Connexion

Actualités

La Montagne aux licornes

Enfin ! Enfin un nouveau roman de Michael Bishop nous arrive, et c’est un événement. Car cet auteur très rare en France (jugé peu vendeur) est toujours intéressant, et ce n’est pas La Montagne aux licornes, paru en 1988 et traduit ce jour, qui démentira ce constat.

Libby s’occupe d’une petite ferme dans le Colorado, aidée par un indien ute muache, Sam. Quand elle apprend que Bo, le cousin de son ex-mari, est at­teint du sida – et donc condamné, car il n’existe alors aucun traitement, ce qui inscrit ferme­ment ce roman dans sa période d’écriture –, elle décide de l’accueillir chez elle, d’autant plus que Bo est maltraité par sa famille incapable de comprendre son homosexualité. Un nouveau venu, donc, auquel elle aura du mal à cacher son secret : des licornes résident sur les hauteurs des montagnes avoisinant sa ferme, où elles traversent régulièrement une porte vers un autre monde. Parmi les protagonistes, on citera également Alma/Paisley, la fille de Sam, tiraillée entre ses origines indiennes et latino, et promise à un rôle de sorcière pour les utes.

Les éléments réunis par Bishop – les licor­nes, le sida et plus généralement la maladie, qui touche aussi ici les animaux fabuleux, la communauté ute muache – sont si disparates qu’on a du mal à savoir dans quelle direction va aller le récit. Ce qui n’empêche pas la magie de fonctionner, tant Bishop excelle à dresser des portraits d’êtres humains blasés ou épuisés – voire désespérés, dans le cas de Bo –, mais qui continuent de se battre pour insuffler vie et espoir dans leur existence. Leurs interactions, parfois tendues, parfois tendres, toujours teintées d’humour, sont finement décrites, et font la force de ce roman dont le matériau principal est l’humain, ses failles mais aussi sa générosité ou son altruisme. Au milieu de ces personnages, les licornes vont faire office de ré­vélateur, ajoutant une coloration de fantasy au précipité savamment concocté par Bishop ; on y croise aussi quelques fantômes. Plus qu’à une histoire ayant un début et une fin – ou même une explication à la présence de licornes et d’un univers parallèle –, l’auteur propose une tranche de vie des plus immersives où quel­ques trouvailles (la publicité pour les préservatifs, la ruée des licornes…) viennent dynamiser la ruralité tranquille qui caractérise la vie de Libby et Sam.

Signalons pour finir que cet indispensable roman est publié dans la nouvelle collection « Le Bateau-Feu », présentée par l’éditeur bordelais « sous le signe du réalisme magique, du surréalisme et du fantastique social », collection qui, pour son démarrage, propose aussi des reprises de novellas de Rhys Hughes et Jack Cady parues dans Fiction, et un texte de Pierre Dubois. Pour notre part, on espère que cette collection — ou une autre – saura nous proposer d’autres romans de Bishop restés injustement inédits.

Darwyne

Darwyne vit tout là-haut, à Bois Sec, au-dessus de la ville, la vraie, avec ses rues goudronnées, sa climatisation et son réseau EDF sur lequel les gens d’ici se greffent comme ils peuvent en toute illégalité. Un bi­donville, en somme, manière de trait d’union entre la civilisation et la jungle qui l’enserre de partout, ersatz d’urbanisation écrasé de chaleur, noyé par les pluies tropicales, où on survit plus qu’on ne vit, dans la promiscuité et sous les tôles ondulées, dans l’espoir d’un titre de séjour qui ne viendra jamais. Darwyne a sa mère. Qu’il vénère. Aussi belle que lui est laid, aussi grande qu’il est minuscule, contrefait, et qui l’emmène à la messe, parce que la foi, c’est tout ce qu’elle possède. Et sa grande sœur, qui a quitté Bois Sec pour la banlieue et un appartement, un vrai, la fierté de la mère, la preuve qu’a­près tout, quitter ce cloaque n’est pas qu’un rêve insensé. Et puis il y a ses beaux-pères, que Dar­wyne numérote à mesure qu’ils se succèdent, ces types souvent violents, perdus, qu’il déteste non pas parce qu’ils le battent, mais parce qu’ils lui soustraient sa mère. Et enfin il y a cette édu­catrice des services sociaux. Mathurine. Qui tourne autour de tout ce petit monde. Questionne la mère et bientôt lui, Darwyne. Mathurine lui dit des choses étranges, des choses qu’on ne lui a jamais dites. Lui répète qu’il n’est pas « un sale petit pian dégueulasse bon qu’à faire honte à sa mère ». Qu’il est même un enfant exceptionnel, littéralement. Que sa connaissance intuitive du monde animal est fascinante et qu’elle fait de lui un être remarquable. Car quand Darwyne se retrouve seul au cœur de la jungle, là où il se réfugie quand le monde des hommes lui fait défaut, par-delà la misère de Bois Sec et son humanité brutale, mesquine, aveugle, il se passe quelque-chose

