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Adar

Drôle de bouquin, où douze auteurs de la dernière génération, plus ou moins connus, se sont regroupés autour de l’un des plus brillant d’entre eux, Léo Henry, pour revisiter l’univers qu’il avait créé avec le regretté Jacques Mucchielli : Yirminadingrad.

Yirminadingrad est de ces lieux que sait parfois créer la science-fiction, à l’instar de l’Archipel du Rêve de Christopher Priest ou du Vermilion Sands de Ballard. Avec toutefois cette différence que l’on n’a aucune envie d’y aller. À travers cette anthologie, Léo Henry a tenu à partager sa création comme Michael Moorcock l’avait fait du monde de Jerry Cornelius dans La Nature de la catastrophe. Ou, actuellement, Mathieu Gaborit pour son univers d’Ecryme.

Où est Yiminadingrad ? Au centre du monde. Sur des terres naguère encore soviétiques qui furent aussi celle de Tamerlan. Vers le Turkménistan ou à l’ouest de la Caspienne. Stepanakert et Grozny, frappées par la guerre civile m’étaient venues les premières à l’esprit comme modèle de Y. Mais c’est un port sur la Mer Noire, Marioupol, plutôt… Au travers d’Adar, on va parcourir les mythes qui sont l’âme de la cité qui continuera d’exister quoi qu’il advienne tant qu’ils resteront vivaces au cœur d’habitants pourtant eux-mêmes des plus mal en point.

La première nouvelle accroche terriblement avec cette histoire qui d’emblée expose combien Yirminadingrad n’est pas un lieu de tout repos, mais traversée de lignes de forces conflictuelles et mythiques créant autant de zones de tension. Yirminadingrad n’a pas grand-chose à offrir, si ce n’est un espoir vain : un Occidental gay y connaîtra la fatale étreinte du béton frais pour n’avoir pas su entendre les mises en garde de la ville lui murmurant qu’il n’y était point chez lui.

Le puissant texte qu’est « Sur les murs, le visage de ma mère » nous entraîne dans la genèse du mythe où le personnage en quête de sa mère disparue la retrouve partout, incarné en Yirminadingrad dans son besoin d’élaborer une mythologie nouvelle pour se survivre… Rasée, la cité se réimprime en 3D sous l’égide d’une IA copie d’un architecte défunt, mais c’est de plus qu’un simple supplément d’âme dont elle a besoin…

Créée d’après les dessins de Stéphane Perger, qui illustrent chacun des douze textes, dont beaucoup sont racontés, après coup, comme en un Retour SUR Yirminadingrad, cette anthologie collective dont les textes ne sont pas signés individuellement présente une curieuse unité de ton, voire de style, comme autant de pastiches. Ici encore, des auteurs sacrifient au dire plutôt que montrer – non sans bonheur.

Ce livre pourrait bien revêtir quelque importance pour l’avenir du genre dans nos contrées par une résurgence d’un certain formalisme tout en véhiculant quelque chose de la vieille SF politique. Plusieurs textes s’y apparentant davantage à de la poésie en prose qu’à des écrits narratifs, et sont autant de vignettes révélatrices de l’esprit qui imprègne cette ville-univers, seul véritable personnage au cœur de l’anthologie. L’effacement des protagonistes au profit de Y est ce qui permet de dire avec succès, laissant juste entrevoir mais forçant à ressentir jusqu’au fond de ses tripes, combien cet univers est oppressant.

Tout n’est pas parfait, loin s’en faut, mais même les textes les plus anecdotiques contribuent à l’ensemble, conférant sa force à cet univers d’agonie urbaine, de friches industrielles polluées, zones toxiques d’une cartographie de la souffrance, de l’âme comme du corps. Artères désertées par tout fluide vital où ne se croisent plus guère que quelques déshérités et des artistes inspirés par le chaos. Le petit bourgeois s’en est allé sous des cieux meilleurs, abandonnant la ville à ceux qui n’ont pu ou su la quitter à temps… L’entropie règne sur Yirminadingrad, mais ça et là viennent éclore quelques fleurs d’espoir crevant le béton… Un univers que l’on découvrira volontiers au travers des pages d’un livre. Yiminadingrad, ciel lourd, béton froid…

La Reine en jaune

Cinq longues nouvelles et autant de « fragments » constituant une sorte de fil rouge composent ce recueil où Anders Fager nous ouvre les portes d’un Stockholm et d’une Suède où l’horreur s’embusque juste là, au coin de la rue, où on l’attend le moins – un univers glauque et fiévreux découvert, on s’en souvient, avec Les Furies de Borås. Reste que pour ce deuxième recueil, si l’impact est moindre, l’ensemble n’en demeure pas moins accrocheur.

