Connexion

Actualités

L'Alchimie de la pierre chez Elbakin

« Bref, L’Alchimie de la Pierre n’est pas qu’un délicieux petit bonbon (le roman est court), une jolie carte postale steampunk aux allures de fable, il s’agit bien d’une œuvre plus profonde qu’il n’y paraît et dotée certes d’un bel écrin, ce qui ne gâche rien. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le succès soit au rendez-vous afin que l’auteure s’impose par chez nous. » Elbakin

Agnès la Noire

[Critique commune à El Borak et Agnès la noire]

Si Robert E. Howard est surtout connu pour sa fantasy, on peut néanmoins affirmer qu’il était avant tout un auteur de récits d’aventures. Mais le « weird » avait bien sa part dans nombre de ses publications, et pouvait même transparaître dans des séries ne s’y prêtant pas a priori, au moins comme une tentation. Ce qui se vérifie dans ces deux volumes consacrés aux « récits d’aventures », en principe pas surnaturels, compilant épopées historiques et/ou orientales – dans la foulée du Seigneur de Samarcande.

Francis Xavier Gordon, dit « El Borak », est à la fois un des plus vieux personnages de Howard, à l’en croire (il l’aurait conçu enfant) et un de ses derniers – ses nouvelles datant des dernières années de l’auteur. Texan exilé (volontaire) essentiellement en Afghanistan, éventuellement en Arabie, il est un archétype de l’aventurier occidental en terres sauvages orientales, dans la lignée de personnages tels que Sir Richard Francis Burton ou Lawrence d’Arabie. Parfaitement intégré dans les clans, il tranche radicalement sur les autres Blancs de ses aventures – soit de franches canailles servant l’ambition de puissances étrangères quand ce n’est pas uniquement la leur, soit des « inadaptés » qui ne comprennent pas ce monde et ne sont pas en mesure d’y survivre seuls. Mais le monde de Francis Xavier Gordon est aussi fait de civilisations oubliées ou du moins de cités cachées d’allure mythique…

Comme souvent dans cette collection aux ambitions d’exhaustivité, la lecture suivie des nouvelles d’El Borak a vite quelque chose de répétitif et lassant. Pour autant, au milieu de la médiocrité, surnagent des choses intéressantes : le personnage décalé de l’Anglais perdu Willoughby, dans « Le Faucon des collines », est pour beaucoup dans la réussite de cette nouvelle ; si « La Mort à Triple Lame » s’éternise sans doute, elle réserve quelques beaux moments épiques ; « Le Sang des dieux » fourmille de bonnes idées, au regard du seul impératif de l’efficacité ; même « Les Fils de l’aigle », avec ses facilités, ne manque pas de saveur exotique et de traits réjouissants ; et si « Le Fils du Loup Blanc », ultime nouvelle du héros et une des dernières de Howard, est ratée, sa violence étonnante et sa noirceur ne laissent pas indifférent…

El Borak n’est probablement pas ce que Howard a fait de mieux, mais ce recueil, avec ses défauts habituels, s’élève régulièrement au-dessus de la médiocrité, et peut parfois susciter l’enthousiasme. Pas si mal, donc.

Agnès la noire est hélas beaucoup moins satisfaisant… Ce recueil de « cycles avortés » (des tentatives de personnages récurrents abandonnés après deux ou trois textes) témoigne d’autant d’errances de l’auteur, sans doute pas bien certain de ce qu’il voulait en faire (fantastique ou pas, notamment), et amené par la force des choses à admettre l’impasse et à laisser tomber.

Agnès de Chastillon est un personnage de « femme forte » dans une France de la Renaissance en carton. La violence de la nouvelle inaugurale marque les esprits, et l’emploi par Howard de la première personne en rajoute encore. Mais le personnage souffre vite de nombreuses incohérences et d’une psychologie incompréhensible. Si la nouvelle « Agnès la noire » se laisse lire malgré ses défauts – et sa construction aléatoire, picaresque, d’une certaine manière, évoquant plus une introduction de roman qu’une nouvelle se tenant en elle-même –, les deux fragments qui suivent témoignent d’un échec. La ressemblance d’Agnès avec la Jirel de Joiry de C.L. Moore, créée à la même époque, a peut-être précipité son abandon.

Cormac Mac Art, rusé pirate gaël fricotant avec les Vikings, déjà vu dans Bran Mak Morn, bénéficie d’une nouvelle inaugurale correcte, « Les Épées de la mer Nordique », mais les textes inachevés qui suivent font le même effet, et pour les mêmes raisons, que ceux d’Agnès de Chastillon (en leur étant antérieurs).

Terence Vulmea, pirate irlandais toujours, mais vers les XVIIe ou XVIIIe siècles, est le héros de deux nouvelles, sans doute les plus ambitieuses du recueil : « Les Épées de la Fraternité Rouge », recyclage du Conan « Le Maraudeur noir », est peut-être le texte le plus enthousiasmant, relativement, dans ce recueil globalement décevant – il est très bavard, mais les alliances paranoïaques nouées par ce quatuor de fripouilles (Vulmea inclus) sont réjouissantes. Par contre, « La Vengeance de Vulmea », après un bon départ d’un nihilisme étonnant, se perd quand l’antihéros Vulmea se met à prendre en pitié son adversaire alors même qu’il avait concocté à son encontre une vengeance tordue et d’autant plus réjouissante ; c’est parfaitement incompréhensible, au-delà des bonnes intentions, et la nouvelle ne s’en remet pas.

Quant à Kirby O’Donnell, c’est un ersatz d’El Borak – mais en loser… Sa propension à commettre des gaffes peut pourtant le rendre relativement sympathique (en le singularisant au milieu des brutes howardiennes qui se ressemblent un peu toutes). Mais le résultat est au mieux médiocre… On sauvera éventuellement la deuxième nouvelle, « Les Épées de Shahrazar », relativement efficace (et amusante !) à défaut du reste.