Ingénieur agronome de formation (il fut notamment chargé de mission pour le parc amazonien de Guyane, et directeur adjoint du parc national de Guadeloupe), Colin Niel s’est découvert sur le tard une vocation littéraire teintée de polar. Tant mieux, pour lui comme pour nous. Bardée de prix, son œuvre rencontre un succès critique et public im­médiat et mérité, notamment sa « série guyanaise », dont Obia, le 3e opus (sur quatre), rafle les prix Quai du Polar, 20 Minutes et Michel Lebrun. En 2019, son excellent ro­man Seules les bê­tes est porté à l’écran, non sans réussite, par Dominik Moll. A­près une incartade en Afrique (au moins partielle) avec Entre fauves (2020), il retrouve ici ses terres guyanaises de prédilection, quand bien même la géographie dans laquelle s’inscrit le présent roman demeure volontairement assez floue. Co­lin Niel excelle dans la mise en rapport entre l’humain et la na­ture qui l’entoure, qu’il l’aime ou qu’il la détruise, qu’il en fasse un refuge ou une force à combattre. Avec cette première in­cursion dans le registre d’un fan­­tastique teinté de magie plus que de polar, il fait de cette ambivalence l’un de ses moteurs nar­ratifs, l’autre étant les rapports filiaux et l’amour éperdu d’un fils pour une mère inapte à lui rendre cet élan. En résulte un livre poignant mais jamais grandiloquent, brutal mais ja­mais complaisant, une ode à la différence et au respect, du monde qui nous entoure, de l’autre, de soi-même… Un bien beau livre.

Body Snatchers - L'invasion des profanateurs

1976, Mill Valley, charmante petite ville de Californie qui semble tout droit sortie de 1955, l’âge d’or américain. Becky Driscoll obtient de Miles Bennell, médecin généraliste, qu’il rende visite à sa cousine Wilma. Celle-ci est persuadée que l’oncle Ira n’est plus lui. Très vite, d’autres habitants affirment qu’il en va de mê­me pour leurs proches. Miles consulte son ami Manfred Kauf­man, thérapeute réputé, qui diagnostique l’illusion collective en se basant sur de solides pré­cédents. Un soir, l’écrivain Jack Belicec presse Miles et Becky de se rendre chez lui. Il a dé­couvert un corps au sous-sol, d’apparence humaine mais qui ne semble pas plus mort que vivant, et ne présente aucune empreinte digitale. La contagion de Mill Valley n’est pas hystérique mais bien réelle, l’invasion des cosses a déjà commencé…

Réglons tout de suite l’affaire, Body Snat­chers est un chef-d’œuvre, indispensable de nos bibliothèques. Il a donné lieu, entre autres, à deux adaptations magistrales au cinéma, celle de Don Siegel en 1956, puis de Philip Kaufman en 1978, liées d’ailleurs par un subtil crossover. L’édition ici proposée, celle révisée par Jack Finney et parue en 1978, s’accompagne d’une belle et éclairante postface de Sam Azulys qui ajoute au bonheur de lecture. Nous y renvoyons donc pour l’historique de l’œuvre et ses adaptations.

Qu’est-ce qui fait de ce roman un classique ? Lorsque Finney l’écrit, l’envahisseur végétal issu de l’espace est, en science-fiction, une thématique secondaire mais déjà installée. Sans remonter à H. G. Wells et l’algue rouge deLa Guerre des mondes, il suffit d’évoquer Le Jour des Triffides de John Wyndham, paru quatre ans avant la première parution de Body Snatchers. Finney présente un même souci de vraisemblance dans la description organique, à ce point riche d’ailleurs que l’on en oublie certaines caracté­ristiques : des spores, répandus dans une dé­charge, dupliquent dans un premier temps tout ce qui leur tombe sous la cosse, le vivant mais aussi des objets inanimés, manche de bois ou jus de fruit.

Par ailleurs, l’infra-envahisseur est également un genre éprouvé. Dès 1938, La Chose de John W. Campbell confère à la créature des propriétés métamorphiques : «  Un monde à prendre – à condition qu’elle nous copie ! » (parution en « Une Heure-Lumière », critique dans Bifrost n° 101). Marionnettes humaines, de Robert A. Hein­lein, développe en 1951 la notion pragmatique d’hôte. Ajoutons pour 1953 L’Homme démoli, d’Alfred Bester, avec l’idée d’une surveillance continuelle de l’être intérieur et, l’année d’après, « Le Père truqué », nouvelle de Philip K. Dick dans laquelle un petit garçon est convaincu que son père a laissé place à un sosie malfaisant. Or 1953 est aussi l’année où Chris­tine Costner Sizemore, discrète mère au foyer de vingt-six ans, est diagnostiquée comme schizophrène à personnalités multiples par les docteurs Corbett H. Thigpen et Hervey M. Cleckley, ce dernier ayant par ailleurs fixé les critères de la psychopathie. Une première dans l’histoire de la psychiatrie, Sizemore et ses médecins prouvent l’inadmissible : l’Américain moyen est plusieurs.

