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La Main de gloire

En cette fin de XIXe siècle, Paris est en pleine ébullition. L’Exposition universelle vient d’ouvrir ses portes et la construction de la tour Eiffel est enfin achevée. Mais cette ambiance de fête est gâchée par un horrible fait divers : on découvre, dans une rue de la capitale, la main momifiée d’une femme. Et ce n’est qu’un commencement. Peu de temps après, c’est la découverte d’un cadavre atrocement mutilé, lui aussi amputé d’une main, qui fait la une des journaux. L’inspecteur Léonce Desnoyers et son adjoint, Raoul Ménard, sont chargés de l’enquête. Résolus à résoudre au plus vite cette étrange affaire, les deux policiers se lancent à la poursuite de l’assassin. En vain. Car comment appréhender un meurtrier dont les actes échappent à toute logique ? D’autres cadavres apparaissent et les deux policiers, malgré tous leurs efforts, s’avèrent incapables de mettre fin à l’hécatombe. Ils décident alors de faire appel à Simon Bloomberg, le célèbre aliéniste, qui pourra peut-être cerner la personnalité du tueur et ses motivations réelles. Aidé de Sarah Englewood, sa gouvernante, Bloomberg participe à son tour à la traque…

La Main de gloire est le deuxième volume d’une série qui a débuté avec La Chambre mortuaire (10/18). On retrouve d’ailleurs dans ce second opus un grand nombre de personnages déjà présents dans le premier, et même si les deux tomes peuvent se lire indépendamment, il est fortement conseillé de lire La Chambre mortuaire avant de s’attaquer à cette Main de gloire. En tout cas, voilà une série qui évolue bien. L’intrigue de La Chambre mortuaire progressait lentement — trop lentement —, et certains revirements de situation étaient un peu téléphonés. Rien de tel avec La Main de gloire. Dans ce second volume, Jean-Luc Bizien a mis un tigre dans son moteur : plus de personnages, plus d’action, plus de rebondissements. Un récit qui défile à un rythme soutenu, qui entretient le suspense et qui sait tenir son lecteur en haleine. Bizien croit à son histoire et il veut qu’on y croie. Il ne fait ni dans le parodie ni dans le second degré. Son but, c’est bel et bien de retrouver cette fougue, cette énergie narrative qui faisait la force et le charme du roman-feuilleton français de la fin du XIXe siècle, comme dans les récits de Paul Féval, ou plus tard dans ceux de Gaston Leroux. Mais plus que tout, La Main de gloire fait irrésistiblement penser aux romans d’Emile Gaboriau (Monsieur Lecoq ; L’Affaire Lerouge), le véritable inventeur du roman policier, encore trop injustement méconnu en France. Bref, La Cour des miracles est une série plus ambitieuse qu’il n’y parait au premier abord. Et Jean-Luc Bizien y démontre — une fois de plus ! — sa capacité à passer d’un genre littéraire à un autre avec une facilité déconcertante. Qu’il s’agisse de littérature jeunesse (WonderlandZ, éditions de l’Archipel), de fantasy, de polar, de thriller fantastique (I Can’t get no : Mastication ; un des meilleurs titres de la défunte collection « Club Van Helsing », chez Baleine), ou encore de littérature générale (Marie Joly, éditions Sabine Wespieser), rien n’arrête Jean-Luc Bizien, rien ne lui fait peur. Avec toujours une même exigence : écrire de la littérature populaire de qualité, intelligente et inventive. Mission accomplie avec La Main de gloire. En nous épargnant des descriptions interminables, mais en entremêlant très habilement faits historiques et personnages de fiction, l’auteur nous immerge en plein cœur d’un Paris mystérieux et terrifiant. On passe un très bon moment et on en redemande. Ce qui tombe plutôt bien, puisqu’il paraît qu’un troisième tome est déjà prévu. A suivre… 

Assortiment pour une vie meilleure

Au fil des publications, l'évidence s'impose : Thomas Gunzig est l'un des écrivains les plus doués de sa génération. Du talent à revendre, un imaginaire loufoque, détonnant, et cette petite pointe de folie en plus qui fait toute la différence. Après un premier roman marquant, Mort d'un parfait bilingue (prix Victor Rossel), et un excellent recueil de nouvelles, Le Plus Petit Zoo du monde (prix des Editeurs), il avait pourtant déçu avec son second roman, Kuru, une tentative assez pataude de fable sociopolitique sans réelle magie. Mais il était revenu en meilleure forme avec 10000 litres d'horreur pure, modeste contribution à une sous-culture, un slasher excitant, très drôle et très gore. Le revoilà donc avec Assortiment pour une vie meilleure, qui rassemble vingt-sept nouvelles parues dans des recueils exclusivement diffusés en Belgique, ou dans diverses revues. Ça démarre plutôt bien avec « L'Assassin » ; l'histoire d'un homme apparemment banal, mais qui sait depuis toujours qu'il est un assassin. Bon, jusqu'ici il n'a trucidé que quelques petits animaux (fourmis, mouches, papillons…), mais il se décide enfin à passer à la vitesse supérieure en assassinant un être humain. N'importe lequel, au hasard. Il va pourtant découvrir qu'il n'est pas le seul à nourrir ce genre de pulsions meurtrières… On passe rapidement sur le second texte — « Hors d'œuvre et canapés, sous le signe du chorizo » — nettement plus banal. Vient ensuite une salve de nouvelles ultracourtes qui obéissent toutes au même schéma narratif : l'histoire à chute. On y croise tout une galerie de personnages décalés, souvent un peu pathétiques, auxquels le hasard réserve de bien mauvaises surprises. Ça va très vite et on rit beaucoup. C'est du Thomas Gunzig pur jus : une bonne dose d'humour décapant, une écriture au scalpel et des renversements de situations inattendus et délirants. Il faut pourtant attendre la seconde moitié du livre pour que Gunzig nous donne la pleine mesure de son talent. C'est d'abord « Gastronomie hospitalière. Figures du transfert. Episodes cliniques », une nouvelle au ton très kafkaïen, et puis surtout « Le Meilleur du XXIe siècle », un grand texte. Avec des éléments simples — quelques humains, un animal, et une voix appartenant à un narrateur non identifié —, Gunzig nous concocte un récit choral, une fable urbaine bouleversante, où la douleur et le malheur se transmettent d'un être à un autre par l'intermédiaire d'un furet en quête de vengeance et d'amour. Dit comme ça, ça n'a l'air de rien ; n'empêche qu'on termine la lecture de cette nouvelle avec une crampe au ventre et qu'on se dit qu'un type capable d'écrire des choses pareilles mérite vraiment d'être lu. Confirmation avec « L'Héroïsme au temps de la grippe aviaire », un autre très beau texte (initialement intitulé « Spiderman », un titre qui lui convenait beaucoup mieux). Il s'agit en fait d'un monologue visiblement écrit pour la scène. Un homme se présente face à nous. Il porte un costume de Spiderman. Mais on comprend vite qu'être un super-héros au quotidien n'est pas un job facile. Grave et hilarante à la fois, originale et intense, voilà encore une nouvelle qu'on n'est pas prêt d'oublier. Et pour terminer en beauté, le recueil s'achève avec « L'Eau salée », ou comment un couple doit gérer la naissance d'un enfant un peu particulier…

Il y a du Will Self chez Thomas Gunzig, du Boris Vian aussi : une capacité a créer — en quelques phrases, quelques mots — du trouble et du désordre dans la tête de son lecteur. Grand styliste, Gunzig sait s'y prendre pour faire tout à coup basculer un texte vers le fantastique ou le surnaturel, avec des résultats parfois vertigineux. Et même s'il se laisse parfois aller à la facilité (comme dans « Viande d'objet », un texte où il reprend des thèmes déjà présents dans Kuru et dans « La Vache », une des nouvelles du Plus petit zoo du monde), Assortiment pour une vie meilleure contient plusieurs récits inoubliables, d'une qualité exceptionnelle, qui font de ce recueil de nouvelles une des lectures indispensables de cette rentrée littéraire 2009.

Pèlerinage

Est-il besoin de le rappeler ? Avant de se mettre à l'écriture de romans il y a quelques années, Sylvie Denis a d'abord été une nouvelliste d'exception. Folio « SF » en avait déjà publié un remarquable florilège (Jardins Virtuels en 2003), c'est au tour d'ActuSF de nous permettre de (re)découvrir cinq nouvelles supplémentaires, dont certaines étaient restées assez confidentielles jusqu'à ce jour, dans un recueil qui, bien qu'assez court, offre un bel aperçu de la diversité du talent de son auteur.

« Adrénochrome », texte le plus ancien de cette sélection, invoque une catégorie de personnages plutôt inattendus dans un récit de science-fiction, une bande de lutins modernes et assez rock'n' roll, baptisés Eleks pour l'occasion. Une habile remise au goût du jour, où l'auteur décrit la fascination que continuent d'exercer aujourd'hui encore certaines vieilles légendes.

Par sa taille, mais surtout par sa qualité, « Pèlerinage » (initialement publiée dans le n°4 de Bifrost), constitue le plat de résistance de ce recueil. On y découvre une civilisation extraterrestre des plus exotiques, arboricole, en apparence fort primitive, et cependant capable de réalisations défiant les lois de la physique. La découverte de cette société et de ses secrets se fait progressivement, au cours d'un long périple à travers une jungle que Sylvie Denis excelle à décrire dans toute sa luxuriance. Un voyage initiatique, quasi-mystique, qui va profondément transformer la protagoniste de cette novella et lui permettre d'exorciser quelques fantômes du passé.

Avec « Le Ventre de la mer », Sylvie Denis s'essaie à un genre qu'elle n'a que très rarement abordé : le fantastique. Lequel ne fait irruption qu'à la toute fin de ce texte, de manière particulièrement brutale et inattendue. Le choc est d'autant plus fort que l'histoire est racontée du point de vue d'une petite fille de cinq ans, souffrant indirectement du drame que vivent ses parents au quotidien. L'auteur dresse un portrait sans concession de cette famille meurtrie, et conclut son récit dans un bain de sang pour le moins étonnant.

De drame familial, il en est également question dans « Le Zombie du frère », à travers le destin d'une rock-star du futur, hantée par ses origines et à la recherche de sa propre identité. Au-delà de la tragédie intime que vit le personnage, la nouvelle s'interroge sur les processus de la création artistique, mais aussi sur ses rapports souvent conflictuels avec l'industrie du même nom.

Le recueil se clôt sur le seul texte relativement anecdotique de cette sélection, « La Dame du Wisconsin », qui vaut surtout pour la galerie de personnages qu'il met en scène, une bande de sympathiques retraités tout heureux d'avoir trouvé de quoi occuper leurs après-midi en la personne d'une vieille dame pleine de surprises.

Par sa qualité globale, mais aussi par sa variété, Pèlerinage est un recueil on ne peut plus recommandable, parfaitement représentatif du talent de son auteur.

Journal d’un ange

Au Ciel comme sur la Terre, il se passe parfois de vilaines choses. En tant qu'ange inquisiteur, Eriel a pour mission d'enquêter sur de tels évènements. Rien de très méchant en règle générale, jusqu'à ce que trois anges que rien ne semble lier disparaissent subitement. Pas de corps, pas de traces, pas d'indices. Il y a de quoi s'inquiéter, surtout au moment où le Paradis entame de délicates négociations avec les Enfers au sujet de la revente du Purgatoire, et où un mouvement clandestin se met à revendiquer certains droits pour les anges, notamment celui d'être sexué. Très vite la situation va devenir particulièrement inconfortable pour Eriel, harcelé par son irascible supérieur hiérarchique, et constamment épié par les agents du Keter, les services secrets célestes. Bref : tout laisse à penser qu'il y a bien quelque chose de pourri au Royaume Eternel.

Paru initialement dans la « Série noire » en 2004, Journal d'un Ange est un premier roman qui ne manque pas de qualités. Pierre Corbucci s'est amusé à transposer les codes du polar dans un cadre original et pour le moins singulier. Quoique le Paradis qu'il met en scène ne nous semble pas si étranger que ça tant il ressemble à notre bonne vieille fonction publique, chaque catégorie d'anges étant affecté à un rôle bien précis, de la réception des défunts à la gestion des affaires courantes. Bien évidemment, d'un service à l'autre, on se tire sans arrêt dans les pattes dans l'espoir d'une promotion accélérée ou pour d'autres motifs moins avouables.

Ce décalage permanent entre l'image traditionnelle du Paradis et la vision peu glorieuse que donne Corbucci de son mode de fonctionnement constitue une source d'amusement récurrente tout au long du roman. De la même manière, il est assez drôle de le voir appliquer les lois de l'économie de marché à la gestion des âmes humaines, en conséquence de quoi, entre autres joyeusetés, la Banque Centrale se voit contrainte de faire tourner la planche à âmes pour lutter contre l'augmentation de l'athéisme sur Terre… Plus farfelu encore, on découvre que les anges ont succombé à leur tour à la passion du football (l'action du roman se situe en 1998, pile au moment de la Coupe du Monde), une ferveur qui s'est répandue jusqu'aux prophètes eux-mêmes, Mahomet n'hésitant pas à arborer le maillot de Zinedine Zidane lors des grandes occasions.

Evidemment, à force d'humaniser ses créatures célestes et de les placer dans des situations tout ce qu'il y a de plus profanes, Pierre Corbucci se prend régulièrement les pieds dans le tapis, et on finit par ne plus s'étonner que ces êtres désincarnés puissent ressentir la faim, le froid, voire même quelques courbatures au terme d'une filature en nocturne.

Plus embêtant, l'enquête que mène Eriel s'avère assez peu passionnante, progressant par à-coups puis piétinant durant des chapitres entiers avant d'être relancée de manière plus ou moins artificielle. Quant à sa résolution, elle tombe malheureusement à plat, plombée par de trop longues explications et échouant à apporter une tonalité plus grave, pour ne pas dire métaphysique, à une histoire qui s'en était fort bien passée jusque-là.

Dans le cadre de la « Série noire », Journal d'un Ange bénéficiait de l'originalité de son sujet pour se distinguer des autres titres de la collection. En Folio « SF », l'effet de surprise ne joue plus vraiment. Restent quelques idées agréablement farfelues et une jolie collection de scènes loufoques ; de quoi passer une agréable soirée.

Le Faiseur d’histoire

Au dernier recensement en date, il a été dénombré une bonne douzaine de Stephen Fry : humoriste monty-pythonesque (la série culte A Bit of Fry & Laurie, en compagnie du futur Dr. House), acteur, réalisateur (le très séduisant Bright Young Things), animateur télé et radio, critique, essayiste, passant d'une scène de théâtre à un studio d'enregistrement où il prête sa voix à de nombreux livres-audio, voilà plus d'un quart de siècle que ce génial touche-à-tout réussit à peu près tout ce qu'il entreprend. Jusqu'en littérature, où ses quatre romans parus à ce jour ont été autant de succès.

Curieusement, alors que Mensonges, mensonges, L'Hippopotame et L'Ile du Dr Mallo ont été publiés en France entre 1998 et 2002 (chez Belfond, puis J'ai Lu en poche), il aura fallu attendre treize ans pour qu'un éditeur s'intéresse à ce Faiseur d'Histoire. L'explication se trouve-t-elle dans le fait qu'il s'agit d'un roman de science-fiction ? Pourtant, plus encore que le reste de son œuvre, ce livre est à l'image de son auteur. Le Faiseur d'Histoire est une uchronie, certes, mais c'est également un roman d'apprentissage, une comédie romantique, et une comédie tout court, malgré la gravité des thèmes abordés. Un foisonnement que l'on retrouve également dans la forme, puisque dans une narration à la première personne viennent s'intercaler des extraits de biographie romancée, d'articles encyclopédiques, de journal intime, et même de scénario cinématographique.

Michael Young, le narrateur de ce roman, n'est pas le personnage le plus haut en couleurs imaginé par Fry. C'est un étudiant doué mais un peu à côté de la plaque, auteur d'une thèse sur la jeunesse d'Adolph Hitler. Sa voie semble toute tracée, pourtant le jeune homme sent s'installer en lui un mal-être profond, et ses relations conflictuelles avec sa fiancée, Jane, n'arrangent guère la situation.

La vie de Michael va être bouleversée par sa rencontre avec Leo Zuckermann, un physicien qu'un lourd secret de famille a amené à s'intéresser à la période de la Seconde Guerre Mondiale. Zuckermann travaille sur le prototype d'une machine permettant d'observer le passé. Très vite, les deux hommes vont sympathiser et travailler ensemble à l'amélioration de cet appareil, avec pour objectif un projet fou : empêcher la naissance d'Hitler.

Le lecteur coutumier des uchronies ne sera sans doute guère surpris d'apprendre que le monde auquel Young et Zuckermann vont donner naissance sera par bien des aspects pire que le nôtre. Hitler n'a jamais accédé au pouvoir, certes, mais son successeur n'a rien à lui envier en matière de monstruosité. Avec retenue et en gardant une distance nécessaire avec l'horreur qu'il décrit, Stephen Fry nous fait découvrir l'autre solution finale qui a été mise en place dans cet univers. Ironie suprême de l'histoire, nos deux apprentis sorciers sont directement à l'origine de la méthode employée.

Cette seconde moitié du roman, située dans une Amérique rétrograde et refermée sur elle-même, est évidemment beaucoup plus sombre que la première partie. Pourtant, cette expérience, aussi éprouvante soit-elle, va permettre au personnage de Michael Young d'évoluer. Perdu dans un monde hostile et étranger, loin du confort douillet de la vie qu'il imaginait écrite d'avance, il va enfin retirer ses œillères et s'accepter tel qu'il est réellement, et l'aimable couillon des premiers chapitres va progressivement céder la place à un personnage nettement plus complexe et intéressant.

Avec une aisance qui laisse rêveur, Stephen Fry maîtrise son récit de bout en bout. Constamment la grande Histoire, dans un continuum ou dans l'autre, fait écho à celle toute personnelle du narrateur et accompagne son évolution. Surtout — hormis lors de quelques descriptions particulièrement douloureuses —, l'auteur parvient à conserver à son récit une légèreté et une fraîcheur qui font du Faiseur d'Histoire une lecture on ne peut plus réjouissante.

La Brigade de l'Œil

La Brigade de l'Œil est le premier roman de science-fiction de Guillaume Guéraud après une dizaine d'autres titres publiés aux éditions du Rouergue (le présent livre étant lui-même initialement paru au Rouergue, mais dans une collection jeunesse, ce qui, en définitive, peut surprendre après lecture). Un roman qui annonce la couleur dès sa première page : l'auteur joue en effet de la carte dystopique dans ce qui se présente d'entrée comme un hommage appuyé au Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Mais pas de pompiers pyromanes pour autant ici : cette fois, ce ne sont pas les livres qui trinquent, bien au contraire : on lit beaucoup, dans ce roman, et l'on y révère les grands noms de la littérature.

Au sein de l'Etat de Rush Island, dans un futur proche, ce sont en effet les images que la Loi Bradbury (aha !) interdit depuis une vingtaine d'années. Le dessin, la photo, le cinéma, la télévision ont été bannis de l'île par l'Impératrice Harmony, après sa Révolution victorieuse. La propagande l'assène : les images sont néfastes, elles mentent, elles sont l'opium du peuple (refrain connu). Une brigade spéciale a été créée pour appliquer cette loi draconienne ; ses agents, les najas aux yeux grands ouverts par les galiscopes, brûlent les documents interdits, au chalumeau ou au lance-flammes. Quant aux contrevenants — il y en a nécessairement, même après toutes ces années —, ils se voient tous appliquer une même sanction, terrible : ils sont purement et simplement aveuglés. Ils sont ainsi châtiés par où ils ont péché ; mais les écrits du philosophe officiel Kimsoon les consolent… en braille, et en lieux communs.

Falk est un capitaine de la Brigade de l'Œil, et un des plus brillants avatars de ces iconoclastes modernes… même s'il a bien entendu lui aussi ses faiblesses. Face à lui, le lycéen Kao, petit-fils d'un projectionniste « résistant », est un « terroriste » : un dealer d'images interdites… Le roman alterne les points de vue du chat et de la souris, jusqu'à leur inévitable confrontation finale…

Rien que de très classique, on le voit. Si l'objet de la censure change, on se retrouve bien devant un plaidoyer en faveur de la liberté sous toutes ses formes. L'hommage est appuyé, dès le postulat un tantinet absurde lorgnant vers la fable surréalisante. Mais, si le roman vibre en quelques occasions d'un amour frappant du cinéma autorisant quelques jolies scènes, il peine cependant à convaincre, et n'arrive en tout cas pas à la cheville de son illustre modèle, sans surprise. Là où la quatrième de couverture, élogieuse comme il se doit, nous promet « un roman coup de poing » par « l'un des auteurs les plus stimulants et dérangeants de sa génération » (rien que ça !), on n'a en fin de compte qu'une dystopie falote et déjà lue, saturée de clichés, et qui n'apporte rien au genre… L'hommage est un peu trop poussé, en somme. Et sans grande pertinence, ce qui est plus gênant…

Hélas, si la narration assez « cinématographique » n'est pas désagréable, le style est par contre à l'avenant : lapidaire, tout en répétitions, perclus de tics parfois horripilants, se montrant au mieux fade, au pire un brin pénible.

Le roman n'a du coup pas grand-chose pour lui ; on pourra lui concéder, outre sa brièveté relative, sa violence sèche, et, en contrepoint, quelques séquences cinéphiles plutôt réussies, parfois même émouvantes. C'est peu…

Bien trop peu. On peut s'interroger, dès lors, sur l'intérêt de cette publication anodine, pas nécessairement mauvaise, mais franchement médiocre. Une fois n'est pas coutume : on préférera l'original (les originaux…) au remake…

Alexandre le Grand et les aigles de Rome

« Si tu cherchais un rival digne de ta renommée, ô roi, je crois que tu l'as trouvé. Ces Romains ne sont pas à prendre à la légère. Pour commencer, ils sont efficaces, pratiques, méthodiques et disciplinés. Leurs troupes de levée, qu'ils appellent légions, défilent, s'entraînent et combattent avec autant d'adresse que les professionnels macédoniens ou les mercenaires grecs. D'autre part, ils nourrissent la conviction que leur cité est au-dessus de toutes les autres […] J'ai entendu tes généraux, Cratère et Perdiccas, comparer Rome à Sparte. Mais ce que j'ai vu au pied du mont Circé, ce que j'entends sur la route, m'a convaincu que cette cité est bien plus dangereuse… »

Voilà ce qu'écrit Nestor, personnage principal du roman de Javier Negrete et médecin personnel d'Alexandre le Grand, alors qu'il est retenu prisonnier loin de son maître, dans l'enceinte sacrée de la Ville aux Sept Collines, aux côtés de la jeune Cléa de Syracuse, la cinquième épouse du célèbre conquérant Macédonien. Nous sommes en l'an 317 avant J.-C. et les légions placées sous le commandement de l'ambitieux tribun Caius Julius viennent de remporter une victoire éclatante sur les redoutables bataillons de sarissophores de l'armée d'Alexandre le Grand, qui se sont aventurés bien trop au nord de Poséïdonia et de la Campanie sous domination grecque. Ce n'est là, toutefois, qu'une première escarmouche dans ce qui s'annonce comme la plus grande et la plus épique guerre de conquête que le monde antique ait jamais connu.

La plus uchronique, aussi. Six années auparavant, en 323 avant J.-C., Nestor a surgi du temple d'Apollon juste à temps pour sauver la vie d'Alexandre, victime d'un empoisonnement dans les palais coruscants de Babylone. Le complot, ourdi par certains de ses généraux, dirigé par Roxane, son envoûtante première épouse bactriane, aurait dû mettre fin à l'empire d'Alexandre. Mais, grâce à l'intervention du médecin paramnésique, privé de la mémoire de ses origines tout en disposant d'un savoir-faire exceptionnel et d'une connaissance intuitive des langues, il échoue. En même temps que son corps, l'esprit d'Alexandre, qui avait sombré dans la nuit depuis la mort d'Héphaïstion, retrouve le chemin de la lumière. Avec un nouveau confident à ses côtés, Lysanias, et ce médecin qui semble lui porter chance, reviennent l'ambition et les aspirations informulées. Les confins du Levant ayant déjà été atteints, Alexandre tourne son regard vers l'ouest. « Nous-mêmes, explique-t-il à ses généraux, membres d'une race plus jeune et énergiques que les Perses, sommes venus d'Europe pour conquérir la vieille Asie. Si nous nous endormons sur les lauriers de notre triomphe, qui nous dit que les barbares qui occupent les terres vierges à l'ouest de notre patrie ne nous réserverons pas le même sort ? » Alexandre va au-devant de son destin : c'est la Méditerranée, Syracuse, toute la Botte italienne qu'il entend agréger à son empire. Et cette petite république latine, encore dans les balbutiements de sa puissance, dont les habitants « conservent un fond barbare et sauvage que la civilisation hellénique a perdu », ne saurait l'en empêcher. Rome doit donc tomber. Et chacun, du côté macédonien comme du côté romain, sous la chevelure démesurée de la comète Icare qui plonge droit vers la Terre, devra jouer son rôle : Nestor, bien entendu, qui devra sauver une petite fille et condamner un philosophe, Perdiccas, qui devra payer le prix terrible de sa trahison, Lucius Papirius Cursor, le dictateur jaloux de sa puissance, l'ingénieux Euctémon, le préteur Scipion, sans oublier le mystérieux Roi de la Forêt, ce Myrmidon, dont les motivations croisent celles d'Alexandre…

Javier Negrete nous propose avec Alexandre le Grand et les aigles de Rome, une uchronie maîtrisée, très enlevée en dépit d'une certaine longueur, dont il avait déjà esquissé la possibilité dans Le Mythe d'Er, texte plus court, publié quelques années auparavant en France, déjà par l'Atalante. Sans être exempt de défauts, principalement formels (ici et là, certaines approximations sur le système institutionnel romain sont à déplorer, mais elles demeurent vénielles), le roman emporte vite l'adhésion, non seulement par la puissance de ses situations, mais aussi par la force évocatrice de ses personnages et la complexité de ses « clefs » interprétatives, autant mythiques que militaires, fruits d'une belle érudition.

L'une des réussites les plus incontestables du roman, celle qui s'impose une fois sa lecture terminée, c'est la remarquable crédibilité technique des batailles entre les phalanges macédoniennes et les légions romaines. L'auteur a manifestement fait les recherches qui s'imposaient et, loin du ridicule qui aurait pu découler de cette improbable confrontation, atteint brillamment son but : suspendre notre incrédulité et nous faire vivre, de l'intérieur, un choc à l'antique. Par la clarté descriptive des mouvements stratégiques et le réalisme cru des hécatombes, la plume de Javier Negrete rappelle celle d'Alessandro Baricco lorsqu'elle se trempe dans L'Iliade d'Homère, pour mieux nous la rendre actuelle : l'Antiquité de Negrete sent la sueur et la gloire, sans jamais céder à l'artifice. Elle touche à l'intemporalité sans renoncer à l'authenticité du contexte. Bien que divergente, elle s'abreuve intelligemment à la « manière uchronique » des Anciens. À la fin du texte, qui s'avère, à la grande surprise du lecteur, n'en être point une (un tome supplémentaire est une évidence), Tite-Live est invoqué de façon explicite ; lui qui, dans ses Histoires, avait envisagé, dans une « digression sur Alexandre de Macédoine », l'issue d'une confrontation entre les mercenaires de l'Empire et les conscrits de la République. Il concluait, non sans une certaine partialité, à la victoire inévitable de ces derniers. Javier Negrete choisit son propre chemin, et se place, sans ciller, entre Tite-Live et Renouvier. Il flirte avec l'uchronie « historiographique », purement spéculative, sans jamais s'y laisser aller.

C'est surtout grâce à ses personnages. Bien plus que le grand Alexandre, qui, en définitive, semblera familier au lecteur, tant il souscrit à l'imagerie populaire qui en nimbe la figure historique, c'est avant tout Roxane, Perdiccas, et Cratère, qui s'imposeront par leur grandeur, leur froideur, ou leur humanité. Et, à leurs côtés, les personnages purement fictifs (tous présentés comme tels en italique dans l'index, comme pour mieux avouer l'ambition pédagogique du roman) atteignent souvent l'ampleur tragique des premiers, en laissant le lecteur ému, sinon troublé. Toutefois, un bémol doit être apporté : Nestor, lui, aussi central soit-il, manque singulièrement de cette ambiguïté, de cette inexhaustibilité, qui offre au personnage de transcender l'instant de la lecture. Il est soit trop différent de ceux qui l'entourent, venant trop manifestement « d'un ailleurs » ou, peut-être, « d'un demain », soit, il confine à l'archétype, et rend difficile l'identification. Il serait toutefois maladroit de conclure hâtivement sur ce point, alors même qu'une suite est prévue. D'évidence, le roman devra alors être envisagé comme un tout et le nœud gordien, éventuellement, tranché. Mais à l'issue de ce premier tome de l'épopée uchronique de Negrete, c'est l'exaltation qui domine, et, telle une harangue d'avant le fracas des armes, l'histoire de Nestor nous subjugue.

Critiques Bifrost 45

Retrouvez sur l'onglet Critiques toutes les chroniques de livres du Bifrost n°45, spécial Robert Charles Wilson !

JHB 21/06

Sur le blog Bifrost, la suite des aventures de Francis Valéry au fond des bois !

Le Troqueur d'âmes

Curieuse destinée que celle de ce Troqueur d'âmes : le manuscrit, laissé inachevé par Alfred Bester — décédé en 1987 — est repris par Zelazny quelques mois avant sa mort, en 1995. C'est donc un roman doublement posthume qui paraît en 1998 sous le titre Psycho shop, signé par deux des plus grands noms de l'histoire de la science-fiction…

Alf est journaliste, envoyé à Rome pour enquêter sur un sujet potentiellement croustillant : le Lieu Noir du Troqueur d'âmes. Ayant fait la connaissance du propriétaire, un certain Adam Maser (qui déclare n'être rien moins qu'un « Fœtus Amplifié par Maser et Emission Stimulée de Rayonnements Electromagnétiques », excusez du peu), Alf découvre un mont-de-piété d'un genre particulier, un « troc libidinal intemporel […], véritable kaléidoscope de rejets et de désirs, des frustrations et des remèdes de l'homme ». Ici, tout s'échange : sens, aptitudes et handicaps, organes, orgasmes et fantasmes, névroses… Et voilà Alf promu assistant, recevant ses premiers clients, venant du présent, du passé comme du futur, de la Terre ou d'une galaxie lointaine… Entre un extraterrestre et un cauchemar lovecraftien, on peut ainsi découvrir d'où vient l'inspiration d'Edgar Poe, comprendre enfin pourquoi Beethoven n'a jamais composé la Rhapsody in Blue. Mais les évènements ne vont réellement commencer à devenir étranges qu'avec l'apparition d'un descendant de Cagliostro déguisé en Méphistophélès, désireux de créer un androïde capable de contrôler l'inconscient humain. La farce, en fin de compte, n'en est peut-être pas une, et Alf pourrait bien y avoir un rôle à jouer. Et si Adam Maser a tout d'un chat au sourire étincelant, qui peut bien être la souris ?

Avec cette ébauche de roman, Bester offre à Zelazny un magnifique terrain pour y déployer ses thèmes de prédilection : la mémoire et l'inconscient, le pouvoir, le divin… Les idées défilent, une par page ou presque, le résultat est un joyeux bordel, fourmillant de péripéties, une histoire de prime abord sans queue ni tête, exubérante mais loin d'être superficielle, menée tambour battant et qui ne laisse de répit ni aux personnages, ni au lecteur. Les premiers n'en ont cure : héros de science-fiction tout droit sortis de l'âge d'or des pulps, capables de désarmer une douzaine d'adversaires d'une main tandis qu'ils préparent le café et conversent en sumérien, ils soutiennent l'intrigue et le rythme ; quant au second, il n'a plus qu'à s'accrocher et se laisser porter par les riffs enchaînés de ce que Greg Bear compare dans sa préface, non sans raison, à un grand duo d'improvisation jazz, par deux grands maîtres du genre.

On reste loin, toutefois, du chef-d'œuvre qu'on aurait pu attendre d'une telle collaboration si elle avait eu lieu du vivant des auteurs. Quelques-uns des arrangements soutenant la mélodie restent faibles : certaines idées auraient gagné à être plus développées ; les personnages, surhommes proches du divin comme souvent chez Zelazny et Bester, n'ont pas la profondeur que ces auteurs savent pourtant insuffler à leurs héros. Mais en contrepoint de ces défauts, leurs points forts sont bien là, comme ces petites touches d'ambiance poétique disséminées çà et là, ces scènes de combat superbement chorégraphiées, ou ces dialogues percutants qui laissent le non-dit se tailler la part du lion… Ce qui pourrait laisser penser que, tel qu'il nous est parvenu, ce Troqueur d'âmes reste inachevé, que certains passages auraient gagné à être retravaillés. En un sens, c'est bien le cas : Zelazny a affirmé n'avoir fait que reprendre le manuscrit là où il s'achevait, en plein milieu d'une phrase, et remplir les trous. Le résultat aurait-il été meilleur s'il avait osé s'immiscer davantage dans le texte laissé par Bester ? À ce titre, l'analyse du manuscrit que détient Greg Bear pourrait s'avérer passionnante.

Quoi qu'il en soit, le roman se laisse dévorer comme une cerise sur l'œuvre des deux auteurs. Les admirateurs de l'un comme de l'autre y trouveront le plaisir légèrement nostalgique de renouer avec une vieille connaissance ; aux néophytes, on conseillera de ne pas s'arrêter là1, et de se tourner vers des textes plus consistants avant, sans doute, de revenir un jour se perdre dans les profondeurs du Lieu Noir.

 

Notes :
Et surtout, surtout, de ne pas prêter attention à la traduction massacrée par une Bernadette Emerich en très grande forme, assistée pour l'occasion d'un comparse dont on taira le nom par pure charité… [NDRC]

[Lire également la critique de Philippe Boulier parue dans le Bifrost n°29.]

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