« Le Chef-d’œuvre de mademoiselle Witt » nous ramène cinquante ans en arrière, quand Christopher Priest était un jeune écrivain dynamitant tout qui nous balançait « La Tête et la main » en pleine poire. Anders Fager a beau ajouter une forte dose de stupre au thème, le texte n’a pas la violence radicale de celui de Priest mais se pare d’un certain effet gore. L’écriture offre toutefois des qualités plus que suffisantes pour qu’il soit impossible de lâcher le livre bien que l’on sente vite où l’auteur veut nous mener. On sait, mais on suit…

Si l’on ne meurt pas au quatrième étage de la maison de retraite, l’horreur peut s’y tapir, dissimulées sous l’apparence d’inoffensives mises en scène d’antiques cérémonies.

Un effroi tout lovecraftien peut surgir des eaux baignant l’archipel de Stockholm à l’occasion d’une opération militaire ultrasecrète de chasse au sous-marin russe en cette fin de Guerre froide et ne laisser que mort et folie sur son passage.

Après avoir livré son chef-d’œuvre, My Witt ne pouvait que découvrir l’hospitalité morbide de l’hôpital psychiatrique, haut lieu hermétique de toutes les violences et sadismes qui peuvent s’y donner libre cours, exacerbés par l’impunité dont les auteurs se sentent investis.

Yog-Sothoth est de la partie pour conclure en beauté « Le Voyage de Grand-Mère ». Les petits enfants d’un clan de… de quoi ? Loups garous ? entendent faire traverser la plus grande partie de l’Europe à leur génitrice monstrueuse, crevant de peur et la suintant autour d’eux dans des relents de puanteur indicible que la pluie peine à laver.

Dans ce recueil, on patauge dans la pisse, la merde, le foutre, jusque par-dessus les bottes, à quasiment toutes les pages. Tout le livre exhale l’odeur fade des couches, de l’hospice à l’hôpital psychiatrique. Les odeurs sont là, omniprésentes, conférant au recueil quelque chose du pire ou du meilleur (comme on veut) du Clive Barker des « Livres de Sang ». Le varech et les corps en décomposition donnent un contrepoint olfactif et horrifique rappelant combien Les Furies de Borås empestait plus qu’à souhait le poisson pourri.

Anders Fager questionne les limites et la fusion de l’art et de la pornographie, interroge ces lieux d’enfermement que sont les asiles psychiatriques et les hospices où la société entend circonscrire mort et folie ; il exhibe la peur que des sociétés soi-disant tolérantes et démocratiques engendrent de part et d’autre de la différence, nous entraîne dans les zones d’ombre oppressantes d’un monde étreint par l’angoisse, s’apparentant ici à l’école policière scandinave très en vogue aujourd’hui.

L’horreur selon Anders Fager ne vous glace pas tant les sangs qu’elle vous laisse le cœur au bord des lèvres, mais une chose est certaine : le Suédois sais jouer à merveille de la palette d’effets qu’il s’est choisi. Si vous appréciez la littérature d’horreur scatologique, c’est le livre qu’il vous faut.

Le Prisonnier

S’il devait n’exister qu’une seule série télé culte, ce pourrait bien être Le Prisonnier ! Qui, parmi ceux qui pouvaient regarder la télé à la fin des années 60, ne se souvient de ce générique qui pose toutes les prémices des divers épisodes ? Paranoïaque à souhait, la série brasse l’ensemble des thèmes engendrés par une Guerre froide qui battait alors son plein. Il va sans dire que Le Prisonnier fut une série d’une grande finesse conceptuelle et plutôt subtile.