Ce qui fait de Body Snat­chers un classique indémoda­ble est à la fois sa vraisemblance et son pouvoir métaphori­que. La vraisemblance est un magistral effet littéraire totalement contre-intuitif et qui prend à re­bours le lecteur. C’est parce que l’oncle Ira est en tout point lui, jusqu’à une petite cicatrice sur la nuque, qu’il est une parfaite du­plication. La preuve, rien n’a changé, c’est donc qu’il est autre. Les copies con­servent la mémoire et les habitudes de leurs modèles, mais débarrassées des tracas sen­timentaux et des aspirations vaines, comme l’ambition et l’orgueil.

Quant au pouvoir métaphorique du roman, il se dévoile dans son contexte original de parution, les années cinquante. Effet d’une époque, le récit autorise une double lecture : la contamination de la population américaine par des agents soviétiques infiltrés, ou la persécution induite par les effets résiduels du Maccarthysme finissant. Les doubles négligent leurs pelouses et la peinture des façades, attaque discrète mais virulente de Finney envers l’American way of life. C’est en devenant terne que l’Amérique demeurera à tout prix. L’auteur s’est toujours défendu d’avoir proposé une visée politique, ce qu’il soutient encore tardivement dans une correspondance échangée avec Stephen King et en partie rapportée dans Anatomie de l’horreur. Reste que la métaphore permet pareilles lectures, et occasionne dans tous les cas une sévère paranoïa.

D’ailleurs Jack Finney joue habilement de la dissociation par effets opposés. Le médecin généraliste local est une figure littéraire typiquement américaine, un véritable outil narratif qui permet de se déplacer aisément en tous lieux de la ville. On est en terrain connu, mais en même temps Miles et Becky sont tous deux divorcés, ce qui les situe d’entrée dans la marge. C’est leur différence qui leur permet de rester identiques.

La culture américaine, si policée d’apparence, présente une non-concordance entre l’être et le paraître, l’apparence et l’intention. En ce sens, la version Body Snatchers de 1978, qui demeure très fifties, conserve cependant toute sa pertinence, à l’ère post Viêt-Nam et Watergate. Et elle demeure d’une étonnante actualité, en un temps du questionnement multiple des identités et, dans une triste et chaude actualité aux États-Unis, de la naissance à tout prix. La vie est une valeur en soi, les cosses ne diraient pas autrement…

L’ennui, avec le Body Snatchers de Jack Finney, est qu’il a toujours raison. C’est aussi sa force.

Le Voleur (La Maison des jeux T.2)

Deuxième volet de la trilogie de « La Mai­son des Jeux », Le Voleur nous emporte dans la Thaïlande de 1938. Après Thene, la joueuse du Serpent (cf. Bifrost n° 106), c’est au tour d’un certain Remy Burke, anglo-français « bon joueur, quoique sans éclat », d’être au centre de l’histoire. Provoqué par un adversaire aussi retors qu’ambitieux, il se retrouve embarqué dans une partie de cache-cache restreinte aux frontières du pays. Une fois qu’il aura été trouvé et touché par son adversaire, les rôles s’inverseront. Les enjeux sont énormes pour Remy, qui a misé une partie essentielle de lui-même. Le compte à rebours est lancé.

Alors que le Serpent se concentrait dans les canaux et ruelles de Venise, le gros du Voleur prend place dans la jungle, car Remy doit fuir, se cacher, toujours avancer, ses en­nemis sans cesse sur ses talons. La tension du héros, en véritable bête traquée, est admi­rablement rendue. L’ambiance est paranoïa­que à souhait car, en raison de son allure même, Remy Burke ne peut guère passer inaperçu dans les campagnes thaïlandaises. D’autant que son adversaire semble doté d’une main bien plus avantageuse que la sienne ; n’importe qui peut en un claquement de lan­gue trahir la position du pauvre Remy auprès d’un atout jouant pour l’autre camp. Les dés seraient-ils pipés ? Pourquoi les arbitres de la Maison des Jeux ne sont-ils pas intervenus ? Quels sont les intérêts en jeu ? Remy, au-delà de sa fuite éperdue, de­vra trouver des réponses…

Dans un premier temps, les réflexions, délicieuses, sur le concept de jeu qui parsemaient Le Serpent, se font rares, laissant place à des pensées sur la prière ou la rédemption. Mais le plaisir du jeu est trop fort, et à mesure des pérégrinations du héros traqué, les narrateurs, qui nous convient à leur table, régalent à nouveau le lecteur en détaillant les vertus tentaculaires du jeu.