Le recueil comprend aussi trois récits « hors-cycle » (quatre en comprenant celui, inachevé, des appendices, avec ses Vikings qui naviguent au large de l’Inde…), allant du vaguement lisible (« L’Île aux pirates », juvénile et même puéril, souffrant d’une première tentative de « femme forte » parfaitement insupportable de lourdeur) à l’ignoble (« La Morsure de l’ours noir », énième variation sur le péril jaune, d’une fadeur et d’une bêtise incroyables, qui en font probablement une des pires nouvelles de l’auteur), en passant par le simplement mauvais (« Le Paon d’airain »).

Bilan pas glorieux, donc… Agnès la noire ne convainc jamais tout à fait, et fatigue bien trop souvent ; c’est peut-être le plus mauvais recueil de la collection… On lui préfèrera largement El Borak, à s’en tenir à ce registre des récits d’aventures – en sachant toutefois que l’auteur a fait bien mieux, avec ou sans fantasy pour pimenter l’action.

El Borak

[Critique commune à El Borak et Agnès la noire]

Si Robert E. Howard est surtout connu pour sa fantasy, on peut néanmoins affirmer qu’il était avant tout un auteur de récits d’aventures. Mais le « weird » avait bien sa part dans nombre de ses publications, et pouvait même transparaître dans des séries ne s’y prêtant pas a priori, au moins comme une tentation. Ce qui se vérifie dans ces deux volumes consacrés aux « récits d’aventures », en principe pas surnaturels, compilant épopées historiques et/ou orientales – dans la foulée du Seigneur de Samarcande.

Francis Xavier Gordon, dit « El Borak », est à la fois un des plus vieux personnages de Howard, à l’en croire (il l’aurait conçu enfant) et un de ses derniers – ses nouvelles datant des dernières années de l’auteur. Texan exilé (volontaire) essentiellement en Afghanistan, éventuellement en Arabie, il est un archétype de l’aventurier occidental en terres sauvages orientales, dans la lignée de personnages tels que Sir Richard Francis Burton ou Lawrence d’Arabie. Parfaitement intégré dans les clans, il tranche radicalement sur les autres Blancs de ses aventures – soit de franches canailles servant l’ambition de puissances étrangères quand ce n’est pas uniquement la leur, soit des « inadaptés » qui ne comprennent pas ce monde et ne sont pas en mesure d’y survivre seuls. Mais le monde de Francis Xavier Gordon est aussi fait de civilisations oubliées ou du moins de cités cachées d’allure mythique…

Comme souvent dans cette collection aux ambitions d’exhaustivité, la lecture suivie des nouvelles d’El Borak a vite quelque chose de répétitif et lassant. Pour autant, au milieu de la médiocrité, surnagent des choses intéressantes : le personnage décalé de l’Anglais perdu Willoughby, dans « Le Faucon des collines », est pour beaucoup dans la réussite de cette nouvelle ; si « La Mort à Triple Lame » s’éternise sans doute, elle réserve quelques beaux moments épiques ; « Le Sang des dieux » fourmille de bonnes idées, au regard du seul impératif de l’efficacité ; même « Les Fils de l’aigle », avec ses facilités, ne manque pas de saveur exotique et de traits réjouissants ; et si « Le Fils du Loup Blanc », ultime nouvelle du héros et une des dernières de Howard, est ratée, sa violence étonnante et sa noirceur ne laissent pas indifférent…

El Borak n’est probablement pas ce que Howard a fait de mieux, mais ce recueil, avec ses défauts habituels, s’élève régulièrement au-dessus de la médiocrité, et peut parfois susciter l’enthousiasme. Pas si mal, donc.

Agnès la noire est hélas beaucoup moins satisfaisant… Ce recueil de « cycles avortés » (des tentatives de personnages récurrents abandonnés après deux ou trois textes) témoigne d’autant d’errances de l’auteur, sans doute pas bien certain de ce qu’il voulait en faire (fantastique ou pas, notamment), et amené par la force des choses à admettre l’impasse et à laisser tomber.

Agnès de Chastillon est un personnage de « femme forte » dans une France de la Renaissance en carton. La violence de la nouvelle inaugurale marque les esprits, et l’emploi par Howard de la première personne en rajoute encore. Mais le personnage souffre vite de nombreuses incohérences et d’une psychologie incompréhensible. Si la nouvelle « Agnès la noire » se laisse lire malgré ses défauts – et sa construction aléatoire, picaresque, d’une certaine manière, évoquant plus une introduction de roman qu’une nouvelle se tenant en elle-même –, les deux fragments qui suivent témoignent d’un échec. La ressemblance d’Agnès avec la Jirel de Joiry de C.L. Moore, créée à la même époque, a peut-être précipité son abandon.

Cormac Mac Art, rusé pirate gaël fricotant avec les Vikings, déjà vu dans Bran Mak Morn, bénéficie d’une nouvelle inaugurale correcte, « Les Épées de la mer Nordique », mais les textes inachevés qui suivent font le même effet, et pour les mêmes raisons, que ceux d’Agnès de Chastillon (en leur étant antérieurs).

Terence Vulmea, pirate irlandais toujours, mais vers les XVIIe ou XVIIIe siècles, est le héros de deux nouvelles, sans doute les plus ambitieuses du recueil : « Les Épées de la Fraternité Rouge », recyclage du Conan « Le Maraudeur noir », est peut-être le texte le plus enthousiasmant, relativement, dans ce recueil globalement décevant – il est très bavard, mais les alliances paranoïaques nouées par ce quatuor de fripouilles (Vulmea inclus) sont réjouissantes. Par contre, « La Vengeance de Vulmea », après un bon départ d’un nihilisme étonnant, se perd quand l’antihéros Vulmea se met à prendre en pitié son adversaire alors même qu’il avait concocté à son encontre une vengeance tordue et d’autant plus réjouissante ; c’est parfaitement incompréhensible, au-delà des bonnes intentions, et la nouvelle ne s’en remet pas.