Quant à Thomas M. Disch, qui nous a tragiquement quittés en 2008, il faisait un constat des plus amer sur le progrès. « Le progrès, disait-il, n’est que ce qui consiste à faire du monde un meilleur piège à rat. » Ce ne sont pas les essais abondant en ce sens qui font défaut. Quand l’individu (c’est devenu un gros mot) devient la proie des techniciens du rêve, existe-t-il encore une réalité ? nous demande la quatrième de couv (édition Presse de la Renaissance, 1977). Partant de là, qui mieux que Thomas Disch, post-dickien fameux s’il en est, qui s’était déjà adonné l’année précédente (1968) à un exercice comparable avec Camp de concentration, pouvait noveliser la série ? Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une novélisation stricto sensu, mais d’une adaptation plutôt scrupuleuse en un seul one-shot qui shunte les inévitables redondances imputables au fait qu’il s’agisse, oui, d’une série. Disch s’en tire haut la main en tenant la gageure d’être à la fois respectueux de la série ET de donner un roman tout à fait personnel.

Le Village apparaît tel un ruban de Mœbius ramenant toujours l’évadé à son point de départ, et les nombreuses tentatives de No6, incarné à l’écran par Patrick McGoohan, pour s’échapper du Village qui servaient de ressort dramatique aux divers épisodes passent largement par pertes et profits pour se concentrer sur le fond, l’essentiel.

D’entrée de jeu, le roman de Disch va au-delà de la série où l’on pouvait au moins tenir pour acquis que no6 était bel et bien prisonnier ; dans le livre, même cela est sujet à caution. On ne cesse de se perdre dans un univers labyrinthique où tout n’est que faux-semblants et jeux de masques et de miroirs, apparaissant aux détours des dialogues ; où les gens (Liora/Lorna) ne sont jamais ce qu’ils paraissent et partagent des souvenirs différents. No6 n’est-il pas No2 ? Parce que le rôle de chef du Village offre davantage d’opportunités de le voir enfin parler ? Dans le livre, les interactions entre les personnages sont davantage les clés des altérations d’identité que la technique abondamment mise à contribution dans la série. Le sort de No6 semble de plus en plus intrinsèquement lié au Village, qui n’existerait que pour lui seul. Ce dernier serait alors, à l’instar du Truman du film Truman Show, l’objet d’une expérience, mais dont il serait à la fois acteur et spectateur, sans autre public.

On ne retrouve guère le caractère parfois emporté, inflexible du No6 de l’écran ; le personnage de Disch est plus souple, défiant l’organisation du Village sur le terrain de la seule intelligence plutôt que de la volonté, au vu et au su de tous, comme dans Camp de concentration ou aux échecs. Est-ce bien le même homme ? Il est vrai (vrai ?) que nous sommes au Village…

On notera aussi que les répliques les plus spécifiques de la série sont édulcorées dans le livre, qui s’éloigne ainsi encore davantage de la pure novélisation.

La série devait énormément à l’esthétique incomparable du Village et de ses résidents, qui lui donne un air théâtral de carnaval permanent, autant de lieux de l’irréel que l’on ne retrouve pas dans le roman. Disch n’est ni Balzac ni même Stephen King pour ce qui est des descriptions, voilà tout. Ce sera là l’unique bémol.

À l’instar de la série, le roman est marqué par son époque. Il date, d’une certaine manière, fruit qu’il est des obsessions de la Guerre froide. Reste un inquiétant roman fort de ses thèmes, qui, pour une fois, est un joli complément à la série télé. À lire, tranquillement, au Village. Bonjour chez vous.

SS-GB

Si vous croyez que l’Allemagne n’a pas envahi l’Angleterre, retournez à vos livres d’Histoire alternative. Après un débarquement réussi et une blitzkrieg victorieuse, la Wehrmacht a contraint le gouvernement britannique à capituler. La perfide Albion est désormais sous le joug allemand, son souverain enfermé à la Tour de Londres et son Premier ministre – « du sang, de la sueur, des larmes, de la souffrance et du labeur » – passé par les armes. À Scotland Yard, dont l’administration a annexé une grande partie des bâtiments, le commissaire principal Douglas Archer, surnommé avant-guerre l’archer du Yard, obéit aux ordres du Gruppenführer SS Kellerman. Archer a le sens de l’État, même s’il ne travaille pas de gaîté de cœur pour l’occupant. Mais il se méfie davantage de ces résistants acharnés dont les actions désordonnées nuisent au retour au calme. Appelé sur une scène de crime, il se trouve mêlé bien malgré lui au jeu de dupes animant les différents cercles du pouvoir nazi. Un jeu rendu encore plus trouble par les États-Unis et les forces de la Résistance britannique.