À mesure que l’histoire avance, rendant visibles de nouveaux segments de cette énigmatique Maison des Jeux, des pans entiers de mystère se déploient, interrogeant les limites – pour peu qu’il y en ait – de cette organi­sation secrète défiant le temps et l’espace.

Quarante-quatre chapitres pour le premier tome, quarante-trois pour celui-ci. Le troisième, Le Maître (qui paraîtra en janvier 2023), en comportera-t-il quarante-deux, nombre emblé­matique s’il en est ? Ce n’est là qu’une question anecdotique parmi toutes celles qui attendent le lecteur.

Voilà une lecture fort réjouissante, et qui prépare un final que l’on espère aussi délectable.

Sorrowland

Après L’Incivilité des fantômes (cf. Bifrost n° 98) et Les Abysses (cf. Bifrost n° 100), les Forges de Vulcain continuent la traduction en français de l’œuvre de Rivers Solomon avec Sorrowland, nouvelle plongée dans les interstices de l’histoire états-unienne. Le préambule rend ainsi hommage aux premières Nations concernées par les territoires où l’action va se dérouler.

Vern, adolescente africaine-américaine, s’échappe de la secte dans laquelle elle a grandi, les Enfants de Caïn, dans laquelle tout est fait pour se protéger des « diables blancs » – une sorte de Nation of Islam mais version chrétienne. Chaque membre y est nommé selon une auguste figure de l’histoire noire des États-Unis. Les références et clins d’œil historiques sont nombreux, des quarante acres du Domaine Béni des Caïniens jusqu’au choix du nom de cette secte, sorte de pied de nez à Cham, fils de Noé, dont la descendance déclarée maudite permis de justifier d’un point de vue religieux la traite négrière.

Vern, enceinte du révérend au moment de la fuite, va accoucher de jumeaux dans la forêt. Traquée, elle y apprend la survie à ses deux enfants, faisant fi des conventions de genre. Le danger plane en permanence, alors que le corps de l’adolescente subit des transformations, des altérations qui l’interrogent. Serait-ce l’influence néfaste et protéiforme de la secte qui se perpétuerait ? Déterminée à protéger ses enfants autant qu’à découvrir la vérité sur le mal qui l’afflige ou la réalité derrière la façade des Enfants de Caïn, Vern quitte finalement cette forêt, en quête de réponses, dans un périlleux et rocambolesque road-trip.

Les scènes de vie quotidienne font place à des scènes d’actions, entrecoupés de cauchemars plus vrais que nature. Du body horror sur fond de paranoïa et d’hallucinations, mais aussi d’une critique acerbe tant du patriarcat que de l’impérialisme interne des États-Unis. L’évolution de l’histoire est assez inattendue et malgré quelques passages un peu plus en-deçà, le roman se laisse lire avec plaisir – entrecoupé de frissons.

Rivers Solomon s’est fait une place dans les littératures de l’Imaginaire avec ses deux premiers romans, et tout en continuant d’explorer les thèmes qui lui sont chers, signe un nouveau texte plein de tripes, de colères mais aussi d’espoirs.

La Révolte d'Ardathia

L’Apprentie est une jeune maison d’édition bordelaise, sorte d’éditeur école qui offre aux étudiants se destinant au métier l’opportunité de se faire les dents et qui semble pour l’heure se vouer à un travail patrimonial. Leur catalogue, bien qu’encore succinct, compte quelques noms qui parleront aux amateurs d’imaginaire ou de littérature populaire : Edith Wharton, Gaston Leroux ou Maurice Leblanc. L’initiative qui mérite que l’on s’y intéresse.

Pour cette livraison de printemps, L’Apprentie a exhumé l’auteur américain Francis Flagg (1898-1946), de son vrai nom Henry George Weiss, qui fut parmi les premiers à publier de la science-fiction – que l’on appelait encore scientitfiction –, dans les pages du tout premier magasine dédié à notre genre de prédilection, Amazing Stories, tout juste lancé par Hugo Gernsback.

Ce livre reprend les deux récits que Francis Flagg a consacré à l’univers d’Ardathia : « Les Cités d’Ardathia » (mars 1932) et « L’Homme-Machine d’Ardathia » (novembre 1927) qui tous deux ont connu l’heur d’une précédente édition française dont les traductions sont ici reprises. Celle de France-Marie Watkins pour le premier qui figurait dans l’anthologie de Jacques Sadoul Les Meilleurs récits d’Amazing Stories (J’ai Lu, 1974) et celle de Georges H. Gallet dans son anthologie Escale dans l’Infini (Le Rayon Fantastique, 1954), qui fut la première du genre dans notre pays. Francis Flagg est aujourd’hui totalement oublié si tant est qu’il n’ait jamais été connu en nos contrées, où un seul autre de ses textes fut publié.

