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Un souvenir de Loti

Voyageurs impénitents, amoureux l’un de l’autre comme au premier jour, Loti et Marjorie jettent leur dévolu sur Nopal, paradisiaque planète artificielle où ils comptent finir leurs jours, si l’utopie qui la qualifie n’est pas un mensonge. Là, les accueillent des femmes niges dotées d’ailes, dépourvues de pilosité jusqu’à la poitrine et dont le duvet s’achève en buissonnante touffe de plumes au niveau du visage. La sexualité est libre et la nudité va de soi ; on se nourrit également à travers l’épiderme pour éprouver des orgasmes alimentaires. Des androïdes affables satisfont tous les désirs, tandis que la société s’épanouit à travers les plaisirs des sens, les créations artistiques et le savoir. Nul commerce, mais des échanges proportionnés, qui peuvent s’avérer problématiques lorsqu’il s’agit de se défaire d’un mot. La communication télépathique permet de dépasser les écueils du langage.

Bien que le lieu de transit soit très fréquenté par la Ligue, peu de gens choisissent de devenir Nopalais en raison de la difficulté des démarches : la félicité se mérite au prix d’une transformation spirituelle et corporelle visant à unifier le conscient et l’inconscient des individus en une seule entité. Les Nopalais, seules créatures à s’être imaginées elles-mêmes, à exister avant de s’incarner, expliquent qu’il faut faire abstraction de son corps pour mieux se recréer.

Observateurs attentifs et ouverts aux expériences, Loti et Marjorie cherchent les failles du système, tout en s’acclimatant à la société. Pour les y aider, Sévy, le sartre, originaire du Centaure, se fait guide : il explique au couple les usages en cours, se servant pour cela du Dire, une forme d’enseignement infra-oral, expression et fragment d’un Tout, tandis que Vélanivolévi, le freud, les prépare au passage en traquant les refoulements et les blocages culturels qui freinent leur épanouissement. On voit sur quels concepts s’appuient les Nopalais pour édifier leur utopie. Est-ce suffisant ?

Un temps, le couple croit identifier une faille avec la survivance d’un sentiment religieux ; cependant, même si la société s’appuie sur une entité mythique ironiquement nommée Mandrake, il s’agit davantage d’un support philosophique pour aider à exprimer la notion de mutation («Le savoir n’a pas de fin : tout est mouvement, changement. ») et le détachement des biens terrestres que formalise une communauté basée sur le partage. La question d’une forme de capitalisme basée sur l’exploitation des androïdes est également évacuée en cantonnant les machines, même évoluées, à des objets. C’est finalement davantage en soi qu’autour de soi qu’il convient de chercher les résistances à l’utopie. Et c’est dans l’ouverture à l’autre, dans cette fusion des êtres, qu’il est possible de la trouver, plus que dans l’insertion dans une société, si idyllique qu’elle puisse être. Reste à savoir, comme le suggère l’anagramme en fin de récit, si l’utopie est bien l’objet de désir que se fixe l’humanité ou s’il ne s’agit pas d’un leurre visant, derrière l’idée de perfection, à refuser ou ignorer l’ultime imperfection, celle de la mort, qui prive tout un chacun de la présence de l’autre.

Ce récit baigné d’une douce sensualité, souvent érotique, riche de descriptions d’un exotisme exubérant encore rehaussé d’images surréalistes, est innervé par une même profusion d’idées autour de la quête existentielle du bonheur et de l’accomplissement de soi, et de questions métaphysiques autour de la mort, qui amène à conclure que durant notre brève existence, « Nous ne sommes en tant qu’être qu’une réflexion de l’univers sur sa condition d’univers.  »

Initialement publiée dans l’anthologie de Gérard Klein, Utopies 75, sous le titre « Un Souvenir de Pierre Loti », la novella a été revue et augmentée pour la présente édition. Outre des modifications cosmétiques de vocabulaire (le macabe redevient un macchabée), on trouve une mise à jour des concepts scientifiques et des considérations sur le xxie siècle et le mensonge du trans-humanisme. Mais la plus éclairante modification, d’une pudique discrétion, qui justifie la reprise de ce titre dans la nouvelle collection « Eutopia » des éditions La Volte, est la dédicace, mise en exergue de cette fuite du temps venu superposer la fiction à la réalité, « À Anne » étant devenu « À Anne pour toujours ». Ce chant à l’être aimé ne suscite, derrière la profonde réflexion, que davantage d’émotion.

Rétrofictions

Attention, ouvrage indispensable !

Voici une encyclopédie à la présentation aussi soignée que son contenu est riche. Deux volumes fortement illustrés, au texte réparti sur deux colonnes, sur plus de 2400 pages, à l’impression et au papier irréprochables, le tout présenté dans un magnifique coffret : il n’en fallait pas moins pour recenser l’ensemble de la conjecture romanesque francophone. La production s’étale sur 420 ans, depuis Pantagruel de Rabelais jusqu’à 1951, soit le début de la période moderne avec la création de deux collections emblématiques, « Anticipation » au Fleuve Noir et « Le Rayon fantastique » coédité par Hachette et Gallimard.

11 000 titres, 4 000 auteurs, 5 000 entrées, plus de 1 000 illustrations… Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Outre les romans et les feuilletons, la bande dessinée et les illustrations, les longs et courts métrages et les films d’animation, on trouvera les images et les bons points, les jeux et jouets, les opéras et les pièces radiophoniques, les partitions musicales, les assiettes décorées (sur pas moins de six pages) et les éventails, les calendriers, etc… jusqu’aux buvards !

Les entrées sont classées par ordre alphabétique d’auteur, auxquels s’ajoutent les principaux titres de revues et journaux, ainsi que les différents types de supports. L’énorme avantage réside, en fin du second volume, sur près de 300 pages, dans un index alphabétique des titres et un index chronologique : il est donc possible de retrouver une référence par titre, par auteur ou par date, mais aussi par thème. Ceux-ci sont suffisamment détaillés pour proposer six listes concernant les extraterrestres (invasions, monstre, mœurs, origine, etc.) et cinq sur Mars, six sur l’invisibilité, une quinzaine sur les ondes et les rayons (désintégrant, hypnotiques, réfrigérants, etc.), autant sur les religions et sectes. Un dernier tableau recense le nombre de titres publiés par année, qui permet de constater leur lente augmentation jusqu’au milieu du xixe siècle, la croissance plus rapide en fin de siècle jusqu’à l’inflation du début du xxe, où ils dépassent la centaine.

Il sera difficile, désormais, d’attribuer à un auteur la paternité d’un thème ou l’originalité d’un sujet : l’ignorance n’est plus de mise grâce à cette entreprise titanesque. Tout y est, ou presque. Seuls les auteurs de cet ouvrage sont en mesure de pointer quelques rares lacunes qu’ils répareront dans une prochaine édition.

C’est le travail d’une vie (enfin, de plusieurs) qui se trouve condensé là. On imagine ce qu’il a fallu d’investissement, de patience, pour relever, répertorier et ordonner une telle quantité de données. Et pour les lire, car les récits sont résumés, ou, pour les plus secondaires, identifiés par leurs thèmes ou leurs caractéristiques.

Parlons un peu du contenu. Chaque entrée est rédigée de façon précise, avec les men-tions biobibliographiques nécessaires. Les résumés sont clairs et concis, plus détaillés pour les textes d’importance, augmentés de commentaires sur la portée de l’œuvre, son originalité, de façon plutôt objective, avec quelques remarques ironiques ou étonnées. Les classiques sont abondamment présentés. On ne trouve pas moins de seize pages sur les frères Rosny, neuf sur Jules Verne et six sur Jacques Spitz. Jean Giraudoux dispose également de son entrée pour un humoristique « Supplément au voyage de Cook ». On découvre des curiosités à chaque page. Par exemple, un étonnant récit d’André Barre daté de 1901, « La Phalloculture », d’un individu propulsé au xxxe siècle, dans une société féminine où l’homme est devenu, à la suite de sélections génétiques, un objet sexuel le dotant de lèvres lippues, d’une langue et d’un sexe hypertrophiés, le reste étant réduit à l’insignifiance. On découvrira de même une étonnante illustration de Cuyck représentant un homme ouvrant sa chemise et dévoilant les rouages de son anatomie, pour un roman d’Alex Pasquier publié en 1913, Le Secret de ne jamais mourir, autre titre éloquent d’un transhumanisme avant la lettre !

Il suffit de feuilleter l’ouvrage pour se convaincre de l’exubérante imagination des pionniers de la littérature conjecturale ou apprécier des illustrations qui n’ont rien perdu de leur force, nombre d’entre elles s’avérant d’une étonnante modernité. Cette encyclopédie bruisse de milliers d’histoires qui donnent envie d’y aller voir de plus près, dans une bibliothèque ou sur Internet.

Le prix, à y bien regarder, est dérisoire : il représente cinq romans d’environ 300 pages à 23 euros, qui ne donneront pas forcément pleine satisfaction. Faites-vous le offrir à l’occasion d’une fête, mais ne passez pas à côté de ce trésor d’érudition.

La Planète aux statues

Au terme d’un voyage de cinq siècles, un vaisseau terrien reprend contact avec les colons de Margharetta, une planète d’Alpha du Centaure. La mission est scientifique : biologiste, géologue, sociologue, économiste, ainsi que la narratrice, une psychologue de vingt-cinq ans, viennent étudier l’évolution de la société. Les cités apparemment prospères sont paisibles, figées dans le conformisme d’une vie sans histoires : les femmes, très occupées à leurs tâches ménagères, ont de nombreux enfants. Pas de monnaie ici, mais un marché au troc où chacune présente ses productions artisanales  : confitures, parfums, couverts en bois. Pas de guerre ni de violence : il n’y eut en un siècle que quatre meurtres sur l’ensemble de la planète.

Un détail attire vite l’attention des observateurs : la présence de statues de jeunes filles au réalisme saisissant, enchaînées dans les jardins attenant aux maisons au moyen d’un cadenas. Seule celle qui a servi de modèle détient la clé et la cède à l’homme qui la lui fait sa demande en mariage. Les statues sont fournies par les monastères de chaque cité, forteresses inaccessibles hormis pour les cérémonies comme le mariage. Celui-ci semble obnubiler toute femme en âge de convoler : être l’objet d’une demande apparaît plus important que l’identité du prétendant.

La société que décrit Christine Renard est une métaphore de la femme au foyer, conçu pour la seule satisfaction de l’homme, sans que personne, du fait de l’éducation et du poids des traditions, n’en ait forcément conscience.

La situation n’est pas sans rappeler celle, au tournant du XIXe et du XXe siècle, où l’homme se rendait dans les maisons closes en laissant leurs épouses s’occuper des enfants et du foyer. La statue, garante de fidélité, est l’instrument qui masque partiellement cet asservissement ou du moins, le rend acceptable. Seuls les moines, détenteurs de la vérité, effectuent un contrôle en connaissance de cause. Pour avoir cherché à connaître la vérité le sociologue Valentin Vallauris perdra la vie.

La narratrice, qui a réussi à se faire accepter par la population, provoque, par sa seule présence, à une transformation des consciences propre à devenir le ferment d’un mouvement de libération de la femme. Elle est consciente de susciter de fortes résistances qui risquent de se retourner contre elle.

L’intrigue qui se joue sur une échelle réduite, adopte le ton du roman policier dans un premier temps, en se concentrant sur l’élucidation de morts suspectes et la révélation de secrets bien cachés. Elle s’élargit par la suite quand les changements au sein de la communauté prennent les contours d’une révolution féministe, section où les problèmes relatifs au statut de la femme sont clairement exprimés. La narration est rapide : on aurait aimé davantage de développements lors de la prise de conscience et de la transition sociale. Mais l’écriture très fluide de Christine Renard, qui sait très vite opérer l’identification du lecteur à son personnage, est d’une indéniable efficacité.

Initialement intitulé La Planète aux poupées, un titre que Christine Renard n’aimait pas – elle lui préférait celui de Tristes Poupées, qui lui donne une perspective plus anthropologique –, ce roman publié en 1972 n’avait pas pu rencontrer son public, l’éditeur ayant fait faillite peu de temps après. Il faut donc saluer Jean-Pierre Fontana pour avoir réédité ce roman dans sa nouvelle collection dédiée aux œuvres patrimoniales de l’imaginaire injustement négligées.

Si le présent roman semble avoir vieilli par certains côtés, il rend fidèlement compte de la condition féminine à l’époque de sa rédaction. Ce n’est pas un hasard si la même année Ira Levin, sur un sujet identique, publiait Les Femmes de Stepford, Les problèmes d’égalité entre homme femme ne sont plus exactement les mêmes, raison pour laquelle ce court roman mérite le détour : il permet de mesurer autant le chemin parcouru que celui qu’il reste à effectuer.

Reste que Christine Renard est trop subtile pour faire de ses personnages des caricatures. Sa narratrice refuse de jouer les icônes, ne serait-ce qu’en raison de son éthique de non intervention. Les failles qu’elle présente permettent d’entrevoir sa complexité. Et c’est sur une note bien plus ambiguë que s’achève ce récit à l’échelle de la société comme de sa principale protagoniste. Au final, un roman très vivant, au suspense soutenu, qui réhabilitera, il faut l’espérer, Christine Renard, autrice discrète au grand talent.

Dimension Technoscience @venir

Pour ses cinquante ans, le Laboratoire d’Analyse et d’architectures systèmes a choisi de présenter un recueil de nouvelles de science-fiction basé sur ses recherches en technosciences, de l’informatique à la communication, en passant par la robotique.

Les machines occupent une place de choix. Ainsi, Catherine Dufour démontre dans le très drôle « Sans Retour et sans nous », que les robots compagnons ne seraient pas seulement utiles aux personnes invalides et âgées, mais aussi aux individus désocialisés pour les aider à se reprendre en main : encore quelques réglages, et son prototype rendra bientôt Nao obsolète.

L’espace appartient déjà aux machines, comme le montre Jean-Louis Trudel avec « Semeuses d’amour en orbite instable » : moins sensibles que les humains aux rayons cosmiques, les femtosats, des satellites de très petite taille, sont plus efficaces pour coloniser la Lune et les astéroïdes. Au prix d’un désir d’indépendance ? Il reste aux deux intelligences à apprendre à coopérer…

La question de la conscience de la machine a été posée dès le départ, avec une belle ouverture d’esprit, par Xavier Mauméjean dans « La Science du cœur ». Autour d’une enquête sur un meurtre, il trace avec subtilité la frontière ténue entre intelligence biologique et artificielle.

À l’inverse, une machine consciente peut servir à mieux éprouver ce que ressent un humain. Dans « Pour le comprendre » d’Olivier Paquet, le seul membre de l’équipe à assister jusqu’au bout à la fin d’un robot qu’on voulait autonome, est son inventeur, hanté par le souvenir de son frère disparu.

Tout aussi touchant est « Changeling » de Lionel Davoust, qui met en scène un enfant solitaire fatigué de passer immuablement ses vacances chez ses grands-parents, à l’écart de tout. Surprotégé par ses parents, il se demande s’il est bien celui qu’il croit être.

Dans le récit de Mauméjean, on peut s’agréger temporairement à une intelligence collective favorisant la recherche de solutions. L’étape suivante pourrait être la télépathie. Sur ce thème, « Plénitude » de Silène Edgar, échoue à convaincre en raison de la naïveté et de la superficialité de son récit. Sa narratrice s’insurge contre la commercialisation d’un implant télépathique malgré les risques pour les 3 % de cerveaux mal constitués, ceux des psychotiques, des autistes, des génies et des surdoués. « Plus d’Einstein, de Hawking, de Turing » laisse entendre que l’humanité dépend de ces « handicaps », évacuant les débats entre inné et acquis, nature et culture.

Autour du thème de l’humain augmenté, Raphaël Granier de Cassagnac revient sur les circonstances qui ont mené Shin Hae-Wan, un des protagonistes de son roman Thinking Eternity, à réaliser la première greffe d’un œil artificiel. L’arrière-plan post-cataclysmique pourrait bien être la résultante des « Contaminations » de Sylvie Denis, excellent texte qui brosse sur trente ans la vie d’une communauté paysanne restant à l’écart du monde moderne, mais que les problèmes liés au changement climatique et aux cultures OGM à la longue inefficaces rattrapent néanmoins. Lucide, documenté, il est axé sur la nécessaire adaptation aux changements.

Le transhumanisme est, lui, frontalement abordé par Pierre Bordage avec « H+ », qui présente la progressive déshumanisation des individus augmentés ainsi que le fossé entre deux humanités.

Un article de Francis Saint-Martin situe la place de la SF par rapport aux avancées scientifiques, dissipant l’ancienne méprise voulant voir en Jules Verne et ses successeurs des prophètes plus que d’imaginatifs auteurs parlant d’avenir, tandis que dans sa postface Roland Lehoucq revient sur son rôle vis-à-vis de la science. Le tout est agrémenté d’illustrations de Barbara Quissolle.

Même si sont évoquées ici et là des dérives et des dangers, les auteurs se sont efforcés d’ouvrir des espaces de réflexion sur l’avenir des technosciences, et ses impacts selon les situations. L’anthologie, de très bonne tenue, est encore rehaussée par les commentaires en fin de récit, où les chercheurs du LAAS, avec un grand sens de la vulgarisation, font le point sur l’état actuel des recherches dans les domaines concernés. Pas d’optimisme béat ni de dénigrement pessimiste ici, mais un regard lucide et éclairé sur les technosciences. De quoi rêver et réfléchir !

Les Derniers Jours du Nouveau-Paris

En 1950, Paris occupé par les Nazis est isolé du reste du monde pour contenir les agressives créatures qui le hantent, suite à l’explosion d’une bombe S – « S » comme surréalisme, car en effet ces monstres improbables, les manifs, sont des manifestations grandeur nature de ce mouvement artistique. Quand André Breton rencontre Aleister Crowley, la magie injecte l’imaginaire directement dans le quotidien. Ainsi, Thibaut, jeune recrue de La Main à plume, la revue étant ici une organisation clandestine de résistance, sauve une photographe américaine poursuivie par des loups-table, et arpente un Paris transformé d’après les projets d’aménagement proposés par les surréalistes dans diverses contributions, comme un Arc de Triomphe changé en pissotière ou la cathédrale Notre-Dame reconvertie en silo à grain.

L’argument de ce court roman on ne peut plus délirant est l’occasion de rappeler la dimension résolument révolutionnaire du surréalisme et son projet de contamination du réel par des moyens oniriques. On sait les surréalistes attirés par l’étrange et le surnaturel : ils ont recensé parmi leurs prédécesseurs poètes, philosophes et médiums ayant cherché à voir au-delà du réel. Seul cet art subversif prônant une liberté anarchique était en mesure de s’opposer aux effroyables représentants d’un ordre nouveau.

À son tour, le Reich, dont on sait le goût pour l’ésotérisme, oppose aux productions de l’art dégénéré des démons issus de sa propre culture : c’est une imposante sculpture d’Arno Breker, l’architecte officiel du nazisme, qui lutte contre un cadavre exquis d’André Breton, Jacqueline Lamba (son épouse) et Yves Tanguy. On assiste dès lors à des scènes hallucinantes, poétiques ou glaçantes, mais aussi très drôles, comme l’intervention quasi divine d’Hélène Smith, la médium qui écrivait en martien, représentée sur les cartes du Tarot de Marseille, envoyant contre les Nazis une armada de soucoupes volantes. L’incarnation d’une œuvre d’art la plus saisissante, en fin de récit, n’est cependant pas d’origine surréaliste.

Si on peut regretter que les personnages et l’intrigue ne soient que le prétexte pour décrire les œuvres poétiques ayant pris vie, on admire le tour de force consistant à rassembler en un seul récit autant d’images et de phrases, parfois empruntées à des artistes peu connus du mouvement, avec quelques passages très réussis. Il n’est pas inutile de rafraîchir ses connaissances sur le surréalisme et sur certains protagonistes de la Seconde Guerre mondiale pour pleinement apprécier ce récit. En effet, la quête de Thibaut cherchant à en savoir davantage sur le Fall Rot, le Plan B des Allemands (sans rapport avec, dans notre continuum, l’invasion de la France à travers la Belgique), alterne avec des chapitres très réalistes se déroulant en 1941, à Marseille, à la villa Air-Bel de la riche Mary Jayne Gold, qui aide à l’exfiltration des artistes menacés par le nazisme, notamment les surréalistes. Varian Fry, journaliste américain, présente au groupe Jack Parsons, pionnier de la propulsion spatiale et disciple d’Aleister Crowley, ami aussi d’auteurs de science-fiction comme Robert Heinlein ou Jack Williamson. Fry estime en effet que les surréalistes pourraient lui inspirer un moyen susceptible de modifier le cours de la guerre. N’interviennent ici que des personnages historiques : l’effet de bascule avec les parties oniriques donne au récit les contours d’une uchronie en racontant les événements à l’origine du point de divergence.

Le récit est complété par une postface, partie intégrante de la fiction, où sont relatées les circonstances très étranges dans lesquelles cette histoire a été révélée à qui saurait l’écrire, elle-même suivie d’une annexe identifiant l’origine artistique des manifs et des objets de cet univers parallèle. Ces pseudo-recherches permettent de livrer au lecteur les sources d’inspiration de China Miéville, et quelques éclairages bienvenus sur le mouvement sur-réaliste et ses acteurs.

La fascination reste avant tout cérébrale : les phrases courtes décrivent une action avec objectivité, sans investissement émotionnel, comme pour éviter de parasiter les sentiments provoqués par les œuvres d’art. Au final, un récit étrange où réel et imaginaire s’interpénètrent de façon hypnotique pour mieux restituer l’esprit du surréalisme. Les amateurs d’art trouveront l’exercice exquis.

Conséquences d'une disparition

Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001, lors de l’effondrement des deux tours. Mais de quoi se souvient-on exactement ? Moins des évènements que de sa propre histoire intimement mêlée.

Ben Matson a perdu dans le drame celle dont il était amoureux : Lilian se trouvait dans l’avion qui s’est écrasé au Pentagone. Elle était sur le point de divorcer de Martin Viklund, éminent représentant du département de la Défense. Sauf qu’elle n’émarge pas dans la liste officielle des passagers et que son mari lui avait demandé de ne pas prendre l’avion — mais elle avait appelé son amant au moment d’embarquer. Cependant, elle avait aussi tu d’autres détails qu’elle n’avait pas jugé utile de révéler ou qu’elle désirait volontairement cacher. À la même époque, Ben, en tant que journaliste scientifique, avait interviewé Kyril Tatarov, un célèbre mathématicien d’origine russe, à l’Hydro, un hôtel thérapeutique devenu une ambassade américaine. Tatarov devait mystérieusement disparaître en 2006, puis réapparaître sans jamais révéler ce qu’il s’était passé, laissant courir les rumeurs à son sujet. L’une d’elles, romantique, est devenue un film que Ben, qui avait promis de garder le silence sur les vraies raisons, a scénarisé pour des raisons financières. Mensonges, dissimulations, chacun compose ses petits arrangements avec la vérité.

Vingt ans plus tard, marié et père de deux enfants, Ben, longtemps traqueur obsessionnel des zones d’ombre du 11 septembre et de la personnalité trouble de Viklund, apprend qu’on a repêché en mer un avion qui pourrait être celui que Lilian a emprunté, annonce vite qualifiée de méprise, les restes étant soi-disant ceux d’un sous-marin. Il n’en faut pas davantage pour que le passé revienne, tel un boomerang, à son esprit. D’autant que d’autres déclarations le troublent, comme celle de sa belle-mère, à la mémoire chancelante, qui se souvient, dans un éclair de lucidité, avoir accompagné son futur gendre à l’Hydro en compagnie de Lilian. Une impossibilité manifeste, car Ben ne la connaissait pas encore. Une fois de plus, la réalité se délite devant l’accumulation de détails contradictoires.

Quand Christopher Priest s’attaque au 11 septembre, c’est moins comme enquêteur que comme comptable des distorsions du réel engendrées par l’onde de choc. L’examen attentif des faits révèle des zones d’ombre qui font douter de la version officielle même ceux qui rejettent les théories du complot. Priest démontre que quiconque entreprend de faire le tri dans une telle masse d’informations bascule dans un trou noir informationnel qui empêche à jamais la restitution de la vérité. « La mémoire est notre seule réalité » affirme celle qui, justement, a les souvenirs qui se brouillent.

En mêlant l’histoire intime à celle d’un événement au retentissement planétaire, l’auteur donne à voir la fragilité du réel, davantage tributaire des interprétations que des faits bruts. Pis : la traque de la vérité achève de brouiller la réalité, raison pour laquelle les chapitres, loin de figer les évènements avec précision, déclinent un présent sans date, «En ce temps-ci », et un passé enchâssé dans de vagues «  En ces temps-là » suivis de deux années faisant office de fourchette temporelle, un flou volontaire, analogue à l’esprit des mathématiciens, qui accordent davantage d’importance à la beauté ou à l’élégance d’un théorème qu’à son exactitude. C’est la raison pour laquelle l’histoire croise la trajectoire de Tatarov, dont le travail consistait à traduire en algorithme un théorème voulant que « si une situation peut être considérée comme réelle, alors elle aura des conséquences réelles  ».

Chacun « donne aux opinions leur propre dynamique » à partir de l’interprétation qu’il en fait : c’est ce que démontre le présent roman de façon subtile, à la progression mesurée, presque nonchalante, jusqu’à se faire glaçante en fin de récit. Le diable est dans les détails, et une fois de plus, Christopher Priest démolit nos certitudes au terme d’une enquête implacable. On trouvera en filigrane une critique des réseaux sociaux, lesquels, dans la confusion entre éducation et information déjà dénoncée par Platon, ont pour conséquence de donner « le pouvoir à ceux qui n’avaient pas la sagesse de diriger ». Comment ne pas entendre non plus un écho de l’actualité dans ce récit partiellement autobiographique, Priest ayant déménagé sur les lieux qu’il décrit pour fuir les conséquences du Brexit ? Dans un monde où les simulacres et les faux-semblants ne cessent de se multiplier, la lecture de Christopher Priest, acharné à décoller les bords disjoints du réel, est plus que jamais salutaire.

Black Bottom

Beth Raven, professeur de lettres en congé maladie longue durée, car déçu de l’enseignement comme des élèves, en profite pour tenir un journal où il déverse son acrimonie. Plus exactement un roblog : grâce à un implant iCortex, ce qu’il pense est instantanément publié sur les réseaux. Aussitôt lu et commenté, le succès rapide de ses billets interfère avec sa vie au quotidien, passablement bouleversée à la suite d’évènements de plus en plus rocambolesques.

Nous sommes dans un de ces univers délirants, surréalistes, que Curval affectionne : pour avoir sauvé un homme traîné à l’arrière d’une Cadillac, Beth et son ami de plus que longue date (ils étaient voisins dans une banque du sperme) se trouvent mêlés à une affaire dans le milieu de l’art qui les entraîne jusqu’à Venise, lors de la biennale d’art contemporain. En effet, la victime est un collectionneur, Holm, puni pour avoir mis en vente des œuvres de Festen, plasticien, concepteur d’un bloody art, qui démembre, écorche et recompose des humains consentants en « concepts morphologiques interactifs » incarnant les tares du genre humain. Cet artiste cupide et narcissique a ainsi réalisé sept sculptures qui relèvent d’un « art terroriste » destiné à plonger le spectateur dans la terreur si elles sont exposées simultanément.

Parallèlement, un vieil ami de Beth, Kevin Duchâtel, réapparaît pour se venger du vol d’un tableau de grande valeur : il enlève sa femme, Irène, une psychiatre qui devient sa maîtresse. C’est aussi pour la retrouver que le narrateur se rend à Venise. Tous deux tentaient à l’époque d’inventer un état intermédiaire entre le réel et l’imaginaire, l’aréel, visant à faire apparaître ce qui n’existe pas.

L’action est encore compliquée par le fait que la relation en temps réel des péripéties diffère de la réalité : il semble que Beth perd la boule, ou encore que son blog est piraté par des individus qui s’ingénient à réécrire son journal. Quoiqu’il en soit, le récit s’imbrique dans le réel et interfère avec lui, au point que le narrateur – et le lecteur avec lui — perd ses repères.

On pourrait relever un lien de parenté avec le dernier roman de Christopher Priest paru simultanément, Conséquences d’une disparition, Philippe Curval affirmant à son tour que « les matheux ont montré que le réel se compose d’une succession d’imaginaires aléatoires  ». Il distingue pour sa part trois états de la réalité : le plausible, le possible, le probable, qui dépendent des interprétations de tout un chacun. L’objectivité n’est qu’un consensus pour maintenir un semblant de cohésion, mais « le fait que chacun soit immergé dans sa propre pensée créait sans doute des interstices dans le réel ».

Et quelles plus grandes divergences d’interprétation peut-on éprouver, sinon devant une œuvre d’art ? Féroce critique de l’art contemporain, qui ressemble de plus en plus à une gesticulation à la recherche du happening et du spectacle remarquables parce qu’extrêmes, Philippe Curval sait capter comme personne l’air du temps, les nouveaux usages qu’il brocarde avec ironie, se contentant d’enregistrer le changement sans s’attarder. Ainsi, l’aphorisme de Descartes adapté aux réseaux sociaux devient : « Je pense, donc je suis suivi. » Le roblog est également l’occasion de faire preuve d’une belle inventivité dans le langage, tordu, déstructuré, perpétuellement renouvelé, juste reflet d’une société survoltée. Celle-ci est à l’image de cette danse des années 20, le Black bottom, au rythme endiablé, sautillant, où se désarticulent les membres dans une frénésie syncopée. Après plus de soixante ans d’une carrière parsemée de chefs-d’œuvre, Philippe Curval continue de faire preuve d’une belle énergie.

Notre monde mort

Notre monde mort réunit huit nouvelles de l’écrivaine bolivienne Liliana Colanzi. Il s’agit là de la première traduction française d’une œuvre de cette auteure par ailleurs journaliste et enseignante à la Cornell University. Mis à part celui donnant son titre au recueil et relevant de la science-fiction – il y est question de la colonisation de Mars –, tous ces récits s’inscrivent avec succès à la croisée des genres fantastique et horrifiques. « L’Œil » évoque l’inquiétante métamorphose d’une étudiante dépressive. « Alfredito » décrit les effets non moins troublants de la mort d’un garçonnet sur ses camarades. Les conséquences étranges et funestes du décès brutal d’un enfant constituent encore le ressort de «  Météorite ». La mort sera aussi le lot du jeune protagoniste de « Chaco », un adolescent fugueur à la psyché visionnaire. « La Vague », quant à lui, campe en quelques pages un univers miné par une apocalypse occulte. Le monde apparaît aussi au bord de l’effondrement dans « Cannibales » (convoquant la figure du serial killer) et dans « Conte avec oiseau », une histoire de folie médicale… Si ces nouvelles déclinent des motifs narratifs d’une sombre bigarrure, toutes ont en commun un regard rien moins qu’amène sur notre réel. Lorgnant du côté de la littérature criminelle la plus noire, les histoires de Liliana Colanzi dressent un panorama des formes les plus odieuses de la domination. Celle qu’infligent les adultes aux esprits et aux corps des plus jeunes placés sous leur coupe. Ou bien encore l’exploitation économique, empreinte de racisme, qu’imposent les Boliviens de souche européenne aux derniers représentants des peuples amérindiens. Certainement victimes de ces mille et une violences, les héros et héroïnes de Notre monde mort ne sont cependant pas totalement impuissantes. Étrangement fécondés par l’antique et chamanique savoir des temps précolombiens, leurs esprits développent une surprenante résistance. Celle-ci prend la forme d’un « don » (terme récurrent sous la plume de l’écrivaine) leur permettant d’accéder à une manière d’au-delà, afin d’y invoquer de redoutables puissances. Parfois simplement suggérés, parfois spectaculairement évoqués, ces « Grands Anciens » latino-américains constituent de paradoxaux sauveurs. Ils nimbent ainsi d’un espoir inattendu le Monde mort que dessine Liliana Colanzi par son écriture à la poétique précision.

Neuf Contes

Dernière publication en date de l’auteure de La Servante écarlate, ces Neuf contes apparemment disparates dressent en réalité un passionnant panorama de son œuvre. Relevant des littératures de l’Imaginaire à une exception près – « Matelas de pierre » est une histoire criminelle –, ces nouvelles viennent notamment souligner la vision atwoodienne des genres chers à Bifrost.

Trois d’entre elles témoignent ainsi du goût de l’écrivaine pour un certain réalisme fantastique. « Lusus naturae » a pour narratrice une jeune femme frappée d’une maladie aux conséquences singulières. Non seulement affublée d’une paire d’yeux jaunes et d’une considérable pilosité, l’héroïne se nourrit avant tout de sang. Ce mal – la porphyrie, comme le suggère quelques indices – la condamne à une existence cloîtrée et finalement tragique, ramassée en une dizaine de pages d’un gothique évoquant celui de Shirley Jackson. TelNous avons toujours vécu au château, « Lusus naturae » fait épouser le point de vue du « monstre », interrogeant ainsi de manière empathique la supposée normalité… D’une tonalité moins sombre mais pas moins inquiétante, « Le Marié lyophilisé» et « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » participent encore de cet excitant métissage entre réalisme et étrange. Ces textes adoptent d’abord un regard documentaire et ironique. « Le Marié lyophilisé » s’ouvre sur les affres conjugales et professionnelles d’un brocanteur de Toronto. « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » décrit quant à lui le quotidien domestique et sentimental d’un trio de Canadiennes sexagénaires. Mais émaillée de notations bizarres, l’écriture sape peu à peu ces réels. Et ce jusqu’à ce qu’un événement insolite fasse basculer ces récits dans un fantastique composite. « Le Marié lyophilisé » réinterprète ainsi la figure de Barbe-Bleue en l’associant à celle du succube, en un geste évoquant Angela Carter. «  Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » mêle pour sa part onirisme divinatoire et vengeance post-mortem… Se projetant dans un futur tout proche, « Les Vieux au feu » illustre la veine dystopique de Margaret Atwood. On y découvre Wilma, la pensionnaire d’une maison de retraite de luxe, un univers là encore précisément documenté. Mais outre les assauts du temps se traduisant par de surprenantes hallucinations, Wilma doit affronter ceux de « Notre Tour », un mouvement radicalement gérontophobe pratiquant l’extermination des personnes âgées au nom de la survie des plus jeunes. Marqué par un humour noir rappelant celui de C’est le cœur qui lâche en dernier, « Les Vieux au feu » dessine un futur aussi effrayant que la « Trilogie MaddAddam » (cf. T1, T2 et T3)… Enfin, un ensemble de contes réunissant« Alphinland », « Revenante», « La Dame en noir » et «  La Main morte t’aime » explore la fabrique des littératures de l’Imaginaire. Les trois premiers ont pour héroïne Constance, créatrice de Alphinland, un cycle de fantasy à succès ayant fait d’elle une auteure culte. Un statut que partage Jack l’auteur de La Main morte t’aime, un classique du roman d’horreur adulé par des générations de fans. Les nouvelles dévolues à ces sortes d’alter-egos de Ursula K. Le Guin et de Stephen King brossent un tableau du métier d’écrivain. Parfois acides quant à ce dernier, ces nouvelles en affirment aussi le formidable pouvoir émancipateur. Car, comme l’ensemble des Neuf contes, elles illustrent la conviction de Margaret Atwood que les littératures de l’Imaginaire peuvent rendre meilleures aussi bien celles et ceux qui les écrivent que leurs lecteurs et lectrices.

Harold

De qui Harold est-il le nom ? D’un corbeau, né au cœur de la Mitteleuropa à l’orée des années 1960… Se déroulant à Vienne en mars 1957, le prologue de ce beau roman (ici, la version remaniée d’un texte paru en 2010 aux éditions du Serpent à Plumes) de Louis-Stéphane Ulysse évoque la singulière entrée dans l’existence du volatile. Agrégeant réalisme documentaire et inquiétante étrangeté à la façon du film Le Troisième homme — relecture gothique de la Guerre froide –, ces pages liminaires décrivent le baptême de l’oisillon dans les catacombes de la Stephansplatz par un certain Laszlo. C’est à ce magicien de cabaret, d’allure méphistophélique, que le corbeau doit en effet son patronyme. Et c’est encore à lui que Harold doit de bientôt traverser l’Atlantique. Tirant le meilleur profit spectaculaire de l’intelligence hors-normes de l’oiseau, en réalité plus humaine qu’animale, Laszlo attire un jour l’attention du pianiste Liberace de passage en Europe. Impressionné par l’inédit numéro dont Harold est la vedette, l’extravagant showman invite l’homme et l’oiseau à se produire à Las Vegas. La cité du péché ne sera cependant que la première étape du périple américain de Harold. Séparé de Laszlo par un violent accident de voiture, le corbeau s’envole alors vers la Californie. Là, il rencontre Chase Lindsey, dresseur d’oiseaux de son état. Fasciné à son tour par les extraordinaires capacités de Harold, il l’emmène avec lui sur le tournage des Oiseaux après avoir été recruté par Universal. À son aviaire manière, Harold devient alors un membre de l’équipe du film fameux d’Alfred Hitchcock. Y côtoyant non seulement le réalisateur, le corbeau y rencontre encore Tippi Hedren, l’interprète principale du long-métrage. Avec celle-ci, Harold noue bien vite une relation aussi étroite qu’inhabituelle. La créature au noir plumage jouera dès lors un rôle clef dans la genèse du film dépeinte par Louis-Stéphane Ulysse comme proprement infernale. De même, le corbeau tiendra un rôle essentiel dans les prolongements souterrains et atroces que l’auteur prête aux Oiseaux… Car selon Harold, de l’autre côté du miroir aux alouettes hollywoodien se dissimule un univers où le Mal le plus impitoyable règne en maître. Marchant sur les traces sanglantes de Kenneth Anger (Hollywood Babylone) et de James Ellroy («  Le Quatuor de Los Angeles »), Harold s’en distingue cependant par son réalisme fantastique. Fidèle à la tonalité affichée par ses pages inaugurales, Harold auréole ainsi d’étrange son dévoilement de l’envers misogyne et criminel d’Hollywood. Face au prodigieux Harold – véritable ange gardien de Tippi Hedren —, Chase, Hitchcock ou bien encore la fratrie mafieuse des Gianelli se nimbent peu à peu d’une aura démoniaque. Échappant par la grâce de l’Imaginaire aux démonstratives pesanteurs de l’exofiction, Harold transforme ainsi sa relecture des Oiseaux en un conte moderne et tragique sur ces hommes qui n’aiment pas les femmes, et dans lequel le plus bestial n’est pas celui qu’on croit…

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