Publié une première fois en français par les éditions Alire, SS-GB bénéficie d’une salutaire réédition, sans aucun remaniement de la traduction de Jean Rosenthal, chez Denoël dans sa collection « Sueurs froides ». La parution sous un label dédié au thriller ne doit cependant pas perturber l’amateur d’Imaginaire, surtout s’il apprécie l’histoire alternative. Len Deighton œuvre en effet ici dans un registre très proche de celui de Fatherland de Robert Harris. Et si l’uchronie peut paraître secondaire, servant de prétexte à une intrigue d’espionnage, l’auteur britannique lui confère suffisamment de vraisemblance par sa grande connaissance des rouages de l’armée allemande et de l’administration nazie.

On trouve en effet dans SS-GB les deux marottes de Len Deighton. Son goût pour l’Histoire d’abord, le bonhomme est historien militaire, mais aussi une certaine appétence pour le roman d’espionnage. Len Deighton jouit dans ce dernier domaine d’une réputation flatteuse, du moins si l’on se fie à son premier roman, The Ipcress Files, titre ayant fait l’objet d’une adaptation au cinéma (Ipcress, danger immédiat, en 1965), déclinée ensuite en série, avec Michael Caine dans le rôle de l’espion Harry Palmer. Dans SS-GB, l’auteur britannique décrit une Grande-Bretagne occupée assez vraisemblable, focalisant son attention sur la bureaucratie allemande. Le quotidien des citoyens anglais, les pénuries, les ruines engendrées par les bombardements, l’antisémitisme et la ségrégation sont en effet reléguées à l’arrière-plan par Archer. Le commissaire apparaît comme un type de l’ancienne école, endeuillé par la perte de sa femme pendant le Blitz et finalement assez désabusé. Pas au point néanmoins de ressembler à Sam Spade. Il y a encore chez Archer des sursauts d’espoir et un respect obséquieux des conventions que l’on ne trouve pas chez l’Américain.

Dans un décor d’uchronie, Len Deighton pose une intrigue classique de roman d’espionnage, déroulant la quincaillerie habituelle des faux-semblants, du double, voire du triple jeu, histoire de faire monter la paranoïa des personnages et de ferrer le lecteur. Rien de neuf sous le soleil, nous diront les laudateurs de John Le Carré ou de Eric Ambler. Pour preuve, il suffit de remplacer les SS, la Wehrmacht, la Résistance et les États-Unis par le KGB, la CIA, quelques transfuges et autres opposants clandestins pour retrouver une atmosphère qui ne dépareillerait pas à l’époque de la Guerre froide.

En dépit de cette impression de déjà-vu, SS-GB n’en demeure pas moins un roman efficace et astucieux, proposant une version alternative de l’après-guerre crédible. Bref, de la belle ouvrage pour l’amateur de suspense, auquel la BBC va offrir une adaptation sous forme de série à la télévision.

Scintillements

Scintillements a de quoi réjouir l’amateur d’Ayerdhal, du moins s’il a une âme de complétiste. L’ouvrage a en effet le mérite de rassembler toutes les nouvelles de l’auteur, des textes parus sur différents supports de manière éparpillée, et d’y ajouter dix textes inédits. Publié au Diable vauvert, devenus au fil du temps l’éditeur de cœur de l’auteur, Scintillements s’enrichit aussi d’une courte préface de Pierre Bordage et d’un assortiment d’interviews, notamment celle menée de main de maître par Richard Comballot pour le recueil Voix du futur. Bref, on ne peut pas reprocher à l’éditeur languedocien d’avoir bâclé son travail.

On ne se livrera pas ici, bien sûr, à une recension de l’ouvrage : quarante textes, la tâche risquerait de devenir vite lassante, voire rébarbative, et ce ne serait pas rendre justice à l’auteur, décédé il y a maintenant plus d’un an. Il suffit juste de savoir qu’on y trouve un condensé de ses thématiques préférées et de son intérêt pour l’éthique, les technosciences, le féminisme, le pouvoir, la liberté et l’anticonformisme. Que les éventuels curieux apprennent quand même que Scintillements propose de la rareté, notamment « Mat, mat, mat », la première nouvelle d’Ayerdhal, écrite avec son frère, pas forcément indispensable mais en mesure de flatter le collectionneur sommeillant dans chaque fan. Le recueil compte aussi son lot de textes anodins et inoffensifs, vites écrits autour d’une thématique pour satisfaire un dossier spécial dans la presse ou une plaquette promotionnelle pour une exposition. On y trouve des pastiches (« Le Réveil du croco » et « Les Seigneurs de la firme ») et des hommages (« RCW »), exercices de style codifiés dont Ayerdhal parvient à se dépêtrer en instillant ses préoccupations et son humour, parfois iconoclaste. Scintillements offre surtout l’essentiel, l’indispensable, le cœur de l’œuvre d’Ayerdhal, à savoir l’univers de l’Homéocratie (« Pollinisation » et « Scintillements »), décliné par ailleurs dans plusieurs de ses romans, sans oublier quelques-unes de ses plus grandes réussites dans le domaine de la nouvelle (« Éloge du déficit » ou l’inédit « Le Syndrome de Potemkine »), format dans lequel il ne se sentait pourtant guère à l’aise.

Ainsi, entre anticipation légère et space opera ébouriffant, exercice de style et spéculation, utopie et engagement politique, critique sociétale et sense of wonder, Scintillements propose un panorama salutaire de la carrière d’un écrivain au caractère entier, un tantinet râleur, ne négligeant aucun des aspects de son œuvre. Un auteur qui, à l’instar de Roland C. Wagner, manque cruellement au paysage de la science-fiction française.

On attend maintenant la parution de Kwak, ultime volet du « Cycle de Cybione », annoncé au Diable vauvert pour une date indéterminée.

Mes vrais enfants

Voici que nous revient Jo Walton, auteur bien connu des Bifrostiens depuis la trilogie du « Subtil changement », et avant cela par la parution de Morwenna, saluée par de nombreux prix (Hugo, Nebula et British Fantasy Award) : elle nous livre ici un roman où se mêlent uchronie, réflexion féministe et engagement de l’individu dans l’histoire du monde à travers des récits de vie.

Récits d’une vie, très exactement, qui suit deux voies bien différentes dans deux mondes qui ne le sont pas moins, à partir d’un choix initial et crucial. Qui est Patricia ? Elle ne le sait plus elle-même, perdue dans les vertiges de l’oubli dont la frappe la maladie d’Alzheimer. Dans sa chambre de l’institut médicalisé qui l’héberge, ses souvenirs sont confus : comment s’appelle-t-elle ? Patricia ? Pat ? Tricia ? Trish ? Combien d’enfants a-t-elle ? Comment s’appellent-ils ? A-t-elle été mariée ? Ou bien a-t-elle partagé ses jours en union libre avec une femme ? A-t-elle vécu une douloureuse existence de femme au foyer dans une société anglaise conformiste, au sein d’un monde en paix, mais où la femme est opprimée ? Ou bien s’est-elle émancipée pour vivre de sa plume, partageant ses jours entre l’Angleterre et l’Italie, dans un monde divisé entre deux blocs qui s’agressent en de macabres escarmouches à coup de bombes nucléaires ? Plus qu’ils ne s’estompent, ses souvenirs semblent suivre deux voies parallèles, deux vies radicalement autres qui ont bifurqué le jour où l’homme qu’elle a rencontré et croit aimer lui demande de l’épouser. Elle répond oui. Elle répond non. Et le lecteur suit au rythme de chapitres alternés cette double vie d’une même femme qui finit par se réunir un soir de pleine lune dans une chambre aseptisée, aux portes de la mort.

Il ne s’agit pas simplement pour Jo Walton de se livrer à l’exercice, un peu convenu, du What if, qui permet d’explorer les mondes parallèles dans les méandres desquels on peut suivre nombre d’auteurs, guidés, par exemple, par un Pierre Bayard (Il existe d’autres mondes, éd. de Minuit, 2014)… Une seule décision peut changer radicalement une existence, mais si, tel un battement d’ailes de papillon, elle changeait aussi radicalement l’histoire de notre planète ? Comme si la vie d’une femme, ses conditions, ses esclavages, ses révoltes conditionnaient l’histoire du monde, des deux mondes ici dépeints, qui sont à la fois le nôtre et tout autres. C’est alors au prisme des possibles de la vie amoureuse – mariage, union homosexuelle, procréation assistée, union libre à deux ou trois, autant de choix responsables qui nous en gagent vis-à-vis d’autrui, de la société et de l’humanité –, au prisme du cœur de l’individu que l’on voit se faire l’Histoire avec sa grande hache, comme disait Perec…

Les lecteurs familiers de Jo Walton retrouveront donc le plaisir de l’uchronie bien ourdie et le sens de l’intime qui caractérise ses écrits et lui permet de délivrer sans émotion surjouée le récit d’une vie double qui se questionne au moment de s’éteindre.

Nous retrouverons très bientôt Jo Walton dans un tout autre registre, puisque, paraît-il, son roman pseudo-victorien qui met en scène une famille de dragons, Tooth and Claw, est en cours de traduction…

Latium

Dans un avenir très lointain, après la terrible Hécatombe, la race des hommes a disparu… mais point la conscience, incarnée dans de gigantesques vaisseaux spatiaux où se mêlent l’organique et le technologique. Ces nefs, qui symboliquement portent en elles la conscience comme la sainte Arche le sang du Christ, survivent, solitaires dans le froid interstellaire, sans former de société, plongées dans un sommeil éternel dont seule les tirera la menace avérée d’une invasion extraterrestre contre laquelle, pourtant, elles ne peuvent rien faire, leur programmation les en empêchant. Le roman s’ouvre sur un morceau de bravoure qui met en scène le réveil de l’une de ces entités, Plautine, en égrenant un à un les différents niveaux de conscience qui se succèdent, s’enchevêtrent, s’annihilent pour laisser place finalement à cette supraconscience qui est celle de cet être vaste comme une métropole et dont la peau est une carapace métallique – et sensible ! – bombardée par les flux ioniques du vide sidéral. Mais Plautine est bien sûr une héroïne, elle n’est pas tout à fait comme les autres nefs, et elle survit, habitée par l’espoir d’un retour de l’Homme. Elle devra faire face aux projets belliqueux de son ancien allié, le proconsul Othon, et affronter les homme-chiens qui forment un peuple en voie d’évolution…

Les aficionados d’un Dan Simmons – dont votre serviteur – y trouveront leur compte : d’abord, et cela saute aux yeux, par un art de la narration qui sait en de courts épisodes subtilement cousus les uns aux autres promener le lecteur aux quatre coins de l’univers, ménageant un suspense de qualité : impossible de s’ennuyer dans un tel page-turner. On y retrouve également la même prégnance de grandes questions comme le devenir de l’humanité après un holocauste, les manipulations génétiques et ses dérives eugénistes, l’émergence de nouvelles consciences appuyée par une technologie qui ne connaît plus guère de limites et, in fine et paradoxalement, celle d’une humanité rénovée, plus humaine, en quelque sorte.

Mais ce n’est pas tout : on retrouve aussi un même amour d’une culture classique et de la « grande » littérature qui sert de substrat à l’écriture et à l’imagination. Si vous avez aimé, par exemple, la façon dont le théâtre shakespearien peut se mêler aux mythes antiques, à l’épopée et au space opera dans Ilium et Olympos, vous ne serez pas dépaysé car vous retrouverez dans ces deux romans le même art de la contamination des genres : on retrouve le subtil exotisme des réalités antiques, fort bien maîtrisé. Vous n’avez pas d’agrégation de lettres classiques et craignez d’être laissé sur le bord du chemin ? Pas de panique : quelques notes synthétiques disséminées au fil des pages vous expliqueront les points les plus importants. Mais, avant toute chose, on y sent cet amour des textes qui est la marque des grands écrivains. Première influence et non des moindres, le théâtre classique français, et plus spécialement une tragédie, un peu oubliée, de Pierre Corneille, Othon : on retrouve dans le diptyque de Romain Lucazeau les deux protagonistes, le personnage éponyme et Plautine, mais aussi un empire bien malmené qui ne sait se trouver de leadership – Othon est un des quatre empereurs qui se sont succédés en une même année à Rome (68-69 ap. J.-C.). Tragédie de la crise du pouvoir mais aussi d’une humanité vieille et affaiblie, la pièce de Corneille donne les grands thèmes du roman. Point nouveau par rapport à la SF de Dan Simmons peut-être : la place laissée à la philosophie, en l’occurrence la monadologie de Leibniz, et cette différence confère à l’ensemble une intelligence particulière qui vous dépayse. Corneille, dit-on, peignait les hommes tels qu’ils devraient être : Romain Lucazeau nous rappelle ici que la science-fiction sait le faire aussi ! Et dire qu’il s’agit d’un premier roman…

Cérès et Vesta

Cérès et Vesta, les deux plus gros astéroïdes de la Ceinture, entre Mars et Jupiter. Vesta est un gros rocher, Cérès une boule de glace. Chacun est riche de ce dont l’autre manque ; chacun doit donc échanger pour pouvoir exister. Différentes géologiquement, les deux entités le sont aussi sur le plan politique. Alors que Cérès abrite une société libérale et tolérante, Vesta, qui l’a aussi longtemps été, a cédé depuis à un populisme revanchard et anti-intellectuel qui martèle comme une évidence l’existence d’une dette fondatrice qu’aurait une partie de la population envers les autres parties. Le trouble agite Vesta, entre tensions « racistes », « terrorisme » à bas bruit, contestation de la discrimination, ou soumission à celle-ci dans l’espoir d’un solde de tout compte. Rien d’étonnant alors si des milliers de réfugiés fuient Vesta pour Cérès, un voyage de plusieurs années, long et dangereux, qui emprunte les mêmes voies de communication que le commerce interastéroïde. Sur Cérès, on accueille bien volontiers ces réfugiés, même si on les connaît peu. Le temps et la bonne volonté permettent de donner nom et visage à ceux qui n’avaient qu’un statut. Mais voilà qu’un jour, Vesta, pour récupérer des ennemis politiques embarqués sur un vaisseau à destination de Cérès, menace de provoquer la mort de tous les réfugiés en transit, bien plus nombreux. Bluff ou pas ? Et si c’est vrai, que faire ? Comment choisir entre les 4000 et les 800 ?

Avec ce texte, finaliste aux prix Sturgeon et Hugo 2015, Egan ne peut pas être davantage dans l’actualité. La ressemblance entre la situation décrite au-dessus et celle de notre monde est criante. C’est donc un texte politique que livre Egan, auteur originaire d’un pays qui gère par l’éloignement son problème de réfugiés. Il pourra peut-être ainsi toucher des lecteurs qui ne liraient pas de textes contemporains sur la question et montrer que la SF prend position dans le débat public.

Egan remet aussi au goût du jour un classique de l’éthique : le dilemme du tramway. Il se formule ainsi : si un tramway n’a que deux choix, continuer sur sa voie et écraser dix hommes, ou dévier pour aller sur une autre voie où ne se trouve qu’un seul homme, que doit faire le conducteur ? Expérience de pensée qui est motif à discussions sans fin (et qui revient en force avec les choix que devront faire les voitures autonomes), le dilemme a une solution utilitariste simple : mieux vaut tuer un que dix. Il se raffine à l’infini si on suppose des individus de valeurs différentes, la première des questions étant celle de la possibilité d’une évaluation éthique de la valeur individuelle, et met en évidence les apories d’une pensée utilitariste pure. C’est à ce dilemme qu’est confrontée Anna, responsable du port de Cérès, en raison du chantage exercé par les Vestiens. S’y mêle l’incertitude sur la réalité de la menace et les propres sentiments d’Anna à l’endroit des réfugiés vestians. Nul n’aimerait être à sa place ; il faudra pourtant décider…

Ce texte riche est, comme toujours chez le brillant Greg Egan, une vraie nourriture pour l’esprit. On pourra néanmoins regretter que les personnages n’aient pas plus de temps pour prendre chair, en dépit de tentatives méritoires de l’auteur pour aller dans ce sens. Il y manque quelques pages.

En compagnie des robots

En compagnie des robots est issu d’un débat organisé à la Gaîté Lyrique en novembre 2015. Co-animé par Olivier Tesquet, journaliste pour Télérama, et Amélie Petit, cofondatrice des éditions Premier Parallèle, ledit débat réunissait Alain Bensoussan, avocat et fondateur de l’Association du Droit des Robots, Yannis Constantinidès, professeur d’éthique médicale, Jean-Gabriel Ganascia, professeur de sciences informatiques. Le débat était enrichi d’une intervention enregistrée par Kate Darling, chercheuse au Massachusetts Institute of Technology. Sur le plateau se trouvaient présentés le phoque Paro, robot émotionnel interactif thérapeutique, Milo, robot humanoïde au visage capable de simuler des expressions humaines, et Nao, robot avec lequel il est possible d’avoir une conversation – parfois difficile, comme le démontre Alain Bensoussan dans un dialogue chargé d’incompréhension. Une captation de la rencontre est disponible sur le site de la Gaîté Lyrique. L’essai propose une retranscription de l’intégralité des échanges, enrichie de la traduction d’un article de Kate Darling et d’une (excellente) nouvelle de John McCarthy, un des pionniers de l’intelligence artificielle. Les robots sont spécifiquement fabriqués pour provoquer de l’empathie : leur apparence projette une ressemblance humaine. À partir de cette notion d’empathie sont examinées de nombreuses interrogations sur la définition du robot (robot de compagnie, objet transitionnel, « doudou » technologique ?), ses capacités décisionnelles potentielles et sur les implications sociétales qui en découlent au regard de la philosophie (quelle éthique convient-il d’adopter face à ces objets sociaux ?) et, surtout, du droit. Il ne s’agit pas seulement de protéger les robots – en ont-ils d’ailleurs besoin ? Poser un cadre juridique permet de préserver l’humain. Sur qui faire peser la responsabilité des actes d’une machine ? Le propriétaire, l’utilisateur ou le concepteur de l’algorithme ? Comment sont exploitées les données collectées et comment protéger la vie privée de l’utilisateur ? Dans « L’Histoire du robot et du bébé », John McCarthy imagine des robots conçus pour que l’homme ne s’y attache pas, dans un futur où tout est automatisé, interconnecté et virtualisé, mais où domine la crainte de séquelles psychologiques d’une affection pour les robots. La programmation de ces derniers réduit leur capacité d’intervention auprès des humains et leur interdit de provoquer de l’empathie. Quand une mère célibataire, droguée et alcoolique, laisse son bébé mourir de faim, son robot domestique se retrouve face à une série de contradictions et d’interdits qu’il lui faut dépasser. Le texte explore les questions posées par l’interaction entre les humains et les robots. En compagnie des robots confronte les points de vue (avec certaines redondances), nous incite à la réflexion. Pertinent.

Drone Land

Le meurtre d’un homme politique, c’est toujours une source d’ennuis en cascades pour les enquêteurs. Alors quand un député européen se fait exécuter en pleine cambrousse, au milieu de nulle part, le commissaire Westerhuizen a une certitude : la journée commence mal. Il va lui falloir trouver le pourquoi du comment, et vite. Très vite. Heureusement pour lui, dans cette Europe futuriste, la police dispose d’un arsenal à faire pâlir d’envie les Experts et autres représentants télévisuels de l’ordre. Imaginez les réseaux de caméras de Nice ou de Londres à la puissance mille. Ajoutez toutes les bases de données connectées et accessibles. Entourez l’équipe technique de colibris et autres drones bardés de capteurs de tous ordres pour obtenir une image parfaite du cadavre et des alentours. Mélangez et confiez tout cela à une IA aux capacités de traitement faramineuses. Adjoignez-lui une analyste chargée d’apporter la petite touche imprévisible de l’humain. Que demander de plus ? Le commissaire peut accéder à cette mine d’informations en temps réel grâce à ses specs (les bonnes vieilles lunettes des films de SF, avec tout plein de trucs s’affichant partout). Et une fois revenu au bureau, grâce au mirrorspace, il lui est possible de s’immerger totalement dans la scène de crime, s’y promener et même, comble du raffinement, remonter le temps : donc, assister au meurtre. Sauf que… le député Pazzi a eu la fâcheuse idée de se faire tuer dans un coin si reculé, si oublié de tous, que les images recueillies sont insuffisantes. On peut faire des hypothèses, bien sûr, mais rien de probant. Le supérieur de Westerhuizen va donc lui donner encore davantage de moyens : l’accès à une nouvelle version de l’IA, plus autonome et, logiquement, plus efficace. Mais…

Cadavre d’une personnalité, politiques intègres ou pourris jusqu’à la moelle, hommes d’affaires corrupteurs ou vertueux, complots, trahisons. Tous les ingrédients d’un polar poisseux se retrouvent dans Drone Land. En elle-même, l’intrigue n’est pas d’une folle originalité. Mais Tom Hillenbrand sait jouer avec les clichés du genre. Il entraine son lecteur dans les méandres d’une Europe gangrenée par les affaires, les lobbys, la cupidité et l’ambition démesurée. Où les progrès scientifiques sont sources aussi bien de confort accru que de manipulation. Et il réussit à intégrer avec un parfait naturel tout son univers technologique à son histoire : on ne doute pas un instant de la crédibilité de ces inventions, de leur présence possible dans notre quotidien. Le monde où évolue Westerhuisen y gagne une densité incroyable, et même un réalisme inquiétant. Pas sûr que cela donne envie à certains électeurs de s’impliquer pour l’Europe ! Mais un paquet de bonnes raisons de se jeter sur Drone Land.

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