Quant à Kirby O’Donnell, c’est un ersatz d’El Borak – mais en loser… Sa propension à commettre des gaffes peut pourtant le rendre relativement sympathique (en le singularisant au milieu des brutes howardiennes qui se ressemblent un peu toutes). Mais le résultat est au mieux médiocre… On sauvera éventuellement la deuxième nouvelle, « Les Épées de Shahrazar », relativement efficace (et amusante !) à défaut du reste.

Le recueil comprend aussi trois récits « hors-cycle » (quatre en comprenant celui, inachevé, des appendices, avec ses Vikings qui naviguent au large de l’Inde…), allant du vaguement lisible (« L’Île aux pirates », juvénile et même puéril, souffrant d’une première tentative de « femme forte » parfaitement insupportable de lourdeur) à l’ignoble (« La Morsure de l’ours noir », énième variation sur le péril jaune, d’une fadeur et d’une bêtise incroyables, qui en font probablement une des pires nouvelles de l’auteur), en passant par le simplement mauvais (« Le Paon d’airain »).

Bilan pas glorieux, donc… Agnès la noire ne convainc jamais tout à fait, et fatigue bien trop souvent ; c’est peut-être le plus mauvais recueil de la collection… On lui préfèrera largement El Borak, à s’en tenir à ce registre des récits d’aventures – en sachant toutefois que l’auteur a fait bien mieux, avec ou sans fantasy pour pimenter l’action.

Almuric

[Critique commune à Les Dieux de Bal-Sagoth, Les Ombres de Canaan et Almuric]

Seront recensées ici les nouvelles de fantasy et d’horreur de Robert E. Howard, hors grands cycles, telles que rassemblées dans les trois volumes Bragelonne Les Dieux de Bal-Sagoth, Les Ombres de Canaan et Almuric, qui bénéficient, comme d’habitude, du travail phénoménal de Patrice Louinet, notamment au travers de postfaces très éclairantes.

Certes, ces textes n’appartiennent pas aux grandes sagas et cycles de l’auteur réunis sous le nom de héros centraux bien connus, Conan, Bran Mak Morn ou Solomon Kane, mais des mini-cycles se dégagent naturellement de ce corpus, via l’utilisation de personnages récurrents (comme James Allison, un homme estropié qui est la réincarnation d’un nombre incalculable de héros d’époques antérieures, ou encore Conrad et Kirowan, les enquêteurs de l’étrange) ou par des thématiques communes, dont la plus célèbre est constituée des nouvelles inspirées du panthéon lovecraftien dont nous reparlerons plus bas. Howard écrivait pour les pulps, dont l’enjeu éditorial était de fournir aux lecteurs ce qu’ils attendaient, rien d’illogique donc à ce que l’auteur réutilise des protagonistes dont il pense qu’ils ont un potentiel certain. Difficile, de fait, de dire si la constitution de ces derniers était réellement une volonté de l’auteur, ou si elle dérivait d’une obligation de brosser le lectorat dans le sens du poil, sauf sans doute pour James Allison, car Howard se passionnait pour la réincarnation, et on peut donc imaginer qu’il a pris un minimum de plaisir à rédiger ces textes, dont certains sont restés au stade d’ébauche.

Les nouvelles réunies dans ces trois volumes couvrent toute la carrière d’écrivain de Robert E. Howard, et permettent donc de suivre son évolution. Si « Lance et croc », le premier récit publié de l’auteur, porte déjà la marque howardienne en ce sens qu’il montre sa passion pour l’histoire (en l’occurrence, la préhistoire), il reste anecdotique, comme certains autres textes du début, où Howard s’essaie à la lycanthropie (« Dans la forêt de Villefère ») ou la SF (« Le Moment suprême ») sans grand bonheur. Dans les premières années, Howard écrira aussi influencé par ses goûts littéraires : ainsi, comme William Hope Hodgson, il s’essaiera à l’horreur maritime (« La Malédiction de la mer », « Des profondeurs de l’océan »), ou imitera les aventures du Fu Manchu de Sax Rohmer, alors très en vogue. « Le Crâne vivant », un serial, l’un des récits les plus longs écrits par l’auteur, prend pour décor un Londres peu crédible ; on y sent un Howard peu à l’aise et préférant miser sur l’aspect aventures que sur des descriptions sonnant juste.

Howard va donc rapidement comprendre que s’il veut gagner en maturité, mieux vaut qu’il écrive sur ce qu’il connaît le mieux et le passionne : l’histoire, et son pendant fantasmé, la mythologie – démarche qui aboutirait bientôt au concept d’Âge hyborien. Dans le lointain et donc méconnu passé des vikings, des Pictes ou des Gaëls, il peut entretenir le souffle épique de ces grandes batailles impliquant des guerriers hors normes. Un brin d’héroïsation et quelques interventions divines suffisent alors à rendre ces dernières attractives pour le lectorat des pulps (« Le Crépuscule du dieu gris », « Le Cairn de Grimmin »). Depuis ce point de départ historique, Howard peut piocher dans les nombreux personnages à fort potentiel iconique, les plonger dans des univers moins à cheval sur l’exactitude historique ou géographique, proposant au lecteur des récits d’aventures échevelées (« Les Dieux de Bal-Sagoth ») au sein desquelles les femmes en sont bien souvent réduites à faire de la figuration, quand bien même, à l’occasion, il s’en trouve quelques-unes pour rivaliser avec les héros howardiens. L’auteur appliquera un principe identique aux différentes époques ou civilisations auxquelles il s’intéresse : Sumer et l’Assyrie (« Le Feu d’Asshurbanipal », « La Maison d’Arabu »), ou encore l’Orient moderne (« La Voix d’El-Lil », « La Vallée perdue »), pour en tirer des nouvelles lorgnant davantage vers la fantasy. Ces récits portent tous en filigrane le questionnement permanent de l’auteur sur ce qui définit précisément une civilisation, ce qui distingue la barbarie d’une société éclairée.

Sur le versant horrifique, si Howard visite ce registre dès le début de sa carrière (« L’Horreur sans nez », « Le Dernier chant de Casonetto »), c’est bien évidemment la rencontre épistolaire avec H.P. Lovecraft qui s’avère déterminante, Howard ne tardant pas à s’emparer du panthéon personnel du créateur de Cthulhu pour écrire une dizaine de textes où l’on retrouve des allusions plus ou moins explicites au fameux « Mythe ». Le plus connu est sans aucun doute « La Pierre noire », qui culmine dans un sabbat maléfique autour dudit rocher d’où émerge un énorme et menaçant crapaud – récit dans lequel Howard crée le Nameless Cults de Von Junzt, décalque évident du Necronomicon, auquel Lovecraft proposera une traduction du titre en allemand, Unaussprechlichen Kulten, qu’Howard n’utilisera finalement qu’une seule fois. Mais Howard a du mal à se couler dans le moule lovecraftien : s’il n’éprouve pas de problème particulier à écrire ses textes à la première personne, c’est davantage la personnalité des protagonistes, plutôt intellectuels et lettrés chez le gentleman de Providence, qui lui pose souci. Bien qu’il préfère lui-même les lumières de l’esprit à la rudesse d’un travail plus concret, ses héros habituels ont un comportement essentiellement basé sur l’instinct et la puissance physique : Howard peine à trouver satisfaction dans ses tentatives avec les Grands Anciens, accouchant de textes assez artificiels (« La Vallée du ver »). Réalisant son erreur, il va alors s’orienter vers une spécificité bien plus personnelle : le « weird southwest ».

On l’a souvent répété, Howard est attaché à son Texas natal. Il était donc évident que celui-ci devait tôt ou tard se muer en terrain – en terreau – idéal pour des histoires fantastiques, d’autant plus qu’il est omniprésent dans l’œuvre de Two-Gun Bob, auteur de nombreux westerns et qui s’est servi de l’État américain pour créer le monde de Conan. Cette fois-ci, en parfait connaisseur des lieux et de la mentalité des habitants, il ancre ses textes dans le quotidien le plus prosaïque, même si c’est pour y faire évoluer vampires (« L’Horreur dans le tertre »), fantômes (« Querelle de sang »), ou encore aborder le vaudou (« Les Ombres de Cana-an », situé pour sa part en Arkansas). Le dépaysement de ses nouvelles de fantasy et de ses textes lovecraftiens cède ainsi la place à l’irruption du fantastique dans la normalité la plus matérielle, et Howard y gagne en sécheresse aussi bien qu’en noirceur.

On ne saurait terminer sans citer Almuric, tentative de roman dans la veine d’Edgar Rice Burroughs. Récit picaresque, ce dernier se dilue un peu trop dans les extrêmes pour être réellement convaincant, tout en proposant son content de scènes épiques et rythmées. On n’oubliera pas non plus de signaler que les appendices des trois volumes, proposant des textes inachevés ou des versions alternatives de certains récits, sont extrêmement intéressants sur le travail d’écrivain de Howard ; on y découvre notamment « Nekht Semerkeht », retrouvé après la mort de l’auteur, et qui aborde frontalement le problème du suicide.

On le voit, le corpus est vaste, les thématiques variées ; autant que la qualité même des textes, en somme. Les chefs-d’œuvre de Robert E. Howard ne sont toutefois pas cantonnés aux cycles phares : certains des textes ici proposés rivaliseront sans souci avec les plus grands récits de Conan ou de Solomon Kane. Des textes qui, au final, dessinent en creux le portrait de leur auteur, un Texan fermement attaché à ses racines, mais aussi passionné d’histoire et de mythologie, s’interrogeant sur les notions de civilisation ou l’opposition entre intellect et physique, rationalisme et instinct.

Les Ombres de Canaan

[Critique commune à Les Dieux de Bal-Sagoth, Les Ombres de Canaan et Almuric]

Seront recensées ici les nouvelles de fantasy et d’horreur de Robert E. Howard, hors grands cycles, telles que rassemblées dans les trois volumes Bragelonne Les Dieux de Bal-Sagoth, Les Ombres de Canaan et Almuric, qui bénéficient, comme d’habitude, du travail phénoménal de Patrice Louinet, notamment au travers de postfaces très éclairantes.

Certes, ces textes n’appartiennent pas aux grandes sagas et cycles de l’auteur réunis sous le nom de héros centraux bien connus, Conan, Bran Mak Morn ou Solomon Kane, mais des mini-cycles se dégagent naturellement de ce corpus, via l’utilisation de personnages récurrents (comme James Allison, un homme estropié qui est la réincarnation d’un nombre incalculable de héros d’époques antérieures, ou encore Conrad et Kirowan, les enquêteurs de l’étrange) ou par des thématiques communes, dont la plus célèbre est constituée des nouvelles inspirées du panthéon lovecraftien dont nous reparlerons plus bas. Howard écrivait pour les pulps, dont l’enjeu éditorial était de fournir aux lecteurs ce qu’ils attendaient, rien d’illogique donc à ce que l’auteur réutilise des protagonistes dont il pense qu’ils ont un potentiel certain. Difficile, de fait, de dire si la constitution de ces derniers était réellement une volonté de l’auteur, ou si elle dérivait d’une obligation de brosser le lectorat dans le sens du poil, sauf sans doute pour James Allison, car Howard se passionnait pour la réincarnation, et on peut donc imaginer qu’il a pris un minimum de plaisir à rédiger ces textes, dont certains sont restés au stade d’ébauche.

Les nouvelles réunies dans ces trois volumes couvrent toute la carrière d’écrivain de Robert E. Howard, et permettent donc de suivre son évolution. Si « Lance et croc », le premier récit publié de l’auteur, porte déjà la marque howardienne en ce sens qu’il montre sa passion pour l’histoire (en l’occurrence, la préhistoire), il reste anecdotique, comme certains autres textes du début, où Howard s’essaie à la lycanthropie (« Dans la forêt de Villefère ») ou la SF (« Le Moment suprême ») sans grand bonheur. Dans les premières années, Howard écrira aussi influencé par ses goûts littéraires : ainsi, comme William Hope Hodgson, il s’essaiera à l’horreur maritime (« La Malédiction de la mer », « Des profondeurs de l’océan »), ou imitera les aventures du Fu Manchu de Sax Rohmer, alors très en vogue. « Le Crâne vivant », un serial, l’un des récits les plus longs écrits par l’auteur, prend pour décor un Londres peu crédible ; on y sent un Howard peu à l’aise et préférant miser sur l’aspect aventures que sur des descriptions sonnant juste.

Howard va donc rapidement comprendre que s’il veut gagner en maturité, mieux vaut qu’il écrive sur ce qu’il connaît le mieux et le passionne : l’histoire, et son pendant fantasmé, la mythologie – démarche qui aboutirait bientôt au concept d’Âge hyborien. Dans le lointain et donc méconnu passé des vikings, des Pictes ou des Gaëls, il peut entretenir le souffle épique de ces grandes batailles impliquant des guerriers hors normes. Un brin d’héroïsation et quelques interventions divines suffisent alors à rendre ces dernières attractives pour le lectorat des pulps (« Le Crépuscule du dieu gris », « Le Cairn de Grimmin »). Depuis ce point de départ historique, Howard peut piocher dans les nombreux personnages à fort potentiel iconique, les plonger dans des univers moins à cheval sur l’exactitude historique ou géographique, proposant au lecteur des récits d’aventures échevelées (« Les Dieux de Bal-Sagoth ») au sein desquelles les femmes en sont bien souvent réduites à faire de la figuration, quand bien même, à l’occasion, il s’en trouve quelques-unes pour rivaliser avec les héros howardiens. L’auteur appliquera un principe identique aux différentes époques ou civilisations auxquelles il s’intéresse : Sumer et l’Assyrie (« Le Feu d’Asshurbanipal », « La Maison d’Arabu »), ou encore l’Orient moderne (« La Voix d’El-Lil », « La Vallée perdue »), pour en tirer des nouvelles lorgnant davantage vers la fantasy. Ces récits portent tous en filigrane le questionnement permanent de l’auteur sur ce qui définit précisément une civilisation, ce qui distingue la barbarie d’une société éclairée.

Sur le versant horrifique, si Howard visite ce registre dès le début de sa carrière (« L’Horreur sans nez », « Le Dernier chant de Casonetto »), c’est bien évidemment la rencontre épistolaire avec H.P. Lovecraft qui s’avère déterminante, Howard ne tardant pas à s’emparer du panthéon personnel du créateur de Cthulhu pour écrire une dizaine de textes où l’on retrouve des allusions plus ou moins explicites au fameux « Mythe ». Le plus connu est sans aucun doute « La Pierre noire », qui culmine dans un sabbat maléfique autour dudit rocher d’où émerge un énorme et menaçant crapaud – récit dans lequel Howard crée le Nameless Cults de Von Junzt, décalque évident du Necronomicon, auquel Lovecraft proposera une traduction du titre en allemand, Unaussprechlichen Kulten, qu’Howard n’utilisera finalement qu’une seule fois. Mais Howard a du mal à se couler dans le moule lovecraftien : s’il n’éprouve pas de problème particulier à écrire ses textes à la première personne, c’est davantage la personnalité des protagonistes, plutôt intellectuels et lettrés chez le gentleman de Providence, qui lui pose souci. Bien qu’il préfère lui-même les lumières de l’esprit à la rudesse d’un travail plus concret, ses héros habituels ont un comportement essentiellement basé sur l’instinct et la puissance physique : Howard peine à trouver satisfaction dans ses tentatives avec les Grands Anciens, accouchant de textes assez artificiels (« La Vallée du ver »). Réalisant son erreur, il va alors s’orienter vers une spécificité bien plus personnelle : le « weird southwest ».

On l’a souvent répété, Howard est attaché à son Texas natal. Il était donc évident que celui-ci devait tôt ou tard se muer en terrain – en terreau – idéal pour des histoires fantastiques, d’autant plus qu’il est omniprésent dans l’œuvre de Two-Gun Bob, auteur de nombreux westerns et qui s’est servi de l’État américain pour créer le monde de Conan. Cette fois-ci, en parfait connaisseur des lieux et de la mentalité des habitants, il ancre ses textes dans le quotidien le plus prosaïque, même si c’est pour y faire évoluer vampires (« L’Horreur dans le tertre »), fantômes (« Querelle de sang »), ou encore aborder le vaudou (« Les Ombres de Cana-an », situé pour sa part en Arkansas). Le dépaysement de ses nouvelles de fantasy et de ses textes lovecraftiens cède ainsi la place à l’irruption du fantastique dans la normalité la plus matérielle, et Howard y gagne en sécheresse aussi bien qu’en noirceur.

On ne saurait terminer sans citer Almuric, tentative de roman dans la veine d’Edgar Rice Burroughs. Récit picaresque, ce dernier se dilue un peu trop dans les extrêmes pour être réellement convaincant, tout en proposant son content de scènes épiques et rythmées. On n’oubliera pas non plus de signaler que les appendices des trois volumes, proposant des textes inachevés ou des versions alternatives de certains récits, sont extrêmement intéressants sur le travail d’écrivain de Howard ; on y découvre notamment « Nekht Semerkeht », retrouvé après la mort de l’auteur, et qui aborde frontalement le problème du suicide.

On le voit, le corpus est vaste, les thématiques variées ; autant que la qualité même des textes, en somme. Les chefs-d’œuvre de Robert E. Howard ne sont toutefois pas cantonnés aux cycles phares : certains des textes ici proposés rivaliseront sans souci avec les plus grands récits de Conan ou de Solomon Kane. Des textes qui, au final, dessinent en creux le portrait de leur auteur, un Texan fermement attaché à ses racines, mais aussi passionné d’histoire et de mythologie, s’interrogeant sur les notions de civilisation ou l’opposition entre intellect et physique, rationalisme et instinct.

Les Dieux de Bal-Sagoth

[Critique commune à Les Dieux de Bal-Sagoth, Les Ombres de Canaan et Almuric]

Seront recensées ici les nouvelles de fantasy et d’horreur de Robert E. Howard, hors grands cycles, telles que rassemblées dans les trois volumes Bragelonne Les Dieux de Bal-Sagoth, Les Ombres de Canaan et Almuric, qui bénéficient, comme d’habitude, du travail phénoménal de Patrice Louinet, notamment au travers de postfaces très éclairantes.

Certes, ces textes n’appartiennent pas aux grandes sagas et cycles de l’auteur réunis sous le nom de héros centraux bien connus, Conan, Bran Mak Morn ou Solomon Kane, mais des mini-cycles se dégagent naturellement de ce corpus, via l’utilisation de personnages récurrents (comme James Allison, un homme estropié qui est la réincarnation d’un nombre incalculable de héros d’époques antérieures, ou encore Conrad et Kirowan, les enquêteurs de l’étrange) ou par des thématiques communes, dont la plus célèbre est constituée des nouvelles inspirées du panthéon lovecraftien dont nous reparlerons plus bas. Howard écrivait pour les pulps, dont l’enjeu éditorial était de fournir aux lecteurs ce qu’ils attendaient, rien d’illogique donc à ce que l’auteur réutilise des protagonistes dont il pense qu’ils ont un potentiel certain. Difficile, de fait, de dire si la constitution de ces derniers était réellement une volonté de l’auteur, ou si elle dérivait d’une obligation de brosser le lectorat dans le sens du poil, sauf sans doute pour James Allison, car Howard se passionnait pour la réincarnation, et on peut donc imaginer qu’il a pris un minimum de plaisir à rédiger ces textes, dont certains sont restés au stade d’ébauche.

Les nouvelles réunies dans ces trois volumes couvrent toute la carrière d’écrivain de Robert E. Howard, et permettent donc de suivre son évolution. Si « Lance et croc », le premier récit publié de l’auteur, porte déjà la marque howardienne en ce sens qu’il montre sa passion pour l’histoire (en l’occurrence, la préhistoire), il reste anecdotique, comme certains autres textes du début, où Howard s’essaie à la lycanthropie (« Dans la forêt de Villefère ») ou la SF (« Le Moment suprême ») sans grand bonheur. Dans les premières années, Howard écrira aussi influencé par ses goûts littéraires : ainsi, comme William Hope Hodgson, il s’essaiera à l’horreur maritime (« La Malédiction de la mer », « Des profondeurs de l’océan »), ou imitera les aventures du Fu Manchu de Sax Rohmer, alors très en vogue. « Le Crâne vivant », un serial, l’un des récits les plus longs écrits par l’auteur, prend pour décor un Londres peu crédible ; on y sent un Howard peu à l’aise et préférant miser sur l’aspect aventures que sur des descriptions sonnant juste.

Howard va donc rapidement comprendre que s’il veut gagner en maturité, mieux vaut qu’il écrive sur ce qu’il connaît le mieux et le passionne : l’histoire, et son pendant fantasmé, la mythologie – démarche qui aboutirait bientôt au concept d’Âge hyborien. Dans le lointain et donc méconnu passé des vikings, des Pictes ou des Gaëls, il peut entretenir le souffle épique de ces grandes batailles impliquant des guerriers hors normes. Un brin d’héroïsation et quelques interventions divines suffisent alors à rendre ces dernières attractives pour le lectorat des pulps (« Le Crépuscule du dieu gris », « Le Cairn de Grimmin »). Depuis ce point de départ historique, Howard peut piocher dans les nombreux personnages à fort potentiel iconique, les plonger dans des univers moins à cheval sur l’exactitude historique ou géographique, proposant au lecteur des récits d’aventures échevelées (« Les Dieux de Bal-Sagoth ») au sein desquelles les femmes en sont bien souvent réduites à faire de la figuration, quand bien même, à l’occasion, il s’en trouve quelques-unes pour rivaliser avec les héros howardiens. L’auteur appliquera un principe identique aux différentes époques ou civilisations auxquelles il s’intéresse : Sumer et l’Assyrie (« Le Feu d’Asshurbanipal », « La Maison d’Arabu »), ou encore l’Orient moderne (« La Voix d’El-Lil », « La Vallée perdue »), pour en tirer des nouvelles lorgnant davantage vers la fantasy. Ces récits portent tous en filigrane le questionnement permanent de l’auteur sur ce qui définit précisément une civilisation, ce qui distingue la barbarie d’une société éclairée.