Le récit initial est constitué de deux parties bien distinctes. La première nous présente un univers qui n’est pas sans rappeler celui du Métropolis de Fritz Lang. Le XIXe siècle avec ses usines concentrationnaires est tout proche encore de cette Amérique libérale, pour le meilleur comme pour le pire, Amérique où il est alors possible de publier un tel texte franchement marqué par la gauche prolétarienne. On y assiste à la révolte de la classe ouvrière et à l’écrasement d’icelle par la caste au pouvoir. On y voit aussi la fille du magnat de l’acier, qui a connu les affres de la vie des prolétaires, être victime d’un syndrome de Stockholm avant l’heure et intervenir pour améliorer le sort des plus démunis grâce au machinisme… mais les plus réactionnaires entendent eux aussi user afin d’en finir avec le risque d’une révolte ouvrière. La seconde partie met en scène un de ses descendants de cette dame qui découvre, bien des siècles plus tard et à la faveur d’un accident, que le monde des machines d’Ardathia, aseptisés et déshumanisé, n’est pas la seule réalité. Bien que n’étant nullement un luddite à tous crins, Francis Flagg interroge dès les années 30 le bien fondé d’un machinisme paroxystique, une question qui ne cessera de hanter la SF maintenant plus que jamais. Il questionne la place de l’homme dans la civilisation : Esclave au service de la Machine ou esclave des machines à son service ?

« L’Homme-Machine d’Ardathia » va avant tout interpeler le lecteur d’aujourd’hui par son indigence stylistique bien que ce texte fût parfaitement conforme à ce que Gernsback attendait de ses auteurs : description surtout technique de futurs qui chantent. Un cyborg venu de 30 000 ans dans l’avenir rend visite à un homme du XXe siècle auquel il essaie de décrire les merveilles de l’avenir tout en s’étonnant de ce que ce passé ne soit pas aussi primitif qu’il l’imaginait. Selon la manière de faire d’alors, on tient le récit d’une personne mise au fait des propos de l’homme du futur et de son interlocuteur qui finira à l’asile. C’est la question de l’homme augmenté qui est au cœur de ce texte en une époque, avant la crise de 29, où l’on avait encore une grande confiance en l’avenir de l’humanité ; laquelle a aujourd’hui totalement disparu sous le tsunami d’un pessimisme actuel ne voyant dans l’augmentation de l’humain que ruine de l’âme bien que tout le monde n’en ait pas moins son deuxième cerveau au bout des doigts. Les questions portées par la SF de Francis Flagg dès les années 30 restent totalement pertinentes presque un siècle plus tard. Le volume est préfacé par Francis Saint Martin. À redécouvrir.

Focus Richard D. Nolane

Richard D. Nolane, alias Olivier Raynaud, est membre de ce cé­nacle bien spécifique à Notre club, celui des érudits de l’Ima­ginaire. Une érudition plus particulièrement orientée vers les champs de l’anglo-saxonnie ancienne : disons de la guerre de Sécession à la Seconde Guerre mondiale, bien qu’il puisse s’a­venturer en deçà ou au-delà, à l’occasion. Nolane est rédacteur en chef de Wendigo, et directeur de la collection « RDN Books », chez L’Œil du Sphinx. Afin d’accroître l’espace dédié aux fictions vintages, il a par ailleurs créé la petite structure éditoriale OR, où il propose des fascicules de 48 pages, dont deux sont déjà parus.

Un Professeur d’égyptologie a tout pour ravir les amateurs de littérature populaire victorienne. Guy Boothby (1867-1905) naquit en Australie dans un milieu aisé et devint un proli­fique auteur de genre qui s’inspira de ses pérégrinations de jeunesse pour donner de la couleur à ses récits. Il publia du sentimental, du policier, de l’aventure, et Richard D. Nolane a ici réuni ses neuf textes relevant de l’Imaginaires. Il y a un intérêt certain à lire ces récits d’un autre temps, qui donnent à voir une époque révolue où la France et l’Angleterre disposaient d’empires coloniaux sur lesquels le soleil jamais ne se couchait, et où il était impératif de savoir lire – l’unique média étant les journaux papier. Le village global conçu par Marshall McLuhan n’avait pas encore vu le jour, et la révolution Gutenberg étendait son emprise sur toute la face du monde. La majorité des gens ne se rendait guère à la ville la plus proche qu’une fois l’an, pour la foire, et qui partait à destination du Tonkin ou de l’Argentine le faisait sans songer au retour. Java, l’Amazonie ou le Yukon étaient autant d’autres mondes. On lisait donc foison d’aventures exotiques écrites par des au­teurs qui n’y étaient pas davan­tage allés que leurs lecteurs – aujourd’hui, qui n’a pas vu l’Inde, le Japon, l’Égypte, même la Lune et Mars, à défaut d’y être allé ? Et croire aux fantômes ne condamnait pas au ridicule. Il faut donc adopter la posture intellectuelle idoine pour aborder les textes de Boothby.

Ces récits nous sont toujours livrés de manière indirecte. Le personnage auquel le lecteur a affaire est le plus souvent assis, occupé à boire ou à fumer en racontant l’histoire survenue à un tiers ou pendant qu’on la lui conte. Il est parfois précisé que ce n’est guère plausible. Un in­termédiaire est ainsi posé entre le lecteur et les faits, de sorte que l’affabulation n’est jamais totalement exclue – nul besoin ici d’une quelconque suspension de l’incrédulité. Une manière de rédiger qui n’offre pas la même possibilité d’identification que l’écriture directe ayant désormais cours.

Dans cette livraison du Wen­digo, la sixième en une douzaine d’années, Nolane mentionne ses homologues Joseph Altairac et Jean-Pierre Laigle trop tôt disparus. Un article du second sur Robert E. Howard conclut ce numéro. Sans oublier nombre de repères biographiques et bibliographiques sur les auteurs abordés. Les dix textes présentés ici vont de « Un visiteur céleste » (1871) de Amelia Shackleford, qui avait complétement disparu du domaine littéraire, à « Ter­reur sur la ligne » (1947) de Leroy Yerxa. Cette livraison abrite aussi deux auteurs fran­çais  : E. M. Laumann et Georges Normandy. « Le Tombeau de glace » (1915) de A. E. W. Mason, aujourd’hui connu par les esthètes pour son roman Les Quatres plumes blan­ches, est une aventure alpestre assez proche de « L’Abominable homme des glaces » (1923) que G. A. Wells publia dans le premier nu­méro de Weird Tales et que l’on lira dans Outré et Macabre !, où il complète un texte de Alpheus Hyatt Verill. L’autre fascicule, Kra­ken !, se consacre à la cryptozoologie et au célèbre monstre marin. Si les cartes n’étaient plus des portulans mentionnant « ici, il y a des dragons », le pu­blic d’alors voulait encore croire que bien des êtres des plus étranges existent à l’autre bout du monde.

Le joli travail patrimonial que constituent ces publications, qui n’intéresseront certes pas tout le monde, ne manque pas d’attraits au regard de l’esprit curieux des sources de nos genres aimés, et passer à côté serait bien dommage.

Le Suprême Sacrifice

On distingue, sur l’excellente illustration de couverture d’un livre qui l’est un peu moins, la silhouette d’un pistolero en uniforme bleu de l’Union. Le titre renvoie par ailleurs au discours que prononça Abraham Lincoln à Gettysburg, où il aurait formulé cette fameuse définition de la démocratie comme le « gou­vernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Le rapprochement de l’image et du texte semble vouloir suggérer, dans un raccourci fulgurant, que la démocratie est un combat inachevé qui s’est mené par les armes et se poursuit dans les mots. La première impression est pourtant trompeuse. Car s’il s’empare d’une légende américaine vieille d’un siècle et demi, Jack Campbell ne revisite aucunement le terrible conflit qui déchira les États industrieux du Nord et ceux du Sud esclavagistes. Dans cette Amérique-ci, la guerre de Sécession n’a pas eu lieu. Les riches des deux bords se sont entendus pour mettre en coupe réglée la jeune république. Politiciens autoritaires et petits chefs verticaux y monopolisent tous les pouvoirs. La parole publique y est muselée. L’armée régulière fédérale réprime les moin­dres écarts d’une population soumise et exploitée, sinon esclavagisée, où sourd pourtant l’envie de révolte. Dans les campagnes grossit une armée de l’ombre, commandée par d’anciens officiers de West Point en rupture de ban. Seulement, les frondeurs sont divisés en factions souvent indépendantes. Pour les unir et en même temps rallier le peuple à leur cause, ils ont besoin de quelqu’un capable de s’adresser aux foules, « d’un type dénommé Lincoln… »

L’un des propres de l’uchronie, quand elle s’invente dans un détour par rapport à l’histoire, est de tendre vers le passé un miroir déformant dans l’optique d’y faire se refléter un présent ou un futur divergent. La dynamique du récit permettant à la fiction de prendre une revanche sur les faits. Dès lors tout est possible, par exemple réécrire l’histoire du point de vue des perdants, des victimes, des oubliés, etc. Dans ce type d’exercice, les références historiques réelles servent de points de repère à partir desquels le lecteur peut mesurer la liberté créatrice de l’auteur. Ainsi du miroir tendu, dans Le Suprême sacrifice, au passé étatsunien, où la guerre d’indépendance est le mètre étalon dont Campbell, à travers ses personnages figurés en nouveaux Patriotes, veut défendre et perpétuer l’héritage. Mais le reflet est à peine troublé par ces résurgences somme toute attendues. Quid par ailleurs de la guerre mexicaine, qui aura pourtant, au mitan du siècle, des conséquences si im­portantes tant sur le plan politique qu’idéologique ? Quant aux principaux personnages, porteurs des idéaux de la nation et fers de lance de la révolution, comment ne pas relever qu’ils appartiennent tous à un cercle res­treint de militaires ou d’intellectuels blancs issus des classes moyennes et supérieures ? Où sont passés les noirs, les natifs, les travailleurs ? Le peuple américain lui-même est le grand oublié du récit. Au temps pour le point de vue des perdants…

Ce manque de relief pèse lourd sur un livre qui zigzague en permanence, et de manière pas toujours heureuse, entre discours et action. Sans surprise, c’est dans la description minutieuse et sanguinolente de la violence de l’époque qu’il trouve ses meilleurs moments. Le casting réunit à cet effet plusieurs officiers de l’histoire réelle, dont l’auteur rebat les allégeances à défaut de modifier substantiellement les biographies. Longstreet, Hancock, Armistead, Custer : derrière le pres­tige des noms, il y a donc des discours, mais peu de chair, et finalement bien peu de personnalité. Dans cette distribution atone se distinguent pourtant les silhouettes de Joshua Chamberlain et celle, colossale, de Robert E. Lee (ici, colonel de l’armée régulière). Les aventures de tout ce petit monde, marquées par une évasion et une course-poursuite picaresques, trouveront leur point d’orgue à Little Round Top, dans une réplique en miniature de la bataille que l’on sait…

On dirait qu’en se frottant à la vraie histoire, Campbell n’a pas voulu laisser libre cours à sa furia créatrice, comme il l’avait fait pour La Flotte perdue et ses succédanés, sombre cycle de space opera publié aussi chez L’atalante. Com­me s’il semblait intimidé par la mythologie qu’il avait dérangé. Du coup, si le rythme reste soutenu, l’imaginaire est retenu.

Le Dragon de lune

Il ne crache pas et flamboie à peine, le dragon que met en scène Vladimir Bogoraz. Il s’im­pose pourtant comme la figure centrale d’un captivant récit, nourri d’une dimension ethnographique qui le situe aux con­fins du documentaire et de la fiction. Voire de la mythologie, puisque l’histoire du dragon de lune tient à la fois de l’épopée, du conte et de la parabole.

Ce « rêve du paléolithique », comme l’auteur le définit lui-même, trouve son point d’ancra­ge au sein de la petite communauté nomade des Anaki et de leurs croyances. Dans cette société où règne la pensée ma­gique, le rituel et la prière sont les outils qui relient les individus entre eux, aux forces de la nature, au monde des esprits et des animaux divinisés. C’est ainsi qu’on adresse ses prières à l’Animal-montagne – le mammouth – et au renne blanc pour qu’ils veuillent bien nourrir la tribu. Mais quand, un printemps, le panthéon ne répond plus et que la famine s’installe, le chaman Youn le noir décide d’appeler le plus ancien de tous les dieux. Celui que les autres sorciers ont renoncé depuis longtemps à invoquer, par crainte du tribut à payer en échange de son aide. Car les chants anciens disent que le dragon exige des sacrifices. Les chants parlent aussi de noces sacrées et d’une fiancée épousée « par la gueule ». En butte à la colère de la communauté pour avoir porté la main sur un gibier interdit promis au dragon, Yarri, l’apprenti chasseur, est banni par Youn le noir. L’alternance des chapitres consacrés aux Anaki et à Yarri provoque un contraste saisissant entre ceux qui sont conscients de leur place dans le cercle du monde et ac­ceptent leur sort, et celui qui ne se résigne pas. Ainsi Yarri représente le rebelle, le défi constant à l’ordre établi par la nature ou par ses semblables. Mais même distendu, le lien avec la communauté ne peut être complètement rompu. Et parce que nul ne peut échap­per à son destin, viendra l’heure du retour pour cet Ulysse septentrional ensauvagé…

Lyrique et âpre, dénué de toute surenchère didactique, Le Dragon de lune, initialement paru en 1909, n’omet rien de ce quotidien à la fois étrange et fascinant des petits matins du monde, où l’insondable my­stère des pratiques chamaniques prolonge l’extrême ritualisation de la vie sociale et contraste avec des occupations terriblement prosaïques (chasser, se nourrir, s’habiller), synonymes de survie. Derrière ses manières de poème panthéiste et son appétit épique, le livre trouve son fil d’Ariane dans la tension sexuelle qui le traverse de bout en bout, et donne chair à l’existence dans un environnement inamical. Surtout, Le Dragon de lune présente l’avantage d’être rugueusement lui-même, c’est-à-dire qu’il n’a pas l’air d’avoir été écrit pour séduire un lectorat de jeunes mâles occidentaux nourris aux séries télévisées de fantasy. Ce qui n’enlève rien à sa modernité, en témoigne par exemple le personnage de Dina, jeune femme vivant comme un homme et se considérant leur égale, ou encore la dimension politique souterraine. La fin ouverte en surprendra également plus d’un.

Validimir Bogoraz prolonge le roman d’un épilogue qui donne de précieuses clés historiques et ethnologiques pour sa compréhension, en particulier sur les symboles du dragon et du héros. Tandis qu’en postface Vik­toriya et Patrice Lajoye, qu’on ne présente plus, remettent en perspective la vie et l’œuvre de l’auteur, ses sympathies révolutionnaires, son travail de folkloriste, dans le contexte de la lente émergence de la fantasy russophone.

Voilà en tout cas un livre qui présente assez d’atouts pour rencontrer un public allant au-delà du cercle habituel des amateurs d’antiquités littéraires.

Uchronies - Le Laboratoire clandestin de l'histoire

Comme Thierry Camous l’indique dans un préambule qualifié d’indispensable, le présent ouvrage n’est pas un livre d’histoire, mais un livre sur l’histoire écrit par un historien qui en maîtrise les méthodes. Une assertion confirmée par le dispositif rigoureux déployé par l’auteur pour exposer son sujet. Le curieux sera bien aise de relever ainsi l’existence d’un paratexte copieux se composant de notes, de cartes et d’une bibliographie assez complète.

La connaissance historique procède d’un travail méticuleux d’élucidation, où les faits sont établis à la lumière de l’analyse rigoureuse des sources, de leur confrontation et de leur critique, à la fois externe et interne, de manière à dresser un portrait le plus vraisemblable possible du passé. Mais, l’histoire s’écrit aussi au présent, restant tributaire de nos représentations et pouvant faire l’objet de révisions, terme à prendre ici dans son acception scientifique et non dans le sens polémique, défendu par les tenants d’une post-vérité relevant davantage de la falsification des faits. A priori, l’uchronie semble échapper à ce débat puisqu’il s’agit d’identifier dans le passé un fait précis afin de postuler qu’il ne s’est pas produit ou qu’il s’est déroulé différemment. L’historicité des faits ne figure donc pas au cœur de son propos. Néanmoins, elle peut faire l’objet de manipulations politiques. Conscient de cet écueil, Thierry Camous précise que l’histoire alternative doit rester pour l’historien un champ expérimental et ludique, un laboratoire où l’universitaire assume de faire de l’uchronie sans prétendre faire de l’histoire, écartant ainsi la tentation d’évoquer le passé à l’aune d’une vision uchronique non assumée. Il récuse enfin l’appellation d’histoire contrefactuelle, préférant jouer à partir des faits plutôt que contre eux.

Dans L’Histoire revisitée : Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, Éric B. Henriet a indiqué que la date de divergence était souvent faible dans l’uchronie car dépendante du niveau de connaissance du lecteur. Thierry Camous refuse de céder à cette facilité, même si l’on retrouve parmi les dix moments historiques sélectionnés la bataille de Waterloo et l’attentat de Sarajevo. Le choix de la divergence apparaît en effet crucial, au moins autant que la méthode adoptée où le probable, les possibles et l’imaginable sont déclinés avec pédagogie et toute la prudence nécessaire de l’historien, du rêve d’Empire universel d’Alexandre le Grand à l’élection contestée de Georges W. Bush en 2001.

Indépendamment de l’aspect purement ludique, quel intérêt un historien peut-il manifester pour l’uchronie ? Tout d’abord, elle permet de jeter un éclairage différent sur un point méconnu de l’histoire, du moins du grand public. Le procédé a le mérite également de bouleverser les certitudes, amenant l’historien à reconsidérer son objet d’étude, à analyser les faits sous un autre angle, voire à mettre à l’épreuve ses représentations. L’histoire alternative apparaît enfin comme un bon moyen de redonner toute sa valeur au hasard en histoire, tout n’étant évidemment pas forcément écrit à l’avance, même si le temps long pèse fortement sur les structures et les mentalités.

Uchronies : le laboratoire clandestin de l’histoire est donc un essai stimulant, écrit par un historien désireux d’appliquer ses méthodes à l’uchronie. L’amateur d’histoire alternative n’y trouvera sans doute pas matière à satisfaire son imagination débridée en matière de fiction, Thierry Camous se contentant d’esquisser des pistes de divergences historiques probables, sans rien céder à la rigueur de l’universitaire. Que cet exercice passionnant n’empêche cependant pas les amateurs de littérature ou de tout autre média, de laisser filer leur imagination. Le présent ouvrage recèle des propositions prometteuses. Écrivains et scénaristes, à vos plumes !

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug