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Les critiques de Bifrost

Uchronies. Le laboratoire clandestin de l’histoire

Uchronies. Le laboratoire clandestin de l’histoire

Thierry CAMOUS
VENDÉMIAIRE
372pp - 25,00 €

Bifrost n° 108

Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108

Comme Thierry Camous l’indique dans un préambule qualifié d’indispensable, le présent ouvrage n’est pas un livre d’histoire, mais un livre sur l’histoire écrit par un historien qui en maîtrise les méthodes. Une assertion confirmée par le dispositif rigoureux déployé par l’auteur pour exposer son sujet. Le curieux sera bien aise de relever ainsi l’existence d’un paratexte copieux se composant de notes, de cartes et d’une bibliographie assez complète.

La connaissance historique procède d’un travail méticuleux d’élucidation, où les faits sont établis à la lumière de l’analyse rigoureuse des sources, de leur confrontation et de leur critique, à la fois externe et interne, de manière à dresser un portrait le plus vraisemblable possible du passé. Mais, l’histoire s’écrit aussi au présent, restant tributaire de nos représentations et pouvant faire l’objet de révisions, terme à prendre ici dans son acception scientifique et non dans le sens polémique, défendu par les tenants d’une post-vérité relevant davantage de la falsification des faits. A priori, l’uchronie semble échapper à ce débat puisqu’il s’agit d’identifier dans le passé un fait précis afin de postuler qu’il ne s’est pas produit ou qu’il s’est déroulé différemment. L’historicité des faits ne figure donc pas au cœur de son propos. Néanmoins, elle peut faire l’objet de manipulations politiques. Conscient de cet écueil, Thierry Camous précise que l’histoire alternative doit rester pour l’historien un champ expérimental et ludique, un laboratoire où l’universitaire assume de faire de l’uchronie sans prétendre faire de l’histoire, écartant ainsi la tentation d’évoquer le passé à l’aune d’une vision uchronique non assumée. Il récuse enfin l’appellation d’histoire contrefactuelle, préférant jouer à partir des faits plutôt que contre eux.

Dans L’Histoire revisitée : Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, Éric B. Henriet a indiqué que la date de divergence était souvent faible dans l’uchronie car dépendante du niveau de connaissance du lecteur. Thierry Camous refuse de céder à cette facilité, même si l’on retrouve parmi les dix moments historiques sélectionnés la bataille de Waterloo et l’attentat de Sarajevo. Le choix de la divergence apparaît en effet crucial, au moins autant que la méthode adoptée où le probable, les possibles et l’imaginable sont déclinés avec pédagogie et toute la prudence nécessaire de l’historien, du rêve d’Empire universel d’Alexandre le Grand à l’élection contestée de Georges W. Bush en 2001.

Indépendamment de l’aspect purement ludique, quel intérêt un historien peut-il manifester pour l’uchronie ? Tout d’abord, elle permet de jeter un éclairage différent sur un point méconnu de l’histoire, du moins du grand public. Le procédé a le mérite également de bouleverser les certitudes, amenant l’historien à reconsidérer son objet d’étude, à analyser les faits sous un autre angle, voire à mettre à l’épreuve ses représentations. L’histoire alternative apparaît enfin comme un bon moyen de redonner toute sa valeur au hasard en histoire, tout n’étant évidemment pas forcément écrit à l’avance, même si le temps long pèse fortement sur les structures et les mentalités.

Uchronies : le laboratoire clandestin de l’histoire est donc un essai stimulant, écrit par un historien désireux d’appliquer ses méthodes à l’uchronie. L’amateur d’histoire alternative n’y trouvera sans doute pas matière à satisfaire son imagination débridée en matière de fiction, Thierry Camous se contentant d’esquisser des pistes de divergences historiques probables, sans rien céder à la rigueur de l’universitaire. Que cet exercice passionnant n’empêche cependant pas les amateurs de littérature ou de tout autre média, de laisser filer leur imagination. Le présent ouvrage recèle des propositions prometteuses. Écrivains et scénaristes, à vos plumes !

Laurent LELEU

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