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Les critiques de Bifrost

La Révolte d'Ardathia

La Révolte d'Ardathia

Francis SAINT-MARTIN, Francis FLAGG
L'APPRENTIE
120pp - 9,90 €

Bifrost n° 108

Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108

L’Apprentie est une jeune maison d’édition bordelaise, sorte d’éditeur école qui offre aux étudiants se destinant au métier l’opportunité de se faire les dents et qui semble pour l’heure se vouer à un travail patrimonial. Leur catalogue, bien qu’encore succinct, compte quelques noms qui parleront aux amateurs d’imaginaire ou de littérature populaire : Edith Wharton, Gaston Leroux ou Maurice Leblanc. L’initiative qui mérite que l’on s’y intéresse.

Pour cette livraison de printemps, L’Apprentie a exhumé l’auteur américain Francis Flagg (1898-1946), de son vrai nom Henry George Weiss, qui fut parmi les premiers à publier de la science-fiction – que l’on appelait encore scientitfiction –, dans les pages du tout premier magasine dédié à notre genre de prédilection, Amazing Stories, tout juste lancé par Hugo Gernsback.

Ce livre reprend les deux récits que Francis Flagg a consacré à l’univers d’Ardathia : « Les Cités d’Ardathia » (mars 1932) et « L’Homme-Machine d’Ardathia » (novembre 1927) qui tous deux ont connu l’heur d’une précédente édition française dont les traductions sont ici reprises. Celle de France-Marie Watkins pour le premier qui figurait dans l’anthologie de Jacques Sadoul Les Meilleurs récits d’Amazing Stories (J’ai Lu, 1974) et celle de Georges H. Gallet dans son anthologie Escale dans l’Infini (Le Rayon Fantastique, 1954), qui fut la première du genre dans notre pays. Francis Flagg est aujourd’hui totalement oublié si tant est qu’il n’ait jamais été connu en nos contrées, où un seul autre de ses textes fut publié.

Le récit initial est constitué de deux parties bien distinctes. La première nous présente un univers qui n’est pas sans rappeler celui du Métropolis de Fritz Lang. Le XIXe siècle avec ses usines concentrationnaires est tout proche encore de cette Amérique libérale, pour le meilleur comme pour le pire, Amérique où il est alors possible de publier un tel texte franchement marqué par la gauche prolétarienne. On y assiste à la révolte de la classe ouvrière et à l’écrasement d’icelle par la caste au pouvoir. On y voit aussi la fille du magnat de l’acier, qui a connu les affres de la vie des prolétaires, être victime d’un syndrome de Stockholm avant l’heure et intervenir pour améliorer le sort des plus démunis grâce au machinisme… mais les plus réactionnaires entendent eux aussi user afin d’en finir avec le risque d’une révolte ouvrière. La seconde partie met en scène un de ses descendants de cette dame qui découvre, bien des siècles plus tard et à la faveur d’un accident, que le monde des machines d’Ardathia, aseptisés et déshumanisé, n’est pas la seule réalité. Bien que n’étant nullement un luddite à tous crins, Francis Flagg interroge dès les années 30 le bien fondé d’un machinisme paroxystique, une question qui ne cessera de hanter la SF maintenant plus que jamais. Il questionne la place de l’homme dans la civilisation : Esclave au service de la Machine ou esclave des machines à son service ?

« L’Homme-Machine d’Ardathia » va avant tout interpeler le lecteur d’aujourd’hui par son indigence stylistique bien que ce texte fût parfaitement conforme à ce que Gernsback attendait de ses auteurs : description surtout technique de futurs qui chantent. Un cyborg venu de 30 000 ans dans l’avenir rend visite à un homme du XXe siècle auquel il essaie de décrire les merveilles de l’avenir tout en s’étonnant de ce que ce passé ne soit pas aussi primitif qu’il l’imaginait. Selon la manière de faire d’alors, on tient le récit d’une personne mise au fait des propos de l’homme du futur et de son interlocuteur qui finira à l’asile. C’est la question de l’homme augmenté qui est au cœur de ce texte en une époque, avant la crise de 29, où l’on avait encore une grande confiance en l’avenir de l’humanité ; laquelle a aujourd’hui totalement disparu sous le tsunami d’un pessimisme actuel ne voyant dans l’augmentation de l’humain que ruine de l’âme bien que tout le monde n’en ait pas moins son deuxième cerveau au bout des doigts. Les questions portées par la SF de Francis Flagg dès les années 30 restent totalement pertinentes presque un siècle plus tard. Le volume est préfacé par Francis Saint Martin. À redécouvrir.

Jean-Pierre LION

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