Sur le versant horrifique, si Howard visite ce registre dès le début de sa carrière (« L’Horreur sans nez », « Le Dernier chant de Casonetto »), c’est bien évidemment la rencontre épistolaire avec H.P. Lovecraft qui s’avère déterminante, Howard ne tardant pas à s’emparer du panthéon personnel du créateur de Cthulhu pour écrire une dizaine de textes où l’on retrouve des allusions plus ou moins explicites au fameux « Mythe ». Le plus connu est sans aucun doute « La Pierre noire », qui culmine dans un sabbat maléfique autour dudit rocher d’où émerge un énorme et menaçant crapaud – récit dans lequel Howard crée le Nameless Cults de Von Junzt, décalque évident du Necronomicon, auquel Lovecraft proposera une traduction du titre en allemand, Unaussprechlichen Kulten, qu’Howard n’utilisera finalement qu’une seule fois. Mais Howard a du mal à se couler dans le moule lovecraftien : s’il n’éprouve pas de problème particulier à écrire ses textes à la première personne, c’est davantage la personnalité des protagonistes, plutôt intellectuels et lettrés chez le gentleman de Providence, qui lui pose souci. Bien qu’il préfère lui-même les lumières de l’esprit à la rudesse d’un travail plus concret, ses héros habituels ont un comportement essentiellement basé sur l’instinct et la puissance physique : Howard peine à trouver satisfaction dans ses tentatives avec les Grands Anciens, accouchant de textes assez artificiels (« La Vallée du ver »). Réalisant son erreur, il va alors s’orienter vers une spécificité bien plus personnelle : le « weird southwest ».

On l’a souvent répété, Howard est attaché à son Texas natal. Il était donc évident que celui-ci devait tôt ou tard se muer en terrain – en terreau – idéal pour des histoires fantastiques, d’autant plus qu’il est omniprésent dans l’œuvre de Two-Gun Bob, auteur de nombreux westerns et qui s’est servi de l’État américain pour créer le monde de Conan. Cette fois-ci, en parfait connaisseur des lieux et de la mentalité des habitants, il ancre ses textes dans le quotidien le plus prosaïque, même si c’est pour y faire évoluer vampires (« L’Horreur dans le tertre »), fantômes (« Querelle de sang »), ou encore aborder le vaudou (« Les Ombres de Cana-an », situé pour sa part en Arkansas). Le dépaysement de ses nouvelles de fantasy et de ses textes lovecraftiens cède ainsi la place à l’irruption du fantastique dans la normalité la plus matérielle, et Howard y gagne en sécheresse aussi bien qu’en noirceur.

On ne saurait terminer sans citer Almuric, tentative de roman dans la veine d’Edgar Rice Burroughs. Récit picaresque, ce dernier se dilue un peu trop dans les extrêmes pour être réellement convaincant, tout en proposant son content de scènes épiques et rythmées. On n’oubliera pas non plus de signaler que les appendices des trois volumes, proposant des textes inachevés ou des versions alternatives de certains récits, sont extrêmement intéressants sur le travail d’écrivain de Howard ; on y découvre notamment « Nekht Semerkeht », retrouvé après la mort de l’auteur, et qui aborde frontalement le problème du suicide.

On le voit, le corpus est vaste, les thématiques variées ; autant que la qualité même des textes, en somme. Les chefs-d’œuvre de Robert E. Howard ne sont toutefois pas cantonnés aux cycles phares : certains des textes ici proposés rivaliseront sans souci avec les plus grands récits de Conan ou de Solomon Kane. Des textes qui, au final, dessinent en creux le portrait de leur auteur, un Texan fermement attaché à ses racines, mais aussi passionné d’histoire et de mythologie, s’interrogeant sur les notions de civilisation ou l’opposition entre intellect et physique, rationalisme et instinct.

Bran Mak Morn

Bran Mak Morn, sombre roi d’un peuple sur son déclin, les Pictes. L’homme noir, dernier rassembleur des clans, ne renonçant jamais malgré la menace des Romains et celle, plus grande encore, de l’oubli.

Le décor ? La Calédonie, entre le deuxième et le troisième siècle de notre ère. Une terre oubliée, une époque oubliée, un peuple oublié, à peine un nom dans les chroniques latines qui nous sont parvenues : picti, les Pictes. Cette rêverie sur des tribus dont en vérité il ne savait rien ou si peu a traversé l’œuvre et la vie de Robert Howard, de Brule le tueur à la lance, compagnon de Kull de Valusie, jusqu’à Bran Mak Morn et même au-delà.

Bran est roi, comme Conan ou bien Kull, mais il règne sur un peuple dégénéré, sauvage, ombre de l’ombre de ce qu’il fut, faisant face à la plus grande puissance de son temps : Rome. Bran Mak Morn se bat, mû par une fierté folle, par l’illusion peut-être que la grandeur des Pictes pourrait un jour revenir. Les récits le mettant en scène sont ceux d’une lutte désespérée, de combats gagnés au prix de l’utilisation d’une magie étrange (« Les Rois de la nuit ») ou de compromissions terribles (« Les Vers de la terre »). Les histoires de Bran Mak Morn sont au croisement de l’aventure fantastique et de ces récits historiques pleins de sang et de fureur dans lesquels Howard excelle. Elles sont amères, brutales et sans concession, et, de toutes celles que le Texan a écrites, les favorites de l’auteur de ces lignes. Par la qualité des récits, déjà, par l’originalité de leur décor, mais aussi parce que l’histoire du peuple picte permet à Howard de tirer un fil rouge de sang et de batailles à travers son histoire du passé. Ils relient les temps antédiluviens où régnaient des choses proches des Grands Anciens, à l’époque de Kull, puis à celle de Conan (dont les Pictes sont les pires ennemis), jusqu’à notre ère, l’histoire la plus significative à ce titre étant « Les Rois de la nuit » déjà citée, qui voit apparaître Kull l’Atlante en guest-star ! Quand pour de nombreux auteurs le cross-over est un exercice maladroit, Howard fait de cette histoire un grand récit de bataille et un beau vertige littéraire. On retrouvera les Pictes et Bran Mak Morn (en quelque sorte) jusque vers l’an mille dans le récit « L’Homme noir », mettant en scène Turlogh O’Brien.

La sympathie constante de Robert Howard pour ce peuple sombre, sauvage et vaincu dit beaucoup à son sujet. C’est à travers eux que je me suis pris à aimer le Texan.

Les histoires à lire absolument : « Les Vers de la terre », « Les Rois de la nuit ». Je dirais même : si vous ne connaissez pas Robert Howard et que vous ne devez lire qu’un seul livre de lui, prenez Bran Mak Morn.

Solomon Kane

Solomon Kane, le puritain élisabéthain. Arpentant les terres sombres d’une jungle méphitique, sa rapière au côté, tenant à la main un bâton vaudou, rendant froidement la justice au nom de Dieu, au nom, surtout, de la folie qui l’anime !

Avec Kane, Robert Howard est tombé sur quelque chose de puissant. Solomon Kane n’a rien de sympathique, aucune chaleur, aucune énergie barbare emportant l’adhésion contrairement aux autres brutes mélancoliques créées par le Texan. Kane est un ange de la vengeance, un fou halluciné jeté dans un voyage sans fin, un marcheur qu’on imagine lancé sur un chemin qui s’étend jusqu’à la fin des temps.

Le premier récit le mettant en scène (« Solomon Kane », connu aussi sous le titre « Ombres rouges ») est à la fois un ratage littéraire complet (cadre historique grossier, changements de ton, de genre, de décors impromptus, incohérences narratives) et un modèle de puissance et d’énergie : en France, au seizième siècle, des bandits massacrent. Solomon Kane le puritain recueille le dernier soupir d’une jeune fille violée. Et sur quarante pages, des mois de poursuite et des milliers de kilomètre parcourus, il accomplit sa vengeance. Men shall die for this !

Les histoires de Kane sont l’occasion pour Howard de créer des récits hybrides, croisements entre histoires de pirates, d’exploration africaine et fantastique gore. Les tambours battent jusqu’à l’obsession, des monstres innommables sortent de la jungle, des cadavres s’animent, des crânes sont fichés sur des piques et le sang coule. L’un au moins de ces récits (« Des ailes dans la nuit ») contient des images d’horreur gothique qui habiteront longtemps le lecteur.

Les récits à lire absolument : « Solomon Kane », « Les Collines de la mort », « Des ailes dans la nuit ».

Kane incarne un fantasme noir et terrifiant, une matière passionnante pour le lecteur curieux des mécanismes et des ressorts de l’écriture. Rarement Howard a été plus direct et sincère que dans les récits qui lui sont consacrés.

Kull le Roi Atlante

Kull, roi de Valusie, descendant des Atlantes tombés dans la barbarie, devenu de ses propres mains roi du plus remarquable royaume de son époque. Un barbare à la musculature de panthère, au regard glacé, alliant l’intelligence politique et la fureur guerrière…

« Le Royaume des chimères » est le premier récit mettant en scène Kull de Valusie, et la première incursion littéraire de Robert Howard dans une forme de récit d’aventure historique située dans un monde imaginaire. Avec Kull, Howard découvre le pouvoir libérateur de s’affranchir de tout cadre historique. Kull est un proto-Conan, mais pas un aventurier : dans les dix récits qui lui sont consacrés, on ne le connaîtra jamais que roi, installé sur le trône d’une capitale brillante et schématique. À part quelques entités politiques vaguement définies (la Valusie, Atlantis, la Lémurie, les îles pictes…), le monde de l’âge thurien dans lequel il évolue reste flou et n’intéresse pas (encore) l’écrivain. Les récits de Kull ne sont pas exactement les récits de Conan : Howard utilise son outil littéraire (histoire et passé imaginaires) pour mettre notamment en scène des histoires allégoriques ou métaphoriques, qu’elles soient sur le thème de l’illusion, comme dans l’excellent : « Royaume des chimères », ou du double (« Les Miroirs de Tuzun Thune »). Pour être intéressant, le filon n’est pas bien défini ni très riche et l’auteur ne parviendra pas à l’exploiter très longtemps.

Avec Kull, Howard jette toutefois les fondations de cette histoire du passé, faite de continents engloutis, de migrations de peuples, de grandeurs et de chutes de civilisations, qui servira de toile de fond à une grande partie de ses récits. En aparté : les écrivains de SF sont nombreux à avoir créé une « histoire du futur » ; Robert E. Howard fait partie de ceux qui sont intéressés à l’autre versant des temps – voir l’article de Steven Tompkins « Gigantic Gulfs of Eons : Kull, Conan and Tyrant Time », dans l’anthologie critique de Don Herron The Dark Barba-rian That Towers Over All.

Quelque temps après avoir écrit la dernière aventure de Kull (« Par cette hache, je règne ! ») durant laquelle le roi échappe de peu à un attentat tendu par des conspirateurs, Howard reprendra la trame du récit, mettant en son centre un nouveau personnage plus riche et moins schématique que le roi de Valusie. Le récit se nomme « Le Phénix sur l’épée », et son héros n’est autre que Conan le Cimmérien, roi d’Aquilonie. De manière quasi contemporaine, Howard rédige un essai décrivant les grandes lignes historiques de l’Âge Hyborien, l’époque succédant à celle de Kull. L’outil se développe et la joie de créer avec lui !

Avec les récits de Kull, Robert E. Howard a inventé un nouveau type d’histoires : des personnages réalistes, vivant des aventures imaginaires dans un monde très proche de notre réalité historique (pour paraphraser Patrice Louinet). Il faudrait trouver un nom pour ça…

Les histoires à lire absolument : « Le Royaume des chimères », « Les Miroirs de Tuzun Thune ».

Au fond, le point le plus rebutant de ce personnage, pour le lecteur français du moins, reste son nom ridicule.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug