme sera bientôt le seul maître du monde — cet homme imparfait, mortel, mais capable de prouesses et de sentiments qui les dépassent.

Enfin, et Anderson rejoint ici Tolkien — dont le premier tome du « Seigneur des anneaux » est contemporain de son roman —, on trouve dans ces pages une célébration de la réalité la plus prosaïque qui soit : face aux merveilles qui sont le lot des elfes, ce sont les joies simples du genre humain qui triomphent malgré les épreuves les plus terribles : un foyer, une famille, l’amour sous toutes ses facettes.

Lorsqu’il réédita ce livre en 1971, Poul Anderson décida de le réécrire en gommant ce qu’il estimait être des maladresses de débutant. Mais quand le livre fut réédité après sa mort, ce fut la première version que l’on choisit, sans doute avec raison — sa force brute la rend inoubliable.

The Enemy Stars

La Terre, transformée par le temps et les guerres, est surpeuplée, inégalitaire, gouvernée par un régime autoritaire, le Protectorat. Grâce à une technologie proche de la téléportation, elle exploite des colonies planétaires et entretient pour ce faire un réseau de portes la reliant à de nombreux mondes et à des astronefs en mouvement. Quand le plus lointain de ceux-ci découvre une étoile morte, on téléporte quatre astronautes à son bord afin de l’étudier. Mais un accident encalmine l’astronef. Les naufragés doivent le réparer d’urgence, sous peine de mourir de faim à son bord. Il leur faudra d’abord surmonter leurs antipathies réciproques et, pour chacun, faire le clair avec ses raisons de vivre.

Ecrit en 1958, The Enemy Stars est gros des soucis de l’époque. On y entrevoit une Terre surpeuplée, organisée en castes aux privilèges héréditaires à peine compensés par une méritocratie marginale, dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’Asie. Mais surtout, une Terre impérialiste : en pleine décolonisation, Anderson décrit une planète mère exploitant sans vergogne les ressources de colonies spatiales où des volontaires s’établissent sans espoir de retour, et où la révolte gronde, réprimée très violemment lorsqu’elle devient révolution.

Mais The Enemy Stars n’est pas qu’un background politique. C’est aussi, et peut-être surtout, une ode à la volonté, au courage, à l’abnégation, au sacrifice. Perdus dans l’espace, confrontés à leur mort probable, au vide glacial, à la solitude de l’infini, les astronautes trouveront en eux les ressources de sagesse, de force, d’humanité qui leur permettront, à une partie tout du moins, de rentrer à bon port. Et lorsque la femme de l’un d’eux demandera rageusement au père de son mari pourquoi partir dans l’espace, celui-ci répondra, citant Kipling, qu’on part dans l’espace comme on partit jadis sur les mers et pour les mêmes raisons. Pour aller plus loin, voir ce qu’il y a par-delà la colline, car la curiosité et le défi fondent notre nature humaine. Il n’y a pas d’animal explorateur.

Enfin, The Enemy Stars est un pamphlet pour l’ouverture et l’acculturation. C’est le contact fortuit avec une autre civilisation, plus éthique, plus égalitaire, plus décentralisée et trop grande pour être détruite ou absorbée, qui amènera dans l’espace humain les nouvelles idées indispensables à une régénération de la civilisation et, partant, à l’ouverture politique de notre monde. L’humanité ne peut rester provinciale dans une vaste galaxie, ne peut pas plus rester anthropocentrée que l’Occident ne put rester ethnocentré. Elle doit s’enrichir de l’Autre comme l’Autre s’enrichira d’elle.

The Enemy Stars n’est pas exempt des petits travers intellectuels ou stylistiques de l’époque. Quelques phrases fleurent bon les années 1950. Mais l’intelligence du propos fait vite oublier ces incongruités. De même, l’outil technologique au cœur du récit est peu fondé scientifiquement. Mais qu’importe, le propos n’est pas là. Ce qui compte, c’est la place dans l’univers de l’humanité et de chacun de ceux qui la composent. Comme dans Tau zéro, douze ans plus tard, Anderson impose à ses héros une panne technique extrême qui les force à aller plus loin qu’ils ne l’auraient cru possible. Ces hommes sont debout contre l’univers, comme les ancêtres vikings d’Anderson l’étaient contre les flots déchaînés. Respect.

