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Physiognomy

Pour ce roman, Jeffrey Ford, que l'on se gardera bien de confondre avec son presque homonyme, Jeffrey Lord — qui signera la série « Blade » chez Vauvenargue — a obtenu le World Fantasy Award 98. Roman incroyable, inclassable, Physiognomy est, au côté du Neverwhere de Neil Gaiman, l'un des must de la collection, mais infiniment plus étrange encore. Son originalité est aussi extrême que celle de L'Abîme de John Crowley il n'est pas moins difficile et, s'il est aussi dense et touffu en trouvailles que Le Roi sans visage de Hervé Jubert, le ton est autre. Ni fantasy ni S-F sa parenté est ailleurs.

Qui ? Où ? Quand ? Quoi ? Rien de tout cela n'est convenu. Qui ? Le physiognomiste Cley. Où ? D'Anamasobie à la Cité Impeccable en passant par le bagne de Doralice. Quand ? Lorsqu'a été volé un fruit sacré censé être la clef du paradis terrestre. Quoi ? Une fable moderne sur le pouvoir.

La Cité Impeccable est une utopie. Nulle part, hors le temps. Une dystopie plutôt, régie par le maître Drachton Below dont elle est le fantasme. Comme dans L'Abîme, il s'agit d'un microcosme ; un monde incomplet, limité, où voisinent mines, voitures hippomobiles, usinage du chrome et lance-flammes. On y mange de peu ragoûtants crémats et des démons cornus à souhait y courent les bois. C'est un monde hanté par le spectre de Lombroso. Quant à Cley, il apparaît comme un émule de Nicolas Eymerich qui serait disciple du précédent, pour en venir, au fil de l'affaire qui nous occupe ici, par acquérir son humanité. Ajoutez pour la mesure un psychotrope hallucinogène pas piqué des vers : la beauté. Tout ça assemblé de manière très solide, très cohérente…

S'il y a quelques traits dans l'élaboration des décors et la mise en scène qui rappellent Dino Buzzati, des moments de délicate et loufoque langueur, ils s'entretissent avec une violence intense et vibrante, viscéralement dystopique, qui se dénonce d'elle-même. Entre bise et simoun, un vent de folie souffle en bourrasques et ne s'apaise un instant que pour reprendre de plus belle. Difficile de dire si cette fable, à la dimension surréaliste mais complètement barrée, déjantée à froid, face sombre du Jonathan Lethem d'Un Homme nommé chaos, relève davantage de la fantasy que de la S-F.

Jeffrey Ford a instauré un décalage maximum entre la narration et la problématique, au point que certains vont se demander où il veut en venir. Interpréter Physiognomy est une gageure éminemment spéculative. Je crois que l'on peut proposer pour champ général une mise en garde contre les utopies et leurs inspirateurs, contre les tentations d'en finir avec l'Histoire. Réflexion qui rappelle à mon souvenir Le Maître du passé de R. A. Lafferty… Plus précisément, la physiognomie est une technique qui permet de connaître le caractère et le devenir de tout un chacun par la mesure du corps et du visage. Et ce d'une manière rigoureusement déterministe. C'est une extrapolation paroxystique de la théorie de Cesare Lombroso ; laquelle voulait que les gens, les criminels et les asociaux en particuliers, présentent des spécificités significatives. Autrement dit, qu'ils soient malades. Quel intérêt direz-vous ? La crâniométrie n'est plus au goût du jour. Certes, mais cela évite ces actes durs que sont le jugement moral et la sanction qui doit se limiter à une peine juste, mais doit-on limiter les soins ? Si on emprisonne en vue de l'expiation, on interne à dessein de guérison. La justice n'est plus de mise puisque l'on agit pour le bien du « malade ». Et si, comme dans ce roman, la « maladie » n'est pas métabolique mais physiologique, due non a des processus mais à son être même, alors peu importe ce qu'il fait, seul ce qu'il est compte. Ses yeux bleus ou son nez crochu ? Vous me suivez… ? Cette conception a la peau dure. Elle est toujours très en vogue… Un siècle après Lombroso, la physiologie est devenue intracellulaire et, aux dernières nouvelles, le génome humain a été décrypté. Entre des chercheurs qui cherchent avant tout de la finance, et des recruteurs, assureurs ou conjoints (oui !) prêts à payer pour juger en fonction de critères génétiques, il y a lieu de s'alarmer. C'est de génétique que parle Ford. La génétique. Voilà de quoi la physiognomie du roman est une métaphore pertinente. Cette problématique a déjà été soulevée dans des œuvres telles que Bienvenue à Gattaca ou Une Enquête philosophique de Philip Kerr, mais Ford est infiniment plus elliptique. Trop peut-être. En revanche, il donne toute son ampleur à la littérature.

Plus que livre de genre, c'est à la veine des grands romans dystopiques, de Kallocaïne à Nous autres, qu'appartient Physiognomy. L'argument commercial évoque à juste titre les ambiances oppressantes de Kafka ou l'univers paranoïaque d'Orwell, à quoi il faut ajouter une très grinçante ironie et des traits loufoques qui accentuent le relief du propos comme l'eau forte. Jeffrey Ford a écrit pour ceux qui apprécient K. Boye, F. Kafka, E. Zamiatine ou D. Buzzati, un roman sombre, difficile mais éblouissant, qu'il a su marquer de sa patte. Le roman qu'il vous faudra faire lire à vos proches qui détestent la S-F et plus encore la fantasy. Quand on a vu Brazil, on imagine très bien Terry Gilliam adaptant le roman de Jeffrey Ford… Touffu, riche, âpre, c'est de la littérature de haute intensité, très poétique, déroutante, fort elliptique qui ose un humour grinçant et rajeunit l'anti-utopie. C'est surtout exceptionnel. De nos jours où il y a beaucoup de gros livres, avec 248 pp. seulement, Physiognomy est un grand livre.

La Grande Séparation

Parue au début des années 70, sous la forme d'une trilogie comprenant Les Croisés de Mara, Les Monarques de Bi et Lazaret 3, voici la troisième édition de La Grande séparation complétée d'un quatrième tome inédit : Les Ganethiens. Cette nouvelle édition se présente sous la forme d'un fort volume de plus de 640 pages, que ponctue une postface de Roland C. Wagner, tout en affichant un prix attractif de 89 FF.

Plusieurs années avant qu'il ne s'impose au monde de la S-F francophone en lui donnant son œuvre la plus importante en volume (La Compagnie des glaces — environ vingt millions de signes et 62 tomes !), G. J. Arnaud, qui fut invité à la dernière convention nationale de S-F à Lodève (34), avait fait une première incursion dans le genre avec La Grande séparation. Avec 400 romans derrière lui, G. J. Arnaud est un stakhanoviste de l'écriture populaire qui a sévi dans la plupart des genres. Principalement d'ailleurs dans le policier et l'espionnage, où il a donné les aventures du Commander. Récemment, on a pu redécouvrir son œuvre fantastique avec La Dalle aux maudits dans « La Bibliothèque du Fantastique » du Fleuve Noir.

Près de 1000 ans après une terrible guerre galactique qui l'opposa à la Terre, la planète Mara végète dans un moyen-âge obscurantiste d'où la science et le savoir sont proscrits et conduisent au bûcher. Les Ganethiens sont une secte scientiste et prosélyte qui, dans l'ombre, attend son heure… Laur le Négociateur, héros du cycle, est manipulé par les diverses forces en présence. Mandé par les nobles de Vasa pour tuer Dorle le Prophète, chef des Ganethiens, ce dernier à tôt fait de le renvoyer à Vasa pour y soulever ses disciples et prendre la tête de l'insurrection. Mais Dorle n'est pas franc du collier et veut instaurer une théocratie après que les vestiges technologiques qu'il maîtrise lui aient assuré la victoire… Telles sont les bases d'une aventure échevelée qui se déroulera sur plus de 600 pages…

La Grande séparation n'est pas un space opera à proprement parler. Les quatre romans qui la composent sont en fait des romances planétaires. Ils sont typiques — y compris le quatrième — de la production standard du Fleuve Noir « Anticipation » de l'époque où le voyage spatial était un presque incontournable, de même que la guerre, interplanétaire ou pas. G. J. Arnaud, qui n'éprouvait pas le désir de traiter ce sujet, l'a relégué à l'arrière-plan pour s'intéresser à ses conséquences, en trois puis quatre tableaux.

Notons que pour ce livre — et les suivants — le Fleuve Noir a enfin renoué avec le principe de la bande titre qui fut à « Anticipation » ce que les trois bandes sont à Adidas, comme si les commerciaux de la maison venaient soudain de saisir ce qu'est une marque ! Emblème de la collection du milieu des sixties au début des années 90, sa disparition en avait sonné le glas… Avec en prime une illustration de Caza pour le retour.

C'est un gros roman d'aventures, où le fond n'a pas été négligé, que nous tenons là ; un bon représentant de ce qu'était la collection « Anticipation » d'alors, qui a plutôt bien vieilli. Typique tout en comptant parmi les meilleurs.

Rupture dans le réel 2/2

Impressionnant pavé que cette épopée qui ne constitue que le premier volet d'une trilogie, L'Aube de la nuit. Peter F. Hamilton renouvelle avec bonheur le space opera : intrigue foisonnante, d'où le romanesque n'est pas absent, humour discret se moquant des conventions du genre.

Il est difficile de résumer un roman d'une telle ampleur et d'une telle richesse. Au troisième millénaire, la Confédération galactique de Hamilton se compose de quelques races extraterrestres (qu'on voit peu) et de deux types d'humanité : d'un côté les Edénistes, génétiquement modifiés, qui ont entre eux un lien d'affinité proche de la télépathie, de l'autre les Adamistes qui ont tenu à préserver leur patrimoine tout en améliorant leur corps à l'aide d'implants nanoniques.

Le premier volume développe plusieurs intrigues a priori séparées. Sur Tranquillité, un habitat spatial conscient dirigé par la séduisante Ione Soldana, Joshua Calvert, un aventurier, explore comme d'autres ce qui reste des Laymils, une race extraterrestre qui s'est collectivement suicidée bien avant l'expansion humaine. Il récupère des artefacts qui sont ensuite vendus aux enchères aux archéologues qui espèrent connaître la raison de cette disparition soudaine. Devenu riche pour avoir découvert des archives Laymils enregistrées sur une mémoire, Joshua, que Ione aime passionnément, se lance dans le commerce interplanétaire.

On suit parallèlement la colonisation d'une nouvelle planète, Lalonde, monde pluvieux et peu hospitalier, par des colons guère différents des pionniers de la conquête de l'Ouest et des Déps, délinquants utilisés comme main d'oeuvre. L'un d'eux, Quinn Dexter, appartenant à une secte satanique plutôt meurtrière, manipule la communauté et fait des autres délinquants des adeptes à sa cause. Se cache également sur Lalonde un Edéniste renégat, Laton, responsable de la disparition d'un habitat entier, qui prépare sa revanche en poursuivant des travaux visant à acquérir l'immortalité. Ses expériences ont-elles dérapé ou bien s'agit-il de l'invasion d'un virus extro comme il le prétend, ou encore d'un rite satanique qui provoque une catastrophe d'envergure sur Lalonde ? Les colons se transforment en zombis meurtriers, insensibles à la douleur, capables de se régénérer et de projeter des boules de foudre à distance.

Très vite, il s'avère que les morts échappent à leur purgatoire pour prendre possession du corps des vivants. Après la longue mise en place du premier volume, où l'intérêt est parfois affaibli par la complexité de l'intrigue et le foisonnement des personnages, on assiste à la terrifiante expansion des possédés à travers quelques scènes dantesques véritablement palpitantes. C'est la panique. Les militaires envoyés sur Lalonde échouent à enrayer la menace qui se répand sur d'autres mondes. Ce premier volet s'achève sur un véritable désastre qui augure mal de la pérennité de la race humaine.

Quelques espoirs subsistent puisqu'il est possible de les combattre, à grand renfort d'armes, voire de les dominer par la prière ! Bien des questions restent posées : les mémoires Laymils parlent d'une rupture dans le réel. Leur monde, qu'on n'a pas retrouvé, aurait été transféré là où se trouve la planète Lalonde. Il manque de faire le lien avec cette invasion de l'au-delà, de délivrer les explications concernant celle-ci et de trouver les moyens de s'en préserver. Les prochains volets, L'Alchimiste du neutronium et Le Dieu nu sont d'ores et déjà attendus avec impatience. L'Aube de la nuit figurera parmi les monuments de la science-fiction.

[Lire également l'avis de Pascal J. Thomas sur le premier tome.]

Mainline

Les personnages de ce roman d'aventures rappellent les comics books des super-héros : Reva, tueuse à gages, est poursuivie par Yavobo, le terrifiant garde du corps extraterrestre de sa dernière victime, « qui met un point d'honneur à venger son employeur. Son amitié avec Lish, une contrebandière qui fait de l'ombre à son puissant rival Karuu, l'amène à prendre des risques et à se faire des ennemis. Surtout quand elle accepte un contrat avant de prendre connaissance du nom de la victime, Lish en l'occurrence. Autour de cette pègre sans pitié gravite un agent de la Sécurité Intérieure qui se mêle au groupe de Lish pour enquêter sur Reva. Rebondissements et scènes d'action garantis.

Ce roman n'éveillerait pas la curiosité si Reva n'avait le pouvoir de visualiser le futur proche et de choisir parmi les probabilités celle qui lui convient le mieux, Ce pouvoir est une arme à double tranchant : c'est ainsi qu'elle a perdu ses proches dans des univers parallèles qu'elle ne parvient plus à rejoindre. Quand un choix urgent s'impose, il n'est pas forcément le meilleur sur le long terme. Voici donc que, pour se tirer d'un mauvais pas, Reva débouche dans une réalité où Lish cesse d'être une amie…

Il est regrettable que cette intéressante idée se noie parfois dans les détours d'une intrigue BD au découpage très haché (145 chapitres !). Deborah Christian fait ses premières armes en littérature (après avoir scénarisé des jeux vidéo, tiens tiens !) et, de peur de décevoir, a mis le paquet sur l'action. On ne s'ennuie donc pas une seconde et on apprécie ses idées, mais on espère qu'à l'avenir elle se montrera plus ambitieuse.

Le Gardien de l'ange

Futur proche. La narratrice de ce roman, Kahlili bint Munadi Soliman, américaine d'origine arabe, est une journaliste spécialiste du Moyen-Orient, qui eut son heure de gloire lors de la guerre du Khuruchabja. Kay dicte à présent le texte des potiches qui apparaissent aux informations télévisées. Bien que se sachant moche, elle n'apprécie pas le contact ni la compagnie du séduisant John Halton qui lui est pourtant tout dévoué. Et pour cause : John Halton est un fabriqué ; son ADN a été recombiné par le génie génétique. Plus performant, plus puissant, il n'est qu'un androïde de la série John Halton, obéissant servilement à son propriétaire.

Les services secrets demandent à Kay de livrer Halton au jeune dirigeant du Khuruchabja qui a besoin d'un garde du corps pour se préserver de ses opposants. La journaliste ignore cependant que tous deux sont les instruments d'un complot politico-religieux particulièrement machiavélique.

L'intrigue, complexe, fait intervenir de multiples personnages qui, comme dans tous les récits d'espionnage, jouent double voire triple jeu. Nathalie Lee Wood se sort admirablement bien des pièges de cet exercice : elle connaît son sujet sur le bout des doigts et ne craint pas d'exposer ses virulents partis pris politiques. L'avenir qu'elle campe n'est pas joyeux. Mais l'analyse qu'elle en fait est intelligente sans jamais se départir d'une causticité et d'un humour décapants.

Car l'intelligence du propos ne le cède en rien à la qualité de l'écriture. Le ton est alerte, vivant. Wood a de l'esprit et du style, un sens de la narration achevé. La psychologie de son personnage est riche et fouillée, son évolution finement maîtrisée. Autant dire que pour un premier roman, c'est un coup de maître. Nathalie Lee Wood a d'emblée un ton bien à elle. Son roman dégage une énergie surprenante, même s'il cède parfois au pessimisme devant tant de problèmes imbriqués. On sera plus réservé sur le final, happy end politique peu crédible, auquel on préférera la conclusion ultime concernant le destin du couple Kay/Halton : sensible et romantique, sa dimension humaine ne laisse pas indifférent.

Précisons, pour l'anecdote, que Nathalie Lee Wood, qu'on a pu rencontrer du temps de son séjour en France, avant qu'elle ne s'établisse en Angleterre, ne dédaigne pas non plus les clins d'œil, à l'adresse de Roland C. Wagner par exemple, puisque le souverain du Khuruchabja arbore un « tee shirt décoré d'une photo du chanteur du groupe de rock français bien connu Brain Damage, un type à l'air passablement dérangé ».

Avatars

Second recueil des nouvelles d'Orson Scott Card, auto-commentées, qui porte le titre générique de Portulans de l'Imaginaire, Avatars reprend les tous premiers textes de science-fiction de l'auteur. On s'aperçoit que l'humain est dès le départ au centre de ses intrigues ; les technologies futures ou les avenirs que dessinent nos sociétés préoccupent peu Card : il les invente pour illustrer ses propos. Ainsi, à la question de savoir jusqu'à quel point peut-on soumettre un individu, il crée une société ressuscitant ses condamnés jusqu'à l'obtention d'un repentir sincère (« Mille morts »). Des regrets au souvenir de rencontres qui ne se sont pas faites, une réflexion sur les petits tracas de la vie quotidienne (suis-je à ce point unique que rien n'est jamais à mon goût ?) débouchent sur un troublant voyage temporel ou sur le spectre de la classification systématique de l'individu par une société se voulant efficiente. Réfractaire au cyberpunk, Card, en le parodiant, en tire des effets inédits, qui ont bien peu de rapports avec ce courant (« Trottecaniche »).

Le clou du recueil reste cependant la novella située dans l'univers de Fondation, « L'Originiste », déjà publiée dans Les Fils de Fondation chez Pocket. Card pense s'être rapproché le plus possible du style d'Asimov tout en respectant son univers ; pourtant il a tant et si bien fait qu'il a dépassé le maître… et proposé du pur Orson Scott Card dans un récit magique qui traite à la fois de l'origine et du sens du langage, de ce qui définit l'humain et rapproche les hommes entre eux, de la façon d'établir des liens et des relations entre des concepts apparemment éloignés, questions philosophiques incluses et non annexées à l'intrigue, au point d'en être centrales tout en étant magnifiquement déclinées et illustrées à travers la relation amoureuse d'un couple. Du grand art !

Toons

II ne faut pas craindre de l'écrire haut et fort, Sanctuaire Révéré poursuit ses affabulations quasi diffamatoires dans le dernier tome de ses mémoires, Toons, complaisamment éditées par le Ruisseau Blanc. Évidemment, sa profession de détective privé ne lui laissant pas le temps de se colleter lui-même avec l'écriture, il a recouru pour cette tâche ingrate à un nègre bien connu des maisons parisiennes, un certain Robert V. Beethoven. Inutile de préciser que le résultat de la collaboration entre un membre de la tribu des Acidulés et un Classique ne manque pas de sel ; pour ainsi dire, ça plonge dans le pittoresque… sans jamais refaire surface.

Frappe en premier lieu l'inconsistance du style, mal dissimulée par une ruse vieille comme le Ruisseau Blanc, qui consiste à employer une très petite police de caractère, afin de donner l'illusion d'un texte riche. Hélas, on aura beau chercher la fulgurance proustienne, une imagination malsaine tient lieu de discours à notre privé ainsi qu'à son complice. Probablement né Augustin Duschmoll ou Hyppolite Nomhacouchédehors, Sanctuaire Révéré se prétend fils de millénariste, affligé du don parapsychique de transparence. Si donc il porte la tenue aussi discrète que de bon goût des Baby boomers des années 1960, ce n'est point parce que sa tribu affectionne le psychédélique, mais par souci de se faire remarquer de ses interlocuteurs, tout autre choix vestimentaire le condamnant à une forme d'invisibilité sociale. Affirme-t-il par là que les Acidulés ne sont en fait que des Anonymes incapables de s'assumer ? Il donne un élément de réponse en esquivant le sujet, tout comme nombre d'autres questions dérangeantes.

En revanche, sa capacité digne du baron de Münchausen de broder les récits les plus aberrants lui permet sans problèmes d'étaler sa mégalomanie délirante. Se comparer aux plus grands scientifiques ne lui fait pas peur, pas plus que Couche de Bolgenstein et la Grande Terreur primitive de 2010 ne représentent pour lui de mystères. Ainsi plaque-t-il sur les événements un peu bizarres, mais pour lesquels une explication rationnelle fut trouvée, les pires fantasmagories nées d'un esprit malade. Toons constitue à ce titre un exemple édifiant de cette démarche : récemment, l'inspecteur Trovallec a brillamment résolu l'affaire des hologrammes de personnages de dessins animés du siècle dernier, lesquels avaient semé le désordre dans Paris en un bref rappel de la Terreur, en arrêtant le gang terroriste des Holographistes de la Dernière Heure ; or, non sans ternir la réputation du policier au passage, Sanctuaire Révéré s'attribue le mérite de la disparition des hologrammes en donnant une version des faits très artistique, pour ne pas dire fantastique, festonnée de termes scientifiques incongrus. Naturellement, une personne de l'importance de notre détective ne peut qu'être constamment mêlée aux complots échafaudés à l'échelle mondiale par les Technotrans. Ces dernières, pourvues de services secrets antéterrifiants, l'auraient confronté rien de moins qu'à des créatures venues de mondes parallèles ainsi qu'à des démons issus du passé. La police devrait s'intéresser à sa part de responsabilité dans les cadavres qui s'amoncellent au fil de ses enquêtes, tant son profil suggère le tueur en série, un individu assez froid et insensible pour se vanter à demi-mots de ses crimes. Espérons cependant qu'il ne s'agit là encore qu'invention de sa part. Que les multinationales, dont on pourrait penser que l'objectif, à notre époque si stable et pacifique, consiste surtout à vendre des produits, emploient des « cyber-ninjas », n'est que routine pour Sanctuaire Révéré, accoutumé à tenir d'intéressantes discussions avec des ayas immatérielles ainsi que des phénomènes culturels tels que le Rock n'roll (une danse du XXe siècle qui ressemble beaucoup à la Salsa). Last but not least, précisons que, si Sanctuaire Révéré fait de nombreuses références à un détective de fiction, Nestor Burma, son nègre, quant à lui, n'a pas hésité un seul instant a s'inspirer lourdement de l'œuvre de Léo Malet, en pensant sans doute que ce dernier avait sombré dans l'oubli depuis un siècle, et que l'on y verrait goutte. Ceci, quoique d'une manière maladroite, rattache évidemment ces mémoires, où s'imbriquent si étroitement réel et fiction, au genre du roman gris, même si par bien des aspects, un lecteur de 1970, lui, aurait sans doute constaté une fusion entre la fantasy, le polar et la science-fiction. Toons constitue donc le gag tonitruant qu'attendait la rentrée littéraire pour se détendre avant de passer à des choses plus sérieuses, tant il lui sera difficile de se remettre de la sortie l'an dernier des Particules alimentaires, l'œuvre d'un véritable écrivain cette fois, le prodigieux Edgar Zyviec.

Alice est montée sur la table

Le nouveau Lethem — en attendant la traduction de Girl in the Landscape et de son polar Motherless Brooklyn (aux Éditions de l'Olivier) qui fit un carton aux USA — est un livre de fiction sur la science et non un livre de science-fiction. Il s'agit de la description d'un triangle amoureux :

1) Philip Engstrand (le narrateur) dont les rêves sont pour le moins étranges — « Je me réveillai dans les affres d'un rêve terrifiant mêlant des cannibales, des nuages de poussière et mon répondeur téléphonique » — aime Alice Coombs.

2) Alice Coombs aime Lac, une parcelle de non-être, une bulle de pseudo-vide créée par le Professeur Soft, inadapté social cela va sans dire (le professeur Soft, pas la bulle de non-être). Ce qui n'empêche pas Alice de vivre avec Philip Engstrand, puis de faire semblant de vivre avec lui…

3) Jusqu'à présent une bulle de non-être n'a jamais aimé personne, mais Lac (surnom masculin donnée à cette vacuum intelligence) est différent : traversé à fins expérimentales par un tas d'objets personnels et autres (dont un chat de laboratoire) il avale la clé de l'appartement d'Alice Coombs, le chat, des fraises, etc. et rejette presque tout le reste dont, crime ultime, Alice…

Donc la description d'un triangle amoureux pour le moins original sur lequel se greffent un duo d'aveugles — un noir, un blanc — , quelques éléments loufoques inhérents à tout campus en pleine activité universitaire, plus une couche de physique quantique sauce Lethem. Beaucoup d'humour, un hommage permanent à Lewis Carroll, des clins d'œil à David Lodge, agitez et servez sans attendre. Mais au-delà des rares passages hilarants, comme l'arrivée des aveugles chez Philip et Alice, voilà un livre au style souvent brillant, parfois gratuit, qui ne va pas aussi loin qu'on aimerait. C'est un synopsis de Greg Egan développé par un Woody Allen sous LSD : étrangement, on aurait aimé lire l'inverse. Ceux qui n'ont jamais lu Jonathan Lethem préféreront sans doute découvrir cet auteur en passe de devenir incontournable avec Flingue sur fond musical (J'ai Lu), d'un bien meilleur rapport qualité-prix.

La Trilogie Steampunk

Les temps modernes ont commencé bien plus tôt que nous le pensons. C'est en fin de compte le message du steampunk qui, en bricolant la technologie du XIXe siècle, nous rappelle que nous avons tendance à considérer comme primitives toutes les époques qui nous ont précédées. En poussant jusque dans leurs plus exotiques limites les techniques des deux siècles précédents, les auteurs du steampunk rendent justice aux savants des âges de la vapeur, de l'électricité et du fer — pour notre plus grand plaisir.

La Trilogie steampunk représente ce que l'on a fait de mieux dans le genre : trois novellas dans lesquelles des scientifiques se livrent à des expériences aux conséquences plus qu'inattendues.

Dans « Victoria », Cosmo Cowperthwait, inventeur malheureux d'un nouveau moyen de production d'énergie — au moyen d'uranium, ce qui a provoqué la mort de toute sa famille dans une gigantesque explosion… — s'est tourné vers la biologie. Le résultat ? Victoria, une salamandre à taille et forme humaine, qu'il vient de cacher dans un bordel londonien lorsqu'il reçoit la visite du premier ministre en personne. Pourquoi un tel personnage s'intéresse-t-il à un obscur savant ? Eh bien, parce que la jeune reine Victoria, dont le couronnement approche, a disparu, et qu'il a besoin de sa créature pour donner le change. S'ensuit une enquête qui mène le malheureux Cowperthwait et son valet dans les bas-fonds de Londres, jusqu'à l'école de jeunes filles d'une dame nommée Otto et à un duel avec un homme au nez d'argent ! Tout est réussi dans ce texte : des personnages plus excentriques les uns que les autres aux situations comiques ou grotesques, sans oublier les inventions de Cosmo.

La deuxième novella n'a pas le rythme de la première. Le professeur Agassiz, fervent défenseur du créationnisme contre les théories de Darwin, y part à la recherche d'un étrange fétiche, et tombe sur quelques monstres tout droits sortis de Lovecraft. Le personnage et son racisme sont joyeusement caricaturés, mais l'intrigue est moins rondement menée que dans la première nouvelle.

Le meilleur est pour la fin, avec « Walt et Emilie ». Walt, c'est Walt Whitman, le grand poète américain du XIXe siècle, d'abord vilipendé pour s'être fait le chantre de la sexualité dans ses poèmes, mais reconnu à la fin de sa vie. Emily, c'est Emily Dickinson, poétesse inconnue de son vivant, mais dont les quatrains incisifs, qui déchiffrent de manière quasi métaphysique émotions et sentiments, seront publiés après sa mort. Di Filippo fait se rencontrer la recluse d'Amherst, Massachussets, et le démocrate élégiaque à l'occasion d'une expérience menée par le frère d'Emily — qui vécut effectivement non loin du couple formé par lui et par sa meilleure amie. L'expérience en question vise à atteindre Summerland, c'est à dire l'au-delà, pour y rencontrer les morts du passé et du futur. Passons sur les détails de l'expérience — le voyage se fait dans un schooner et la machinerie est rechargée en courant électrique par des autruches ! — pour dire qu'ils finissent par rencontrer Allen Ginsberg, autre poète américain, mais de la beat generation cette fois.

Avec ce merveilleux texte, Paul Di Filippo, nouvelliste émérite mais auteur hélas peu connu ici — des textes sont parus en leur temps dans Fiction, l'anthologie Mozart en verres miroirs, la revue Cyberdreams et, plus récemment, Galaxies et Bifrost — donne toute la mesure de son talent et prouve, s'il en était besoin, que le steampunk n'est pas que décoratif.

En réunissant Walt Whitman, Emily Dickinson et Allen Ginsberg dans une aventure surnaturelle, il rend hommage à ce que la culture américaine peut produire de meilleur. Walt Whitman eut du mal à être lu parce qu'il défendait des idées démocrates et pensait qu'on trahissait les idéaux de la révolution. Allen Ginsberg, qui s'adresse à Whitman dans un de ses poèmes (A super-market in Califorma, Howl), critiqua les valeurs de la société américaine dans toute son œuvre. Emily Dickinson, recluse dans une petite ville du Massachussets, vécut à l'opposé de l'image de l'écrivain américain moderne, voyageur aux multiples métiers prêt à prendre la pose pour la postérité — et n'en produisit pas moins une œuvre dont la forme, comme le fond, sont d'une éclatante modernité. Les temps modernes ont vraiment commencé plus tôt qu'on ne le pense, y compris en ce qui concerne les idées.

Tout cela est fait sans la moindre lourdeur, au contraire, avec humour et une capacité à inventer des machines et des situations cocasses qui ne peuvent que réjouir le cœur du lecteur de S-F qui s'empressera de poser ce livre sur les rayons de sa bibliothèque, en attendant la traduction de Ribofunk, le deuxième recueil de l'auteur.

Royaumes

Sous une couverture de Julien Delval, qui fut souvent bien plus inspiré, se cache Fantasy 2, le retour, avec, aux commandes, Stéphane « fais chier ! je quitte Mnémos pour fonder mon Mnémos à moi, Bragelonne » Marsan. Étant donné la nature de son prédécesseur (Fantasy, 18 grands récits de merveilleux), l'objet invite à la méfiance. Méfiance justifiée dès la lecture de la première nouvelle, signée Mathieu Gaborit. Un supplice, que dis-je, une torture : écriture ampoulée aux relents de puberté baudelairienne mal digérée, histoire sans grand intérêt, romantisme de pacotille, dénouement grotesque. Echaudé, je plonge dans la nouvelle de Magali Segura, où l'on peut lire assez rapidement : « Mais je vois que je commence mal mon histoire » — quelle clairvoyance ! — avant trois pages d'exposition pure sur les bons, les gentils, la géographie locale.

C'est nul, c'est niais (un comble, vu que la narratrice passe son temps à se faire violer), c'est mal écrit, c'est mal construit. Allez, zou ! Courage, plus que quatorze. Suit un texte de Richard Canal, sur une ville attaquée par un bras de sable « vivant », ennuyeux mais réservant quelques belles images. Vient le tour de Philippe Bonneyrat qui, malheureusement, ne relève en rien le niveau : son texte est sans le moindre intérêt. Et c'est à Erik Wietzel de se crasher, au propre comme au figuré, avec « Les Ailes de la renommée », une fois de plus écrit avec deux pieds gauches. Là, j'avoue, j'ai posé le livre en me disant : ce coup-ci je baisse les bras. C'est pas ça la fantasy ! À moi John Crowley, Peter S. Beagle, Michael Moorcock, Mary Gentle, Barry Hughart, Glen Cook, Tad Williams… (Bon, d'accord, il n'y a que des anglo-saxons dans la liste.). Je craque, me gave de pilules — du stolzobuprofène, pour ceux qui voient de quoi je parle. J'appelle le rédac'chef pour implorer un peu de clémence (en fond sonore, on entend clairement Noir Désir et plusieurs voix féminines et gloussantes qui annoncent que l'heure du massage est venue). « J'en peux plus…

— Cid, personne d'autre ne veut la chroniquer…

— Pitié…

— Si tu ne finis pas cette chronique, je te donne le nouveau Bernard Werber à chroniquer.

— Non, non, pas le Werber ! »

Grâce à deux stolzobuprofènes de plus, que je fais passer d'une tasse de verveine brûlante, je m'y remets. Et c'est à Fabrice Colin de livrer le premier « bon » texte de la sélection, une histoire de forêt mythique et de fantôme enfantin qui vaut plus par sa construction et son écriture, que par l'histoire en elle-même, assez banale. D'un seul coup l'horizon s'éclaircit. Ouf ! Suit une nouvelle humoristique pas marrante de Laurent Genefort, que l'on peut sauter (la nouvelle, pas Laurent Genefort !) pour passer au texte de Laurent Kloetzer, « Rélio ». Là, j'avoue, j'avais un a priori très positif et… Pas la moindre once de déception une fois la lecture terminée, puisque l'auteur de La Voie du cygne nous propose un récit dérangeant sur le pouvoir, pouvoir de séduction d'un jeune esclave sur son maître et le prince d'un royaume arabisant. Une réussite de plus à mettre au crédit d'un auteur dont on attend désormais beaucoup. C'est ensuite au tour du texte de Thomas Day le plus long de la sélection avec celui de Nathalie Dau. Comme pour Kloetzer, l'a priori était vraiment positif. D'autant que le cadre du texte — une Afrique fantasmée —, original, m'a d'emblée séduit. Malheureusement, un texte ne peut se réduire à son contexte, et « Jusqu'aux Montagnes de la Lune » m'a finalement déçu. Un style parfois laborieux, des incohérences… et au final une histoire de quête somme toute classique, néanmoins émaillée de quelques jolies scènes. Une impression tenace d'inachevé. Et même si, au regard de la qualité générale de l'antho, force est de constater que cette novella se situe du côté des textes dignes d'intérêt, nous sommes ici bien loin du Thomas Day des grands jours. On sautera aisément le texte de Corto Ravena, tout en scènes d'expositions, à mourir d'ennui. Et hop ! On fait péter le Glenlivet et deux stolzobuprofènes de plus (il paraît que si on en prend trop, on se met a dessiner des mandalas pour agir positivement sur ses chakras). Il faut bien ça pour lire le texte de David Calvo, qui part dans tous les sens, réserve quelques belles surprises, autant de belles images, mais on ne sait pas trop ce que Calvo, l'autre pirate rigolo, veut raconter en fin de compte. Dommage. Vous ne saurez jamais ce qu'est vraiment la Jabule… Suit une nouvelle de Nikos Leterrier qui, avec un point de départ en or — le règne d'une jeune impératrice sur une Nécropole et ses sujets — rate son coup : trop de scènes d'exposition, une écriture visiblement déformée par la pratique du jeu de rôle. Des défauts que l'on retrouve chez la plupart des auteurs de cette anthologie, Magali Ségura, Nathalie Dau et Corto Ravena en tête. On se prête à rêver de ce qu'un Michael Bishop ou un Michael Swanwick aurait fait avec une telle idée de départ. Je descends à la pharmacie en courant, j'ai plus de stolzobuprofènes. La pharmacienne me regarde d'un air attristé : faut dire que mes sudations font des flaques à côté du présentoir tampax/vania pocket. Quand je remonte, le téléphone sonne :

« T'en es où ? (C'est Olivier Girard. Merde ! J'avale une tablette complète et noie les douze comprimés d'une bière tiède, éventée, oubliée près du téléphone quelques jours plus tôt.)

— Presque fini.

— T'es à la bourre, Vicious ! »

Juste avant de raccrocher, j'entends deux bifrostgirls glousser dans le lointain. On passe en vitesse sur la nullissime nouvelle de Sébastien Milhou pour dire du bien du texte d'Eric Boissau, « Chienne de vie ». Ça tire à la ligne, c'est construit en dépit du bon sens, mais c'est très agréable à lire et bien marrant par endroits, à la croisée de Terry Pratchett et Marcel Pagnol (fallait oser !). Quant aux textes de Raphaël Granier de Cassagnac et Nathalie Dau, forts longs tous les deux, il me fut impossible de les finir, tant ils contenaient d'éléments stylistiques impardonnables. Pour ce qui est de la postface de Stéphane Marsan, elle est à l'image du reste, d'un amateurisme redoutable, convenue et ennuyeuse. En conclusion : à force d'avoir cantonné son anthologie dans une fantasy classique, médiévale fantastique s'il est encore nécessaire de préciser, Stéphane Marsan rate son coup, nous offre un ouvrage médiocre et prouve que la relève des Calvo/Kloetzer/Colin n'est pas encore apparue.

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