Les Croisés du cosmos

Lorsque Les Croisés du cosmos paraît en 1960, Poul Anderson, à trente-quatre ans, est déjà un auteur installé, ou en tout cas en passe de l’être. Il n’a pas encore remporté le premier des sept prix Hugo qui émailleront sa carrière (il lui faudra attendre l’année suivante, avec « Long cours »), mais il n’en publie pas moins depuis plus de quinze ans quantité de nouvelles, et aussi quelques romans appelés à faire date (dont, surtout, L’Epée brisée). Il ne le sait sans doute pas encore, mais 1960 sera une année importante dans son parcours : l’année où seront réunis en volume les premiers de ses textes formant « La Patrouille du temps »…

Nous sommes en 1345. Autant dire aux prémices de la guerre de Cent Ans. Roger de Tourneville, noble anglais dont la bravoure le dispute à son sens de l’honneur et à sa rustrerie, réunit son armée pour aller prêter main-forte au roi Edouard III en terre de France. C’est alors que se produit le plus curieux des phénomènes : une immense arche céleste déchire les nues et vient se poser en plein milieu des préparatifs guerriers. Abasourdis, terrifiés, les Anglais se rassemblent face à la nef infernale. D’où sort bientôt une créature bleutée qui arrose sans tarder les soldats de Sa Majesté d’un rayon mortel. L’armée réplique à l’arc presque par réflexe, tue la créature et bientôt le reste de ses semblables terrés dans les flancs du monstre d’acier, à une exception près. Roger de Tourneville, qui comprend vite le parti qu’il peut tirer d’une telle nef, s’en empare et y embarque soldats, femmes, enfants, paysans et troupeaux, bref, la totalité ou presque de sa baronnie : les Français n’ont qu’à bien se tenir. Mais voilà que suite à une vile traîtrise de la créature d’outre-espace, la nef volante se retrouve bientôt perdue dans les confins de l’univers, avec pour ennemi rien moins qu’un empire interstellaire. Mais à cœur vaillant rien d’impossible, surtout lorsqu’il s’agit d’un cœur anglais !

Si, sur le papier, Les Croisés du cosmos réunit les deux passions de Poul Anderson, l’histoire et la prospective, nous sommes avant tout en présence d’un réjouissant morceau de bravoure humoristique, une farce née du triple décalage culturel induit par le postulat du récit : celui du narrateur, frère Parvus, qui, en bon prêtre du xive siècle, analyse l’ensemble des événements à l’aune de sa foi inébranlable ; celui des Wersgor, les extraterrestres bleus, belliqueux et très cons ; et celui du lecteur, bien évidemment. Les charges sont multiples (tout y passe ou presque : la religion, bien sûr, la fatuité hors d’âge des peuples incapables de toute remise en question, Anglais en tête, le colonialisme, le nationalisme, etc.) et le rythme des plus enlevé. Naturellement, l’effort de « suspension d’incrédulité » est intense (on lit le récit de frère Parvus comme on lirait les Divertissements pour un empereur de Gervais de Tilbury), ce qui freine sans doute l’implication du lecteur. Mais le plaisir manifeste pris par Poul Anderson dans la rédaction de cette chanson de geste au cœur de l’espace, presque un roman courtois par certains aspects, s’avère vite communicatif.

Un livre mineur, certes, mais qui n’en conserve pas moins une saveur pétillante et procure un réel plaisir de lecture.

The Star Fox

The Star Fox est un fix-up composé de trois nouvelles publiées de février à juin 1965 dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction, traduites peu après par Pierre Billon dans Fiction n°144, 146 et 148, et jamais reprises dans notre pays.

La Nouvelle-Europe, une planète assez éloignée de la Terre, est l’enjeu d’une guerre avec les Alérioniens, un peuple extraterrestre qui y a tué de nombreux colons humains. Certains ont néanmoins survécu et ont pris le maquis. Pour éviter que la guerre ne dégénère en un conflit de grande ampleur, la Fédération mondiale négocie avec les Alérioniens. La présence de survivants sur Nouvelle-Europe est ainsi passée sous silence pour le bien des négociations. En cas d’armistice, il y a fort à parier qu’Alérion devienne maître de la planète et que les maquisards soient ensuite exterminés en toute discrétion. Gunnar Heim, ancien Marine à la tête d’une puissante entreprise, n’accepte pas cela. Il tente de sensibiliser les gouvernements pour que la Terre riposte ; comme sa quête tourne court, et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il obtient, tel un corsaire, une lettre de marque et représailles qui lui permet d’aller affronter les Alérioniens. Jadis commandant de l’astronef Star Fox, il grée un nouveau bâtiment, le Fox II, et part pour la Nouvelle-Europe afin de faire fléchir l’ennemi.

La transposition est évidente : The Star Fox est une directe allusion à la guerre du Vietnam, revisitée ici sous forme de fiction. L’ennemi extraterrestre, ce sont bien sûr l’armée populaire vietnamienne, et, derrière elle, l’URSS et la Chine ; quant à la Fédération mondiale, il s’agit évidemment de l’ONU, jugée pusillanime. Enfin, Gunnar Heim, c’est Poul Anderson lui-même, qui se sert de son protagoniste comme porte-parole. L’auteur, dont on connaît les opinions plutôt belliqueuses, pense que des accords de paix sont infamants : si l’on s’incline face à l’adversaire, celui-ci va continuer à avancer, sûr de son fait et peu inquiet d’éventuelles représailles. D’où l’idée de lui faire comprendre qu’il ne doit pas s’aventurer plus loin. Loin d’être un va-t-en-guerre qui prônerait l’affrontement pour le « plaisir », Anderson conçoit la guerre comme un moyen de dissuasion : montrer sa force à l’ennemi permet de conserver un statu quo mieux que ne le ferait le consensus mou souhaité par les partisans de la paix. Trois ans après la publication de The Star Fox, Poul Anderson devait signer le fameux appel pour la poursuite de l’intervention américaine au Vietnam.

Chacune des trois nouvelles originelles correspond à une étape de la croisade de Heim : « Corsaire de l’espace », qui jette les bases de son action d’éclat, est ainsi la partie la plus politique, où Heim et son allié français multiplient les rendez-vous pour faire bouger les choses. Changement de registre avec « Arsenal », qui se déroule sur le monde où Heim doit récupérer des armes. A la suite d’un détournement, sa navette s’écrase, et s’engage alors une lutte pour la survie au sein d’un monde inhospitalier, dont l’auteur nous garantit la crédibilité par de nombreux passages explicatifs et scientifiques. Enfin, « Amirauté » s’avère un pot-pourri de techniques guerrières, infiltration en milieu hostile, exfiltration de prisonniers et enfin affrontement frontal entre partis antagonistes.

Si tout le monde ne partagera pas les opinions politiques de Poul Anderson, ni d’ailleurs une vision de la femme assez rétrograde, The Star Fox n’en est pas moins intéressant, car, si l’auteur tient avant tout à énoncer clairement sa conception des choses, il n’oublie pas de faire œuvre de fiction — avec la dose requise d’émerveillement et de dépaysement — et va bien au-delà du simple tract politique. On terminera en signalant que ces textes ont été conçus en réponse à une remarque de Francis Carsac, ami de Poul Anderson, qui se plaignait que dans la SF américaine, seuls les Américains semblaient être capables de coloniser des planètes. La France joue ainsi un rôle prépondérant dans The Star Fox, où l’on trouve aussi, entre autres éléments du paysage, un fleuve Carsac et une vallée Bordes, du vrai nom de l’auteur français, auquel est par ailleurs dédié ce livre.

Les Perséides dans la Yozone

Une grande force se dégage de ce recueil à l’imaginaire diabolique, les nouvelles se complètent, se répondent. Robert Charles Wilson sait nous toucher, trouver des sujets pour mieux nous interpeller. La construction est imparable, elle fait mouche et Les Perséides marque en profondeur ses lecteurs. La Yozone

Zone 1

La première chose qui frappe dans ce roman de Colson Whitehead, c’est la qualité stylistique plutôt inattendue pour un roman de zombies. Car oui, Zone 1, pourtant publié dans la très respectable collection « Du monde entier » des éditions Gallimard, nous fait bel et bien rencontrer le rejeton du bestiaire fantastique le plus omniprésent du moment. Sauf que, littérature blanche oblige, le traitement changera de l’ordinaire. Ce qui ne signifie pas que le livre recule devant quelques scènes bien stressantes ou cradingues (l’élimination des cadavres de zombies, par exemple), bien sûr, mais Whitehead a d’autres chats à fouetter. A commencer par notre société consumériste actuelle. L’auteur a donc situé son récit dans l’un des symboles les plus criants de celle-ci, à savoir New York, et plus précisément Manhattan, quartier de bureaux pour hommes d’affaires et avocats. Alors que la ville a irrémédiablement changé, troquant son trop-plein de vie pour un autre type d’effervescence, les survivants tentent tant bien que mal de reproduire le mode de fonctionnement passé. Les forces d’intervention et de dézombification de la mégalopole sont ainsi sponsorisées par des marques, qu’elles doivent obligatoirement porter sur leur accoutrement. On assiste également à une tournée triomphale d’une apprentie politicienne venue serrer quelques mains pour soigner sa popularité… Quant à Mark Spitz, le principal protagoniste de ce roman, l’archétype du loser dans sa vie d’avant les zombies, il voit la société américaine lui confier un rôle d’importance alors même qu’elle en est au stade terminal de son existence… au temps pour le rêve américain. La plume de Whitehead est mordante à souhait, et concasse les franges du passé dans une apocalypse qu’il s’est lui-même forgée. Mais le ton n’est pas qu’ironique, il sait aussi se faire plus introspectif, plus intime : la trajectoire de Mark Spitz et d’autres personnages, plus ou moins bien intégrés dans le système américain, y est contée par de nombreux passages en flashbacks, anecdotes personnelles qui constituent d’ailleurs l’essentiel de la trame de ce roman. De manière bienvenue, cette construction détonne elle aussi assez nettement avec le tout-venant zombifique, qui a plutôt tendance à ne pas trop s’appesantir sur le passé des personnages, hormis la scène lacrymale du « rappelons-nous comment c’était bien avant que les zombies attaquent ». Le prix à payer, c’est une trame des événements du présent assez lâche, où il ne se passe pas grand-chose (le roman se déroule sur trois jours). Mais qu’importe : Whitehead connaît visiblement les codes du récit zombiesque, et s’il passe par certaines figures de style imposées, il tente plutôt un autre type de narration, tout aussi pertinent, et ce d’autant plus qu’il se montre un styliste chevronné.

En ces temps de surexploitation du zombie, où se côtoient réussites majeures (World War Z) et produits de pur mercantilisme (quatre-vingt-dix-neuf pour cent du reste) faisant de cette monstrueuse figure mythique un parfait symbole de la société consumériste moderne, on ne manquera pas d’opter pour Zone 1, qui dévore précisément les partisans de cette recherche incessante du profit pour en recracher les lambeaux à la face du monde.

Autobiographie d'une machine ktistèque

Deuxième titre paru en « Exofictions » chez Actes Sud, Autobiographie d’une machine ktistèque (aussi connu sous le titre de Tous à Estrevin ! dans son incarnation chez Presse Pocket en 1981) se situe aux antipodes du Silo d’Hugh Howey, roman inaugural et très dispensable de la collection (voir critique in Bifrost n°73). Après un post-apocalyptique light, place à une autre forme de science-fiction, celle de l’un des auteurs les plus excentriques qui fut : Raphael Aloysius Lafferty.

Hormis Les Annales de Klepsis (Denoël, 1985), toute l’œuvre traduite de Lafferty a paru en France dans les années 1970. Faut-il préciser que les romans du sieur Lafferty sont pour le moins particuliers ? C’est tout à l’honneur d’Actes Sud que de le republier. En souhaitant à l’éditeur arlésien plus de chance dans cette entreprise que Zanzibar, maison mal-heureuse désireuse de republier tout Lafferty, et dont la réédition des Quatrièmes demeures en 2010 fut tout à la fois l’acte de naissance et de décès.

Arrive le moment où l’on en vient à vouloir parler du livre lui-même, à dire de quoi il est question. Chose ardue pour cette Autobiographie…, où toute notion d’intrigue est secondaire. De fait, l’essentiel est dans le titre : Epikt, machine sentiente élaborée par l’Institut de la Science Impure, raconte la première année de sa vie (Lafferty se présente comme le simple rapporteur de ses propos), et le fait avec moult digressions, s’attardant sur ses relations avec les scientifiques ayant participé à sa naissance — une galerie de personnages plus bizarres les uns que les autres, dont un géant, un fantôme, un roi sans couronne, un ingénieur pas génial, un certain Aloysius et un type nommé Estrevin dont on ne sait pas grand-chose… L’ensemble n’est pas sans évoquer, de façon lointaine, certains textes des frères Strougatski (on pense à Le lundi commence le samedi ou La Troïka).

La machine ktistèque narratrice du présent roman avait déjà fait une première apparition dans « Comment elle s’appelle, déjà, cette ville ? » (in Le Livre d’or de la science-fiction : Lafferty), délicieuse histoire à chute bien plus accessible. On ne saurait alors que trop recommander aux néophytes ledit Livre d’or (que l’on peut encore trouver d’occasion) afin de se familiariser avec R.A. Lafferty. De fait, cette Autobiographie… risque de désarçonner les amateurs d’histoire claire et compréhensible et de donner des boutons aux allergiques aux digressions. En revanche, ceux qui sont disposés à lâcher prise et à se laisser porter par le bavardage d’Epikt, souvent joliment absurde, adoreront.

Le Voyageur

« Nous y allons parce que nous le pouvons. » Dans un futur proche, c’est à ces mots que se résume la reconquête de l’espace. Les agences spatiales nationales ont abdiqué, laissant aux entreprises privées la tâche de lancer des vols spatiaux. Et quoi de tel qu’un vol habité pour redonner foi et envie aux gens ? Un vol dont le but est d’aller plus loin qu’aucun homme n’a jamais été, en guise de prélude à l’exploration martienne.

Ils sont six dans l’équipage de l’Ishiguro. Dès le départ, les choses tournent mal : le capitaine est le premier à mourir, suivi des autres astronautes au cours des semaines qui s’enchainent, jusqu’à ce que le journaliste Cormac Easton, chargé de documenter le voyage, soit le dernier en vie. Hélas, un bug empêche le vaisseau de faire demi-tour. Alors que l’Ishiguro tombe à court de carburant, sans espoir de retour, Cormac opte pour son autodestruction. Cependant, le journaliste a la surprise de se retrouver, non dans les limbes, mais dans le vaisseau, juste après son départ, alors que tout l’équipage — y compris un double de lui-même — est encore endormi. Cormac décide de se dissimuler, et va revivre le voyage jusqu’à son terme…

On pourra reprocher au Voyageur de se conclure trop abruptement, et d’introduire dans ses derniers chapitres un concept à première vue sous-exploité : l’anomalie. Ce n’est guère un spoiler que de l’évoquer, celle-ci donnant son titre à l’ensemble dont Le Voyageur n’est que la première partie : « le Quartet de l’Anomalie ». Le deuxième volet, The Echo, est paru outre-Manche en début d’année, et explicite partiellement les mystères du Voyageur, racontant le fiasco d’une nouvelle mission habitée à destination de l’anomalie, vingt-trois ans après la disparition de l’Ishiguro.

Le Voyageur est un roman que l’on aimerait chaudement recommander, mais deux défauts le pénalisent. Le premier concerne les rebondissements qui imposent les choix narratifs au roman. Le plus flagrant : l’équipage de l’Ishiguro est plongé en hibernation au moment du décollage seulement pour que Cormac puisse remonter le temps incognito. La ficelle est un peu grosse. Surtout, pour un roman de SF, l’aspect scientifique est curieusement absent, voire aberrant, et l’auteur peine à masquer ses lacunes derrière son narrateur, un journaliste non spécialisé. Qu’on en juge : les seuls astres du Système solaire cités sont le Soleil, la Terre, la Lune et Mars. Où se dirige l’Ishiguro ? Loin. Voilà qui est précis… Les réacteurs sont constamment allumés : quelle nécessité ? L’accélération n’est pas le but cherché par les spationautes du roman (on peut frémir quand Cormac se demande s’il y a des frictions dans l’espace). Des lacunes hélas encore présentes dans The Echo. Pour une série de SF se voulant sérieuse, c’est dommage. A moins que Smythe veuille épargner à ses lecteurs des explications qu’il suppose fastidieuses — auquel cas, c’est les prendre pour des imbéciles, et c’est pour le moins regrettable de la part de ce professeur de creative writing.

Tout cela est bien dommage, car James Smythe a du talent et n’a rien d’un débutant — six romans à son actif. Troisième livre de notre auteur, Le Voyageur s’avère réussi par ailleurs : le contexte présidant au lancement de l’Ishiguro est intéressant, les personnages sont bien campés, l’histoire est menée avec adresse jusqu’à son terme, l’ambiance glaçante est saisissante et donne pleinement à ressentir la solitude, l’ennui et le vide de l’espace. Espérons que, pour ses prochains romans de science-fiction, Smythe ne fera pas que se concentrer sur la deuxième partie du terme.

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